Une histoire de l`Algérie coloniale - Le blog de l`histoire

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Une histoire de l`Algérie coloniale - Le blog de l`histoire
hŶĞŚŝƐƚŽŝƌĞĚĞů͛ůŐĠƌŝĞcoloniale Par Hugo Vermeren ƉƌŽƉŽƐ ĚĞ WŝĞƌƌĞ ĂƌŵŽŶ͕ hŶ ƐŝğĐůĞ ĚĞ ƉĂƐƐŝŽŶƐ ĂůŐĠƌŝĞŶŶĞƐ͕ hŶĞ ŚŝƐƚŽŝƌĞ ĚĞ ů͛ůŐĠƌŝĞ
coloniale (1830-­‐1940), Paris, Fayard 2009. Pierre Darmon, historien moderniste ƐƉĠĐŝĂůŝƐƚĞĚĞů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞĚĞůĂŵĠĚĞĐŝŶĞ͕ est notamment ů͛ĂƵƚĞƵƌĚ͛ƵŶĞƚŚğƐĞƐƵƌůĞƐƉƌŽĐĠĚƵƌĞƐĚĞĚŝƐƐŽůƵƚŝŽŶĚĞŵĂƌŝĂŐĞƉŽƵƌŝŵƉƵŝƐƐĂŶĐĞĂƵϭϲ ème siècle soutenue en 1978 sous la direction de Robert Mandrou. Dans Un siècle de passions algériennes, publié en 2009, ŝůƐ͛ĂƚƚĂƋƵĞăƵŶƚŽƵƚĂƵƚƌĞĚŽŵĂŝŶĞ
ƉƵŝƐƋƵ͛ŝů entreprend ici de vérifier les mythes et les réalités de la colonisation française de ů͛Algérie entre 1830 et 1940. WŽƵƌƋƵĞƐƚŝŽŶŶĞƌůĞƐŵĠĐĂŶŝƐŵĞƐĚĞů͛ŝŵĂŐŝŶĂŝƌĞĐŽůŽŶŝĂůĞƚůĞƐ
représentations ƋƵ͛ŝůƉƌŽĚƵŝƚ͕WŝĞƌƌĞĂƌŵŽŶƐ͛ĂƉƉƵŝĞƐƵƌƵŶŶŽŵďƌĞŝŵƉŽƌƚĂŶƚĚ͛ŝŵƉƌŝŵĠƐ
de la période coloniale : récits de colons, de militaires ou encore de voyageurs, études scientifiques et politiques, presse locale, mais il a également consulté quelques cartons aux ANOM, en majorité issus de la sous-­‐série F80 (Fonds ministériels), aux archives de la Préfecture de Police de Paris et aux Archives du Service de Santé aux Armées (Val-­‐de-­‐Grâce). Son travail, comme il le souligne lui-­‐même en conclusion, amène à faire la part des « aspects positifs » et « négatifs » ĚĞů͛ƈƵǀƌĞĐŽůŽŶŝĂůĞĨƌĂŶĕĂŝƐĞ en Algérie (P.854). On peut instantanément poser la question suivante : est-­‐ce bien cela le rôle d͛ƵŶĞ ĠƚƵĚĞ
historique? « Est-­‐ŝůďĞƐŽŝŶĚĞĚŝƌĞĨĞƌŵĞŵĞŶƚƋƵĞů͛ŚŝƐƚŽƌŝĞŶŶ͛ĞƐƚƉĂƐun juge qui aurait à se prononcer sur ce qui aurait été négatif et ce qui aurait été positif ͗ ů͛ƵŶĞ Ğƚ ů͛ĂƵƚƌĞ ĚĞ ĐĞƐ
catégories sont étrangères à sa démarche » rappelaient Frédéric Abécassis et Gilbert Meynier dans la publication du colloque de Lyon de juin 2006 intitulé « Pour une histoire franco-­‐algérienne »1͘ DĂŝƐ ůă Ŷ͛ĞƐƚ ƉĂƐ ůĂ ƉƌĠŽĐĐƵƉĂƚŝŽŶ ĚĞ WŝĞƌƌĞ ĂƌŵŽŶ puisque cette volonté de discerner effets positifs et négatifs semble être le moteur central, la trame de fond ĚĞů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞƉĂƐƐŝŽŶŶĠĞƋƵ͛ŝůŶous propose dans Passions algériennes. « WŽƵƌƐŽŶŵĂůŚĞƵƌ͕ů͛ůŐĠƌŝĞĨƌĂŶĕĂŝƐĞĂĠƚĠůĞ creuset de bien des mythes » (p.13) >͛ŽƵǀƌĂŐĞ ƐĞ ƐƚƌƵĐƚƵƌĞ ĂƵƚŽƵƌ ĚĞ ĐĞƚƚĞ ĂƐƐĞƌƚŝŽŶ ƋƵŝ ƉƌĞŶĚ rapidement ůĂ ĨŽƌŵĞ Ě͛un jugement politique plus que scientifique. Les trente-­‐quatre chapitres de ce roman historique sont répartis selon trois grandes périodes qui se calquent sur un découpage chronologique des plus classiques : « >͛ğƌĞ ƉŝŽŶŶŝğƌĞ » 1830-­‐1870, « >͛ĂƉŽŐĠĞ » 1870-­‐1914, « Le déclin » 1914-­‐ϭϵϰϬ͘ ^ĞůŽŶ ů͛ĂƵƚĞƵƌ͕ « >͛ůŐĠƌŝĞ ĨƌĂŶĕĂŝƐĞ ĞƐƚ ŵŽƌƚĞ ĞŶ ϭϵϰϬ mais personne (ndlr à 1
Abécassis, F., Meynier, G. (Dir.), Pour une histoire franco-­‐algérienne. En finir avec les pressions officielles et les lobbies de mémoire, Paris, La Découverte, 2008. 1 ů͛ĠƉŽƋƵĞͿŶ͛ĞŶƐĂŝƚƌŝĞŶĞŶĐŽƌĞ ͩ͛͘ĞƐƚĂŝŶƐŝƋƵĞĐĞƚƚĞůŽŶŐƵĞƐLJŶƚŚğƐĞĨĂŝƚů͛ĠĐŽŶŽŵŝĞĚĞƐ
dernières années de la période coloniale pour une partie desquelles on bénéficie, il est vrai, Ě͛ƵŶ Ŷombre important d͛ĠƚƵĚĞƐ2. Comment WŝĞƌƌĞ ĂƌŵŽŶ Ɛ͛ĞŵƉůŽŝĞ-­‐t-­‐il donc pour ĚĠŵLJƚŚŝĨŝĞƌů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞĚĞů͛ůŐĠƌŝĞĐŽůŽŶŝĂůĞ? La plupart des chapitres, quelle ƋƵĞƐŽŝƚůĂƉĠƌŝŽĚĞĚĂŶƐůĂƋƵĞůůĞŝůƐƐ͛insèrent, est consacrée aux conditions de vies toujours terribles des populations des villes et des campagnes. Au menu, famine, insécurité, ǀŝŽůĞŶĐĞ͕ ŵŝƐğƌĞ Ğƚ ĚĠƐŝůůƵƐŝŽŶ͘ >͛ĂƵƚĞƵƌ ŶŽƵƐ ƌĞƉůŽŶŐĞ ĚĂŶƐ ůĞƐ
terreurs de la conquête en nous [res-­‐]servant sur un plateau les témoignages des premiers ĐŽůŽŶƐ͕ ŵŝůŝƚĂŝƌĞƐ͕ Ğƚ ŵĠĚĞĐŝŶƐ ŽƌŝŐŝŶĂŝƌĞƐ ĚĞ ŵĠƚƌŽƉŽůĞ͘ >͛ « ère pionnière » est présentée ĐŽŵŵĞ ƵŶĞ ƉĠƌŝŽĚĞ ŵĂĐĂďƌĞ͕ ĐĞůůĞ Ě͛ƵŶ ͨ grand mouroir » ƋƵŝ ĞƐƚ ůĂ ĐŽŶƐĠƋƵĞŶĐĞ Ě͛une nature agressive, Ě͛une insécurité constante, de la misère et de ů͛ŝŶũƵƐƚŝĐĞĚŽŶƚůĞƐƉƌŝŶĐŝƉĂƵdž
responsables sont les « spéculateurs ». En soulignant la mauvaise gestion métropolitaine et ůĞĚĠǀĞůŽƉƉĞŵĞŶƚĚĞů͛ƵƐƵƌĞĚĂŶƐůĂĐŽůŽŶŝĞ3͕ů͛ĂƵƚĞƵƌĐŚĞƌĐŚĞăŵĞƚƚƌĞƐƵƌůĞŵġŵĞƉůĂŶůĂ
condition du petit colon et celle de ů͛ŝŶĚŝŐğŶĞ͘ĞƋƵŝůƵŝĨĂŝƚĚŝƌĞƋƵĞͨƐŝůĞƐŝŶĚŝŐğŶĞƐƐŽŶƚ
ĚĞǀĞŶƵƐůĞƐ͚ďŝĐŽƚƐ͛ĚĞƐĐŽůŽŶƐ͕ŶŽŵďƌĞƵdžƐŽŶƚůĞƐƉĞƚŝƚƐĐŽůŽŶƐƋƵŝƐŽŶƚĚĞǀĞŶƵƐůĞƐ͚ďŝĐŽƚƐ͛
des affairistes et des capitalistes » (p.311). On trouve, dans la seconde partie, un amas de ĐůŝĐŚĠƐƋƵĞů͛ĂƵƚĞƵƌŶĞƉƌĞŶĚũĂŵĂŝƐůĞƐŽŝŶĚ͛ĂŶĂůLJƐĞƌăƚĞůƉŽŝŶƚƋƵĞů͛ŽŶƉŽƵƌƌĂŝƚĐƌŽŝƌĞƋƵĞ
ĐĞƚ ŽƵǀƌĂŐĞ ĨƵƚ ĠĐƌŝƚ ă ů͛ĠƉŽƋƵĞ Ě͛ƵŐƵƐƚŝŶ ĞƌŶĂƌĚ ;p : 313 : « mais les Arabes savent-­‐ils cultiver ? » ou encore p. 315 : « si un ou deux hectares suffisent au fellah, les Français ne ƐŽŶƚƉĂƐǀĞŶƵƐĞŶůŐĠƌŝĞƉŽƵƌƐƵďƐŝƐƚĞƌŵĂŝƐƉŽƵƌƐ͛ĞŶƌŝĐŚŝƌ »). La banalité du contenu et la ƉĂƵǀƌĞƚĠ ĚĞ ů͛ĂŶĂůLJƐĞ ĐƌŝƚŝƋƵĞ ĚĂŶƐ certains chapitres, notamment ceux qui traitent des questions démographiques, contrastĞŶƚĂǀĞĐůĂĐůĂŝƌǀŽLJĂŶĐĞĞƚůĂƌŝŐƵĞƵƌĚŽŶƚů͛ĂƵƚĞƵƌĨĂŝƚ
preuve dans les chapitres consacrés à la crise politique des années 1890 et la montée de ů͛ĂŶƚŝƐĠŵŝƚŝƐŵĞ ĚĂŶƐ ů͛ĞŶƐĞŵďůĞ ĚĞ ůĂ ĐŽůŽŶŝĞ͘ En abordant la question du peuplement, aspect décisif de la poůŝƚŝƋƵĞ ĐŽůŽŶŝĂůĞ ĚĞ ůĂ dƌŽŝƐŝğŵĞ ZĠƉƵďůŝƋƵĞ ĞŶ ůŐĠƌŝĞ͕ ů͛ĂƵƚĞƵƌ
ŶĠŐůŝŐĞƉƌĞƐƋƵĞƚŽƵũŽƵƌƐĚĞƉƌĠĐŝƐĞƌů͛ŽƌŝŐŝŶĞĞƚůĂũƵƐƚĞǀĂůĞƵƌĚĞƐĐŚŝĨĨƌĞƐĐŝƚĠƐ͘>͛ŚŝƐƚŽŝƌĞ
des émigrants parisiens de 1848, reprise ƐĂŶƐ ƌĠĨĠƌĞŶĐĞ ă ů͛ĂƌƚŝĐůĞ Ě͛zǀĞƚƚĞ <ĂƚĂŶ ƉŽƵƌƚĂŶƚ
publié en 1984, et bien que son analyse en soit très proche4, illustre la négligence dont ů͛ĂƵƚĞƵƌĨĂŝƚsouvent preuve. Le croisement des sources : un point positif En revanche, Pierre Darmon montre bien comment les différents régimes qui se succèdent, de la Monarchie de Juillet au Second Empire, en passant par la Seconde République, avec leur projet colonial propre, ne changent guère le quotidien des Européens. Les conditions 2
Benjamin Stora parle, en 2004, de plus de mille publications sur la période de guerre entre 1955 et 1988, chiffre qui a considérablement augmenté depuis. ,ŝƐƚŽŝƌĞ ĚĞ ů͛ůŐĠƌŝĞ ĐŽůŽŶŝĂůĞ ;ϭϴϯϬ-­‐1954), Paris, La Découverte, 2004, p. 3. 3
Etrangement, ů͛Ăuteur ne fait pas référence à la thèse de Didier Guignard >͛ĂďƵƐ ĚĞ ƉŽƵǀŽŝƌ ĞŶ ůŐĠƌŝĞ
coloniale (1880-­‐1914). Visibilité et singularité, Aix-­‐en-­‐Provence, ƚŚğƐĞĚ͛ŚŝƐƚŽŝƌĞ͕ Université de Provence, 2008. 4
Katan, Yvette, « Les colons de 1848 en Algérie : mythes et réalités », ZĞǀƵĞ Ě͛ŚŝƐƚŽŝƌĞ ŵŽĚĞƌŶĞ Ğƚ
contemporaine, 31, Avril-­‐juin 1984, P.177-­‐202. Cette dernière rappelait, au colloque de Lyon en 2006, la ƉĞƌƐŝƐƚĂŶĐĞĚĞĐĞƌƚĂŝŶƐŚŝƐƚŽƌŝĞŶƐăƌĞƉƌĞŶĚƌĞůĞŵLJƚŚĞĚ͛ƵŶĞĠŵŝŐƌĂƚŝŽŶĚĞƌĠǀŽůƵƚŝŽŶŶĂŝƌĞƐĞŶϭϴϰϴ͘ 2 difficiles empirent même avec la création des bureaux arabes par Napoléon III, ĐƌĠĂƚĞƵƌĚ͛ƵŶ
système qualifié de féodal (p. 253), auxquels Ɛ͛ŽƉƉŽƐĞŶƚĨĞƌŵĞŵĞŶƚůĞƐuropéens installés ĞŶůŐĠƌŝĞ͘ĞƚƚĞƌĠĂĐƚŝŽŶĐŽŶƐƚŝƚƵĞ͕ƐĞůŽŶů͛ĂƵƚĞƵƌ͕ůĞŵŽŵĞŶƚŽƶƐĞĚĞƐƐŝŶĞͨ ů͛ĞƐƉƌŝƚƉŝĞĚ-­‐
noir ͩĂǀĞĐƐŽŶĐĂƌĂĐƚğƌĞĚĞĚĠĨŝĂŶĐĞăů͛ĠŐĂƌĚĚĞůĂŵĠtropole et son idée de supériorité vis-­‐
à-­‐vis de « ů͛ƌĂďĞ » (p. 210)͘ ͛ĞƐƚ ă ĐĞ ŵŽŵĞŶƚ ƋƵĞ ƐĞ ƐƵĐĐğĚĞŶƚ ůĞƐ ƚƌŽŝƐ ŐƌĂŶĚƐ
ďŽƵůĞǀĞƌƐĞŵĞŶƚƐƋƵŝǀŽŶƚĚŽŶŶĞƌăů͛ůŐĠƌŝĞƐĂĨŽƌŵĞĚĠĨŝŶŝƚŝǀĞ : la crise démographique de ϭϴϲϴ͕ ůĂ ŽŵŵƵŶĞ Ě͛ůŐĞƌ Ğƚ ůĂ ƌĠǀŽůƚĞ ĚĞ Mokrani (p. 252). Plusieurs chapitres dans ůĞƐƋƵĞůƐ ů͛ĂƵƚĞƵƌ ĐŽŶĨƌŽŶƚĞ ůĞƐ ƐŽƵƌĐĞƐ ŵğŶĞŶƚ ă ĚĞƐ ƋƵĞƐƚŝŽŶŶĞŵĞŶƚƐ ƚŽƵƚ ă ĨĂŝƚ
ŝŶƚĠƌĞƐƐĂŶƚƐ͘ ͛ĞƐƚ ůĞ ĐĂƐ ĚƵ ĐŚĂƉŝƚƌĞ ƚƌĂŝƚĂŶƚ ĚĞ ů͛ĞƐĐůĂǀĂŐĞ ;ĐŚ͘ϰͿ ŽƵ ĞŶĐŽƌĞ ƵŶ ĚĞƐ
ŶŽŵďƌĞƵdž ĐŚĂƉŝƚƌĞƐ ĐŽŶƐĂĐƌĠƐ ă ů͛ŝŶƐĠĐƵƌŝƚĠ et au banditisme (ch. 19). Mais ů͛ĂƉƉƌŽĨŽŶĚŝƐƐĞŵĞŶƚde certains dossiers aboutit le plus souvent à alimenter des polémiques ƋƵŝ ŶĞ ƐŽŶƚ ƉůƵƐ Ě͛ĂĐƚƵĂůŝƚĠ͕ ĚƵ ŵŽŝŶƐ ƉŽƵƌ ůĂ ƌĞĐŚĞƌĐŚĞ ƐĐŝĞŶƚŝĨŝƋƵĞ͘ ͛ĞƐƚ ůĞ ĐĂƐ ĚĞ ůĂ
ĚĠŶŽŶĐŝĂƚŝŽŶ ĚĞ ůĂ ƚŚğƐĞ ĚĞ ů͛ŚŝƐƚŽƌŝĞŶ ĂŶƚŝƐĠŵŝƚĞ ůĂƵĚĞ DĂƌƚŝŶ ƐƵƌ ů͛ĠŵĞƵƚĞ ĚĞ
ŽŶƐƚĂŶƚŝŶĞ ĂƵ ŵŽŝƐ Ě͛ĂŽƸƚ ϭϵϯϰ que Charles-­‐Robert Ageron dénonçait déjà en 1973 (p. 546)5. Dans la troisième et dernière partie, la moins approfondie sans soute mais en même temps la plus fluide͕ů͛ĂƵƚĞƵƌƐƵƌǀŽůĞůĞƐ ŐƌĂŶĚƐƚŚğŵĞƐƉƌŽƉƌĞƐăů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞĚĞů͛ůŐĠƌŝĞĚĂŶƐů͛ĞŶƚƌĞ-­‐
deux-­‐guerres ͗ >͛ĞdžŽĚĞ ƌƵƌĂů͕ ůĂ ŵŽŶƚĠĞ ĚƵ ŶĂƚŝŽŶĂůŝƐŵĞ ĂůŐĠƌŝĞŶ͕ ů͛ĠůĂƌŐŝƐƐĞŵĞŶƚ ĚƵ ĨŽƐƐĠ
qui se creuse entre la population colonisée et les Européens. La lecture du précieux rapport de la commission Guernut sur les conditions de vies des populations algériennes et l͛analyse factuelle très pertinente des émeutes antijuives de 1936 ĂŵğŶĞŶƚ ďĞĂƵĐŽƵƉ Ě͛ĠůĠŵĞŶƚƐ
nouveaux mais ne gomment pas cependant les nombreuses approximations et zones Ě͛ŽŵďƌĞƐĚĞĐĞƌƚĂŝŶĞƐƉƌĂƚŝƋƵĞƐĞƚĂĨĨŝƌŵĂƚŝŽŶƐ : la conversion du franc en euro, le raccourci selon lequel « lĂƌĞƉƌĠƐĞŶƚĂƚŝŽŶŵLJƚŚŝƋƵĞĚĞů͛rabe justifie toutes les inégalités » (p. 735), la conviction que la violence des évènements de Sétif 1945 est aussi la conséquence de la violence de la conquête et de la crise antisémite des années 1930 (p. 771), etc. hŶĞŚŝƐƚŽŝƌĞĨŝŐĠĞĚĞů͛ůŐĠƌŝĞĐŽůŽŶŝĂůĞ >ĂƌĞĚŽŶĚĂŶĐĞĚĞƐƚŚğŵĞƐƌĞůĂƚŝĨƐăů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞĚĞů͛ůŐĠƌŝĞcoloniale a longtemps été imputée aux sources utilisées par les historiens. Le renouveau des champs de recherche est bien souvent une conséquence du renouvellement des sources. Or, les documents sur lesquels Ɛ͛ĂƉƉƵŝĞ WŝĞƌƌĞ ĂƌŵŽŶ ƚŽƵƚ ĂƵ ůŽŶŐ ĚĞ ƐŽŶ ƚƌĂǀĂil sont en grande partie des sources imprimées, certes revisitées et parfois recoupées habilement avec les archives administratives du Gouvernement Général. Ainsi les médecins nous décrivent des malades, les colons leur misère, les militaires la guerre, et les voyageurs leur émerveillement devant la beauté des paysages (« on se croirait dans un conte des Milles et une nuit » rabâche ů͛ĂƵƚĞƵƌͿ͘DĂŝƐũĂŵĂŝƐ͕ĚĂŶƐƐĞƐŶŽŵďƌĞƵƐĞƐƌĠƉĠƚŝƚŝŽŶƐ͕WŝĞƌƌĞĂƌŵŽŶŶĞƐĞŵďůĞĐŽŶƐƚĂƚĞƌ
5
Charles-­‐Robert Ageron, « Une émeute antijuive à Constantine (août 1934) », ZĞǀƵĞĚĞů͛KĐĐŝĚĞŶƚDƵƐƵůŵĂŶĞƚ
de la Méditerranée, 1973, n°13-­‐14, PP. 23-­‐40, n.32 P.35. 3 la récurrence des aspects traités, ũĂŵĂŝƐŝůŶ͛ŝŶƚĞƌƌŽŐĞůĂĚŝƐƚĂŶĐĞƉĂƌĨŽŝƐƚƌŽƉĠƚƌŽŝƚĞƋƵ͛ŝů
prend avec ses sources. « >͛ŚŝƐƚŽƌŝĞŶ ŶĞ ƉĞƵƚ ƋƵĞ Ɛ͛ĞĨĨĂĐĞƌ ĚĞǀĂŶƚ ů͛ŚŽƌƌĞƵƌ ĚĞƐ
témoignages » nous dit-­‐il (p. 237). Tout le problème est là : tƌŽƉƐŽƵǀĞŶƚĐĞĚĞƌŶŝĞƌƐ͛ĞĨĨĂĐĞ
et délaisse la ƉŽƐƚƵƌĞ ĐƌŝƚŝƋƵĞ ƋƵ͛ŝů ĞƐƚ ƐĞŶƐĠ ƉƌĠƐĞƌǀĞƌ͘ ĞƐ ůĂĐƵŶĞƐ ŵĠƚŚŽĚŝƋƵĞƐ͕ ĚŽŶƚ
ƐŽƵĨĨƌĞ ĞŶ ŐĠŶĠƌĂů ů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞ ĚĞ ů͛ůŐĠƌŝĞ coloniale͕ ĂƵƌĂŝĞŶƚ ƉƵ ġƚƌĞ ĂƚƚĠŶƵĠĞƐ Ɛŝ ů͛ĂƵƚĞƵƌ
Ŷ͛ĂǀĂŝƚƉĂƐĐůĂŝƌĞŵĞŶƚŝŐŶŽƌĠůĞƐĠƚƵĚĞƐŚŝƐƚŽƌŝƋƵĞƐƌĠĐĞŶƚĞƐ͘KŶƉĞƵƚ͕ĞŶĞĨĨĞƚ͕ƌĞƉƌŽĐŚer à ĐĞ ƚƌĂǀĂŝů ůĞ ƉĞƵ Ě͛ĂƚƚĞŶƚŝŽŶ ƋƵ͛ŝů ƉŽƌƚĞ ĂƵdž ƚƌĂǀĂƵdž ƵŶŝǀĞƌƐŝƚĂŝƌĞƐ ĚĞƐ ĂŶŶĠĞƐ ϮϬϬϬ͘ >ĞƐ
ĠƚƵĚĞƐ͕ĂƵƐƐŝďŝĞŶĚĂŶƐůĞĚŽŵĂŝŶĞĚĞů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞĐŽůŽŶŝĂůĞ͕ƋƵĞĚĂŶƐĐĞůƵŝĚĞů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞƐŽĐŝĂůĞ
ou juridique, ont contribué à réinterroger le fonctionnement de la société coloniale, de ses ŝŶƐƚŝƚƵƚŝŽŶƐ͕ Ğƚ ůĞƐ ƌĂƉƉŽƌƚƐ ƋƵ͛ĞŶƚƌĞƚŝĞŶŶĞŶƚ͕ ĞŶƚƌĞ ĞůůĞƐ Ğƚ ĂǀĞĐ ůĞƐ ŝŶƐƚŝƚƵƚŝŽŶƐ͕ ůĞƐ
différentes populations qui la constituent6͘ ďƐĞŶĐĞ ƐƵƌƉƌĞŶĂŶƚĞ Ě͛ĂƵƚĂŶƚ ƉůƵƐ ƋƵĞ ů͛ŽďũĞƚ
de Passions algériennes ĞƐƚ ďŝĞŶ Ě͛ĠƚƵĚŝĞƌ ů͛Śistoire de la colonisation en Algérie et de ses ĐŽŶƐĠƋƵĞŶĐĞƐ ƋƵŽƚŝĚŝĞŶŶĞƐ ƐƵƌ ůĂ ǀŝĞ ĚĞƐ ŚŽŵŵĞƐ Ğƚ ĚĞƐ ĨĞŵŵĞƐ ƋƵ͛ŝůƐ ƐŽŝĞŶƚ &ƌĂŶĕĂŝƐ͕
étrangers européens, ou « indigènes ͕ͩ ŵƵƐƵůŵĂŶƐ ŽƵ ũƵŝĨƐ͘ ŝŶƐŝ͕ ů͛ůŐĠƌŝĞ ĚĞ ů͛ĠƉŽƋƵĞ
coloniale nous est encore une fois présentée comme le « pays des mirages, des naufrages, des scandales et des fièvres » (p. 513), définition non moins proche du mythe que de la réalité historique. Un coup éditorial >Ğ ůĞĐƚĞƵƌ ƉŽƚĞŶƚŝĞů Ŷ͛ĂƵƌĂ ĂƐƐƵƌĠŵĞŶƚ ĂƵĐƵŶ ŵĂů ă ƐĞ ƉƌŽĐƵƌĞƌ Passions algériennes que ů͛ŽŶ ƚƌŽƵǀĞ ĚĂŶƐ ƚŽƵƚĞƐ ůĞƐ ŐƌĂŶĚĞƐ ůŝďƌĂŝƌŝĞƐ͘ >͛ĠĐƌŝƚƵƌĞ, très agréable bien que parfois pompeuse, Ŷ͛ĞĨĨĂĐĞĞŶƌŝĞŶĐĞƋƵŝĨĂŝƚŐƌĂǀĞŵĞŶƚĚĠĨĂƵƚăĐĞƚƌĂǀĂŝůŚŝƐƚŽƌŝƋƵĞ : la méthode critique. Au final, rien de très neuf pour la recherche ni dans les sources utilisées, ni dans leur analyse. KŶŶĞƐĂƵƌĂŝƚĚŽŶĐĐŽŶƐĞŝůůĞƌůĂůĞĐƚƵƌĞƋƵ͛ăƵŶƉƵďůŝĐ;ƚƌğƐͿĂǀĞƌƚŝƋƵŝƉŽƵƌƌĂLJ
ƚƌŽƵǀĞƌŵĂůŐƌĠƚŽƵƚĚĞƐƉŽŝŶƚƐĞŶƌŝĐŚŝƐƐĂŶƚƐ͘>ĞƐƐLJŶƚŚğƐĞƐƐƵƌů͛ůŐĠƌŝĞĐŽůŽŶŝĂůĞĐŽŶƚŝŶƵĞŶƚ
ĞŶ ƚŽƵƚ ĐĂƐ Ě͛ŝŶƚĠƌĞƐƐĞƌ ůĞƐ ĠĚŝƚĞƵƌƐ ƉĞƵ ƌĞŐĂƌĚĂŶƚƐ ƐƵƌ ůĞ ĐŽŶƚĞŶƵ ĚĞƐ ŽƵǀƌĂŐĞƐ ƋƵ͛ŝůƐ
publient. Pour conclure, on évitera de remercier le réalisateur Rachid Bouchareb qui, selon ů͛ĂƵƚĞƵƌ, a permis aux historiens de réutiliser le mot « indigène » pour désigner la population colonisée (p. ϯϵϮͿ͘DĂŝƐŽŶĨĞƌĂŚŽŵŵĂŐĞĂƵdžƚĂůĞŶƚƐůŝƚƚĠƌĂŝƌĞƐĚĞWŝĞƌƌĞĂƌŵŽŶůŽƌƐƋƵ͛ŝů
ĚĠĐƌŝƚů͛ĠƚĂƚĚ͛ĞƐƉƌŝƚ͕ĂƵĚĠďƵƚĚĞůĂdƌŽŝƐŝğŵĞZĠƉƵďůŝƋƵĞ͕ĚĞĐĞƚƚĞĐŽŵŵƵŶauté de Français outre-­‐mer que sont les « &ƌĂŶĕĂŝƐĚ͛ůŐĠƌŝĞ » : « Elle ΀>ĂĐŽŵŵƵŶĂƵƚĠĚĞƐ&ƌĂŶĕĂŝƐĚ͛ůŐĠƌŝĞ΁ est là, coupée du monde et des réalités, repliée sur elle-­‐même, secouée par ses colères, ses passions, son exaltation, ses élans de générosité et son patriotisme exacerbé. Vis-­‐à-­‐vis de la mère patrie, elle nourrŝƚ ĚĞƐ ƐĞŶƚŝŵĞŶƚƐ Ě͛ĂĚŽƌĂƚŝŽŶ ƉƌŽĐŚĞƐ ĚĞ ůĂ ƉĂƌĂŶŽŢĂ͘ ^Ğ ĐƌŽLJĂŶƚ
incomprise ou trahie depuis la frayeur du RŽLJĂƵŵĞĂƌĂďĞ͕ĞůůĞĞƐƚĐŽŶǀĂŝŶĐƵĞƋƵ͛ŽŶĐŚĞrche 6
Par exemple, la thèse de Laure Blévis, ^ŽĐŝŽůŽŐŝĞĚ͛ƵŶĚƌŽŝƚĐŽůŽŶŝĂů : citoyenneté et nationalité en Algérie (1865-­‐1947) : une exception républicaine ?, Aix-­‐en-­‐WƌŽǀĞŶĐĞ͕ƚŚğƐĞĚĞƐĐŝĞŶĐĞƉŽůŝƚŝƋƵĞ͕hŶŝǀĞƌƐŝƚĠĚ͛ŝdž-­‐
Marseille 3,2004. 4 à la brader au profit des AƌĂďĞƐ͘ ůůĞ Ɛ͛ŝŵĂŐŝŶĞ ĞŶ ŽƵƚƌĞ ŝŶǀĞƐƚŝĞ Ě͛ƵŶĞ ŵŝƐƐŝŽŶ ƐĂĐƌĠĞ : régénérer la France fourvoyée dans les sentiers de la décadence » (p. 257). Hugo Vermeren est doctorant-­‐ĞŶƐĞŝŐŶĂŶƚăů͛hŶŝǀĞƌƐŝƚĠWĂƌŝƐKƵĞƐƚEĂŶƚĞƌƌĞʹ La Défense (Paris X) ʹ /,͘ ^ĞƐ ƌĞĐŚĞƌĐŚĞƐ ƉŽƌƚĞŶƚ ƐƵƌ ů͛ŝŵŵŝŐƌĂƚŝŽŶ ŝƚĂůŝĞŶŶĞ ĞŶ ůŐĠƌŝĞ ƐŽƵƐ ůĂ
Troisième République (1870-­‐1939). Ξ>ĞůŽŐĚĞů͛ŚŝƐƚŽŝƌĞ;ŚƚƚƉ͗ͬͬďůŽŐ͘ƉĂƐƐŝŽŶ-­‐histoire.net) Juillet 2010 5