Invitation au voyage littéraire et musical. Conduit par Charles
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Invitation au voyage littéraire et musical. Conduit par Charles
Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Récits de rêves et rêves de récits : I NVITATION AU V OYAGE L ITTÉRAIRE ET M USICAL Conduit par Charles Baudelaire et d’autres artistes « J’ai eu aujourd’hui, en rêve, trois domiciles où j’ai trouvé un égal plaisir. Pourquoi contraindre mon corps à changer de place, puisque mon âme voyage si lestement ? Et à quoi bon exécuter des projets, puisque le projet est en lui-même une jouissance suffisante ? » Baudelaire, Petits Poèmes en prose, « Les Projets XXIV » 1 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Lucie Piemontesi 3M7 Gymnase Auguste Piccard Travail de Maturité 2010 Tutrice : Samia Ryser-Abdo Table des matières 1) Table des matières p. 2 2) Introduction p. 3 3) Biographie de Charles Baudelaire p. 4 4) Le rêve qui tourne au cauchemar dans les écrits de Baudelaire p. 7 5) Analyse de trois poèmes de Baudelaire et leur musicalité p.9 6) La rêverie dans les Petits Poèmes en prose p. 18 7) La place du rêve dans l’art p. 21 8) Conclusion p. 23 9) Bibliographie p.24 10) Pièces annexes p.25 2 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Introduction : « Suite d’images, de scènes produites par le psychisme durant le sommeil. Construction élaborée par l’imagination et affranchie de la réalité », c’est le sens du mot rêve dans le dictionnaire. Il s’apparente aussi au mot rêverie qui est un « état où l’esprit se laisse à vagabonder ». De ces deux significations, on peut retirer les mots réalité, images et, vagabonder qui s’associent au terme voyager. Ce sont ces trois descriptions qui vont être essentielles au déroulement de ce travail, trois sujets qui passionnent le poète Charles Baudelaire : -la réalité, qu’il pense confondue avec l’idéal, que nous retrouvons dans les poèmes du recueil Les Fleurs du Mal ; -les images, que l’esprit par son songe visualise par les paroles des mots qui se suivent dans les poèmes et, -le voyage, qui est l’aboutissement des images du songe, de la rêverie. Nous savons que le voyage est un thème très prisé par Charles Baudelaire, c’est, d’ailleurs, pour cela qu’il est l’un des termes clé du titre de ce travail : invitation au voyage littéraire et musical. En effet, Baudelaire a beaucoup aimé le seul voyage qu’il a fait aux Indes et s’en est surement inspiré pour écrire plusieurs poèmes comme : « L’Albatros II », « Les Hiboux LXVII », « Le Voyage CXXVI » ou encore : « Harmonie du Soir XLVII », « Invitation au Voyage LIII », et « Rêve Parisien CII» qui, par leurs textes, ont des teinte qui amènent l’esprit à s’évader. C’est d’ailleurs ces trois derniers poèmes que je souhaite analyser plus profondément avec un aspect qui n’a pas encore été cité : la place de la musique dans la poésie ou la place de la poésie dans la musique, car ces poèmes sont mis sur partitions pour piano et voix, par trois compositeurs différents : Claude Debussy, Henri Duparc et Georges Chelon. Alors pour comprendre comment le rêve qui vient de l’imagination par les sons des mots, de la voix, du piano, de l’atmosphère apparaît, il faut commencer par une étape théorique d’analyse du poème et de la partition puis d’une partie pratique d’écoute, de voyage imaginaire donc de rêve de la pièce chantée. « C’est cet admirable, cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la Terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du Ciel. La soif insatiable de tout ce qui est au-delà, et que révèle la vie, est la preuve la plus vivante de notre immortalité. C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau… »1 Dans ce texte, comme dans ses poèmes en général, Charles Baudelaire aime à illustrer la poésie par la musique et aussi les images qui sont surtout les emblèmes de l’écriture romantique ainsi que moderne avec des variations d’alexandrins, de rythmes, d’effets sonores, parfois inattendus qui nous amènent à l’évasion mentale. Le rêve ne s’inscrit pas seulement dans la poésie et la musique mais aussi dans la peinture, le cinéma etc… Ce travail sera donc basé sur la place du rêve, ou plutôt la rêverie dans l’art en général. Je vais tenter, par plusieurs exemples de compositions de musiciens, d’écrivains, donc d’artistes en général d’appuyer ce propos. 1 Baudelaire, Notes nouvelles sur Edgar Poe. C’est un écrivain américain dont Baudelaire est le traducteur. 3 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical « C’est seulement dans l’imagination des hommes que chaque vérité trouve une existence réelle et indéniable. L’imagination, et non l’invention, est le maître suprême de l’art, comme de la vie. »2 Le bord de mer à Palavas, Gustave Courbet (Aller voir page 22.) 2 Joseph Conrad, écrivain anglais du XX ème siècle 4 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Biographie de Charles Baudelaire Charles Baudelaire naît le 9 avril 1821 à Paris de Joseph-François Baudelaire et de Caroline Atchimbaut-Dufray. En 1827 son père décède. Cet homme lui laissera son savoir, ses idées et son talent pour la peinture en héritage. Peu après, sa mère se remarie avec Jacques Aupick. Charles Baudelaire ne lui pardonnera jamais ce remariage, car son beau-père ne lui porte que peu d’attention. Cette nouvelle image paternelle entraîne pour Baudelaire, un sentiment de solitude et de trahison face à sa mère déjà dès son enfance. Il lui annonce un jour: « Quand on a un fils tel que moi, on ne se remarie pas. » Baudelaire est un garçon intelligent mais qui ne veut pas suivre les valeurs bourgeoises, cela lui vaudra le renvoi de son collège et, des tensions avec son beau-père qui l’enverra aux Indes. Il aimera ce voyage d’une année qui lui inspirera l’écriture des Fleurs du Mal. De retour à Paris en 1842, Baudelaire, en rébellion contre la vie, adopte le dandysme qui est une mode anglaise où les hommes s’habillent élégamment. Il dépense alors son héritage paternel dans les plaisirs de la vie : le vin et la prostitution entre autres. Ses actes lui vaudront une mise sous tutelle et une maladie (il s'agit d'une maladie sexuellement transmissible : probablement une sorte de syphilis qui est une maladie vénérienne), ce qui le bouleversera et l’entraînera à tenter de se suicider. C’est aussi à cette époque qu’il commence à écrire Les Fleurs du Mal et qu’il rencontre Jeanne Duval avec qui il construit une relation compliquée. En 1845, Baudelaire décide de vivre du journalisme d’art et commence une vie de bohème. En 1847 il rencontre l’actrice Marie Daubrun. Toujours en 1847, après le coup d’état de Napoléon Bonaparte (qu’il n’apprécie pas d’ailleurs), Baudelaire rencontre Edgar Poe, écrivain américain qui l’inspirera pour ses écrits et avec qui il lie une forte amitié. Les problèmes de santé de Baudelaire débutent par une perte de connaissance, lors d’une visite à l’église Saint-Louis en 1866, qui lui vaudra des troubles mentaux qui affecteront son langage parlé et sa compréhension orale. C’est à partir de mars de la même année, qu’il souffrira d’hémiplégie.3 Le 31 août 1867, Charles Baudelaire décède de la syphilis à Paris, puis il est enterré au cimetière Montparnasse Il est aujourd’hui l’un des poètes les plus reconnus. Il a grandi pendant la période romantique mais a été un pionnier du courant moderne. Son recueil, Les Fleurs du Mal, lui a valu et lui vaut encore beaucoup de succès. Les thèmes de ces poèmes sont : - le Spleen : c’est la mélancolie qu’il met en opposition avec l’Idéal. Le Spleen représente la peur, le souci de ne pas arriver à bien écrire (Baudelaire est très 3 Hémiplégie : Paralysie touchant en totalité ou partiellement une moitié latérale du corps, souvent due à une lésion cérébrale vasculaire ( qui est d’ailleurs ce que fut attend Baudelaire). 5 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical - - - - angoissé) et l’Idéal représente la beauté des femmes, souvent inaccessibles (car Baudelaire n’est pas un Dom Juan) ou l’aspiration d’un monde parfait. Les 5 sens : la vue, l’odorat, le toucher, le goût et l’ouïe sont beaucoup utilisés dans ses poèmes (« Correspondances IV », « Le Parfum XXXVIII (II) »…). Baudelaire pense qu’il y a un lien entre nos sens ; qu’une couleur puisse nous évoquer un goût ou une musique une texture…Cela s’appelle la synesthésie : phénomène neurologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés. Le temps : que l’on utilise mal et qui nous amène à la mort. On retrouve ici le caractère angoissé de Baudelaire qui a peur de ne pas avoir le temps d’écrire tout ce qu’il a à dire et qui a de la peine à se mettre au travail. L’évasion : de la dure condition humaine qui se manifeste ici par : - le voyage : partir loin, découvrir le monde, ce qui peur paraître comme un cliché, les paradis artificiels : - l’opium et le hachich opposés au vin, sont en contradiction car les deux premiers démotivent l’utilisateur et le troisième aide au travail, cela nous ramène à la peur principale de Baudelaire, et - la mort : la meilleure évasion qui nous ramène au thème du temps. L’unité : du Monde qui serait un tout, comme les sens qui sont liés, nous serions tous liés. Il désirerait une unité, un respect de chacun. Nous retrouvons cette compassion qu’il a pour les gens rejetés et différents dans « A une Mendiante Rousse LXXXVIII », « Le Crépuscule du Soir XCV » ou « Femmes Damnées CXI ». La ville : qui est un nouveau thème. Pour Baudelaire c’est Paris, le modernisme qu’il met en contradiction avec la nature (qui est plus évoquée dans les Petits Poèmes en prose). Par ce nouveau sujet, nous constatons sa volonté de d’avancer, de changer les formes de l’écriture romantique. Portrait de Charles Baudelaire 6 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Le rêve qui tourne au cauchemar dans les écrits de Baudelaire Nous avons déjà vu ce que le mot rêve signifie dans le dictionnaire. Ce dernier est aussi présent dans la définition du cauchemar : « un rêve effrayant, angoissant ». Le rêve et le cauchemar sont donc très proches. D’ailleurs, certains utilisent, pour citer le cauchemar, le terme mauvais rêve. Ils seraient donc antonymes. Pour ce travail, j’utiliserai les deux significations. Charles Baudelaire est un adepte de cette façon de penser qui est le rêve, ou rêverie, qui tourne au cauchemar. En terme plus clair, cela s’appelle le pessimisme. Il aime tourner les choses au lugubre. Nous pouvons le remarquer dans plusieurs de ses poèmes. Le début est souvent un moment d’idéal, de rêve, puis il nous semble que l’écrivain reçoit comme une décharge qui le ramène à une, à sa réalité noire. Nous le remarquons dans les exemples ci-dessous : « Vous êtes un beau ciel d’automne, clair et rose ! Mais la tristesse en moi monte comme la mer.» Ce sont les trois premiers vers de « Causerie LV »(FM)4. On remarque très clairement avec quelle rapidité Baudelaire assombrit le poème en l’espace de deux vers. Cet écrivain est en émois devant la beauté d’une femme mais il est vite rattrapé par sa dure réalité d’artiste. Nous trouvons dans « Le Jeu XCVI », poème des Fleurs du Mal, section Tableaux Parisiens, un « rêve cauchemardesque » ou plutôt un « cauchemar rêvé » du poète. Il voit une scène de personnages, de joueurs étranges voire effrayants: « des visages sans lèvre, des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dents ». L’écrivain observe cette scène de jeux mauvais qu’il aimerait rejoindre: « je me vis accoudé, froid, muet, enviant, enviant de ces gens la passion tenace ». Il s’étonne, dans la suite du poème, d’être attiré par ce mal, de vouloir rejoindre ces personnages aux attitudes malsaines. C’est un sentiment que nous trouvons souvent dans les mauvais rêves : vouloir rejoindre des personnes sans pourtant y arriver. « Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l’atmosphère stagnante (=dormante) est légèrement teintée de rose et de bleu. (…) Horreur ! je me souviens ! Oui ! ce taudis, ce séjour de l’éternel, est bien le mien. » Ce sont deux passages de « La Chambre Double V »(PPP)5, poème qui ressemble fortement, par sa structure, au poème des Fleurs du Mal : « Rêve Parisien CII ». Dans ces deux poèmes, les acteurs de la scène se trouvent dans une chambre et ils rêvent à la beauté d’un paysage imaginé pour l’un et du mobilier magique pour l’autre. Tous les deux sont ramenés à la réalité par un choc vu comme plutôt négatif : « La pendule aux accents funèbres sonnait midi » et « Toute cette magie a disparu au coup brutal frappé par le spectre ». C’est souvent un bruit qui nous ramène à la réalité, comme le réveil électronique que nous utilisons aujourd’hui. 4 5 FM= Fleurs du Mal PPp= Petits Poèmes en prose 7 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical « La faculté de rêverie est une faculté divine et mystérieuse ; car c’est par le rêve que l’homme communique avec la monde ténébreux dont il est environné. »6 Nous retrouvons là, la « rêverie divine » idéalisée qui est en contradiction avec le cauchemar, représenté par le « rêve terrestre» donc réelle. Nous retrouvons très bien, dans cette citation, le style baudelairien qui est partagé entre le Mal et le Bien, le terrestre et le divin, la Vie ou la Mort, que nous retrouvons aussi dans le passage suivant : « Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan. L’invocation à Dieu, ou spiritualité, est un désir de monter en grade ; celle de Satan, ou animalité, est une joie de descendre. »7 Dans : « La Soupe aux Nuages XLIV (PPp)» cette rêverie coupée par le réalisme y est représenté de façon très comique. En voici le texte : « Ma petite folle bien aimée me donnait à dîner, et par la fenêtre ouverte de la salle à manger, je contemplais les mouvantes architectures que Dieu fait avec les vapeurs, les merveilleuses constructions de l’impalpable. Et je me disais, à travers ma contemplation : « Toutes ces fantasmagories sont presque aussi belles que les yeux de ma belle bien-aimée, la petite folle monstrueuse aux yeux verts. » Et tout à coup je reçu un violent coup de poing dans le dos, et j’entendis une voix rauque et charmante, une voix hystérique et comme enroué par l’eau-de-vie, la voix de ma chère petite bien-aimée, qui disait : « Allez-vous bientôt manger votre soupe, sacré bougre de marchand de nuages ? » » Dans un autre cadre, ce poème fait penser à un élève qui s’évade en regardant par la fenêtre puis est rappelé à l’ordre par son professeur. Ces quelques exemples, car il y en a bien plus d’autres, nous donnent un avant-goût du style baudelairien que nous tenterons de comprendre, en partie, par la suite de ce travail. La persistance de la mémoire, Salvador Dali 6 7 Extrait tiré des Paradis artificiels Extrait de Mon Cœur mis à nu 8 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Analyse de trois poèmes de Baudelaire et leur musicalité : « Harmonie du soir XLVII » Ce 47ème poème tiré du premier livre Spleen et Idéal des Fleurs du Mal est dédié à une femme que Charles Baudelaire a beaucoup apprécié : Apolline Sabatier qui en changeant de nom s’appellera : Apolline Aglaé. Ils mènent une relation compliquée car celle-ci est mariée. Cela n’empêche pourtant pas Baudelaire de lui dédier de magnifiques poèmes comme celui-ci. Déjà par le titre, nous pouvons remarquer la place de la musicalité et du rêve par les termes, « harmonie » qui est signifie : « union d’une série de sons agréablement accordés » et, le « soir » qui est un instant de repos où le cerveau repense aux moments passés récemment ou dans la journée. C’est justement là que le rêve a sa place, par les souvenirs. D’ailleurs dans le dernier vers, ce mot souvenir est présent : « Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir ! ». Cela accentue donc cette idée. Termes compliqués : - - - Encensoir : brûle-parfums (thème beaucoup utilisé par Baudelaire) qui est utilisé dans les cultes catholiques et orthodoxes. L’encens (résines végétales odoriférantes) consumé dans ces rituels, symbolise la prière, la purification ainsi que la montée au Ciel. Cet appareil est souvent accroché en hauteur par une longue chaine puis est balancé de façon à répandre l’encens dans le lieu sacré. Reposoir : dans la religion catholique, autel provisoire dressé dans certaines occasions à l’église ou en plein air pour y faire reposer le Saint-Sacrement. Ostensoir : pièce d’orfèvrerie dans laquelle on expose l’hostie consacrée à l’autel. ->Nous remarquons là, un champ lexical religieux du domaine du sacré avec ces trois termes ci-dessus. Vestige : restes d’une chose disparue, comme un souvenir.8 Le poème « Harmonie du soir XLVII » contient quatre strophes de quatre vers (des quatrains) qui sont écrites en alexandrins pour la plupart. Comme on peut le constater, il y a deux vers qui sont irréguliers : « Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige » et « Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir » qui ne suivent pas la forme exacte de l’alexandrin qui consiste en douze syllabes coupées à la moitié par un hémistiche (pas toujours). Nous pourrions penser que par les nombreuses répétitions qui construisent ce poème, Baudelaire s’inspire de Victor Hugo (qu’il admire beaucoup) en utilisant la forme de pantoum9 : « Le pantoum s’écrit en strophes de quatre vers. Le mécanisme en est bien simple. Il consiste en 8 9 Définitions tirées du dictionnaire ou écrites personnellement. Il existe d’autres « pantoum dit malais » d’écrivains comme Leconte de Lisle ou Paul Verlaine 9 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical ceci ; que le second vers de chacune des strophes devient le premier vers de la strophe suivante, et le quatrième vers de chaque strophe devient le troisième vers de la strophe suivante. De plus le premier vers du poème, qui commence la première strophe, reparaît à la fin, comme dernier vers du poème, terminant la dernière strophe. »10 Pourtant le poème « Harmonie du soir XLVII » ne suit pas exactement cette forme : - Il est en alexandrins (sauf deux exceptions). - Le dernier vers n’est pas le même que le premier. Nous remarquons donc que la forme de ce poème n’est pas le pantoum. Baudelaire lui-même ne l’a jamais qualifié de pantoum mais plutôt de « Valse harmonique angoissante »11, ce qui caractérise bien le poème, car la valse, qui est née dans les années 1790 à Vienne, est une danse où les danseurs, l’un contre l’autre, dansent de façon circulaire. Nous y retrouvons cette impression de vertige dans ces quelques vers : « Voici venir les temps où vibrant sur sa tige Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir : Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ; Valse mélancolique et langoureux vertige ! » Les répétions des vers et les rîmes en « -oir et –ige », tout comme les alexandrins, donnent au poème un sentiment de régularité. A l’opposé, le fait que quatre vers ne soient pas répétés, rend le poème bancal. Deux des vers non repris nous donnent une sensation d’ivresse : « (…) vibrant(…) » et « (…) tournent(…) ». La forme globale du poème est un mélange de contradictions, entre la régularité et le trouble en progression, que nous éprouvons durant nos rêves et, qui peut être accentué sous l’emprise de l’alcool. Dans ce cas, nous ne savons pas si Baudelaire en a consommé pour s’inspirer. Nous notons que plusieurs vers nous amènent aux cinq sens, thème apprécié de Baudelaire : « ton souvenir en moi luit » pour la vue, « violons » pour l’ouïe, « fleur » pour le toucher et « les parfums » pour l’odorat. Le sens du goût n’est en revanche pas présent. Ce poème représente très bien les thèmes du premier livre de Baudelaire : Spleen et Idéal, car il évoque à la fois des images qui nous donnent envie d’imaginer, de rêver, comme : « fleur », « violon », « parfums », « cœur », « soleil » etc… et des termes plus négatifs comme : « mélancolique », « triste », « afflige ». Nous trouvons même ces deux thèmes (le spleen et l’idéal) dans le même vers : « Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige » ou « Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir ! ». Ce sont des oxymores12 qui représentent bien le style de Baudelaire qui s’évade dans les termes rêveurs de l’idéal puis est rattrapé par la mélancolie du spleen qui le ramène dans la triste vérité d’un monde qu’il trouve trop noir. « La mélancolie est une maladie qui consiste à voir les choses comme elles sont ». Gérard de Nerval Par ces images poétiques, nous comprenons pourquoi ce texte a tenté Claude Debussy (ainsi que Maurice Ravel, Franz Liszt et Léo Ferré). En effet, on pourrait trouver des ressemblances entre sa musique et une peinture impressionniste. Pourtant Debussy ne voulait pas se borner à reproduire en musique un tableau d’une 10 ème D’après Théodore de Banville, poète du XIX 11 Tiré de : Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Mario Richter, Ed. Slatkine, 2001 12 Oxymore : figure consistant à associer deux mots apparemment contradictoires. 10 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Nature mais plutôt à faire ressentir les correspondances plus ou moins mystérieuses qu’il y a entre la nature et l’imagination. Cela nous donne donc une musique plutôt libre, qui abandonne les règles de structure musicale classique et se rapproche donc de la rêverie : « La musique de Debussy abandonne le mode narratif et, avec lui, l’enchaînement cohérent projeté par l’esprit conscient ; ses images évocatrices et ses mouvements elliptiques suggèrent davantage la sphère de l’imagination libre et du rêve. Comme l’a écrit Debussy lui-même : « La musique a seule le pouvoir d’évoquer à son gré les sites invraisemblables, le monde indubitable et chimérique qui travaille secrètement à la poésie mystérieuse des nuits, à ces mille bruits anonymes que font les feuilles caressées par les rayons de la lune ». Sa prose est typiquement énigmatique et riche en images mais la référence au rêve est assez claire ».13 En se rapprochant plus de la forme ou plutôt de ce que dégage ce poème mis en musique, nous remarquons que les sonorités représentent très justement le texte poétique. Par exemple, les mains semblent vraiment se mélanger lors du passage « valse mélancolique et langoureux vertige » qui est plus rapide au niveau du texte vocal et pianistique puis paraissent diminuer. « Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige » est très sombre et lugubre, « le ciel est triste et beau comme un grand reposoir », les rythmes et les sons, autant au piano qu’à la voix, donnent au premier hémistiche une impression mystérieuse et riante puis, le piano s’efface pour laisser place à la voix calme de l’interprète. Nous remarquons des facettes très diverses de l’écriture de Debussy qui passe du mezzo forte au forte puis termine ce passage en piano, passage où l’auditeur peut se reposer. Au niveau formel, ce morceau est en mesure 3/4, donc une valeur rythmique binaire qui coïncide avec ce que Baudelaire qualifie de « valse » dans son poème, ce vertige de vers semblable au tournis de cette danse. Claude Debussy a, pour être en parfait accords avec l’idée de l’écrivain, composé sa pièce musicale en mesure 3/4 binaire. C’est une rythmique qui, tout comme la mesure 9/8 ternaire, caractérise les temps de la valse dansée. Il faut pourtant que le morceau soit absolument en à trois temps pour qu’on le nomme « valse », ce qui est juste pour la pièce de Debussy. (Même si cette pièce est difficilement dansée, l’idée baudelairienne est présente.) Chaque nuit, un rêve nous visite, Alfred Kubin (Plus de détails à la page 22.) 13 Brève histoire de la musique moderne de Debussy à Boulez. Paul Griffiths. Ed Favard, 1992 11 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical « Invitation au Voyage LIII » Ce poème de Charles Baudelaire a une forme très particulière : trois strophes de douze vers chacune, entrecoupées par trois strophes de deux vers. Les rythmes et les sons de ces deux groupes distinctement différents, que j’analyserai plus profondément par la suite, rendent le poème très musical. C’est très certainement pour cela que l’artiste moderne Henri Duparc composa à partir de ce poème une pièce pour piano et voix. Pour comprendre comment le rêve qui vient de l’imagination par les sons des mots, de la voix, du piano, de l’atmosphère apparaît, il faut commencer par une étape théorique d’analyse du poème et de la partition puis d’une partie pratique d’écoute, de voyage imaginaire donc de rêverie de la pièce chantée. (L’enregistrement du morceau se trouve dans les pièces annexes.) Baudelaire et le voyage : Baudelaire a de l’intérêt pour les bohémiens sans cesse en marche vers un but imprécis. Par ailleurs, il a composé un poème qui s’appelle : « Bohémiens en Voyage XIII ». Il a pu goûter lors de son voyage aux Indes, cette recherche du nouveau, de l’inconnu. Il l’annonce dans Mon cœur mis à nu14 : « glorifier le vagabondage et ce qu’on peut appeler le Bohémianisme, culte de la sensation multipliée, s’exprimant par la musique ». Pourtant, il se pose aussi des questions sur l’utilité de vouloir changer de place. Le voyage imaginaire, le rêve du voyage est bien plus qu’une imitation du voyage physique, c’est une satisfaction personnelle : « Pourquoi contraindre mon corps à changer de place, puisque mon âme voyage si lestement ».15 Cela nous ramène donc au thème de l’évasion par l’imaginaire qui est à l’origine de plusieurs de ses poèmes. Les mots comme, la femme, la mer, le parfum, le beau Paris, sont tant de rêves magnifiques mais qui gardent leur part d’illusion. Pour contraindre son esprit à rester concentré pour écrire (il a de la peine à se mettre au travail) il consomme de l’opium, du vin, de l’absinthe, paradis artificiels qui le plonge dans un état euphorique qui, pourtant, apportent à ses écrits une authentique essence de sa vision du monde. Nous allons pouvoir le constater dans l’analyse cidessous. Comme annoncé dans le paragraphe ci-dessus, « Invitation au Voyage LIII », qui est l’un des rares poèmes de Baudelaire à être plutôt gai et positif, a une forme particulière : un distique16. Qui est semblable à un chant aux rythmes et accents légers, rêveurs et sereins. Pour que le texte poétique soit en accord avec le morceau, j’ai nommé les strophes de deux fois douze vers ; couplet 1 et 2 puis 3 et 4 et les strophes de deux vers ; refrain 1 puis 2. En effet, pour être en harmonie entre le poème et la musique, les strophes doivent être coupées en deux. Les deux couplets : « Des meubles luisants... »/ « Les riches plafonds …» et le refrain du 14 C’est une sorte de journal intime des réflexions de Baudelaire depuis 1859 jusqu’à sa mort. Citation tirée du recueil des Petits Poèmes en prose : « Le Projets XXIV » 16 C’est un couple de vers, généralement de mètre identique, à rimes plates, formant un énoncé complet 15 12 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical milieu ne figurent pas dans le chant. (Dans la logique du travail qui veut que la poésie et la musique se confondent, ces vers seront donc peu analysés.) Le poème chanté est donc construit ainsi : deux couplets groupés, un refrain (distique), deux couplets, un refrain, deux couplets et finalement un refrain. Cette structure donne au poème une continuité logique, un « fil-rouge ». Les rythmes par contre sont assez inégaux dans les couplets. Aux groupes de deux, on trouve huit vers de cinq pieds groupés par paires auxquelles suivent quatre fois un vers de sept pieds (cela donne : 5,5,7,5,5,7,5,5,7,5,5,7 vers). Ces rythmes sont impairs et brefs et donne une impression de rapide fluidité. Contrairement aux refrains qui sont plus statiques ; deux fois sept vers. Les groupes de distiques rendent le poème calme et serein au refrain et, allant et frivole par la structure de ses couplets. Baudelaire sait magnifiquement manier cette écriture « calme- brève » qui rend l’atmosphère de « l’Invitation au Voyage LIII » très similaire au rêve. En effet, autant lors du rêve endormi que pendant le rêve éveillé, notre cerveau est capable de passer rapidement d’un stade d’agitation à un stade plus posé. D’ailleurs le rêve ou plutôt la rêverie y est encore une fois très présente, car l’imagination du lecteur s’évade grâce aux mots « pays, soleils couchants, odeurs, or… ». Ce qui nous ramène donc au thème principal du poème : le voyage, l’évasion sentimentale et amoureuse (qui nous rappelle que ce poème a été composé pour une amante de l’écrivain : Marie Daubrun). Ce thème du voyage, nous pouvons l’observer très rapidement. Premièrement dans le titre, puis au 3ème vers: « D’aller là-bas vivre ensemble » où le terme souligné nous amène à imaginer un pays lointain. Ainsi que cette rêverie avec : « Songe à la douceur » qui apparaît très tôt dans le poème pour annoncer au lecteur le cadre imaginé. Par ailleurs, cette évasion sentimentale, voire érotique (comme annoncé plus haut), est très utilisée dans le recueil des Fleurs du Mal : « Hymne à la beauté XXI », « Parfum Exotique XXII », « La Chevelure XXIII » etc… que nous retrouvons par des termes comme : « yeux, larmes, désir, senteur, toison, sein… » Comme annoncé plus haut, ce poème a été mis en musique par Henri Duparc. Il a composé plusieurs ébauches de l’Invitation au Voyage pour que la pièce musicale soit à la hauteur de la virtuosité de la plume de Baudelaire et cela pendant la deuxième guerre mondiale. Ce cadre rend la pièce plus vraie car à ce moment là, Duparc rêvait de liberté, tout comme Baudelaire dans ce poème. Liberté d’où ressortirait de la poésie, une mélodie propre à lui qui donna l’Invitation au Voyage. D’autres grands musiciens ont tentés de composer sur ces beaux vers mais personne n’a réussit à égaler cette quasi perfection musicale. Quelques mots sur Henri Duparc : Son vrai nom est Eugène Marie Henri Fouques Duparc. Il naît à Paris 1848 et commence le piano assez jeune. Son professeur voit en lui une carrière de compositeur, ce qui sera le cas. C’est principalement durant la guerre FranceAllemagne qu’il compose ses œuvres. L’Invitation au Voyage a été écrite en 1870. A l’âge de 38 ans, la maladie nerveuse, dont il est atteint depuis plusieurs années, l’empêche définitivement de produire des pièces. Il décède en 1933 en laissant aux générations à venir, 17 mélodies d’exception. Dès la première écoute, cette mélodie nous donne un sentiment de flou, de mobilité par ses aller-retour entre deux notes (pédale do-sol) ainsi que ses doubles rapides et répétitives. Pourtant, ces deux notes jouent un rôle primordial tout au long de l’œuvre 13 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical et c’est ce flou technique, au niveau du mouvement léger des mains assez compliqué, qui donne de la splendeur au morceau. Tout comme les sonorités à la fois rondes et dissonantes qui épousent bien le style baudelairien. La voix, elle, s’inscrit comme imprécise ou plutôt imprévisible, comme si elle improvisait. Elle est légère, souple, simple mais remplie de splendeur. Si nous observons la partition ou si nous écoutons juste le poème chanté, nous remarquons qu’à la fin de chaque couplet, la note montée redescend. Cela correspond tout à fait au texte : la fin de chaque couplet se finit par un « –e muet » : « emble-arme-ambre-ale-onde-ière » qui rend l’auditeur ou le lecteur attentif à la fin d’un passage. Ce qui prouve la lecture très attentive de Duparc qui, analysa le poème et s’en imprégna avant de composer la pièce musicale. Comme nous le remarquons aussi par les rythmes et timbres du morceau. Par exemple, les refrains qui sont plus calmes au niveau de l’écoute musicale ainsi que dans le rythme, pareil à la musicalité que nous retrouvons dans le poème écrit. Les strophes de douze vers (couplets) sont plutôt mouvementées, au niveau du rythme du piano comme de la voix qui interprète assez rapidement le texte poétique. Alors que les strophes de deux vers (refrains) sont plus calmes et sereines. Le piano s’efface pour laisser place à la voix qui chante presque a capella pour le premier refrain, ce qui donne une impression de détachement, d’évasion de l’esprit pour les passages plus calmes. Puis on remarque un crescendo de la pièce qui continue de façon encore plus agitée, animée avec les tempi, les nuances et les mains qui se mélangent. Cet équilibre entre les passages calmes et mouvementés, que nous retrouvons aussi par les timbres, les sonorités (particulièrement les accords de 7ème) et les rythmes illustrant le rêve, expriment bien la personnalité de Baudelaire qui se plait à manier autant le spleen que l’idéal. Henri Duparc a magnifiquement su faire vivre en musique ce poème que vous pouvez lire et écouter dans les pièces annexes. Portrait d’Henri Duparc 14 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical « Rêve parisien CII » Ce poème fait partie du recueil Tableaux parisiens qui est un ensemble de poèmes sur le thème de la ville. C’est un sujet nouveau qui est, très certainement, une des pierres pionnières de l’écriture moderne. Baudelaire nous fait les éloges d’un Paris, « d’horreur sympathique »17 le dit-il, avec ses grands boulevards et sa vie autant de jour que de nuit où les gens passent anonymement dans cette foule journalière, et qui, se construit et se développe d’une rapidité étonnante. Il reste aussi toujours très sensible aux plus faibles comme les ivrognes, les mendiants, les péripatéticiennes, tous ces délaissés dans leur solitude et face au mépris du monde. Sûrement, il se retrouve en eux. Ce poème est composé à l’attention de Constantin Guys, peintre et dessinateur français que Baudelaire admire et auquel il dédia l’étude Le peintre de la vie moderne.18 Et, comme les deux précédents, a été mis en musique par Georges Chelon. Termes compliqués : - - Babel : tour que les hommes voulurent édifier jusqu’au ciel, à Babylone. D’après la Bible, c’est depuis ce jour que le monde est polyglotte, car Dieu voulu les punir pour leur orgueil. Plusieurs reproductions de cette tour ont été faites : le peintre Pieter Bruegel l’Ancien du XVIème siècle en a fait une, ainsi qu’une peinture à l’huile d’Alain Thomas datée de 1975. Grâce à ses tableaux ou même au texte de ce poème nous pouvons nous imaginer la beauté du souvenir, plus ou moins réel, de cette tour: « Babel d’escaliers et d’arcades, C’était un palais infini, Plein de bassins et de cascades Tombant dans l’or mat ou bruni » Cataracte : importante chute d’eau, sur le cours d’un fleuve, d’une rivière. Naïade : plante d’eau douce, dont la pollinisation (reproduction) se fait par l’eau. C’est aussi une divinité grecque Ganges : (le Gange) principal fleuve du Nord de l’Inde.19 Champs lexicaux : - de l’eau avec : « eau/ cascades/ cataractes (chutes d’eau) / étangs/ flots/ des Ganges/ océan/ liquide ». -> Par ce champ lexical, nous comprenons pourquoi Georges Chelon a été tenté de mettre ce poème sur partition. Rien que les mots en eux-mêmes nous font imaginer les sonorités donc la musicalité de cette eau. 17 Tiré de : Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Mario Richter, Ed. Slatkine, 2001 C’est un recueil de critique d’art de Charles Baudelaire. Il date des années 1859. 19 Définitions du dictionnaire. 18 15 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical - du vertige visuel avec : « tombant/ se suspendaient/ s’entouraient/ s’épanchaient/ reflétaient/ versaient/ enchâssait/ planait ». d’éléments naturels froids : végétal/ métal/ marbre/ or/ cristal/ métal/ pierres diamant/ pierreries/ cristallisé ». de la réalité opposé (//) au rêve : « horreur de mon taudis // c’était un palais infini/ c’était la pointe des soucis maudits // et, peintre fier de mon génie/ et le ciel versait des ténèbres sur le triste monde engourdi // .et sur ces mouvantes merveilles planait un silence d’éternité ». « Rêve Parisien » a une structure assez étonnante. Il est construit en quinze séries de quatrains d’octosyllabes et cela en deux parties : - la première de treize strophes - la seconde de deux strophes La syntaxe n’est pas toujours régulière. Par exemple : « Et des flots magiques ; c’était D’immense glaces éblouies …» Peut-être est-ce que cette irrégularité structurelle sert à renforcer l’éblouissement qu’a le « peintre », béat face au paysage magnifique, tout comme les points d’exclamations… La première partie de ce poème est écrite de façon à penser que l’acteur, qui est par ailleurs Baudelaire : « peintre fier de mon génie/ architecte de mes féeries », de cette rêverie est vraiment plongé dans un rêve nocturne. Car il se réveille de façon assez brutale au son de la pendule du deuxième passage. Nous pouvons aussi constater que Baudelaire utilise une fois de plus les thèmes principaux du premier recueil : l’idéal pour la partie 1 et le spleen pour la partie 2. Si nous reprenons les différents champs lexicaux, nous remarquons qu’ils nous ramènent au thème de la beauté du paysage. Mais ce paysage, dans son contexte, est inventé, idéalisé donc rêvé. La beauté, autant végétale que corporelle, est un idéal que l’on espère voir, obtenir. Baudelaire semble davantage l’inventer que l’avoir déjà découverte un jour. Ce poème est une rêverie complètement utopique. Ce monde féérique fait de matériaux sublimes, de liberté, de perfection visuelle, que Baudelaire invente dans son rêve, nous plonge dans la représentation d’un univers presque impossible, ou du moins trop « fastisé »20. Pourtant, on sent dans la section « Tableaux Parisiens » une évolution de l’artiste qui voit le monde de façon « plus vraie », avec un œil d’artiste moins nostalgique : « Ces monstres disloqués furent jadis des femmes, Eponine ou Laïs ! Monstres bisés, bossus Ou tordu, aimons-les ! ce sont encor des âmes… » Ces trois vers son tirés des Tableaux parisiens : « Les Petites Vieilles (= le peuple parisien) XCI ». Nous remarquons, aidé par ce commentaire, l’évolution de Baudelaire dans se vision du monde : « L’apparente cruauté avec laquelle Baudelaire décrit ces petites vieilles qu’il n’hésite pas à comparer à des « monstres », n’est en réalité que le prix à payer pour la vérité d’un regard dont la compassion est bien loin d’être absente, mais qui se refuse à idéaliser indûment ce qu’il reconnaît comme un poids de souffrances morales et physiques manifeste. »21 20 Cela vient du terme faste qui est une volonté de vouloir faire trop beau pour plaire. Nous retrouvons style principalement cette appellation en musique et pour les décors (peintures) des églises baroques. 21 Tiré des Fleurs du Mal, Ed. Le Livre de Poche 16 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical C’est « la pendule aux accents funèbres » qui représente le temps, thème qui effraie Baudelaire par son rythme circulaire et monotone, qui ramène l’acteur ou/et le lecteur du poème à une réalité beaucoup moins merveilleuse, magique. Réalité qui se fond avec le cauchemar. En effet, l’écrivain est sans cesse emprisonné dans l’angoisse de ne pas parvenir à temps d’écrire tout se qu’il veut dire, de ne pas avoir de l’inspiration assez vite. « Et le Temps m’engloutit minute par minute ».22 Paradoxalement, il se plaît à dormir dans ce poème alors que l’on sait que lorsque l’on rêve, le temps passe plus vite. Donc Baudelaire aurait moins de temps pour travailler et angoissera donc davantage. Nous remarquons aussi le terme « funèbre » qui nous suggère que chaque coup de cette horloge rapproche peu à peu l’écrivain de la mort. D’autres synonymes dans cette deuxième partie, nous amènent au même thème : « flamme, soucis maudits, ciel, ténèbres, triste monde engourdi ». C’est le son, un choc qui nous sort de notre rêve d’idéalisme, comme le réveil qui « ramène à la réalité ». Mais est-ce que nos rêves endormis ne sont pas aussi la réalité ? Ou du moins un reflet modifié de la réalité. Car lorsque nous rêvons, nous retrouvons parfois des lieux, des personnes, des sensations, déjà connues, déjà vécues. Baudelaire, dans la première partie, décrit un monde qui peut exister, qui existe. Alors pourquoi est-ce si dur pour lui de « voir l’horreur de son taudis », alors que Paris est une ville qu’il aime ? Qu’est-ce qui l’empêche de partir trouver ces paysages dont il rêve et qu’il connaît certainement de par son voyage aux Indes ? Peut-être est-ce son caractère qui se refuse à cela ou qu’il aime voir le mal des choses pour se rassurer, ou tout simplement que le monde qu’il voit est plus sombre que celui qu’il rêve… « L’artiste, le vrai artiste, le vrai poète, ne doit peindre que selon ce qu’il voit et qu’il sent. Il doit être réellement fidèle à sa propre nature »23. Cette citation est un peu en contradiction avec ce dernier point de vue (encore faudrait-il savoir si Baudelaire lui-même se nommait « vrai poète »…) et ne nous permet pas vraiment d’éclaircir la question. Cela reste donc une énigme de sa personnalité d’artiste… Il faut aussi savoir que cette ville est très contrastée pour Charles Baudelaire. Elle est désir, écriture, amour et en même temps, souffrance, échec, recherche de plaisirs. C’est là que nous retrouvons le thème du spleen et de l’idéal. Les poèmes de la section « Tableaux Parisiens » sont composés de façon ironique de la part de l’artiste qui transcrit la misère cruelle d’un Paris que certains semblent ignorer. Baudelaire se lie à la souffrance des mendiants qui voient vraiment la misère du monde et qui essaient de s’y confronter. 22 23 Tiré du poème « Le Goût du Néant LXXX » des Fleurs du Mal Baudelaire, extrait du Salon de 1859 17 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical La rêverie dans les Petits Poèmes en prose : « Le Port XLI » Ce poème fait partie du recueil Petits Poèmes en prose de Charles Baudelaire. Celui-ci les a composés sur une période de neuf ans, commençant en 1855. Ces cinquante poèmes regroupés ont été écrits sous une forme plus moderne que les poèmes de Spleen et Idéal (écrits plus tôt) : la prose, qui est une : « forme habituelle du discours oral ou écrit n’obéissant pas aux règles de la versification ». La lecture de ces poèmes est plus fluide et ceux-ci amènent de la nouveauté dans le registre des écrits de Baudelaire. Ce qui est beau dans ce poème ce sont les métamorphoses du port : lieu de voyage, physique et mental, car il laisse aussi notre imagination, par cette suite de mots, voyager, rêvasser. Nous repérons aussi là, la réalité en contradiction avec l’imaginaire. Car le port est un lieu autant d’arrivées que de départs, ce qui accentue la diversité du spectacle et, permet la naissance de rêves. Par ce poème, Baudelaire a su très bien utiliser les deux facettes du thème principal : le voyage. A première vue et par le titre, on pense au port qui est un lieu de rencontres, de départs, d’arrivées, de voyages physiques. Alors que si on lit ou écoute ses paroles, nous avons naturellement des images qui se forment dans notre esprit. C’est donc aussi un voyage mental. Nous y trouvons des termes, aux sonorités douces et calmes, qui amènent facilement notre esprit à la rêverie : « ciel, nuages, mer, phares, navires ». On arrive même, par les phrases que Baudelaire utilise, à sentir l’odeur du port, ressentir l’ambiance qui y règne : « Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entreprendre dans l’âme le goût du rythme et de la beauté». Ces paroles sont apaisantes, et nous ne retrouvons peu, voire pas, le style mélancolique et idéalisé de Baudelaire dans ce poème, ainsi que dans les poèmes en prose en général. Les Petits Poèmes en prose sont plus proches de la réalité et nous montrent la virtuosité des différents styles d’écriture de Baudelaire. Ce poème est court mais très dense à la fois. Il regroupe tous les aspects du paysage loin à l’horizon et à la fois proche de l’œil du contemplateur de la scène : « le ciel, la mer, les navires puis les voyageurs sur le quai » Ce paysage est décrit comme étant presque semblable à un tableau. Par les descriptions faites dans le poème, nous arrivons très facilement à imaginer ce tableau, qui pourrait très certainement ressembler à un des tableaux de Camille Pissarro24 : « L’avant port du Havre, matin de soleil, marée montante » (il se trouve en bas de la page suivante). Cela prouve la virtuosité de Baudelaire qui a des aspirations à la fois pour, l’écriture, la musique (comme nous l’avons vu plus haut) et la peinture. Comme annoncé plus haut, le titre nous donne un indice sur le thème du poème qui est le voyage physique et imaginaire connoté comme positive. Par contre, par l’état du contemplateur, ce cadre lui procure une évasion de lassitude de la vie par la rêverie : «Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n’a plus ni curiosité ni ambition, à contempler. Couché dans le belvédère ou accoudé sur le 24 Peintre impressionniste puis néo-impressionniste français du XIX ème siècle 18 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s’enrichir. » Le voyage est ici synonyme de repos autant de l’esprit que du corps, avec « accoudé » et nous y retrouvons encore une fois le style pessimiste baudelairien, fatigué de la vie. L’Avant-port du Havre, matin de soleil, marée montante. Camille Pissarro 19 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical « Le « Confiteor » de l’Artiste III » « Monologue d’un artiste qui s’extasie devant la beauté de la nature, jusqu’au moment où ce spectacle lui devient insupportable, car il sait qu’il ne pourra jamais égaler cette beauté dans ses œuvres. » C’est le commentaire du profil d’une œuvre de Petits Poèmes en prose25 Ce poème en prose ressemble fortement au précédent (« Le Port XLI »), car il est aussi question de port. Ce sujet est surement utilisé plusieurs fois par Baudelaire comme souvenir de son voyage. Nous le retrouvons d’ailleurs dans le poème « L’Albatros II » des Fleurs du Mal qui s’apparente à celui-ci. En voici les points de ressemblances : - le port avec ses navires - la mer ou plutôt l’ « azur » - la solitude de l’artiste incompris et frustré Les deux premiers points nous donnent à imaginer le paysage avec des termes comme : « mer, azur, horizon, houle, voile, ciel ». Le troisième point est parcontre différent, il nous montre quelle souffrance les artistes, personnages qui se reconnaissent parfois mal dans la société, (car trop «originaux ») ressentent. En effet, l’albatros est une métamorphose de Baudelaire : « Le Poète est semblable au prince des nuées. » et « Ses ailes de géant l’empêchent de marche ». Dans « Le « Confiteor26 » de l’Artiste III », le peintre souffre de lui-même, et non des autres, contre son incapacité de peindre. Nous remarquons dans ce poème en prose, plusieurs termes qui sont en rapport avec les thèmes artistique du travail : « noyer son regard, mélodie monotone, pensées, mer ». Toujours en rapport ave l’art, nous trouvons par contre une contradiction sur la vision de l’art de l’artiste. Dans l’ « Invitation au Voyage XVIII » des Petits Poèmes en prose, l’art est connoté comme étant « supérieur » à la nature : « Pays singulier, supérieur aux autres, comme l’art l’est à la Nature, où celleci est réformée par le rêve, où elle est corrigées, embellie, refondue. » Alors que dans ce 3ème poème en prose, c’est l’inverse, la nature est trop belle pour être mise de façon authentique sur toile. C’est comme si, pour le premier exemple, Baudelaire réutilisait dans ce texte une vision de l’idéal terrestre alors que dans « Le « Confiteor » de l’Artiste III» il a une approche différente de la nature, comme étant plutôt un « cadeau divin ». Les quelques vers qui clôturent le passage le remmènent à sa propre situation : « Ah ! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau ? Nature enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi ! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil ! L’étude du beau est un duel où l’artiste crie de frayeur avant d’être vaincu. » Baudelaire se sent tout autant rabaissé par le peuple qui ne le comprend pas, que par la beauté de la nature (et la beauté en général->peut-être y a-t’il un rapport avec les femmes qu’il a aimé) qui semblent vouloir l’enfoncer encore un peu. 25 Par Michel Viegnes (voir bibliographie) « Confiteor est le titre d'une prière liturgique latine commençant par ce mot latin signifiant « Je reconnais, j'avoue ». La version française est connue sous le titre « Je confesse à Dieu ». Par cette prière, le chrétien (catholique romain) se reconnaît devant Dieu pécheur vis-à-vis de Lui et vis-à-vis des hommes ; il sollicite son pardon. » Définition de Wikipédia 26 20 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical La place du rêve dans l’art Nous savons que le rêve, tout comme le cauchemar et la rêverie sont des thèmes très visités et travaillés. Dans les pages précédentes, ces thèmes ont été traités grâce à la poésie de Charles Baudelaire. Mais ils ne sont pas utilisés que par lui, ils marquent principalement des compositeurs des époques romantique et moderne. Voici quelques artistes, de la littérature, de la musique et de la peinture ainsi que leurs créations, qui ont été tentés par ces thèmes. Le pianiste et compositeur français Léo Ferré a mis vingt-et-un des poèmes de Baudelaire en musique. Ces compositions sont très proches de la langueur délicieuse baudelairienne. Nous pouvons le constater dans « L’Horloge LXXXV » et « Je te donne ces vers XXXIX » où les thèmes du temps et du cauchemar angoissant sont très bien représentés par les notes graves frappées de ces morceaux. Contrairement, nous avons un enchaînement de notes légères dans « Le beau Navire LII » qui nous ramène à la rêverie, la contemplation. Ont été trouvées, il y peu de temps, les partitions initiales de la « Suite Lyrique » d’Alban Berg, (compositeur autrichien moderne) chez la fille d’Hanna Fuchs. Découverte fabuleuse, puisque cette partition contient les annotations de Berg concernant la signification de la pièce. Caché dernière les tempi, les enchaînements mélodiques, les nuances etc…, on peut deviner un poème de Baudelaire, présent caché pour son amante. Comme exemples, Berg a joué avec les multiples de 10 (chiffre fétiche d’Hanna) et de 23 (son chiffre) dans sa composition. Ce jeu est principalement utilisé avec les mesures du morceau qui amènent, par leur multiple (10 ou 23), a un point fort de la pièce. Il a aussi employé l’enchaînement DO-DO qui rappelle Dorothea, la fille d’Hanna Fuchs. Le poème de Baudelaire, De Profundis Clamavi a été traduit du français à l’allemand et l’on peut maintenant trouver la partition pour quatuor à cordes avec le texte de la dernière des six pièces : Argo Desolato de la Suite Lyrique avec le texte du poème. Gabriel Fauré a composé une pièce pour piano et voix à partir d’un poème de Victor Hugo : S’il est un charmant gazon (Rêve d’amour pour Fauré). Le texte poétique est une contemplation de la nature qui est en parallèle avec l’envie d’aimer de la même façon qu’est cette beauté. D’autres compositeurs ont repris ce texte comme : Charles Camille Saint-Sëans, Paul Hillemacher et Franz Liszt. Ce dernier a aussi écrit trois textes musicaux : « Liebesträume » sur base de poèmes de Ferdinand Freiligrath et Ludwig Uhland. Ces textes mêlant, les tumultes et l’harmonie de l’amour, expriment très justement la mélodie de Liszt qui est comme un Rêve d’amour comme les titres des pièces l’indiquent. Ces pièces sont un mélange de sonorités, vives, floues, passionnées, légères, qui amènent notre esprit à l’évasion et nous font penser aux sentiments de calme ou de bataille que l’on éprouve pendant nos rêves, nos cauchemars et nos rêveries. Dans cette même lignée de pianistes, qui composent sur le thème du rêve, il y a Claude Debussy et Robert Schumann. Ce dernier est un artiste (autant dans la 21 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical musique que dans la littérature et la peinture) déterminant de la période romantique qui est par ailleurs caractérisée par ce thème du rêve, de l’imagination, de la passion. Debussy, lui, est plus proche de la musique moderne qui est plus basée sur l’irréalité, le désordre, mais qui garde dans ses compositions, en particulier dans sa Rêverie, un goût pour l’évasion très variée par les sens. Chaque nuit, un rêve nous visite27 est un tableau, du peintre autrichien Alfred Kubin, qui représente une femme nue qui est très certainement une reproduction d’un cauchemar (ou un mauvais rêve). On remarque que cette femme est en l’air, donc elle a une perte de contrôle de son physique et elle se fait comme emporter par le vent. Ce qui nous fait vraiment penser au rêve dans ce tableau ce sont : son visage qui est caché et, ses jambes et ses bras qui semblent s’allonger. Ce sont des sensations, ne pas réussir à voir et ne pas pouvoir à bouger, que je ressens personnellement (je ne sais pas vous) lors de rêves plutôt sombres. C’est très certainement dû aux draps qui nous empêchent de bouger et, notre cerveau sent cet « emprisonnement » et imagine des horreurs. (Nous retrouvons encore une fois, toutes les scènes que crée le cerveau par son imagination.) C’est d’ailleurs ce même peintre qui a fait La dame blanche qui se trouve en image de titre. Ce tableau illustre le poème « Harmonie du Soir XLVII » dans le livre « Les Fleurs du Mal illustrées par la peinture symbolique et décadente »28 et, dégage l’idée du vertige carré (par la forme du pantoum) de ces deux personnages qui, par leurs positions différentes, sont statique (pour la femme) et mouvant (pour l’homme). Nous retrouvons aussi la musique, mais qui semble comme inaudible, ou du moins très sombre, face à ses jeux de noir-blanc, ainsi que le cauchemar, qui se rapproche de la mort, par les cornes qui sont irréelles, et peut-être même la religion par le signe de main de la femme. Le rêve s’inscrit ici par l’étrangeté du cadre lugubre ainsi que par ces deux êtres effrayants. L’homme avec sa mandoline donne l’impression d’attirer la femme, comme si il voulait la conduire aux enfers. On retrouve bien là, le style angoissant baudelairien. Je trouve que cette œuvre caractérise bien l’écriture sombre et étrange de Baudelaire. On y voit pas parcontre la facette plus « positive » de l’écrivain. En effet, lorsque l’on parle de Baudelaire, on a plus tendance à voir son côté mélancolique, c’est pour cela que durant ce travail, j’ai tenté, pour changer nos préjugés, de ressortir les poèmes parlant de rêveries, qui sont en moyenne plus gaies. Dans ce livre, il y a pour presque chaque poème, un tableau qui l’introduit. Celui de « Rêve Parisien CII » peint par Charles Jouas est très parlant du poème, avec son paysage hollandais ainsi que Le bord de mer à Palavas de Gustave Courbet ( voir tableau page 4) pour « L’Homme et la Mer XIV » avec cet homme face une grande étendue d’eau, qui nous fait penser par ailleurs, au voyage, à la liberté. Pour conclure ce passage par la littérature, nous avons une citation, très juste et comique de Marek Halter, qui ressemble fortement à la citation de Baudelaire que j’ai inscrits à la page du titre : « Certes, un rêve de beignet, c’est un rêve, pas un beignet. Mais un rêve de voyage, c’est déjà un voyage ». En effet, imaginer est une action qui ne coûte rien et qui procure, comme le dit Baudelaire : « une jouissance suffisante »29 27 28 29 Aller voir le tableau page 11 Voir la note exacte du livre dans la bibliographie « Les Projets XXIV » 22 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Conclusion J’aimerais, pour conclure mon travail, vous exposer ma démarche ainsi que mon avis sur la matière en question. Lorsque j’ai reçu la confirmation du thème principal de mon travail - récits de rêves et rêves de récits -, j’étais heureuse de pouvoir en apprendre plus sur le complexe et délicat sujet du rêve. Madame Samia Ryser-Abdo me laissant beaucoup de liberté quant au deuxième titre du travail, j’eus de la peine à centraliser mes idées sur un thème particulier à exploiter. C’est souvent lorsque nous avons le choix de faire ce que l’on désir, que cette liberté semble nous enfermer. Je savais pourtant que je voulais inclure la musique dans ce travail car cet art me passionne, je joue d’ailleurs du piano. C’est en réfléchissant, lisant des livres, demandant des conseils à des proches, qu’ Invitation au Voyage littéraire et musical se créa peu à peu. D’abord par l’analyse littéraire des trois poèmes des Fleurs du Mal en écoutant leur musique sur Cd, ainsi que des lectures de ce recueil et de celui des Petits Poèmes en prose, pour discerner le style d’écriture de Charles Baudelaire et ajouter d’autres exemples au travail, puis par des recherches plus générales sur l’art. Je suis maintenant contente que cette grande liberté ait donné un travail qui me correspond. En effet, étant une grande rêveuse qui aime la musique, les poèmes et la peinture, je n’imaginais pas, au début du travail, trouver un thème qui regroupe ces quatre intérêts. Bien sûre le travail ne fut pas toujours très évident, mais cela m’apprit de nouvelles choses, surtout que le rêve se cache dans beaucoup d’aspects de la vie. C’est en préparant ce travail que je l’ai remarqué. Auparavant, je pensais que le rêve n’existait que lorsque l’on dort. Alors que maintenant, j’ai l’impression d’en entendre souvent parler autour de moi, dans divers contextes et endroits. Je suis persuadée qu’il se dissimule dans bien d’autres domaines qui seraient aussi intéressant d’approfondir. Mon avis sur l’imaginaire, qui a surement, par ma personnalité, dirigé en partie ce document, est plutôt positif. Je pense qu’il serait aussi pertinent, avant de conclure, d’examiner une facette opposée à mon avis puis terminer ce travail par une citation qui corresponde à ma philosophie : « L'imagination, c'est cette partie décevante dans l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours. »30 Par cette citation, Pascal tente de nous rendre vigilant sur l’imagination, qu’il considère comme négatif, comme une perte de contrôle de soi-même, en contradiction avec la raison (ou la foi, car Pascal est chrétien). Il faudrait, pour échapper à cette évasion mentale, calculer, discerner le bien et mal en s’appuyant sur des sources fondées. Mais comment peut-on être sûre de raisonner véritablement, peut-être que l’on imagine que l’on raisonne? Le fondateur de la psychanalyse31, Sigmund Freud, qui analysa la signification des rêves de façon stricte en la fondant sur la réalité, démontre par cette citation qu’il n’empêche pas pour autant le rêveur de se détacher du monde terrestre, donc de la raison. « Le rêve ne pense ni ne calcule ; d'une manière générale il ne juge pas : il se contente de transformer. »32 30 Extrait de Pensées par Blaise Pascal Méthode d’investigation analytique des contenus psychiques profonds, fondée sur des concepts rigoureusement définis. 32 Citation de Sigmund Freud 31 23 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Bibliographie - Baudelaire, Les Fleurs du Mal, John E. Jackson, Ed. Le Livre de Poche, 2009 Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Mario Richter, Ed. Slatkine, 2001 Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Jean Delabroy, Ed. Magnard, 1987 Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Evelyne Cosset, Ed. Nathan, 1996 Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, Claude Launay, Ed. folio, 1995 Les Fleurs du Mal Charles Baudelaire, Dominique Rincé, Ed. Nathan, 1998 Les Fleurs du Mal, Baudelaire, Michel Martinez, Ed. Bertrand-Lacoste, 1993 Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, Eric Cobast, Ed. PUF, 2000 Charles Baudelaire Petits Poèmes en prose, Claude Aziza, Ed. Pocket, 1998 Les Fleurs du Mal, Le Spleen de Paris, Baudelaire, Joël Dubosclard et Marie Carlier, Ed. Hatier, 1994 Petits Poèmes en prose, Baudelaire, Michel Viegnes, 1996 Le Spleen de Paris, Charles Baudelaire, Franck Evard, Ed. Bertrand-Lacoste, 2002 Baudelaire et Freud, Leo Bersani (traduit de l’anglais par Dominique Jean), Ed. du Seuil, 1977 (1981) La musique et le rêve, Elizabeth Giuliani, Bibliothèque Nationale de France, 2003 Claude Debussy and the Poets, Arthur B. Wenk, University of California Press Mélodies de Duparc, Rémy Stricker, Ed. Manoogian, 1996 Henri Duparc, Mélodies (No 2 voix moyennes). Ed. Rouart, Lerolle&Cie Claude Debussy, Cinq Poèmes de Charles Baudelaire, Editions Durand&Cie Henri Duparc, Chansons - L’invitation au voyage – Eligie - Chanson triste, Paul Groves, tenor et Roger Vignoles, piano, Ed. Naxos Rights International Lts, 2004 http://www.youtube.com/?gl=FR&hl=fr Les Fleurs du Mal illustrées par la peinture symboliste et décadente, Aurélie Carréric Ed. Diane de Selliers, 2007 La science des rêves, film de Michel Gondry, Ed. Gaumont Vidéo, 2007 http://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Accueil_principal http://www.evene.fr/citations/ Dictionnaire Maxidico, Ed. de la Connaissance 24 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Pièces annexes « Harmonie du Soir XLVII » Voici venir les temps où vibrant sur sa tige Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir; Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir; Valse mélancolique et langoureux vertige! Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir; Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige; Valse mélancolique et langoureux vertige! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir. Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige, Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir! Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir; Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir, Du passé lumineux recueille tout vestige! Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige... Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir! 25 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical « L'Invitation au Voyage LIII » Mon enfant, ma soeur, Songe à la douceur D'aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l'ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l'âme en secret Sa douce langue natale. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l'humeur est vagabonde ; C'est pour assouvir Ton moindre désir Qu'ils viennent du bout du monde. - Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D'hyacinthe et d'or ; Le monde s'endort Dans une chaude lumière. Là, tout n'est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté. 26 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical À Constantin Guys « Rêve Parisien CII » I De ce terrible paysage, Tel que jamais mortel n'en vit, Ce matin encore l'image, Vague et lointaine, me ravit. Le sommeil est plein de miracles ! Par un caprice singulier J'avais banni de ces spectacles Le végétal irrégulier, Et, peintre fier de mon génie, Je savourais dans mon tableau L'enivrante monotonie Du métal, du marbre et de l'eau. Babel d'escaliers et d'arcades, C'était un palais infini, Plein de bassins et de cascades Tombant dans l'or mat ou bruni ; Et des cataractes pesantes, Comme des rideaux de cristal, Se suspendaient, éblouissantes, À des murailles de métal. Non d'arbres, mais de colonnades Les étangs dormants s'entouraient, Où de gigantesques naïades, Comme des femmes, se miraient. Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues, Entre des quais roses et verts, Pendant des millions de lieues, Vers les confins de l'univers ; C'étaient des pierres inouïes Et des flots magiques ; c'étaient D'immenses glaces éblouies Par tout ce qu'elles reflétaient ! 27 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Insouciants et taciturnes, Des Ganges, dans le firmament, Versaient le trésor de leurs urnes Dans des gouffres de diamant. Architecte de mes féeries, Je faisais, à ma volonté, Sous un tunnel de pierreries Passer un océan dompté ; Et tout, même la couleur noire, Semblait fourbi, clair, irisé ; Le liquide enchâssait sa gloire Dans le rayon cristallisé. Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges De soleil, même au bas du ciel, Pour illuminer ces prodiges, Qui brillaient d'un feu personnel ! Et sur ces mouvantes merveilles Planait (terrible nouveauté ! Tout pour l'œil, rien pour les oreilles !) Un silence d'éternité. II En rouvrant mes yeux pleins de flamme J'ai vu l'horreur de mon taudis, Et senti, rentrant dans mon âme, La pointe des soucis maudits ; La pendule aux accents funèbres Sonnait brutalement midi, Et le ciel versait des ténèbres Sur le triste monde engourdi. 28 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical « Le Port XLI» Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L'ampleur du ciel, l'architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l'âme le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n'a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s'enrichir. 29 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical « Le « Confiteor » de l’Artiste III » Que les fins de journées d'automne sont pénétrantes ! Ah ! pénétrantes jusqu'à la douleur ! car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague n'exclut pas l'intensité ; et il n'est pas de pointe plus acérée que celle de l'Infini. Grand délice que celui de noyer son regard dans l'immensité du ciel et de la mer ! Solitude, silence, incomparable chasteté de l'azur ! une petite voile frissonnante à l'horizon, et qui par sa petitesse et son isolement imite mon irrémédiable existence, mélodie monotone de la houle, toutes ces choses pensent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le moi se perd vite !) ; elles pensent, dis-je, mais musicalement et pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans déductions. Toutefois, ces pensées, qu'elles sortent de moi ou s'élancent des choses, deviennent bientôt trop intenses. L'énergie dans la volupté crée un malaise et une souffrance positive. Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des vibrations criardes et douloureuses. Et maintenant la profondeur du ciel me consterne ; sa limpidité m'exaspère. L'insensibilité de la mer, l'immuabilité du spectacle me révoltent... Ah ! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau ? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi ! Cesse de tenter mes désirs et mon orgueil ! L'étude du beau est un duel où l'artiste crie de frayeur avant d'être vaincu 30 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Quelques termes poétiques - VERS : une ligne ALEXANDRIN : 2x 6 syllabes entrecoupées d’un hémistiche. QUADRINS : strophe de 4 vers STROPHE : groupement de vers HEMISTICHE : la moitié d’un vers à la césure. CESURE : coupure d’un vers. Vous trouverez l’enregistrement de l’Invitation au Voyage d’Henri Duparc joint à ce dossier. C’est la piste 4. Si vous le désirez, vous pouvez écouter cette pièce musicale en fermant les yeux et noter, après l’écoute, l’impression, les images, les sensations que vous avez peut-être eu lors de ce moment… Cet exercice sera repris durant l’oral de ce travail de maturité Young girl in a garden, Eugène Grasset Il est un français d’origine suisse. Et ce tableau se trouve sur la fourre du CD. 31 Lucie Piemontesi Invitation au Voyage Littéraire et Musical Résumé du travail de maturité Le thème principal de ce travail est donc le rêve, sujet très vaste que l’on peut exploiter de différentes manières : les rêves prémonitoires, les rêves d’enfants, les rêves dans les films, et encore dans bien d’autres domaines. Pour ce dossier, l’univers choisi, comme son titre l’indique, est le rêve en tant que voyage imaginaire que l’on retrouve par ailleurs dans la littérature et dans la musique. Ce voyage commence donc par l’analyse de poèmes de Charles Baudelaire des recueils Fleurs du Mal et Petits Poèmes en prose, pour la partie littéraire, puis par l’écoute parlée et musicale de certains de ces poèmes. C’est lors de cette deuxième phase que l’imagination débute vraiment. En fermant les yeux ou même en les gardant ouverts, les sonorités des notes et des mots qui se suivent créent une ambiance propre à la rêverie. Les poèmes de Baudelaire n’ont pas seulement ce préjugé du rêve comme étant positif mais aussi un côté plus sombre proche du cauchemar. Pour renforcer cette idée, plusieurs de ses textes noirs ont été cités et certains peintres arrivent à faire ressentir cette ambiance angoissante, ainsi que rêveuse, par leurs tableaux qui se trouvent tout au long de ce dossier. D’autres écrivains et compositeurs ont aussi abordé ce sujet intéressent et vaste, ils aiguillent ce document par leurs idées et leurs musiques. Pour résumer plus rapidement, ce travail est un mélange de compositions d’écrivains, de musiciens et de peintres, qui par leurs idées, nous font voir le rêve de façon plus artistique. 32