Améliorer la fertilité et prolonger la durée de vie de vos vaches, c`est
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Améliorer la fertilité et prolonger la durée de vie de vos vaches, c`est
GÉNÉTIQUE Par MARIE-PHILIP BRISSON, conseillère pour le territoire Ouest, Holstein Québec Améliorer la fertilité et prolonger la durée de vie de vos vaches, c’est possible En adoptant la bonne stratégie génétique pour améliorer la fertilité et prolonger la durée de vie des vaches, vous augmenterez du même coup les performances de votre troupeau et votre rentabilité. 38 JANVIER/FÉVRIER2015 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS Efficacité, performance et rentabilité sont des mots couramment employés dans le vocabulaire des producteurs de lait. Aujourd’hui, le volet de la reproduction devient de plus en plus important lorsqu’on parle de rentabilité. Il faut être capable de rendre une vache gestante pour qu’elle donne une lactation supplémentaire, donc des revenus supplémentaires. Les chiffres démontrent que les performances de reproduction des troupeaux laitiers québécois peuvent s’améliorer. Les critères de santé et de fertilité sont importants, car ils peuvent contribuer à améliorer les performances, mais aussi accroître la longévité des animaux dans les étables. FAITS ET CHIFFRES1 • Les troubles de reproduction sont la première cause de réforme involontaire dans les troupeaux du Québec. • En 2013, dans les troupeaux laitiers québécois, en moyenne 39,7 % des vaches étaient en 3e lactation ou plus, alors qu’on vise plutôt 50 % des vaches dans ce groupe d’âge. • L’âge moyen des vaches au Québec est de 3 ans et 11 mois. Dans un troupeau idéal, les vaches auraient une moyenne de 5 ans. • Pour cette même période, l’intervalle de vêlage moyen est de 420 jours, alors qu’on vise de 386 à 405 jours. Cela devient encore plus alarmant lorsqu’on constate qu’en moyenne, au Québec, le nombre de jours ouverts s’élève à 139! Des résultats qui, pour certaines entreprises, grugent directement dans la marge de profit par vache par jour. POURQUOI DE TELS RÉSULTATS? La tendance génétique pour la production est en constante évolution depuis les 20 dernières années. Cela se reflète sur les performances, puisque des gains d’environ 2 200 kg/vache/ an ont été observés depuis 1990. On suspecte toutefois que cette augmentation de production ait occasionné une baisse de performance de la reproduction. La tendance génétique pour la fertilité des filles était en baisse jusqu’en 2009. Au cours des quatre dernières années, on a observé une légère amélioration de ce trait fonctionnel. Qu’est-ce qui a pu engendrer cette amélioration? C’est à partir de 2005 que l’indice de fertilité des filles a été inclus dans l’indice de profit à vie (IPV). Pourquoi ces gains sont-ils minimes? L’amélioration du critère de fertilité des filles n’est pas aussi marquée que celle de la production, puisque la pondération de la composante santéfertilité ne compte que pour 15 % de la formule. À l’intérieur de cette composante, la fertilité des filles compte pour 67 %. Pour espérer une plus grande amélioration de ce trait fonctionnel, il P lus les vaches vivent et produisent longtemps, moins de sujets de remplacement seront nécessaires pour produire la même quantité de lait. faudrait que la composante santé-fertilité occupe plus d’importance dans l’indice d’IPV. Ceci dit, des changements sont envisagés par l’industrie dans la prochaine année pour augmenter la part de la composante de santé-fertilité dans l’IPV. Enfin, une autre raison pour laquelle les gains sont beaucoup moins marqués que ceux en production, par exemple, peut s’expliquer par le fait que la majorité des caractères fonctionnels ont une héritabilité faible comparativement aux traits de production. L’HÉRITABILITÉ, QU’EST-CE QUE C’EST? L’héritabilité est le potentiel d’un animal à transmettre un trait en particulier à sa descendance. C’est le niveau de variation d’un caractère dans une population qui peut être attribué à la génétique. En d’autres termes, plus l’héritabilité est faible, plus ce trait sera influencé par la régie et les facteurs environnementaux. Prenons par exemple la production de lait, un critère fortement héritable à 43 %. En comparant deux vaches de troupeaux différents, il est possible d’estimer qu’environ 43 % des différences de performance de production proviendront du bagage génétique de l’animal et le 57 % restant, de la régie et de l’environnement des deux fermes. Cela dit, les critères qui entrent dans la composante de production de l’IPV sont moyennement à fortement héritables. Ils comptent pour 51 % de l’IPV, car ils ont une très grande importance économique. Toutefois, il existe des critères à faible héritabilité qui ont une grande importance économique, tels que la résistance à la mammite (RM), la durée de vie (DV) et la fertilité des filles (FF), présentant respectivement une héritabilité de 12 %, 10 % et 7 %. L’indice de la FF présente une héritabilité très faible à 7 %, donc plus de 90 % de ce critère est influencé par la régie, la gestion des chaleurs et du troupeau ainsi que l’environnement des animaux. Plusieurs doivent déjà se poser la question suivante : Pourquoi inclure ce critère dans ma stratégie d’élevage si le potentiel d’héritabilité est si faible? L’amélioration des critères fonctionnels par la génétique est une solution à long terme et ne doit pas être une option négligée, car les caractères associés à la santé- fertilité et la longévité ont une grande importance économique. L’héritabilité ne mesure pas la valeur économique d’un gain en performance, mais bien le potentiel à recevoir un gène et à pouvoir l’exprimer. Le Réseau laitier canadien (CDN) a récemment publié des données intéressantes pour démontrer les gains génétiques qui peuvent être réalisés lorsque la sélection des sujets est effectuée en fonction des critères à faible héritabilité, tels que la fertilité des filles et la durée de vie. Le tableau 1 présente les performances moyennes des filles des taureaux supérieurs et inférieurs pour la FF. On note une différence de 19 points pour l’indice génétique entre le groupe supérieur et le groupe inférieur de taureaux. De plus, l’analyse des performances des filles permet d’observer une diminution moyenne de 10 jours au nombre JANVIER/FÉVRIER 2015 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS 39 GÉNÉTIQUE de jours ouverts et une légère baisse du nombre d’inséminations requises par conception pour le groupe de taureaux supérieurs. Selon les statistiques d’Agritel web (2012), les pertes reliées à l’intervalle de vêlage sont évaluées à 2 à 6 $ par vache par jour. Ainsi, plus la période de jours ouverts est grande, plus la marge de profit par vache diminue. Selon le tableau 1, si on néglige la fertilité des filles en employant un taureau inférieur pour ce critère, on peut observer une perte d’environ 40 $ pour seulement une vache. Il est important de noter que ce sont seulement des pertes reliées à la génétique; on pourrait subir une perte plus grande en y additionnant les facteurs environnementaux. Le même exemple peut être réalisé avec l’indice de durée de vie. Selon le tableau 2, les épreuves des taureaux supérieurs affichaient en moyenne un indice de 109 comparativement à 93 pour le groupe de taureaux inférieurs (différence de 17). La moyenne de la race pour la durée de vie se situe à 100. Les résultats des performances des filles sont très positifs avec le groupe de taureaux supérieurs. Comparativement aux filles du groupe de taureaux inférieurs, leurs filles obtiennent en moyenne un vêlage de plus, six mois de production supplémentaires et 21 % de plus d’entre elles (donc une fille de plus sur 5) se rendent au 4e vêlage. Plus les vaches vivent et produisent longtemps, moins de sujets de remplacement seront nécessaires pour produire la même quantité de lait. Cela peut représenter d’énormes économies, vu le coût d’élevage des génisses. De plus, un producteur peut TABLEAU 1. PERFORMANCE MOYENNE DES FILLES DES CINQ MEILLEURS TAUREAUX ET DES CINQ TAUREAUX INFÉRIEURS POUR LA FERTILITÉ DES FILLES, AVEC PLUS DE 1 000 FILLES 2 GROUPE DE TAUREAUX ÉPREUVE MOYENNE POUR LA FERTILITÉ DES FILLES 5 meilleurs taureaux 5 taureaux inférieurs Différence 108 90 +19 MESURES DE LA LA PERFORMANCE DES FILLES NOMBRE JOURS D’INSÉMINATIONS PAR OUVERTS CONCEPTION (VACHES) 2,05 2,35 -0,30 117 127 -10 2 Données comptabilisées sur 1 000 filles avec des taureaux éprouvés qui sont retournés en service en partie à cause de leur indice d’IPV et leur forte utilisation au Canada. Compte tenu des améliorations espérées avec le groupe de taureaux supérieurs pour la survie au 3e et 4e vêlage (voir tableau 2), on pourrait facilement atteindre le 50 % visé en 3e lactation, ce qui représente un écart de 11 % en comparaison à la moyenne actuelle du Québec qui est de 38,8 % (Évolution laitière, 2013). On peut donc calculer 11 points x 0,018 $ par vache par jour = 72 $ par vache par année. Pour un troupeau de 75 vaches, cela peut représenter un profit non négligeable de 5 400 $. T rouver les points forts et les points à améliorer permettra de bâtir une stratégie d’élevage adaptée à son troupeau. QUELLE STRATÉGIE ADOPTER? accroître son profit en augmentant son pourcentage de vaches en 3e lactation et plus. Selon René Roy, agroéconomiste chez Valacta, pour chaque 1 % de vaches de plus dans la catégorie de 3e veau et plus, on gagne 0,018 $ par jour, et ce, pour une année entière. Premièrement, il est important d’analyser les performances de son élevage. Trouver les points forts et les points à améliorer permettra de bâtir une stratégie d’élevage adaptée à son troupeau. Il existe différentes stratégies pour améliorer les critères de santé et de fertilité et accroître la longévité des vaches en misant sur la génétique. En voici quelques-unes : TABLEAU 2. PERFORMANCE MOYENNE DES FILLES DES CINQ MEILLEURS ET DES CINQ TAUREAUX INFÉRIEURS POUR LA DURÉE DE VIE, AVEC PLUS DE 1 000 FILLES 3 MESURES DE LA PERFORMANCE DES FILLES ÉPREUVE MOYENNE POUR LA DURÉE NOMBRE VIE SURVIE AU SURVIE AU SURVIE AU DE VIE DE VÊLAGES PRODUCTIVE 2e VÊLAGE 3e VÊLAGE 4e VÊLAGE (MOIS) GROUPE DE TAUREAUX 5 meilleurs taureaux 5 taureaux inférieurs Différence 3 109 93 +17 3,28 2,60 +0,68 35 29 +6 86 % 73 % +13 % 67 % 48 % +19 % 46 % 25 % + 21 % Idem. JANVIER/FÉVRIER 2015 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS 41 GÉNÉTIQUE Il demeure très important d’offrir le meilleur environnement qui soit aux animaux pour qu’ils puissent exprimer leur plein potentiel. • Inclure plusieurs critères fonctionnels positivement corrélés avec la fertilité, tels que la durée de vie, la résistance à la mammite, le comptage de cellules somatiques bas. Faire attention aux critères qui sont négativement corrélés avec la fertilité, telle que la production, et plutôt sélectionner des sujets pour des déviations positives en gras et protéine. • Travailler avec des vaches ayant une bonne conformation. Sélectionner des sujets ayant de bons pieds et membres. Les problèmes de locomotion ou de boiterie se répercutent souvent sur les performances reproductrices. Porter une attention particulière à l’indice de vue arrière des membres, qui est fortement corrélé à la motricité des vaches. • Il est important de prioriser des taureaux qui se classent dans la moyenne de la race pour les critères à faible héritabilité tels que la FF et la DV. Selon le Réseau laitier canadien, un taureau avec une valeur d’élevage relative (VER) de 90 engendre des filles qui auront tendance à avoir 8 jours ouverts de plus et une baisse du taux de gestation de 2,5 % par rapport aux filles de taureaux qui ont un indice de 100. Le même principe s’applique 42 JANVIER/FÉVRIER 2015 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS pour la DV : 47 % des filles d’un taureau ayant un indice de 115 pour ce critère se rendent au-delà du quatrième vêlage, comparativement à seulement 31 % des filles d’un taureau ayant un indice de 85. • La génomique peut aussi être un outil intéressant. Chez les jeunes taureaux, des gains de fiabilité de 28 et 31 % pour des critères à faible héritabilité tels que les indices de durée de vie et de fertilité des filles sont observés. Il est également possible de faire une sélection hâtive en génotypant les sujets de remplacement et en ne gardant que les meilleurs pour les critères à améliorer. • Il est possible de regrouper les vaches selon certains critères à améliorer et de faire de l’accouplement correctif, donc de choisir un taureau qui viendra combler les lacunes de la vache à saillir. • Il demeure très important d’offrir le meilleur environnement qui soit aux animaux pour qu’ils puissent exprimer leur plein potentiel. Le confort des vaches, une régie d’élevage adéquate et une ration balancée qui vise à combler les besoins nutritionnels de l’animal à tous les stades de lactation sont tous des éléments pouvant influencer positivement la santé, la fertilité et la longévité de vos vaches. • Enfin, pour augmenter les performances de reproduction de votre élevage, vous devez être présent dans l’étable afin d’observer les signes de chaleur. Des appareils de détection des chaleurs peuvent vous aider, mais il faut savoir bien les utiliser et inséminer dans la bonne fenêtre de temps. Aussi, il faut s’assurer que toutes les personnes qui travaillent avec le troupeau reconnaissent les signes de chaleur, car eux aussi peuvent contribuer à augmenter les performances de reproduction. Ces stratégies et outils peuvent ne pas avoir l’impact escompté lorsqu’un seul est utilisé. Par contre, en les combinant, ils peuvent certainement contribuer à améliorer les performances de votre troupeau. L’effet cumulatif d’une sélection génétique ressentie sur plusieurs générations englobant des critères tels que la fertilité des filles, la durée de vie et la conformation, couplé à l’établissement d’une gestion optimale de la reproduction, peut vraiment augmenter la marge de profit sur nos entreprises! n 1 Évolution de la production laitière québécoise, 2013.