Rôle des androgènes dans l acné, place des traitements hormonaux
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Rôle des androgènes dans l acné, place des traitements hormonaux
D O S S I E R Rôle des androgènes dans l’acné, place des traitements hormonaux ● Ch. Jamin* Q ue l’acné ait un rapport avec les androgènes est une évidence. En effet, elle n’apparaît qu’après la puberté, chez l’adolescent comme chez l’adolescente. Elle n’apparaît pas en cas d’hypogonadisme, la castration entraînant une baisse de la sécrétion de sébum... Cependant, les relations entre acné et hormones mâles sont plus complexes qu’il n’y paraît : il suffit de très peu d’hormones mâles pour que survienne l’acné ; tel est le cas de l’adrénarche (puberté surrénalienne). De plus, son incidence et son importance ne sont pas corrélées aux taux des androgènes circulants, la femme est touchée au même titre que l’homme ; même si, chez ce dernier, elle est plus importante en moyenne, chez la femme, une hyperandrogénie n’est pas toujours associée à une acné et les femmes acnéiques peuvent avoir des taux d’androgènes très bas. Enfin, malgré la persistance de la présence des hormones mâles, l’acné disparaît en général progressivement. Ainsi, la présence d’hormones mâles est une condition nécessaire, mais non suffisante à l’existence d’une acné. ANDROGÈNES ET GLANDE SÉBACÉE Il existe plusieurs types d’androgènes circulants, par ordre décroissant de concentration plasmatique : DHEA, delta-4androstènedione, testostérone, dihydrotestostérone. Au niveau de l’organe cible de référence, la prostate chez l’homme, l’ordre de puissance est inverse de celui des concentrations circulantes. En revanche, dans d’autres organes cibles, la glande sébacée en particulier, des androgènes faibles (comme la DHEA) peuvent avoir un effet hormonal important du fait de leur taux circulant élevé et de leur métabolisme in situ conduisant par action enzymatique puissante (3-bêta-ol-déshydrogénase, 17-OH-stéroïde-déshydrogénase, 5-alpha-réductase), des pro-hormones (DHEA, delta-4-androstènedione) à l’hormone active, la testostérone ou la DHT. La glande sébacée possède ces activités enzymatiques à des niveaux élevés. Il n’est aujourd’hui pas clairement établi si l’hormone finale active est la testostérone ou la DHT, en d’autres termes si la 5alpha-réductase est nécessaire à la production de sébum. * Cabinet médical, 169, bd Haussmann, 75008 Paris et service de gynécologieobstétrique, CHU Bichat-Claude-Bernard, 170, bd Ney, 75018 Paris. 22 ANDROGÈNES ET ACNÉ Chez l’adolescent L’acné chez l’adolescent apparaît dès la puberté surrénalienne et son importance n’est corrélée qu’aux taux de SDHEA et de TeBG circulants. Outre l’effet important de la DHEA sur la production sébacée, cette hormone modifie la composition du sébum, le rendant davantage comédogène. Une acné trop précoce, trop importante, associée à d’autres signes d’hyperandrogénie (hirsutisme, hypertrophie clitoridienne) doit faire éliminer un bloc surrénalien congénital, ce bloc étant responsable d’une production exagérée de DHEA. Le diagnostic se fait par un dosage de 17-OH-progestérone de base et après une injection intramusculaire de Synacthène® 0,25 mg si le taux de base est supérieur à 1,5 ng/ml (3,8,11). Avec le temps, chez la majorité des sujets, l’acné disparaît. Cela est probablement dû à une perte progressive de la sensibilité de la glande sébacée aux androgènes. Chez l’adulte La majorité des adultes n’ont pas d’acné. Cependant, un nombre important d’entre eux voit l’acné perdurer ou même réapparaître après un certain temps, alors qu’elle avait disparu. Dans ce cas, il s’agit souvent d’une conséquence inattendue de l’arrêt de la pilule. Dans ces acnés tardives, il a été décrit de nombreuses anomalies hormonales, parfois contradictoires (17). Chez l’homme, peu de travaux ont été publiés et aucune anomalie ne se dégage réellement à ce jour. C’est logique, puisque avec un taux de testostérone normal chez l’homme, la glande sébacée est déjà stimulée à son maximum. Chez la femme, il existe plusieurs types de profils hormonaux dans l’acné : • acné avec hyperandrogénie (30 % des cas) associée à des troubles des règles, dont l’exemple le plus classique est l’ovaire polykystique (OPK). La testostérone totale, la D4androstènedione, la DHT y ont été trouvées élevées et la protéine porteuse de la testostérone (SHBG ou TeBG) abaissée ; • acné à cycles normaux avec une élévation isolée de la DHEA de base et après stimulation. Dans ce groupe, il existe peut-être quelques cas de blocs surrénaliens en 3-béta-ol-déshydrogénase (d’existence discutée), 21-hydroxylase ou 17-hydroxylase (4). La Lettre du Gynécologue - n° 270 - mars 2002 Cependant, dans nombre de cas, cette élévation de la DHEA est isolée, fluctuante, et on évoque le rôle du stress; • acné à cycles normaux et androgènes normaux. Il a été évoqué chez certains de ces sujets des anomalies totalement opposées de la 5-réductase, élevées selon certaines publications, abaissées selon d’autres ; • acné prémenstruelle ; il pourrait s’agir d’une hyperproduction sébacée liée à une hyperandrogénie fonctionnelle lors de troubles du cycle, hyperandrogénie survenue trois semaines plus tôt, à la fin du cycle précédent (temps nécessaire à la production de sébum après injection d’androgènes). Il pourrait s’agir aussi d’une obstruction du canal sébacé en fin de cycle, liée à l’œdème cutané, forme particulière de syndrome prémenstruel ; les acnés de la grossesse auraient la même origine. prise de vitamine A acide ou lorsqu’il existe une irrégularité menstruelle ; • chez l’adolescente, en cas d’acné modérée, pour attendre son extinction naturelle ; • si le traitement est justifié par d’autres signes d’hyperandrogénie associés (hirsutisme principalement) ; • après échec de deux cures de vitamine A acide dans les acnés graves ; • en accompagnement ou en consolidation d’autres traitements, en particulier s’il existe des cycles irréguliers ; • un cas particulier : l’utilisation de la pilule avec la vitamine A acide par voie orale, à visée contraceptive. QUELS TRAITEMENTS HORMONAUX UTILISER ? (15) PHYSIOPATHOLOGIE DE L’ACNÉ L’acné est une maladie multifactorielle associant des facteurs inflammatoires, anatomiques et hormonaux: l’hyperandrogénie. Celle-ci semble n’être qu’accessoirement circulante. Elle est liée à une hyper-réceptivité de la glande sébacée aux androgènes. Il n’a à ce jour pas été mis en évidence d’anomalie de la production d’androgènes in situ par hyperactivité enzymatique 3-bêta-ol, 17bêta-hydroxy-stéroïde-déshydrogénase, ou 5-alpha-réductase. En revanche, il a été clairement établi que cette hyper-réceptivité était génétique. La réceptivité aux androgènes dépend de la structure du récepteur des androgènes par un polymorphisme de l’exon 1 comportant plus ou moins de séquences CAG : un faible nombre de séquences est associé à des manifestations d’hyperandrogénie : hirsutisme, alopécie et acné. QUAND DOIT-ON FAIRE UN BILAN HORMONAL CHEZ UN SUJET ACNÉIQUE? Chez l’homme, à ce jour, jamais ; Chez l’adolescent(e), uniquement lors d’acnés importantes et trop précoces, surtout si elles sont associées à d’autres signes d’hyperandrogénie. Les dosages sont : testostérone, SDHEA et 17-OH-progestérone avant et une heure après une injection intramusculaire de Synacthène® 0,25 mg si le résultat de base est supérieur à 1,5 ng/ml (2). Chez la femme adulte, uniquement s’il existe un trouble des cycles associé : dosage au 3 e jour du cycle : testostérone, SDHEA, 17-OH-progestérone, prolactine. Des dosages plus tardifs dans le cycle ne permettent pas de dissocier les hyperandrogénies organiques et fonctionnelles. TRAITEMENTS HORMONAUX DE L’ACNÉ Les traitements hormonaux de l’acné ne sont que suspensifs. L’acné récidive presque toujours à leur arrêt, sauf si elle a spontanément disparue avec le temps. Le seul traitement de l’acné qui perdure à son arrêt est la vitamine A acide. Les traitements hormonaux sont justifiés dans les cas suivants : • s’il existe une demande contraceptive associée ; • chez l’adulte, devant une acné modérée ne relevant pas d’une La Lettre du Gynécologue - n° 270 - mars 2002 Les pilules estroprogestatives La contraception orale a un effet antiandrogène par trois chemins : • blocage des sécrétions androgéniques ovariennes ; • élévation de la TeBG qui abaisse la testostérone libre ; • effet nucléaire antiandrogène de l’éthinylestradiol au niveau de la cible. Une pilule à visée antiacnéique devra donc, au mieux : • posséder un progestatif très antigonadotrope afin de mettre l’ovaire au repos, en particulier lorsqu’il existe un trouble du cycle, et a fortiori, un OPK ; • posséder un progestatif non androgénique pour ne pas annihiler le bénéfice du blocage ovarien ; • être suffisamment dosée en estrogènes, en particulier pour élever la TeBG. Un dosage d’au minimum 30 µg d’éthinylestradiol est souhaitable. De plus, les pilules séquentielles et multiphasiques sont plus estrogéniques que les monophasiques. De nombreuses pilules ont été testées avec une amélioration de l’acné incontestable après une utilisation supérieure à 3 mois. Les premiers travaux, très anciens, ont évalué des pilules contenant des progestatifs de première et seconde génération plutôt androgéniques avec des résultats, certes, inconstants mais globalement satisfaisants du fait du contenu élevé en éthinylestradiol (EE2) (50 µg et plus) principalement Ovanon®. Quelques travaux ont porté sur des pilules de seconde génération à 20 et 30 µg d’EE2 avec des résultats positifs, mais moindres que ceux obtenus avec les progestatifs de troisième génération dans les études comparatives (14). Pour les pilules de troisième génération monophasiques, les résultats ont été évalués sur les marqueurs biochimiques et cliniques. On observe une élévation de la TeBG, une baisse de la testostérone totale – bio disponible (non liée à la TeBG) et libre (non liée à la TeBG ni à l’albumine) – ; une baisse de la DHEA, ainsi qu’une baisse de la séborrhée et une amélioration clinique indéniable, portant principalement sur les lésions inflammatoires. En ce qui concerne les pilules multiphasiques, deux études contre placebo avec une pilule au norgestimate non commercialisée en France ont été publiées avec un effet supérieur au 23 D O S S I E R placebo : cette pilule vient d’obtenir aux États-Unis dans son AMM la mention “ traitement des acnés modérées ” (4, 9, 13). Deux contraceptifs oraux de ce type contenant du désogestrel (Gracial®, Trimiron®) ont été évalués (non commercialisés en France), avec de bons résultats tant biochimiques que cliniques (5, 6, 16). Les études comparatives Dans une seule étude, la contraception orale estroprogestative a été comparée aux cyclines avec un effet équivalent. Les publications visant à comparer les différentes générations de contraceptifs oraux montrent une supériorité thérapeutique des pilules dites de “ troisième génération ” comparées aux pilules de seconde génération (1, 12). Peu d’études ont comparé les pilules de troisième génération entre elles. Sur les marqueurs biochimiques, il n’est pas mis en évidence de différence d’évolution des paramètres androgéniques entre ces différents CO monophasiques ; cliniquement, il existe une tendance non significative à une amélioration plus nette sous CO au désogestrel (2, 10). Un traitement contenant 35 µg d’éthinyl estradiol et 2 mg d’acétate de cyprotérone est largement utilisé dans l’acné. Il ne s’agit pas d’un contraceptif d’après l’AMM en France (Diane 35®). Plusieurs travaux ont comparé l’efficacité de Diane® et des pilules de troisième génération (Varnoline® et principalement Gracial®, dans trois études [4,7]). Dans ces travaux, il n’est pas mis en évidence de différence d’efficacité entre Diane® et les pilules au désogestrel. D’ailleurs, cela n’est pas étonnant puisque qu’à la dose de 2 mg l’acétate de cyprotérone n’a que peu ou pas d’effet antiandrogène et que cet effet est produit par l’EE2. Les anti-androgènes La spironolactone est surtout utilisée outre-Atlantique. La dose doit être progressivement augmentée de 25 à 200 mg par jour, associée à une contraception orale. L’efficacité, certaine, apparaît en 2 à 3 mois (15). L’acétate de cyprotérone À faible dose (2mg), associées à 35 µg d’éthinyl estradiol, Diane 35 ® a une efficacité reconnue par l’AMM dans les acnés modérées. À dose de 25 à 50 mg, Androcur® Il s’agit d’une arme extrêmement puissante face à l’acné, à l’efficacité quasi constante et absolue (hors AMM). Rappelons que l’acné réapparaît toujours à l’arrêt de ce produit : il ne doit donc être utilisé que s’il existe une autre indication associée (hirsutisme) ou après échec de deux cures bien conduites de vitamine A acide per os. Androcur®, utilisé 21 jours sur 28, doit toujours être associé à une compensation estrogénique, suivant les auteurs: estradiol oral (2 mg) ou cutané (50 µg en patch, 1,5 mg en gel), ou éthinylestradiol® à la dose de 25 µg, ce dernier donnant un bien meilleur contrôle du cycle. CONTRACEPTION ET VITAMINE A ACIDE PER OS L’utilisation d’une contraception, en particulier orale et reconnue comme telle par l’AMM, est une obligation médico-légale en association avec la vitamine A acide per os. Le type de contraception orale à utiliser est, en théorie, sans 24 importance, puisque l’effet antiacnéique est apporté par la vitamine A acide. Cependant, la contraception orale doit être poursuivie au-delà du mois indispensable après l’arrêt du produit, s’il existe un trouble des règles ou une demande contraceptive. Une contraception orale de troisième génération est souhaitable dans ces deux cas pour consolider l’effet thérapeutique obtenu. Afin d’éviter un changement ultérieur, ce sont ces pilules de troisième génération qui, donc, sont proposées en première intention. Là encore, il vaut mieux utiliser des pilules dosées au minimum à 30 µg d’éthinylestradiol. Ainsi, les androgènes jouent un rôle indéniable, mais qui est loin d’être unique, dans l’apparition de l’acné. L’utilisation d’antiandrogènes contre l’acné, soit simples (pilule) soit plus spécifiques (aldactone, acétate de cyprotérone), est dès lors logique avec, cependant, des indications bien précises. Dans le choix d’un contraceptif oral, il faut s’orienter vers un produit contenant un progestatif de troisième génération non androgénique et fortement antigonadotrope, contenant au minimum 30 µg d’éthinylestradiol, afin d’avoir un climat estrogénique suffisant. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Charoenvisal C , Thaipisuttikul Y, Pinjaroen S et al. Effects on acne of two oral contraceptives containing desogestrel and cyproterone acetate. Int J Fertil 1996 ; 41 : 423-9. 2. Coenen CMH, Thomas CMG, Borm GF et al. Changes in androgens during treatment with four low-dose contraceptives. Contraception 1996 ; 53 : 171-6. 3. De Raeve L, de Shepper J, Smitiz J. Prepubertal acne : a cutaneous marker of androgen excess. J Am Acad Dermatol 1995 ; 32 : 181-4. 4. Dieben TOM, Vromans L, Theeuwes A, Coeling Benning HJ. The effect of CTR-24, a biphasic oral contraceptive combination, compared to Diane® 35 in women with acne. Contraception 1994 ; 50 : 373-82. 5. Falsetti L. 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