et s`enquiert de « la nature des moyens de pai

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et s`enquiert de « la nature des moyens de pai
Poker en ligne: le groupe Partouche sous le coup d'une enquête / 19 février 2013 | Par Mathilde Mathieu
Depuis 2010 et la légalisation des jeux de poker sur internet, c’est la ruée. L’an passé, dans l’Hexagone, plus de
six milliards d’euros ont été misés sur les sites agréés (pokerstars.fr, winamax.fr, etc.). Visiblement, les
opérateurs ont su capter la confiance des Français. Pourtant, sur l’un des sites les plus en vue, celui lancé par le
groupe Partouche (numéro 2 français des casinos), il semble que tous les compétiteurs n’aient pas été logés à la
même enseigne.
D’après une série de documents internes consultés par Mediapart, de drôles de joueurs semblent avoir bénéficié
de faveurs. Yohan Zenou, par exemple, inscrit sous le pseudo « yozenou », a déposé en tout et pour tout 175
euros d’argent personnel sur son compte virtuel, ouvert sur partouche.fr en avril 2011. À part ça, il a beaucoup
joué gratuitement : au lieu d’acheter comme tout le monde ses tickets d’entrée sur les tournois, il a bénéficié de
centaines de « pass » offerts par l’entreprise, pour un montant total dépassant les 36 000 euros. À l'arrivée, le
jeune homme de 22 ans a beaucoup gagné : début février, il avait déjà transféré 27 500 euros vers son compte
bancaire, d'après sa fiche confidentielle. Or « yozenou » appartient à la famille de Katy Zenou, membre du
directoire du groupe Partouche et administratrice de Partouche Gaming France, la filiale en charge du site web.
Sollicité à plusieurs reprises par Mediapart, il n’a jamais rappelé.
L’entreprise, elle, va bien devoir s’expliquer. Car l’Arjel (l’Autorité de régulation des jeux en ligne créée en
2010) a ouvert fin 2012, une enquête sur les pratiques de Partouche Gaming France (PGF). D’après nos
informations, le gendarme des sites de poker et de paris sur internet a déjà diligenté des vérifications sur une
quarantaine de « comptes joueurs » qui l’intriguent, tous ouverts sous pseudos, le plus souvent par des salariés
du groupe.
L’Arjel soupçonne que certains aient enfreint la loi de 2010 interdisant aux dirigeants d’entreprises de poker en
ligne de miser à titre personnel, ou que certains aient bénéficié de gratifications indues (soit des « bonus »
directement versés en euros sur les comptes des joueurs, soit des « tickets » d’entrée à des tournois
théoriquement payants, valant plusieurs centaines d'euros chacun).
Trois ans après les polémiques qui ont émaillé la libéralisation des jeux en ligne (accusée de servir les intérêts
d’amis de Nicolas Sarkozy ou d’augmenter les risques d’addiction), le secteur joue une part de sa crédibilité.
À lire les dernières missives adressées à Partouche Gaming France (PGF), un « compte joueur » intéresse tout
particulièrement les enquêteurs, celui détenu par un certain « paiterpan1 ». D’après nos informations, ce pseudo,
officiellement ouvert au nom de Karine Partouche, est en réalité utilisé par Patrick Partouche lui-même, le
président du conseil de surveillance et figure tutélaire du groupe. Dans un courrier en date du 24 janvier, l’Arjel
exige « la justification des gratifications accordées » à « paiterpan1 » et s’enquiert de « la nature des moyens
de paiements utilisés aux fins d’approvisionnement du compte ».
Si les pires soupçons de l’Arjel se vérifiaient, l’enquête pourrait déboucher non seulement sur des sanctions
administratives, mais sur un signalement à la justice pour « abus de bien social » (s’il est avéré que des
dirigeants ont détourné des biens de la société à des fins personnelles) ou « escroquerie » (si des joueurs
lambda ont été lésés). Au poker, en effet, on ne joue pas contre le casino, mais contre les autres participants :
si un salarié de Partouche emporte la mise, c’est au détriment d’autres joueurs.
Sollicité par Mediapart, le président de l’Arjel refuse de commenter l’enquête en cours : « À ce stade, je ne
peux pas préjuger des suites qui seront données aux contrôles qui sont régulièrement conduits pour l’ensemble
des opérateurs agréés. » Jean François Vilotte précise tout de même : « Il nous appartient de vérifier que
l’interdiction d’ouverture de compte faite aux dirigeants, propriétaires, mandataires sociaux et personnels d’un
opérateur de poker en ligne, est bien respectée – c’est une règle de bon sens pour prévenir les conflits
d’intérêts. Il nous appartient également de vérifier que les conditions d’alimentation des “comptes joueurs” sont
conformes à la réglementation. »
Examinons quelques exemples. D’après nos informations, Jean-Jacques Ichaï, responsable marketing du groupe
Partouche jusque fin 2012, a longtemps possédé un compte sous le pseudonyme de « millionnaire ». D'après sa
fiche confidentielle, « millionnaire » a déposé, pour jouer, quelque 3 700 euros sur deux ans. Mais il s’est aussi
vu offrir, à plusieurs reprises, des tickets d’entrée à des tournois, qu’il a finalement remportés, dissimulé
derrière son anonymat. En février 2011, lors d’un événement baptisé « Enfer du dimanche », il a ainsi enregistré
une victoire à 5 800 euros. Un mois plus tard, il s’imposait à un gros tournoi (le « Super 30 000 »), avec 8 100
euros de gains à la clef. En deux ans, « millionnaire » a ainsi transféré plus de 14 000 euros sur un compte
bancaire.
« Faites-moi un petit courriel. »
Quand on l’appelle, Jean-Jacques Ichaï semble très gêné : « Ce n’est pas moi qui ai joué avec ce compte. » C’est
pourtant son adresse, son téléphone portable, son mail qui sont indiqués sur la fiche que nous avons consultée.
« C’est exact, il n’y a pas de fraude sur mon compte. » C’est surtout son relevé d’identité bancaire qui a été
utilisé… « D’accord, et alors ? » s’agace Jean-Jacques Ichaï, quand on l’interroge sur les 14 000 euros retirés.
L’Arjel, elle, est déjà en train d’éplucher son dossier : comment l’alimentation de son compte joueur en tickets
gratuits peut-elle se justifier ? Jean-Jacques Ichaï avait-il accès à des informations privilégiées sur ses
adversaires, susceptibles de l’avantager ? Ces derniers n’ont-ils pas été trompés ? C'est tellement plus facile, en
effet, de jouer une partie quand on ne risque pas son argent personnel...
Autre exemple : Maurice-Romain Schulmann, directeur de la communication du groupe Partouche, 32 ans, inscrit
sous le pseudo « miludinoo ». Depuis septembre 2010, « miludinoo » a transféré 18 000 euros de gains sur un
compte en banque. Comment a-t-il pu remporter autant ? Maurice-Romain Schulmann a certes engagé de l’argent
personnel sur partouche.fr (environ 4 000 euros déposés), mais il a aussi bénéficié de nombreux cadeaux de la
part de la société : « miludinoo » a ainsi été alimenté en « bonus » (directement versés sur son compte) et
surtout en « tickets » d’entrée sur des tournois (pour un montant équivalent à plus de 13 000 euros). Certains de
ces tickets lui ont été prodigués par le directeur général délégué de Partouche Gaming France en personne.
Sollicité à plusieurs reprises par Mediapart, Maurice-Romain Schulmann n’a pas répondu à nos questions.
L’Arjel examine également le profil du compte « onionbreak », créé en mai 2011. Son pedigree : zéro euro
déposé par le joueur, mais 2 700 euros de « bonus » et 24 000 euros de « tickets » offerts par Partouche
Gaming France. Gains retirés : 8 500 euros. Or d’après nos informations, ce pseudo appartient à Benjamin Abou
(32 ans), président du casino Partouche à La Grande Motte. « J’ai eu un compte avant l’ouverture du nouveau
site, pour le tester, mais je ne joue plus dessus depuis », veut relativiser l’intéressé. Le 6 janvier 2013,
pourtant, un « ticket » d’une valeur de 200 euros a encore été alloué à « onionbreak », aussitôt utilisé. Rebelote
le 20 janvier. Quand on interroge Benjamin Abou sur les retraits de 8 500 euros, il raccroche : « J’ai quelqu’un
qui va revenir vers vous et répondre pour moi. » À ce jour, personne n’est jamais revenu.
Idem pour « jadoune », le pseudo choisi par Guy Benhamou, patron du casino Partouche de Lyon et membre de la
famille Partouche. Début janvier, son compte sur partouche.fr affichait une longue liste de tickets offerts, pour
environ 11 000 euros. Retraits effectués : 3 200 euros. Sollicité à son tour par téléphone, Guy Benhamou
esquive : « Faites-moi un petit courriel, c’est tellement plus agréable d’échanger par courriels. »
On peut stopper là l’énumération : à chaque exemple, le président du directoire du groupe Partouche, qui s’est
chargé de nous recevoir, avance la même défense. « Certains joueurs possèdent en fait des “comptes test”,
assure Fabrice Paire. Ils éprouvent le site, nous font remonter les bugs, les lenteurs, etc., pour qu’on fasse
évoluer le produit. Pour ça, des moyens leur sont alloués (ndlr : bonus et tickets gratuits). Je n’offre rien, je
donne les moyens à des gens de tester mon produit et de me faire un retour. »
L’Arjel risque cependant de trouver l’argument un peu facile. « Il faudra nous expliquer comment un “compte
test” peut permettre l’enrichissement personnel , souffle-t-on dans ses services. Et pour quelle raison un
testeur a besoin d’aller jusqu’à remporter des tournois...»
« Y aurait-il un délit d’appartenance à la famille Partouche ? »
« S’ils abandonnaient au milieu de la partie, les autres joueurs s’étonneraient , plaide Fabrice Paire. Les testeurs
ont donc un comportement normal jusqu’au bout. Quand ils gagnent des tournois, ça ne me pose pas de problème
qu'ils fassent du cash. Ils nous rendent service. » Ne serait-ce pas, a minima, une forme de rémunération
déguisée ? Ne devraient-ils pas reverser à PGF les gains amassés grâce à des largesses de la société ? « Chez
Air France, il y a des gens qui font voyager leurs proches gratuitement ; chez EDF, des gens qui ne paient pas
l’électricité ! »
Le boss du groupe Partouche affirme que les différentes gratifications offertes à ces salariés « testeurs » (ou
soi-disant « testeurs ») représentent seulement 3 % des bonus distribués chaque année sur le site – 97 %
profitant à des joueurs lambda, dans une logique marketing. Pendant ce temps-là, le groupe supprime des
emplois, au casino de Bandol par exemple.
Les enquêteurs de l’Arjel ont de toutes façons repéré que certains joueurs, soi-disant « testeurs », n’ont jamais
été étiquetés en tant que tels dans la base informatique de partouche.fr (à l’image de Guy Benhamou ou de
Yohan Zenou).
Interrogé précisément sur le compte de Guy Benhamou (« jadoune »), membre de la famille Partouche, Fabrice
Paire s’énerve : « Y aurait-il un délit d’appartenance à la famille Partouche ? Un délit de sale gueule ? Quelles
règles on va bien pouvoir imposer pour interdire au groupe Partouche de verser des bonus à un membre de la
famille Partouche ? Guy Benhamou, il va me dire : “Pourquoi je suis mal traité ?!” »
La famille Partouche n’est pas la seule ainsi soignée. Maxime Masquelier, le directeur général délégué de PGF, a
un frère Prosper, inscrit en juin 2012 sous le pseudo « masquerage ». Cet ancien participant d’une émission de
télé-réalité de TF1 (Nice people), aujourd’hui associé à Laurent Tapie pour un projet de tournoi de poker géant
au stade de Wembley, s’est vu offrir 1 900 euros de tickets gratuits sur partouche.fr, en quelques mois. « Je
suis quelqu’un de reconnu dans le poker , répond-il. Je fais des interviews, des médias, j’ai ouvert des comptes
sur tous les sites de France, on me fait des cadeaux dans tous les sens, c’est du marketing ! »
S’agissant du compte « paiterpan1 », utilisé par Patrick Partouche lui-même, le problème se pose de manière un
peu différente : le patron du conseil de surveillance (qui n'a pas répondu à notre sollicitation) n’a jamais retiré
un centime. Simplement, il a beaucoup joué, beaucoup misé, grâce aux 54 000 euros de bonus et 10 600 euros de
tickets offerts à « paiterpan1 » depuis l’été 2010, influençant le déroulement des parties. L’Arjel pourrait
considérer que Patrick Partouche est pourtant interdit de jeu par l’article 32 de la loi de 2010, qui empêche
tout « dirigeant » d’un opérateur de poker en ligne d’ « engager » des mises « à titre personnel ».
Sur ce sujet, Fabrice Paire se montre particulièrement tendu. « Je ne vous confirme pas qu’il s’agit du compte
de Patrick Partouche », commence-t-il par répondre. Mediapart a pourtant la preuve qu’il l’utilise. « De toutes
façons, Patrick Partouche préside le conseil de surveillance du groupe, il n’est pas “dirigeant” de Partouche
Gaming France (ndlr : simple filiale). La loi est précise, il ne rentre pas dans le périmètre d’interdiction. »
L’Arjel, de son côté, pourrait ne pas rentrer dans ces subtilités et considérer Patrick Partouche comme un
« dirigeant de fait » – d’autant qu’il a présidé PGF d’avril à fin août 2010, juste avant le lancement effectif du
site.
L’autorité de contrôle est d’autant plus irritée, ces jours-ci, qu’un « audit de sécurité » destiné à vérifier que
partouche.fr respectait toutes ses obligations techniques en matière d’enregistrement et de traçabilité des
données de jeu (condition sine qua non pour que l’Arjel puisse effectuer ses contrôles) a révélé plusieurs
insuffisances. Le 20 décembre, l’Arjel a ainsi adressé une « mise en demeure » à PGF, prié de se mettre en règle
« dans un délai de trois mois. »
D’après nos informations, le groupe vient par ailleurs d’écoper d’un « avertissement » de la part du ministère de
l’intérieur concernant ses activités en casino, à l’issue de son « Partouche Poker Tour », énorme tournoi organisé
au « Palm Beach » de Cannes en septembre 2012. Pour faire grimper à 5 millions d'euros le « prize pool » (c’està-dire le pactole prévu pour les gagnants), le groupe Partouche a versé de sa poche plus que le maximum autorisé
par la loi.
« L’activité de poker en France est une aberration, s'agace Fabrice Paire. C’est pas rentable dans les casinos en
dur – au mieux équilibré. Et sur internet, c'est un puits sans fond, tout le monde perd de l'argent, notamment à
cause du système de prélèvement (ndlr : l’État a décidé en 2010 de taxer les montants misés par les joueurs,
plutôt que les sommes qui reviennent à l'opérateur). Nous, on replie les voiles ! » De fait, le site tourne avec des
moyens réduits depuis plusieurs mois déjà. Pas sûr que l'enquête de l'Arjel arrange ses affaires.
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