Souveraineté alimentaire au Québec, essai de stage
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Souveraineté alimentaire au Québec, essai de stage
L’ORIGINE DE LA POLITIQUE DE SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE DU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC Rapport de stage Rédigé par Amélie Lévesque-Martel Sous la direction de Dominique Caouette Faculté des arts et sciences Université de Montréal 29 avril 2014 Table des matières Liste des abréviations ...................................................................................................................... 1 Introduction ..................................................................................................................................... 2 Contexte mondial : à l’origine d’une mobilisation .......................................................................... 4 La dérive de l’homme au service de l’économie ......................................................................... 4 Sur le défi de la faim .................................................................................................................... 5 Du droit à l’alimentation et de la sécurité alimentaire ............................................................... 6 Sur l’évolution du concept de souveraineté alimentaire .............................................................. 11 Historique, adaptation .............................................................................................................. 11 Évolution récente du concept ............................................................................................... 13 L’appel à certaines notions fondamentales .............................................................................. 17 La place du droit en souveraineté alimentaire...................................................................... 17 Sur la notion de bien commun .............................................................................................. 18 La souveraineté alimentaire au Québec........................................................................................ 21 L’agriculture au Québec : une histoire en bref.......................................................................... 21 La souveraineté alimentaire du Québec ................................................................................... 24 Le contenu de la Politique de souveraineté alimentaire....................................................... 30 La conformité entre la PSA et les piliers de Nyéléni.............................................................. 34 Groupes divergents et politique gouvernementale .............................................................. 40 Conclusion ..................................................................................................................................... 50 Bibliographie.................................................................................................................................. 52 Annexe A : Rencontres provinciales sur la souveraineté alimentaire ........................................... 60 Annexe B - Six piliers de Nyéléni ................................................................................................... 63 Annexe C – Intégration nationale de la souveraineté alimentaire................................................ 65 2 Liste des abréviations ASRA – Assurance stabilisation des revenus agricoles CAAAQ – Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire du Québec FAO – Food and Agriculture Organization FIAN – FoodFirst Information and Action Network FMI – Fonds monétaire international GATT – General Agreement on Tariffs and Trade MRC – Municipalité régionale de comté PDZA – Plan de développement de la zone agricole PSA – Politique de souveraineté alimentaire SADAQ – Société d’aménagement et de développement agricole du Québec UPA – Union des producteurs agricoles Introduction Au cœur de notre société figure aujourd’hui des entités immatérielles, intangibles, bien souvent asociales : le marché, la liberté (surtout celle de l’économie), l’innovation (au service du développement, et souvent de la rentabilité et des profits), et l’argent. Les hommes dépendent maintenant, non pas de leur action, ou plutôt des actions de l’ensemble, mais du va- et-vient d’instruments dont l’objectif n’est en aucun cas dirigé vers un bien commun ou en réponse à un besoin ni même vers la conservation ou la pérennité des sociétés mais vers la recherche de profit, la création de richesses. Cette organisation du monde n’a pas toujours été, surtout en ce qui concerne notre alimentation. Au cours du dernier siècle, s’est produit un basculement important du système alimentaire : une «désautonomisation» de la personne vis-à-vis de son alimentation. C’est de ce constat qu’apparaît la naissance du concept de souveraineté alimentaire, de la nécessité de remettre l’humain au centre de notre société. Cette intention, cette volonté de retrouver une société fondée sur l’être humain au service d’un intérêt commun justifie ainsi la naissance du concept de souveraineté alimentaire et sert de ligne directrice à ses adhérents. À l’échelle internationale, la souveraineté alimentaire, qui demeure un concept en constante évolution, est aujourd’hui reconnue comme l’un des mouvements transnationaux les plus influents du globe. Dans la dernière décennie, l’appropriation nationale du concept a crû de façon régulière. À l’instar de toutes les régions, États, localités de ce monde, le Québec n’a pas échappé à l’influence des contextes social, économique et politique mondiaux. Dans cette foulée, le Gouvernement du Québec présentait au printemps 2013 une Politique de souveraineté alimentaire. Comment expliquer l’émergence de cette politique? Qu’a retenu le Québec dans sa conception de la souveraineté alimentaire et comment l’a-t-elle traduite? Qu’est-ce qui a influencé son contenu? Répond-elle à la vision globale du concept où s’agit-il, par exemple, d’une tentative de déguiser une simple politique économique en éparpillant des morceaux pigés de-ci de-là d’une vision globale? Si la souveraineté alimentaire est le droit des peuples à choisir leur politique alimentaire comme nous le verrons plus avant et que le Gouvernement du Québec a mis en place un processus de consultation démocratique en la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, pouvons-nous conclure que l’intégration nationale du concept a répondu aux attentes ou que le concept a subi de telles transformations qu’il en a été vidé de sa substance? 2 Parce que le concept de souveraineté alimentaire a été développé en réaction à l’évolution du contexte mondial et la mise sur pied d’institutions guidées par différents impératifs, il me semble utile, avant d’examiner spécifiquement le concept de souveraineté alimentaire, de parcourir l’évolution du contexte mondial, et plus particulièrement l’évolution de la configuration des pouvoirs autour de l’agriculture, histoire sur laquelle repose l’émergence de la souveraineté alimentaire. Suivra l’évolution et l’adaptation du concept même de souveraineté alimentaire depuis son émergence. Tout en parcourant l’historique de la souveraineté alimentaire, je discuterai de certaines des notions qui sous-tendent le concept dont l’importance du droit et de la notion de bien commun. Nous verrons ainsi dans cette première partie, synthèse d’une littérature abondante et reconnue1, ce qui est à l’origine du concept au niveau global, de quoi le concept est composé et ce qui a influencé son contenu au fil du temps. Parce qu’elle soutient l’appropriation locale de l’agriculture et de l’alimentation, comme nous le verrons dans la première partie, la souveraineté alimentaire est ainsi une tentative de synthèse entre une vision globale et des préoccupations et enjeux nationaux et locaux. Le concept se décline donc naturellement en différentes approches politiques au niveau national. Nous survolerons donc dans une seconde partie la façon dont a été récupéré le concept au niveau national2. En dernière partie, nous examinerons le contenu de la politique de souveraineté alimentaire du Gouvernement du Québec, ce qui a influencé son émergence ainsi que les directions retenues. De ces observations, nous pourrons ainsi mettre en lumière la concordance entre la conception du Gouvernement et les visions prônées par les différents acteurs locaux ainsi que la concordance entre la conception québécoise de la souveraineté alimentaire et le concept mis de l’avant par les principaux acteurs au niveau international et les nombreuses déclarations qui ont émané des forums ayant porté sur cette thématique. 1 Nombreux sont les auteurs reconnus pour leur écrits sur le thème de la souveraineté alimentaire : Raj Patel, Hannah Wittman, Annette Aurélie Desmarais, Paul Nicholson, Nettie Wiebe, Marc Edelman, Priscilla Claeys, Michael Windfuhr et Jennie Jonsén (de FIAN-International) pour ne nommer que ceux retenus dans le cadre de cet essai. La première section est en grande partie basée sur la contribution de ces auteurs ainsi que sur différents documents qui ont été publiés dans le cadre de la conférence «Food Sovereignty: A Critical Dialogue» tenue à l’Université de Yale les 14 et 15 septembre 2013 lors de laquelle 82 communications ont été présentées. 2 Cette section a posé davantage de défis quant à la récupération des données (principalement les textes des constitutions, lois et politiques des différents pays ayant intégré le concept de souveraineté alimentaire). Parce que les écrits sont présentés dans leur langue d’origine et que certains sont parfois difficiles d’accès, certains pays n’ont pas bénéficié de la même attention. 3 Contexte mondial : à l’origine d’une mobilisation La dérive de l’homme au service de l’économie Jusqu’au début du 19e siècle, l’agriculture était essentiellement autonome, c’est-à-dire qu’elle se régénérait d’elle-même, elle était renouvelable sans l’utilisation d’intrants externes (pesticides, engrais chimiques, etc), lesquels ont pour la majorité été inventés au cours du 19e siècle et 20e siècle. Ce système millénaire va fondamentalement évoluer avec l'utilisation de ces intrants : les énergies fossiles, les engrais, les techniques modernes, la machinerie, la génétique, etc. Au cours des 19e et 20e siècles, les rendements vont fortement augmenter. Concept proposé à l’origine par Harriet Friedmann et Philip McMichael (1989, 93-117), l’évolution de l’alimentation des deux derniers siècles peut être résumée en différents régimes alimentaires (« food regime »). Le tout premier de ces régimes que l’on peut qualifier de système alimentaire salarié (en force entre 1870 et 1930), tel que synthétisé dans un texte d’Hannah Wittman (2011, 89-90), a été caractérisé par le transfert de céréales et de bétails des colonies à l’Europe et la Grande-Bretagne. Le suivant, un système alimentaire d’influence par l’industrialisation et la politique anti-communiste des États-Unis. Dans ce système, on assiste à la division des composantes agricoles : une division des politiques entre environnement, alimentation et ressources naturelles. Dès la fin de la 2e Guerre mondiale, l'agriculture devient dans de nombreux pays une industrie qui non seulement assure les besoins des exploitants, mais fournit un surplus destiné à couvrir les besoins de la population non agricole ainsi que l'exportation. On parle d’industrie agroalimentaire ou « agribusiness » qui consiste à transformer les matières premières issues de l'agriculture, de la pêche et de la foresterie en produits alimentaires. C’est le début de la Révolution verte3. Le troisième système alimentaire, le système agro-industriel ou « corporate food regime » qui comprend, en plus de l'agroalimentaire, la transformation des matières premières en produits non alimentaires, comme les biocarburants, est caractérisé par l’uniformisation du système, la consolidation de la séparation des composantes agraires et la prise de pouvoir du système alimentaire d’abord par des entités internationales (OMC, OCDE, FMI, Banque Mondiale). Avant de reprendre le cours de l’histoire, il est essentiel de faire une parenthèse d’abord sur le problème de la faim et ensuite sur les principaux concepts développés dans les dernières décennies du 20e siècle pour répondre à cet enjeu, soit la sécurité alimentaire et le 3 La Révolution verte, mise en place à partir des années 1960, est une politique de développement agricole basée sur une combinaison d’évolutions technologiques et scientifiques (ex. semences améliorées, sélection de cultures rentables, utilisation d’engrais et de pesticides) dont l’objectif était essentiellement d’augmenter la productivité agricole. 4 droit à l’alimentation, concepts qui ont joué un rôle déterminant (soit par l’intégration ou le rejet) dans l’élaboration du mouvement de souveraineté alimentaire. Aujourd’hui, la souveraineté alimentaire, tout comme le droit à l’alimentation et la sécurité alimentaire, proposent différentes visions et approches pour combattre la faim. Pour mieux les comprendre, il importe de revenir sur leurs origines, notamment le problème de la faim dans le monde. Sur le défi de la faim Sur le problème de la faim, les hypothèses sont nombreuses. Pour en résumer l’essentiel, tel que l’ont fait Michael Winffuhr et Jennie Jonsén de l’organisme FIAN, on peut cibler les facteurs environnementaux hors de notre contrôle tels que la surabondance ou le manque de pluie et les tempêtes, la population mondiale grandissante, le changement dans les habitudes alimentaires (entre autres dûs à une plus grande consommation de produits animaliers), le modèle du libreéchange inadéquat et la dégradation des ressources (terres, pâturages, ressources halieutiques) causée par l’urbanisation, la perte de sols fertiles, la moins grande disponibilité de l’eau d’irrigation, la surexploitation des zones de pêche, la désertification et les effets négatifs des changements climatiques (Winffuhr et Jonsén 2005). À cela s’ajoute, selon plusieurs auteurs, l’une des conceptions erronées les plus répandues à propos de la faim et des crises alimentaires, surtout parmi les détracteurs de la mondialisation néolibérale, selon laquelle les crises alimentaires résultent d’un déficit de la production alimentaire mondiale (Patel 2012; Wittman, Desmarais et Wiebe 2010; Patel 2009b, 94). De ce constat erroné émerge donc l’idée que la meilleure façon de répondre à un déficit alimentaire dû à une augmentation de la population est « d’empêcher les gouvernements d’intervenir dans le marché, de se concentrer sur les approches scientifiques de hautes technologies, d’augmenter la production grâce à l’adoption de semences génétiquement modifiées et de libéraliser davantage l’agriculture et l’alimentation » (Wittman et al. 2010, 1, traduction libre). Tout ceci répondant à l’argument selon lequel l’agriculture industrielle, intensive (les monocultures) est plus productive à l’hectare et donc plus susceptible de nourrir une population grandissante. Certaines études démontrent toutefois le contraire4, mais même si l’agriculture intensive se révélait plus productive à l’hectare (ce qui n’est actuellement pas le cas) qu’une approche plus ancestrale (agriculture familiale, type agro-écologie), le problème est qu’elle s’appuie sur des méthodes non 4 « [...] research shows the potential that could be achieved by local production and land redistribution. Small farmers are more productive, more efficient, and contribute more to broad-based regional development than do the larger corporate farmers who hold the best land and who benefit from free trade. Small farmers with secure tenure can also be much better stewards of natural resources, protecting the long-term productivity of their soils and conserving functional biodiversity on and around their farms. What we require is the political will to make different policy decisions» (Rosset 2006, 6). 5 durables qui ne tiennent pas compte de la capacité de nourrir les générations futures. Les problèmes environnementaux que l’agriculture intensive entraîne (surutilisation et pollution de l’eau et des sols, réduction de la biodiversité, vulnérabilité aux épidémies, etc.) donnent raison aux détracteurs de l’agro-écologie et de la notion de souveraineté alimentaire qui soutiennent que le modèle actuel d’agriculture ne constitue pas une solution viable (Cirad 2013, iii). Les Malthusiens de l’ère moderne, bien qu’une bonne proportion de leur prédiction ne se soit pas concrétisée dans le passé, mettent aujourd’hui l’accent sur une des composantes vitales de notre incapacité à nourrir l’ensemble de la population grandissante dans le futur, soit la composante environnementale : As we push up food production hoping to keep pace with the population and income, too many dry lands or forest lands will be cleared for farming, and too much groundwater or surface water will be use for irrigation. Biodiversity will be lost. Food production may increase in the short run, but eventually a combination of falling water tables caused by over pumping, plus desertification caused by the plowing and grazing of dry lands, will push production gains of the past into reverse (Paarlberg 2010, 13). Ces prédictions sont en circulation depuis un rapport du club de Rome en 1972, «Limits of growth». À ces prédictions, Raj Patel ajoute que la raison pour laquelle la faim existe aujourd’hui n’est pas dans l’insuffisance de nourriture mais bien parce nous la distribuons à travers le marché en tant que propriété privée (Patel 2009b, 94) et donc en tant que bien de consommation échangeable. « Et lorsque vous distribuez la nourriture à travers le marché, vous introduisez deux simples règles: si vous avez de quoi payer, vous mangez, […] si vous n’avez pas de quoi payer, vous mourrez de faim. » (Patel 2013) Les nouveaux mécanismes entourant l’alimentation sont ainsi basés sur la capacité de payer en place de la capacité de faire. Nous avons transformé un processus actif en processus passif. Ce qui a changé récemment, avec la prise de contrôle du marché sur l’alimentation, c’est « la graduelle disparition des tampons – soutien agricole, entreposage du grain, soutien à l’agriculture durable, nous exposant aux fluctuations du marché » (Dateline NBC 2008, traduction libre), un marché qui ne tient pas compte de la durabilité du système. De ces différentes conceptions du problème de la faim ont émergé des solutions correspondantes dont le droit à l’alimentation, la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire. Du droit à l’alimentation et de la sécurité alimentaire Le droit à l’alimentation, reconnu depuis 1948 lors de l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme, rejoint davantage le concept de souveraineté alimentaire dans le sens où il se concentre non seulement sur l’accès à l’alimentation mais aussi sur l’accès des populations aux moyens et ressources pour assurer le bien-être et la sécurité alimentaire de tous. Bien qu’il donne aux 6 récepteurs du droit (l’Homme-social) un moyen d’accéder à la sécurité alimentaire, il n’a toutefois pas la prétention de prendre en considération (et de donner à l’être humain une emprise sur) la source du problème de la faim. Tel que défini par le Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels dans son commentaire général n° 12 : « Le droit à une alimentation adéquate est réalisé lorsque chaque homme, chaque femme et chaque enfant, seul ou en communauté avec autrui, a accès à tout instant, physiquement et économiquement, à une alimentation adéquate ou aux moyens de se la procurer ». Ceci comprend le droit de se nourrir, que ce soit en produisant soi-même son alimentation ou en l’achetant. Le droit à l’alimentation a l’avantage d’être basé sur le droit international; les États ayant ratifié la Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels ont l’obligation de mettre en œuvre progressivement les mesures qui s’imposent pour respecter ce droit. De plus, la primauté des obligations relatives aux respects des droits de la personne a été reconnue par les États en adoptant la Charte des Nations unies5. On peut toutefois aisément affirmer ici que cette reconnaissance n’a pas eu l’effet escompté, les règles de plusieurs institutions internationales telle que l’OMC ont été élaborées sans en tenir compte. Je reviendrai sur l’importance du droit dans le concept de souveraineté alimentaire dans une section ultérieure. Le concept de « sécurité alimentaire », selon Flavio Valente, « a tout d’abord été utilisé en Europe après la Première Guerre mondiale. À l’origine, il était étroitement lié au concept de sécurité nationale et à la capacité de chaque État de produire sa propre alimentation pour qu’ils ne soient pas vulnérables aux possibles actions politiques ou militaires des autres États (embargos, boycotts, etc.) » (Valente 2002, cité par Edelman 2013, 9, traduction libre). Trois décennies plus tard, la première définition officielle donnée à l’occasion du Sommet mondial sur l’alimentation en 1974 stipule que la sécurité alimentaire est de « disposer à chaque instant d'un niveau adéquat de produits de base pour satisfaire la progression de la consommation et atténuer les fluctuations de la production et des prix » (FAO 2003, 27, traduction libre). Depuis que le terme de sécurité alimentaire a commencé à être utilisé de façon régulière vers la fin des années 1970, il a été reformulé plusieurs fois. Mais il davantage entendu comme la proposition d’un objectif plutôt qu’un programme pour atteindre cet objectif. Il a été discuté à ses débuts en tant qu’accès suffisant à une importation 5 « En cas de conflit entre les obligations des membres des Nations unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront » (Nations unies 1945). 7 alimentaire de base, menant à la question de la disponibilité mondiale des surplus et à l’entreposage de réserves alimentaires au cœur du concept. Les aspects de la sécurité alimentaire se concentraient alors sur la disponibilité suffisante de denrées alimentaires sur les marchés nationaux en fonction d’un ratio population/denrées disponibles (Winffuhr et Jonsén 2005, 22), en menant inévitablement et stratégiquement à des politiques visant à augmenter la production. Confiance était accordée aux États en leur habileté à redistribuer les ressources, suffisait seulement de mettre ces ressources à leur disposition. Le débat a graduellement glissé de la disponibilité globale vers l’accès de l’individu à la nourriture ou aux ressources financières pour l’achat de nourriture. Tel que redéfini par la FAO en 1996 lors du Sommet mondial sur l’alimentation, la sécurité alimentaire existe lorsque « toutes les personnes, en tout temps, ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et leurs préférences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et saine » (FAO 1996). Contrairement au droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire, l’humain n’est pas au centre de la notion de sécurité alimentaire, dans le sens où il n’est que le récepteur d’un objectif et n’a aucune emprise ni sur la source de l’insécurité alimentaire ni sur les moyens d’atteindre l’objectif visé. L’ensemble de la notion repose ici sur le marché et sa capacité à créer de la richesse, à produire. Mais cette nouvelle définition introduit tout de même un récepteur clairement identifié : l’individu. Elle introduit donc, en plus de critères de production et de distribution, un ensemble élargi de notions propres au bien de cet individu, en jumelant l’accès à une quantité suffisante de nourriture à des considérations de qualité (importance de l’aspect nutritif et de la santé publique), d’accès non seulement physique mais économique et d’accès culturellement approprié selon les choix de l’individu (aspect social). « Cette extension de la définition est en grande partie imputable au leadership de La Via Campesina pour introduire l’idée de souveraineté alimentaire au Sommet mondial de l’alimentation en 1996, un terme spécialement conçu pour agir comme bouclier face aux conceptions prédominantes de la sécurité alimentaire. » (Patel 2009a, 665) Comparativement au droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire, la sécurité alimentaire ne repose pas sur les notions d’accès aux ressources permettant de « bâtir » soi-même son alimentation, c’est-à-dire la terre, les semences, l’eau, le crédit, etc. Il passe à côté d’un élément essentiel : comment les gens ont accès à cette nourriture, sans distinguer l’origine de l’aliment ou les conditions sous lesquelles ils sont produits et distribués (Bulletin Nyéléni 2013). L’idée de base reste encore que l’on atteint la sécurité alimentaire par l’augmentation de la productivité; cette conception tend ainsi à promouvoir l’innovation technologique au détriment de l’innovation sociale, politique et économique (Tansey et Rajotte 8 2008). De cette perspective, telle que critiquée par plusieurs auteurs, la définition de la sécurité alimentaire considère l’alimentation comme un problème d’insuffisance des stocks et des échanges en privilégiant l’accès aux aliments plutôt que le contrôle sur les systèmes de production et de consommation. L’alimentation devient un bien échangeable (et négociable), de la conception néolibérale, plutôt qu’un droit (Wittman 2011, 90). Cette conception de l’alimentation a ainsi mené vers la dépossession du concept de sécurité alimentaire des institutions potentiellement préoccupées par ces questions et remise entre les mains du marché, lequel est guidé par un tout autre objectif (Patel 2009a, 664). Pour revenir à l’histoire générale de l’agriculture… Au début des années 1980, sous l’effet de la crise économique mondiale, plusieurs pays voient leur économie s’effondrer. Le FMI et la Banque mondiale proposent alors à diverses reprises leurs programmes d’ajustements structurels en échange de prêts. Lorsqu'un pays emprunte auprès du FMI, ses autorités acceptent d'ajuster leurs politiques économiques pour surmonter les problèmes qui les ont conduites à solliciter l'aide financière de la communauté internationale. Les conditions de ces prêts permettent également de veiller à ce que le pays sera en mesure de rembourser le FMI de sorte que les ressources puissent être mises à la disposition d'autres pays membres qui en ont besoin (FMI 2013). Pour le FMI et la Banque mondiale, la solution consiste à se tourner vers l’exportation et à faire revenir les sociétés étrangères. Habituellement, pour s’assurer d’être en mesure de rembourser leur dette, les pays emprunteurs doivent alors orienter leurs productions considérées comme les plus productives. En contrepartie, les subventions à l’agriculture sont diminuées et le marché de la terre est libéralisé, y compris les droits d’acquisition par des multinationales étrangères (Tanner 2001). Loin d’être bénéfiques, ces mesures ont entraîné une nouvelle succession de crises dans les années 1980 : dans plusieurs pays d’Amérique latine et d’Afrique, des émeutes ont éclaté lorsque les gouvernements, pour satisfaire aux conditions imposées par la FMI en retour de prêts, ont mis fin aux subventions destinées à conserver l’alimentation bon marché (Paarlberg 2010, 27). L’Acte final du GATT, résultat des négociations multilatérales du cycle d’Uruguay, à l’origine de la création de l’OMC, « représente un tournant important: le passage d’une économie gouvernée nationalement à une économie mondiale presqu’entièrement guidée par le marché » (Desmarais et Nicholson 2013, 3), mettant en lumière la perte de contrôle des communautés sur les marchés 9 alimentaires, l’environnement, la terre et les cultures paysannes (Wittman et al. 2010). Une situation où les gouvernements sont continuellement poussés à se désengager du bien-être des populations paysannes en laissant tomber « les structures et les programmes agraires que les paysans et les fermiers avaient finalement gagnés après des années de lutte – ces structures et programmes qui sont là pour assurer la viabilité de l’agriculture familiale, promouvoir la production pour la consommation interne et contribuer à la sécurité alimentaire nationale » (Desmarais et Nicholson 2013, 3). Au nom de la libéralisation, des ajustements structurels, du marché et de la sécurité alimentaire, les assauts à l’ensemble de l’agriculture mondiale tentent d’imposer un modèle « d’agriculture sans agriculteurs » («agriculture without farmers») (McMichael 2013, 1). Le pouvoir d’influence des institutions internationales sur l’alimentation (OMC, FMI, etc.) est peu à peu partagé avec les multinationales composant le marché mondial : « La concentration globale des richesses et du pouvoir par les entreprises a rééquilibré les forces; les institutions telles que le FMI, la Banque mondiale et l’OMC n’ont plus le même rôle décisionnel, politique et financier. Les entreprises transnationales gagnent en force, pouvoir et influence dans leur tentative de s’approprier les biens communs et l’économie mondiale. » (Desmarais et Nicholson 2013, 7-8) Ce que l’on questionne aujourd’hui, c’est la configuration sociale et politique autour du pouvoir sur l’alimentation. La «désautonomisation» de la personne face au système alimentaire. Un système qui « devrait être non pas entre les mains de puissantes entreprises - ou d’institutions internationales ni même entre les mains d’États géopolitiquement dominants mais entre les mains des gens qui dépendent de ce système » (Patel 2012, 2) pour ainsi être représentatif des désirs de l’ensemble de la communauté. C’est sur cet objectif que repose le concept de souveraineté alimentaire : redonner à la communauté, au peuple, le pouvoir de modeler le système alimentaire selon son intérêt commun, la réappropriation du système alimentaire par l’être humain actuellement entre les mains du marché. 10 Sur l’évolution du concept de souveraineté alimentaire Historique, adaptation L’essence de la souveraineté alimentaire, comme le mentionne Raj Patel, est que les gens ont la capacité de décider eux-mêmes de leurs propres politiques en matière d’agriculture et d’alimentation. C’est fondamentalement le droit d’avoir des droits sur ses politiques alimentaires (Big Think 2012). La souveraineté alimentaire est, selon sa définition la plus récente, « le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires » (Nyéléni 2007). Dans le concept de souveraineté alimentaire, les communautés paysannes et les petits agriculteurs sont au centre. On leur accorde non seulement le pouvoir de s’attaquer à la source du problème de l’inégalité et de la concentration des richesses, mais aussi la maîtrise sur les moyens – production, transformation, distribution – d’assurer leur propre sécurité alimentaire en utilisant un ensemble de leviers dont fait partie entre autres le droit à l’alimentation. Bien que la majorité de la documentation attribue la naissance du terme de souveraineté alimentaire au mouvement La Via Campesina en 1996, les manifestations du concept, sous différentes formes et appellations, sont apparues bien avant. Plusieurs de ces apparitions ont été relevées par Marc Edelman dont la première, datant de 1981, où le terme « souveraineté alimentaire » est apparu dans les discussions du programme d’aide alimentaire canadien, l’un des intervenants affirmant que « the first test of any emerging nation’s real sovereignty is food sovereignty » (Canadian Institute of International Affairs 1981, 107, cité Edelman 2013, 6). En 1983, le gouvernement du Mexique annonçait la mise en place d’un nouveau programme alimentaire national (Programa Nacional de Alimentación, PRONAL), dont l’objectif principal consistait à réaliser la « souveraineté alimentaire », un concept entendu au-delà de l’autosuffisance alimentaire; il impliquait un contrôle national sur différents aspects de la chaîne alimentaire, de façon à réduire la dépendance à l'égard des capitaux étrangers et des importations de produits alimentaires de base, d’intrants et de technologies. Certaines revendications dans les années 1989 et 1991 en provenance de l’Unión Nacional de Pequeños y Medianos Productores Agropecuarios, une union costaricienne de petits et moyens producteurs agricoles, dénonçaient particulièrement l’importation de produits agricoles à des prix de dumping et revendiquaient la 11 souveraineté des exportations, pour que celles-ci ne soient pas concentrées dans les mains de multinationales étrangères. Les recherches de M. Edelman révèlent que le terme de souveraineté alimentaire était entendu par certains leaders paysans en tant qu’objectif pour éviter aux pays de dépendre à la fois de « surplus en provenance d’autres pays qui pouvaient à tout moment s’évaporer et de prix qui sont sujets aux fluctuations du marché international » (Edelman 2013, 5, traduction libre). Les racines de La Via Campesina remontent donc à cette époque (dans les années 1980) où plusieurs leaders du secteur agricole engagés dans des échanges Nord/Sud et Sud/Sud réalisaient d’un commun accord l’ampleur du problème créé par l’industrialisation et la libéralisation de l’agriculture (via les ajustements structurels et les accords régionaux de libre-échange) et la concentration croissante du pouvoir et des ressources entre les mains des entreprises multinationales. Ces nouvelles dynamiques étaient à l’origine de crises agricoles aigues causées par la restructuration de l’agriculture, la destruction de la biodiversité, la dégradation de l’environnement, l’accroissement de l’écart entre riches et pauvres, l’appauvrissement croissant dans les zones rurales, etc. (Desmarais et Nicholson 2013, 2-4). Un ensemble de problèmes causés par un nouveau portrait global de l’agriculture « minant la capacité des paysans du monde de maintenir un contrôle sur les terres, le territoire, les semences et l’eau – ensemble des ressources nécessaires à la production de l’alimentation » (Desmarais et Nicholson 2013, 2-3). De ces préoccupations s’est ainsi constituée formellement La Via Campesina en avril 1993 (seulement quelques mois avant la fin du Cycle d’Uruguay6 du GATT) autour d’objectifs dont le rejet du modèle néolibéral et le refus d’être (les 46 représentants d’organisations de paysans, petits agriculteurs, peuples autochtones et travailleurs agricoles de tous les continents) mis à l’écart du développement des politiques agricoles (Desmarais et Nicholson 2013, 2-3). L’organisation a donc cherché à définir une position commune face à cette nouvelle économie mondiale de marché, cette « campagne » de privatisation de l’agriculture, de «désautonomisation» sociale et de « depeasantization » (Claeys 2013, 1-2). En 1996, La Via Campesina met officiellement de l’avant le concept de « souveraineté alimentaire » en tant qu’alternative au concept de « sécurité alimentaire » avancé par la FAO : alternative qui pour certains relève davantage de « fundamental antagonisms » (antagonismes fondamentaux) 6 Cycle durant lequel l’agriculture et l’alimentation ont été incluses dans les négociations pour la toute première fois et au terme duquel fut institué l’Organisation mondiale du commerce. 12 (Schanbacher 2010, ix, cité par Edelman 2013), pour d’autres d’un « counterframe » (cadre opposé) (Fairbairn 2010, 26–27, cité Edelman 2013), ou d’un « foil to the prevailing notions of “food security” » (complément à la notion dominante de sécurité alimentaire), tel que Raj Patel le mentionne. À cette époque, la souveraineté alimentaire est définie en tant que : « le droit de chaque pays de maintenir et développer sa propre capacité de produire son alimentation de base, en respectant les diversités culturelle et agricole. Nous avons le droit de produire notre propre alimentation sur notre propre territoire. La souveraineté alimentaire est une condition préalable d’une véritable sécurité alimentaire. »7 Le concept de souveraineté alimentaire, regroupant à la fois les thèmes de droits de l’homme, de réformes agraires, de protection et d’accès aux ressources naturelles et de démocratie, forme une espèce de grand chapiteau, un lieu de rassemblement commun où « des groupes disparates ont la possibilité de se reconnaître dans l’énonciation d’un programme. » (Patel 2009a, 666, traduction libre). Évolution récente du concept Le focus initial du mouvement visait le développement de politiques et d’institutions au niveau international. L’OMC était alors au cœur des attaques (Desmarais et Nicholson 2013, 7) tout comme le FMI et la Banque mondiale. À la fin des années 1990 et début 2000, un changement se produit à la fois vers la poursuite de politiques plus localisées et vers une approche de plus en plus centrée autour de la personne, du paysan. On retrouve ce changement entre autres dans la modification graduelle de la définition du droit d’un État au droit des peuples à décider de leur politique alimentaire. Ce changement, survenu en 2002 (année du Sommet de Rome +5), a d’abord été introduit par l’International Planning Committee for Food Sovereignty (une coalition d’organisations de la société civile incluant La Vía Campesina), en remplaçant dans leur définition de la souveraineté alimentaire l’État (nation) par le peuple, les communautés et les pays. La souveraineté alimentaire est le droit des populations, des communautés et des pays à définir leurs propres politiques agricoles, pastorales, alimentaires, territoriales, de travail et de pêche, lesquelles doivent être écologiquement, socialement, économiquement et culturellement adaptées à chaque contexte spécifique (Forum pour la souveraineté alimentaire 2002). C’est le début du basculement d’un point important de la souveraineté alimentaire: celui de la désignation du souverain, la configuration centrale autour de laquelle le concept est fondé. De l’État 7 “right of each nation to maintain and develop its own capacity to produce its basic foods respecting cultural and productive diversity. We have the right to produce our own food in our own territory. Food sovereignty is a precondition to genuine food security”( Via Campesina 1996). 13 souverain de son alimentation en tant qu’ensemble politique, on y inclut d’autres formes d’ensembles susceptibles de se réapproprier la souveraineté de son alimentation, soit la personne et la communauté. Le second changement, introduit en 2007 dans la Déclaration du Forum de Nyéléni, réduira davantage l’appropriation de la souveraineté aux peuples uniquement tout en élargissant (définissant plus en détails) la portée du concept. La souveraineté alimentaire est : … le droit des peuples à une alimentation saine, dans le respect des cultures, produite à l’aide de méthodes durables et respectueuses de l’environnement, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles. Elle place les producteurs, distributeurs et consommateurs des aliments au cœur des systèmes et politiques alimentaires en lieu et place des exigences des marchés et des transnationales. Elle défend les intérêts et l’intégration de la prochaine génération (Nyéléni 2007). Elle favorise à la fois « des moyens de production, de distribution et de consommation écologiques et un système d’approvisionnement local qui respecte les droits sociaux et économiques et contribue à la lutte contre la faim et la pauvreté. Elle permet d’atteindre la sécurité alimentaire pour tous et soutient des méthodes commerciales et des investissements qui servent les aspirations de la société. La souveraineté alimentaire se traduit aussi par une gestion collective des ressources productives, des réformes agraires assurant une sécurité foncière aux petits producteurs, une agriculture écologique qui respecte la biodiversité et soutient le savoir-faire local, ainsi que les droits des paysans et paysannes, des femmes et des peuples autochtones. C’est aussi un vecteur de protection sociale et de justice climatique » (Bulletin Nyéléni 2013). La souveraineté alimentaire promeut un commerce transparent, équitable et rémunérateur à tous ainsi qu’un droit d’utilisation et de gestion des ressources collectives (terres, eau, semences, biodiversité). Ces changements impliquent donc non seulement un changement des systèmes agraires mais un changement des relations sociales, relations qui soient sans oppression, inégalités ou discrimination entre tous incluant les générations futures. C’est à partir de ce moment que la configuration mise de l’avant se centre réellement autour de la personne, configuration davantage susceptible d’appeler légitimement le soutien des notions de biens communs et de droits de l’homme dont je discuterai dans les sections suivantes. Ce tournant est d’une grande importance: non seulement il survient dans un contexte où la notion de souveraineté étatique s’effrite (par exemple, dans la dernière décennie, le devoir de protéger a 14 servi à justifier l’intervention étrangère, entre autres américaine, dans divers pays), voire parfois remise en question mais la définition reflète finalement la réelle préoccupation, celle d’avoir une agriculture dans les mains de ceux qui la produise, les paysans, les agriculteurs. Le fait que l’on attribue la souveraineté de l’alimentation au peuple et non à une nation concorde également avec la force du mouvement, celle de permettre à tous de s’approprier un concept, peu importe le régime politique, économique ou social de l’État dans lequel on se trouve. Le mouvement ne se contente pas d’articuler des recommandations autour d’une seule réforme agraire mais y inclus les effets bénéfiques au sens large : non seulement il bénéficie à toute la population en procurant une alimentation saine, accessible et culturellement appropriée mais il propose aussi une solution entre autres à l’exode rural massif faisant grossir les populations des villes à un niveau peu durable et dans des conditions souvent inhumaines, et lient ces effets à l’élimination de la pauvreté ainsi qu’à des solutions appropriées aux changements climatiques. Il propose donc une réponse non seulement à la faim mais à la pauvreté en général, à la justice sociale, à l’environnement. Il est compris aujourd’hui par plusieurs comme un instrument de transformation de la société en général, un instrument pour « feeding the world and cooling the planet » (nourrir le monde et ralentir le réchauffement de la planète) (Desmarais et Nicholson 2013, 5). Depuis la mi-2000, devant de nouveaux évènements (la crise de 2007-2008), le mouvement a intégré de plus en plus de facettes et de batailles aux niveaux local, national et international tels que le contrôle sur les ressources naturelles (eau, semences), la protection de l’identité culturelle et des savoirs ancestraux et locaux, la création de marchés locaux, le droit à la terre (en réponse à l’accaparement) (Godek 2013, 3-4), le droit des femmes (reconnu aujourd’hui comme un aspect fondamental de l’avenir de l’agriculture) ainsi que le droit des paysans. On retrouve l’ensemble de ces revendications dans la Déclaration de Nyélény de 2007, basée sur six piliers : la priorité donnée à l’alimentation des populations, la valorisation des producteurs d’aliments, l’établissement de système locaux de production, le renforcement du contrôle local, la construction des savoirs et savoir-faire et le travail avec la nature.8 La force du mouvement mondial est aussi qu’il diffère ou s’adapte d’un endroit à l’autre, et selon la configuration (locale, nationale, internationale). La souveraineté alimentaire « fournit des réponses à différents niveaux » (McMichael 2013, 2, traduction libre). Le monde est un endroit complexe et il 8 Voir annexe B 15 serait une erreur de proposer une seule solution à un phénomène aux multiples facettes. Dans tous les cas, il n’y a pas de « one-size-fits-all solution » (solution universelle) (Patel 2009b, 106). Il n’existe aucun modèle unique de mise en œuvre politique de la souveraineté alimentaire pour la simple raison que le concept s’appuie sur le droit de décider localement et que les décisions prises s’inscrivent dans un contexte historique et culturel duquel émane des besoins différents. Le mouvement bataille donc sur différents fronts : d’une part, mettre la souveraineté alimentaire à l’agenda des Nations unies (Convention sur la souveraineté alimentaire et Convention sur le droits des paysans) et, d’autres part, l’adoption de politiques publiques et l’intégration du concept au niveau national qui connaît déjà un certain succès avec les cas entre autres du Venezuela, Mali, Sénégal, Népal, Bolivie, Équateur, Nicaragua (Godek 2013, 1) et récemment le Québec. 9 Ces politiques nationales (ou dans certains cas l’intégration de la souveraineté alimentaire dans la constitution) tendent à promouvoir l’agriculture comme moteur de l’économie en tant que principal contributeur à la croissance économique tel qu’au Mali, au Nicaragua et au Venezuela. Elles peuvent de plus chercher à augmenter la production alimentaire locale et paysanne dans une optique de sécurité alimentaire, souvent dans le contexte d’une stratégie d’autosuffisance, sans toutefois exclure les cultures d’exportation perçues comme une opportunité de développement économique rural. Elles peuvent aussi viser à compenser la faiblesse inhérente du secteur agricole (Venezuela, Bolivie) et si possible à ramener les revenus des habitants des régions à parité avec les revenus urbains ou à favoriser des pratiques de culture alternative (agriculture familiale) sans exclure l’agriculture industrielle. Enfin, à certains endroits, elles cherchent à faciliter l’accès à la terre et à limiter l’invasion des semences transgéniques (Claeys 2013, 5). Dans tous les cas, l’appropriation du concept varie et la récupération parfois très partielle du concept est parfois sujette à débat. Selon les pays, on retrouve aussi bien une transposition quasi-fidèle des piliers de Nyéléni (Équateur10, Venezuela11) que des adaptations plutôt sectorielles du concept, comme nous le verrons dans la Politique de souveraineté alimentaire du Québec. 9 Voir Annexe C pour plus de détails Constitution de l’Équateur (article 281): Strengthening the development of organizations and networks of producers and consumers, along with those for the marketing and distribution of food stuffs, so as to promote equity between rural and urban spaces. Preventing and protecting the population from consuming polluted food stuffs, or those that jeopardize their health or whose effects are still scientifically uncertain. 11 Constitution du Venezuela (article 305): The State shall promote sustainable agriculture as the strategic basis for overall rural development, and consequently shall guarantee the population a secure food supply, defined as the sufficient and stable availability of food within the national sphere and timely and uninterrupted access to the same for consumers. A secure food supply must be achieved by developing and prioritizing internal agricultural and livestock production 10 16 En Équateur, par exemple, la souveraineté alimentaire a été intégrée à même la Constitution dans le cadre d’une vision globale nommée Sumak Kawsay (Good living), intégrant ainsi le concept à une approche plus holistique (Peña 2013). Au Mali, la souveraineté alimentaire telle que définie dans la Loi d’orientation agricole est d’abord « un choix politique d’un État ou d’un groupe d’États de produire l’essentiel de son alimentation sur son territoire ». D’une telle définition découle davantage le principe d’autosuffisance. Il faut savoir que la Loi malienne s’attarde d’abord et avant tout à éradiquer la pauvreté, objectif que l’État compte atteindre en stimulant le secteur agricole pour garantir aux agriculteurs leur sécurité alimentaire. Il en va de même au Sénégal où la SA est définie comme une « situation dans laquelle le pays dépend le moins possible de l’extérieur pour l’alimentation » (Sénégal 2005). La souveraineté alimentaire est toutefois plus qu’un concept politique alternatif au système actuel. Il est globalement présenté en tant que nouveau droit de l’homme par le mouvement La Via Campesina. Le droit à la souveraineté alimentaire est présenté comme un droit social : un droit des communautés, semblable à certains droits déjà évoqués dans les instruments internationaux reconnus par les Nations unies (Claeys 2013, 4). L’appel à certaines notions fondamentales La place du droit en souveraineté alimentaire L’utilisation des droits de l’homme présente l’avantage de rassembler des mouvements aux diverses idéologies politiques et culturelles (Claeys 2013, 1-2) tout en posant des arguments qui réfèrent à la poursuite d’un bien commun et non à des intérêts particuliers ou privés. Elle fait appel à une configuration sociale où l’homme et son bien sont placés au centre des préoccupations. Cette configuration lui attribue des droits mais aussi des responsabilités telles que celles de ne pas priver autrui des mêmes droits qui lui sont accordés, y compris les droits des générations à venir. Le mouvement de souveraineté alimentaire invoque ainsi non seulement un droit à l’alimentation tel que défini par l’ONU (Nations unies, Comité des droits économiques, sociaux et culturels 1999) (droit d’accès aux aliments ou aux moyens de production) mais aussi un droit de choisir la forme de production, un droit d’accès et d’utilisation des ressources naturelles nécessaires à l’agriculture (eau, understood as production deriving from the activities of agriculture, livestock, fishing and aquiculture. L’agriculture et l’aliment servent en tout premier lieu à assurer la sécurité alimentaire de la population nationale. 17 sols, semences), un droit à un environnement sain et propice à l’agriculture (en s’opposant aux OGM et aux pesticides), un droit à une agriculture durable pour protéger les générations à venir. Les droits occupent ainsi une place centrale dans le dialogue de La Via Campesina. Non seulement le mouvement a déployé de grands efforts pour revendiquer un droit à la souveraineté alimentaire par l’élaboration d’une convention auprès des instances onusiennes mais, plus récemment, le répertoire des droits revendiqués s’est précisé considérablement avec la revendication d’un droit des paysans. À l’intérieur de celui-ci, on accorde, en plus des droits déjà reconnus (droit à l’alimentation), de nouveaux droits (Winffuhr et Jonsén 2005, 24), comme le droit à la terre et au territoire (article 4) ; le droit aux semences et au savoir agricole traditionnel (article 5) ; le droit aux moyens de production agricole (article 6) ; le droit à l’information et à la technologie agricole (article 7) ; la liberté de déterminer le prix et le marché pour la production agricole (article 8) ; le droit à la protection des valeurs agricoles (article 9) ; le droit à la diversité biologique (article 10) ; le droit à la conservation de l’environnement (article 11) (La Via Campesina 2009). En somme, l’appel à la souveraineté alimentaire de La Via Campesina « invoque un droit d’avoir des droits sur l’alimentation. » (Patel 2009a, 663, traduction libre) Sur la notion de bien commun Nous combattons la marchandisation des biens communs, leur financiarisation et leur brevetage; et ce, s‘agissant de la terre, des semences paysannes, traditionnelles et reproductibles, des races animales et des ressources halieutiques, des arbres et des forêts, de l‘eau, de l‘atmosphère et des connaissances. L‘accès à ces biens communs ne devrait pas être déterminé par les marchés et l‘argent […]. Dans la lutte pour parvenir à la Souveraineté alimentaire, il nous faut reconquérir nos biens communs (Mouvement Nyéléni Europe 2012). Selon La Via Campesina et plusieurs mouvements paysans, l’OMC doit se retirer de l’agriculture. Ces mouvements soutiennent entre autres que l’agriculture ne soit pas considérée comme un bien mais bénéficie d’un statut particulier. Cette pensée a certes évolué. Le concept de souveraineté alimentaire n’exclut pas en soi le commerce et les échanges mais conteste la perception de l’agriculture promue par les institutions telles que l’OMC et le FMI (bien de consommation) et propose une vision alternative, une vision, dirons-nous, plus humaine en percevant l’agriculture davantage comme une ressource commune, nécessaire non seulement à la survie de l’humanité mais essentielle au sain développement des communautés. Bref, un bien commun. C’est le caractère de nécessité vitale, compris comme nécessaire à la survie de l’humanité, qui emporterait la prétention à 18 l’effet que l’agriculture ne devrait pas relever du marché. Quel statut conviendrait alors aux ressources nécessaires à l’agriculture considérées non seulement naturelles mais « vitales » à l’être humain telles que la terre, l’eau et la biodiversité. On inclut dans la catégorie des ressources vitales les ressources nécessaires à tous comprises comme « écosystèmes de base supportant la vie » (Paquerot 2002, 5) et essentielles à la survie de l’espèce humaine (air, eau, sol, diversité biologique) mais limitées ou susceptibles d’atteindre une limite d’utilisation (ex. : taux de contamination trop élevé de l’eau ou de la terre pour pourvoir à la survie de l’homme). « Ces ressources vitales, autrefois disponibles et accessibles [et considérées comme inépuisables], requièrent aujourd’hui des processus complexes de production et d’importants investissements pour leur redonner leur intégrité » (Paquerot 2002, 3) tels que l’assainissement de l’eau, le système d’irrigation pour les terres, la décontamination, la désalinisation, la filtration de l’air. Protestant contre l’appropriation économique des ressources vitales à l’humanité, on proclame une série d’exceptions qui voudraient devenir la règle. « Le principe unificateur d’une telle série est la notion générique de « bien commun » ou celle, plus spécifique, de «patrimoine commun» de l’humanité, définissant par là un domaine du « non-appropriable » (Roussel 2005, 45). Patrimoine commun et bien commun véhiculent l’idée d’un héritage reçu des générations précédentes qui doivent être conservés pour les générations futures. Ces notions se distinguent par leur finalité : contrairement à la finalité productiviste du marché, par exemple, le bien commun a pour finalité l’intérêt général. Elles font ainsi primer « l'intérêt général sur l'intérêt particulier, le collectif sur l'individu, la coopération sur la compétition, l'usage sur la possession » (Minot 2013, 33). « Le patrimoine [ainsi que le bien commun], dirons-nous, est comme un nimbe jeté, au nom de l’intérêt général, sur des biens et des choses » (Paquerot 2002, 21). L’avantage d’attribuer un tel qualificatif à une ressource est qu’une fois énoncé, comme le mentionne Laurent Cordonnier, on peut difficilement s’écarter du débat. On peut être d’accord ou non, mettre en doute le bien-fondé d’un tel qualificatif par rapport à l’enjeu traité, arguer des difficultés de les mettre en œuvre, dénoncer leur caractère vague ou conflictuel avec d’autres biens communs mais au final, « la discussion doit s’en emparer et en faire quelque chose » (Cordonnier 2012, 6). 19 S’agissant des diverses ressources, les États et les organisations internationales, à travers certaines de leurs déclarations et même certaines conventions, tendent de plus en plus à reconnaître « le caractère de bien commun que représente la préservation des ressources » (Paquerot 2002, 41). Chaque génération humaine détient les ressources de la Terre pour les générations futures et a la mission de faire en sorte que ce legs soit préservé et que, lorsqu’il en est fait usage, cet usage soit fait avec prudence. (Préambule, Convention de Bonn, 23 juin 1979) Les ressources phyto-génétiques sont un patrimoine commun de l’humanité et doivent être préservées et librement accessibles pour être utilisées dans l’intérêt des générations présentes et futures. (Engagement international sur les ressources phytogénétiques, FAO, résolution 8/83, 1983) Affirmant que la conservation de la diversité biologique est une préoccupation commune à l’humanité » et « Déterminées à conserver et à utiliser durablement la diversité biologique au profit des générations présentes et futures. (Préambule, Convention sur la diversité biologique, 1992) Toutes ces déclarations démontrent en quelque sorte le développement d’une « conscience d’un bien commun » (Paquerot 2002, 101). Cette conscience a pour objectif « de faire prévaloir les intérêts de l’humanité sur ceux des États… » (Paquerot 2002, 48), l’intérêt commun suprême étant le maintien des conditions de survie sur la terre, intérêt qui est hors de toute considération politique et idéologique. Comme nous l’avons constaté, l’évolution du contexte mondial, la mise sur pied d’institutions guidées par différents impératifs et la prise de conscience de nouveaux aspects tels que le bien commun ont guidé l’émergence d’un concept qui aujourd’hui est reconnu comme l’un des plus influents du globe : la souveraineté alimentaire. La popularité du concept a donné ainsi lieu à une croissance de l’appropriation nationale et de l’intégration du concept à l’intérieur de divers instruments nationaux et locaux. C’est donc dans cette foulée que le Gouvernement du Québec présentait au printemps 2013 sa propre Politique de souveraineté alimentaire, politique que nous examinerons en seconde partie et qui nous permettra de mettre en lumière la concordance entre la conception du Gouvernement et les visions prônées par les différents acteurs locaux ainsi que la concordance entre la conception québécoise de la souveraineté alimentaire et le concept mis de l’avant par les principaux acteurs au niveau international. 20 La souveraineté alimentaire au Québec L’agriculture au Québec : une histoire en bref L’histoire de l’agriculture des 19e et 20e siècles au Québec est modelée par l’urbanisation, l’industrialisation et la modernisation, tout comme l’est l’histoire de l’agriculture en Amérique du Nord. Ce sont essentiellement ces facteurs qui sont à l’origine du visage agricole québécois d’aujourd’hui et des défis (et problèmes) auxquels nous sommes confrontés. Le Québec s’est largement développé, construit et érigé par l’agriculture (Roy 2010). L’occupation de son immense territoire s’est fait par l’agriculture avec l’aide de l’Église catholique, laquelle s’appuyait sur l’idéologie de l’agri-culturisme, idéologie dominante de la société traditionnelle du Bas-Canada qui prône le fait que le travail de la terre rapproche l'habitant de Dieu (Roy 2010). L’agriculture a ainsi joué un « rôle fondamental (…) tellement que, au 19e siècle, les élites vont définir la nation canadienne-française comme une nation d’abord et avant tout agricole rurale » (Roy 2010). Mais l’agriculture perd peu à peu de son importance à mesure qu’arrive et qu’avance le 20 e siècle et l’industrialisation, qui introduit de nouveaux secteurs d’activités comme les mines, la construction et les manufactures. D’une population rurale à parité avec la population urbaine en 1911, le Québec devient à prédominance urbaine en 1921 (Roy 2010). Les campagnes se vident peu à peu et le monde agricole doit alors s’adapter à une nouvelle réalité : une demande croissante en alimentation de la population urbaine et une demande des entreprises de transformation établies en ville qui, cherchant des marchés lucratifs, vont forcer les agriculteurs, spécifiquement ceux des régions autour des grands centres (Montréal et Québec), à orienter leurs cultures en fonction des besoins de l’industrie et ce, en adoptant des cultures lucratives et intensives (monocultures). Les campagnes sont à cette époque en grande difficulté (Poirier 2010, 9-10). L’État intervient de plus en plus dans le monde rural12 en soutenant financièrement, par exemple, les cercles de cultivateurs13, en fondant plusieurs écoles d’agriculture, en développant la profession d’agronome. Toutes ces interventions ont comme objectif d’encadrer et de promouvoir le monde rural. Le monde agricole, regroupé en coopératives mais encore assez dispersé, commence à sentir le besoin de se regrouper, davantage 12 Cette tradition d’interventionnisme étatique dans l’agriculture débute avec Honoré Mercier. Elle sera marquée, entre autres, par la Loi des syndicats agricoles (1902) qui sera élargie en 1906 au champ des coopératives avec la Loi sur les syndicats coopératifs. En 1908, pour se donner davantage de pouvoir sur le mouvement coopératif qui partout dans la province fait boule de neige, une deuxième loi entre en application : la Loi des sociétés coopératives agricoles qui permet au Ministère de l’agriculture, nouvellement institué au gouvernement, d’avoir un meilleur portrait des coopératives nouvellement créées et ainsi d’intervenir par un encadrement plus direct de leurs activités prenant ainsi tranquillement le relais de l’élite cléricale. En moins de 15 ans suivant cette loi, 350 coops locales seront fondées. 13 À cette époque, les cercles de cultivateurs étaient davantage des lieux d’entraide et de transmission des savoirs. 21 pour faire non seulement face au problème de l’exode rural et des conditions de vie difficiles des agriculteurs, mais aussi pour ne plus dépendre des hommes politiques qui, somme toute, faisaient marcher les associations de cultivateurs à leur guise (Roy 2010). Au début du 20e siècle, le monde rural est face à trois forces/influences : L’État provincial dirigé par les modernisateurs qui interviennent de plus en plus dans le secteur; l’Église catholique qui voit d’un très mauvais œil l’intervention étatique dans le rural; et les mouvements mieux organisés issus du milieu agricole qui apparaissent durant la Première Guerre mondiale14. Il est d’abord proposé de réunir les trois grandes coopératives (la Coopérative des fromagers, le Comptoir coopératif, apparu en 1913, ainsi que la Société coopérative agricole des producteurs de semences du Québec, démarrée en 1914). En 1922, la Coopérative fédérée est officiellement mise sur pied mais ne réussit pas pour autant à sortir les fermiers de la pauvreté. Pour se donner davantage de pouvoir face à l’État, le monde rural s’associe à l’Église catholique et fonde en 1924 l’Union catholique des cultivateurs qui deviendra, dans les années 1970, l’Union des producteurs agricoles (UPA). C’est dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale que le Québec vivra sa révolution verte : « Pour les agriculteurs des pays non directement affectés par la Seconde Guerre mondiale, cette période leur permet d’avoir accès à [et de profiter d’] un très grand marché d’exportation où les prix ont doublé entre 1939 et 1944, puis triplé en 1948. » (Décary-Gilardeau 2010). Mais « la fin de la guerre et la reconstruction de l’Europe marqueront durablement la fin des prix élevés des denrées de base [et] le début d’une crise » (Décary-Gilardeau 2010). Suite aux pressions incessantes de l’UCC, le gouvernement Duplessis, réalisant l’ampleur de la crise agricole, lance en 1952 la Commission Héon (Poirier 2010, 23). À propos des fermes, la Commission est claire : « […] il y en a 100 000 de trop ; 40 000 fermes bien équipées et bien gérées seront plus en mesure de relever les nouveaux défis que 140 000 petites fermes aux méthodes dépassées qui pénalisent, par leur faible rendement et l'absence de contrôle de qualité, ceux qui ont accepté d'investir. » (Bouchard 2002, 29-30). Pour atteindre cet objectif de diminution des fermes, les standards de qualité et de sécurité sanitaire plus élevé seront exigés en plus du soutien à la 14 On parle ici des coopératives de plus en plus nombreuses et de la création, en 1920, des Fermiers unis du Québec, un parti politique calqué sur les modèles des United Farmers of Alberta et United Farmers of Ontario (eux-mêmes influencés par les mouvements organisés des États-Unis). Ces mouvements, déjà bien structurés, réclament une large gamme d’avantages de la part de leur gouvernement dont des subventions, des assurances récoltes, une détaxation de leurs produits et cesser de dépendre des banques des grandes villes qui prêtent rarement aux agriculteurs ou qui prêtent à des taux très élevés. 22 modernisation par des programmes généreux (Bouchard 2002 29-30). Bien entendu, comme le souligne Luc Poirier, seuls les gros producteurs ayant suivi la vague d'industrialisation — spécialisation graduelle des fermes se concentrant sur une production en l’intensifiant — pourront répondre à ces critères spécifiques de production agricole axés sur les standards de l’industrie. (Poirier 2010, 24) Graduellement, les agriculteurs seront de moins en moins nombreux, les villes se gonflent et débordent de leurs limites, sur les meilleures terres les banlieues s’étalent. La modernisation fait place a des projets telle la construction de l’aéroport de Mirabel, projet exigeant « l’expropriation de milliers de personnes et (s’étendant) sur près de 100 000 acres, situées sur les meilleures terres du Québec » (Décary-Gilardeau 2010). Dans les même années, le nombre grandissant d’agriculteurs spécialisés, qui s’investissent de en plus dans l’UCC, commence non seulement à rechercher une force collective pour imposer des prix aux acheteurs (de là l’idée des plans conjoints15) mais s’éloignent de plus en plus de l’Église jusqu’à aboutir à la transformation, en 1972, de l’UCC en UPA, une organisation désormais laïque. L’UPA obtient par ailleurs du gouvernement d’être la seule organisation représentative des agriculteurs (Roy 2010), monopole qui sera plus tard contesté et donnera lieu à la création de nouvelles unions telles que l’Union paysanne, en 2001, et le Conseil des entrepreneurs agricoles du Québec, en 2010. Une bonne majorité des politiques et lois en agriculture qui subsistent encore aujourd’hui datent des années 1960-1970 : l’assurance récolte (1967), l’assurance stabilisation du revenu (1975), la gestion de l'offre (1972), la Loi sur les producteurs agricoles (1972) et la Loi sur la protection du territoire agricole (1978). Le contexte québécois a toutefois grandement changé depuis, tout comme le contexte mondial. Dans les débats d’aujourd’hui, on se questionne sur ce que vont devenir nos campagnes. Vont-elles continuer à se dépeupler d’agriculteurs? Une fois les agriculteurs partis, les écoles, les curés, les caisses populaires, les habitants suivent aussi le mouvement. C’est l’ensemble du tissu social rural qui disparaît. Ainsi, pour répondre à la demande de la population de revitaliser le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire pour faire face aux nouveaux défis, le gouvernement du Québec lancera en 2006 la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire 15 L’idée du plan conjoint est de rassembler les agriculteurs d’une branche (ex. : le lait, le poulet, etc.) pour imposer des prix aux acheteurs et devenir ainsi plus rentable. 23 québécois (ci-après « Commission Pronovost »), durant laquelle une vaste consultation publique donnera lieu à un ensemble de recommandations réunies dans un rapport (ci-après « Rapport Pronovost »)16. La souveraineté alimentaire du Québec La souveraineté alimentaire, un concept en constante évolution comme on l’a vu précédemment, se décline en différentes approches (politiques, juridiques, économiques) selon l’arène dans laquelle le concept évolue (locale, nationale, internationale) et selon le contexte social, économique et politique dans lequel il s’insère. Il n’existe aucun programme standardisé de mise en œuvre de la souveraineté alimentaire. L’adaptation locale du concept est d’abord nécessaire pour qu’il prenne racine : C’est l’assurance que les mesures concrètes qui seront mises en place soient le reflet des préoccupations et des attentes de la société, attentes exprimant un certain consensus en autant que la démarche soit fondée sur un réel débat démocratique. Mais c’est surtout parce que dans le concept de souveraineté alimentaire, l’appropriation locale de l’agriculture et de l’alimentation en est le fondement. La brève histoire racontée précédemment nous situe donc dans ce contexte local à l’origine des défis auxquels le peuple québécois fait face. À ces défis locaux s’ajoute en plus les défis posés par l’internationalisation de l’agro-alimentaire. À l’instar du reste du monde, le Québec n’a pas échappé à l’influence de l’ensemble du contexte mondial décrit précédemment : mise sur pied de nouvelles institutions guidées par différents impératifs, mise de l’avant de concepts telle que la sécurité alimentaire et propositions d’alternatives dont la souveraineté alimentaire. Ces changements de la dynamique mondiale (augmentation du marché et exacerbation du modèle productiviste, intensification de l’agriculture) et les répercussions sociales et environnementales qu'ont eu ces changements ont provoqué une volonté citoyenne de s'impliquer davantage dans certaines sphères telles que l'agriculture pour exprimer leurs préoccupations et leurs exigences. Selon les tenants de la souveraineté alimentaire, les politiques doivent non seulement « prendre en compte l’histoire et la culture locale mais aussi tenir compte du contexte écologique et social dans 16 49 recommandations ont été faites sur les thèmes de : la production agricole et l’aide de l’État, la mise en marché des produits agricoles, la transformation et la distribution alimentaires, la formation et le perfectionnement des ressources humaines, la recherche et l’innovation, l’environnement, l’alimentation, la santé et les attentes des consommateurs, la protection du territoire agricole et le développement régional, l’utilisation de l’agriculture à d’autres fins que l’alimentation et la gouvernance (Commission 2008). 24 lequel le système alimentaire est ancré » (Pimbert 2009, 53, traduction libre). Il est donc important de préciser, tout d’abord, que le Québec jouit d’une position géographique et d’un climat social enviables pour la santé de l’agriculture. Non seulement nous ne sommes pas particulièrement vulnérables aux chocs environnementaux17 (sécheresse, pluie surabondante) mais nous avons mis sur pied un système somme toute résilient qui nous permet de nous ajuster rapidement aux diverses situations qui pourraient affecter le secteur agricole.18 Aussi, nous ne faisons aucunement face à de graves problèmes de déplacement de la population (outre une certaine urbanisation), ni à de l’instabilité politique ou à aucune situation qui pourrait réellement mettre en péril notre approvisionnement. La pénurie d’aliments ne constitue donc pas un souci, n’ayant pas de problème majeur ni de production ni d’approvisionnement sur les marchés nationaux et internationaux. Le Québec n’est pas non plus demandeur d’aide alimentaire d’urgence de l’étranger et l’insécurité alimentaire (quoi que nous ayons aussi un certain pourcentage de la population en situation précaire19) ne constitue pas un enjeu qui accapare les politiques gouvernementales. La notion de sécurité alimentaire n’a donc pas une emprise sur l’alignement des politiques agricoles telles qu’elle peut se manifester dans plusieurs pays d’Afrique, par exemple. Au Québec, ce sont entre autres les conditions des producteurs et des travailleurs agricoles (baisse de revenu, endettement sans précédent, difficulté à transférer les fermes à la relève) qui se sont dégradées dans les dernières années. Cette dégradation est due en grande partie aux pressions exercées par l’OMC pour l’ouverture des marchés agricoles, exposant ainsi nos agriculteurs à une concurrence internationale et ayant entraîné des mesures pour augmenter la productivité telles qu’avoir des fermes de plus grande taille 20 , demandant des investissements considérables en terme de modernisation et d’infrastructure. Les contestations et les préoccupations des citoyens sur les questions environnementales et les modes de production polluants (engendrés en grande partie par le discours autour des changements climatiques et de l’altération des ressources naturelles) ont aussi entrainé une pression populaire en faveur d’un resserrement des normes environnementales et des 17 Les évènements extrêmes au Québec sont peu fréquents sinon d’une gravité moindre, bien que les changements climatiques pourraient accélérer la fréquence et la gravité des catastrophes naturelles (Québec. Institut national de santé publique. 2010) 18 « Face aux changements climatiques, l’agriculture québécoise possède des atouts non négligeables, grâce à sa situation en région nordique humide et à ces institutions agricoles bien structurées » (Ouranos). 19 En 2009-2010, au Québec, 4,4 % de la population souffre d’une alimentation modérément précaire et 1,8 % d’une alimentation sévèrement précaire (Québec 2011). 20 « Selon le Recensement de l’agriculture de 2011, le nombre d’exploitations agricoles dont les revenus agricoles bruts en 2010 étaient égaux ou supérieurs à 500 000 $ (aux prix constants de 2010) avait augmenté de 9,2 % durant la période intercensitaire, et celui des exploitations dont les revenus agricoles bruts étaient inférieurs à 500 000 $ avait diminué de 5,9 %. On dénombrait 4 128 de ces grandes exploitations au Québec en 2011 et, même si elles ne représentaient que 14,0 % des exploitations agricoles, elles ont déclaré 65,5 % des revenus agricoles bruts de la province pour 2010 » (Canada 2012). 25 conditions de développement durable entraînant une hausse des coûts de production (Commission 2008, 13). De plus, la faible croissance démographique (Québec ISQ 2013) et le vieillissement de la population (tout comme le vieillissement des exploitants agricoles21) ainsi que l’urbanisation, entraînent une pénurie « de main-d’œuvre qui [est] déjà perceptible de manière particulièrement aiguë dans le secteur agricole et agroalimentaire » (Commission 2008, 18). Ces facteurs poussent les autorités à élaborer des politiques visant à stimuler le développement régional et à faciliter l’accès de la relève au soutien financier nécessaire. Pour terminer, l’augmentation des coûts en énergie avec, entre autres, la hausse des prix du pétrole « milite en faveur du recours à des procédés et à des techniques les moins énergivores possibles » et « fait aussi surgir une préoccupation somme toute récente, même si elle ne fait pas l’unanimité, celle du coût environnemental associé au transport d’aliments pouvant parcourir des milliers de kilomètres avant de parvenir à notre table alors que bon nombre d’entre eux peuvent être produits et vendus à proximité » (Commission 2008, 20). En observant le contexte québécois, on se rend compte que plusieurs facteurs sont favorables à la mise en place d’une politique de souveraineté alimentaire, tels qu’énuméré par Wendy Godek (2013, 5-7), et font ainsi du Québec un terrain fertile pour le développement d’une politique de souveraineté alimentaire. On retrouve notamment une solide représentation en faveur du concept constitué de deux mouvement différents : d’une part, la présence d’une Coalition sur la souveraineté alimentaire incluant entre autres l’Union des producteurs agricoles et, d’autre part, plusieurs autres regroupements influents tels que l’Union paysanne, dont les vues sont largement partagées par le Syndicat national des cultivateurs (National Farmers Union) et le Réseau pour une alimentation durable (Food Secure Canada), pour n’en nommer que quelques-uns. Tous ces groupes déploient des efforts considérables pour mettre la souveraineté alimentaire en avant-plan par des rencontres de tout acabit (forums et colloques)22 ainsi que des déclarations telles que la Déclaration de Montréal et 21 « En 2011, l’âge moyen des exploitants agricoles québécois était le plus faible au Canada, soit de 51,4 ans comparativement à 49,3 ans en 2006 ». (Canada 2012) 22 Par exemple : Rendez-vous québécois pour la souveraineté alimentaire, organisé par la coalition GO5, tenu les 6-7 septembre 2007; De la sécurité à la souveraineté alimentaire, organisé par l’Union paysanne et la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement de l’UQAM, tenu les 23-24 mars 2007; la Consultation sur la justice alimentaire, organisé par Food Secure Canada, tenu le 22 mars 2013. 26 les prises de positions publiées dans les journaux (Arsenault 2008) qui favorisent les débats et les discussions entre les divers acteurs de la société23. Ceci dit, les opinions et les visions de ces groupes divergent et les pressions exercées sur le gouvernement ne portent pas le même message. Les convergences et les divergences d’opinions seront synthétisées dans le Tableau II en page 51-52 dans lequel nous pourrons constater la provenance des idées retenues par le Gouvernement dans sa politique. Le secteur de l’agriculture québécoise profite aussi d’un soutien enviable des autorités locales et nationales d’un point de vue financier et politique (encore faut-il distinguer ici que plusieurs, dont l’Union paysanne, dénoncent l’accès actuel aux mesures d’aide en faveur d’une certaine catégorie d’entreprise). Les autorités gouvernementales font aussi preuve de volonté politique pour établir une démarche démocratique lorsque vient le temps de réajuster les priorités et d’élaborer de nouvelles politiques agricoles en faisant preuve d’écoute envers l’ensemble des acteurs de la société, dont ceux favorables à la mise en place de la souveraineté alimentaire. On peut citer notamment le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) et la Commission Pronovost, qui démontrent d’une véritable volonté d’établir une démarche démocratique et qui s’inscrit bien dans la notion de souveraineté alimentaire. Ce faisant, l’opinion publique joue un rôle primordial et « l’acceptabilité sociale [devient] une condition incontournable de réalisation des projets industriels, commerciaux ou agroalimentaires les plus sensibles » (Commission 2008, 22). Au-delà des regroupements officiels favorables à la SA, c’est l’opinion publique en entier qui doit exprimer clairement son accord. La présence d’un environnement démocratique et d’une forte présence de regroupements favorables au concept facilitent ainsi grandement la mise en place de la souveraineté alimentaire. Certaines difficultés se posent tout de même dans notre contexte national. Le Gouvernement du Québec doit composer avec les intérêts qui s’expriment dans l’ensemble du Canada puisque les compétences sont partagées entre les deux paliers de gouvernement – fédéral, provincial – pour les domaines de l’agriculture et de la pêche. Deux récentes actions du Gouvernement fédéral pourraient ainsi changer le paysage agricole si elles sont adoptées. D’une part, le projet de loi C-18 déposé en décembre 2013 propose des changements considérables qui conféreraient aux multinationales de 23 Voir annexe A pour un survol des évènements organisés principalement par l’UPA et la Coalition pour la souveraineté alimentaire en collaboration avec certains autres regroupements et représentants des autorités publiques. 27 l'agroalimentaire, selon l’analyse de l’Union nationale des fermiers, « davantage de profits, de pouvoir et de contrôle sur nos systèmes alimentaires et agricoles, au détriment de l'autonomie des agriculteurs et de la souveraineté du pays » (Union nationale des fermiers 2014). D’autre part, l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada limiterait, toujours selon l’Union nationale des fermiers, « le pouvoir des élus d’élaborer des lois qui restreindraient les multinationales et garantirait à ces entreprises des avantages économiques et légaux par rapport aux citoyens et aux entreprises indépendantes » (Union nationale des fermiers, Canada-EU, traduction libre). Pour comprendre ce qui a, au niveau national, grandement favorisé et modelé la Politique de souveraineté alimentaire, il faut revenir en 2006. Le Gouvernement du Québec constituait alors la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois pour répondre aux nouveaux enjeux internationaux et nationaux déjà décrits précédemment ainsi qu’aux préoccupations des citoyens. Les négociations quant au libre-échange, l’interdépendance accentuée des maillons de la filière agroalimentaire, la compétitivité, les attentes sociétales, les questions reliées à la santé, à l’environnement et au développement régional constituent quelques exemples de la panoplie de bouleversements auxquels sont confrontés les acteurs de la filière agroalimentaire québécoise (Colombani-Lachapelle et al, 2). Sans oublier qu’une bonne majorité des politiques et lois en agriculture dataient des années 1960-1970 et que le contexte socio-économique où évolue le secteur agroalimentaire québécois est loin d’être ce qu’il était il y a 40 ans. Aussi, il apparaissait nécessaire au Gouvernement Québécois de ré-ouvrir les débats via une commission publique. L’intérêt commun de la population québécoise face à l’agriculture, exprimé lors de la Commission Pronovost durant laquelle 770 mémoires et témoignages ont été recueillis, se distingue nécessairement des intérêts d’autres populations de par les enjeux et les priorités internes. Les québécois se sont dit préoccupés par : La baisse des revenus agricoles [;] l’endettement sans précédent des agriculteurs [;] la hausse des coûts de certains programmes d’aide financière à la production agricole [;] la difficulté de transférer les fermes à la relève [;] le resserrement des normes environnementales et phytosanitaires [;] la prise en compte des impératifs du développement durable et l’expression de nouvelles exigences sociétales [;] la perte de confiance d’une certaine proportion de citoyens et de consommateurs à l’égard de la production agricole et de tout le secteur agroalimentaire [;] les pressions exercées, notamment à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en faveur d’une plus grande ouverture des marchés agricoles [;] les faibles perspectives de croissance et de développement au Québec du secteur de la transformation alimentaire [;] les modes 28 d’organisation et le très haut niveau de concentration qui caractérisent la distribution alimentaire (Commission 2008). Ainsi les enjeux internes influençant les politiques en agriculture qui ont été exprimés (Commission 2008) portent sur: le souci d'avoir une agriculture « à dimension humaine », une agriculture produite par les gens d'ici, soucieuse de la spécificité des produits locaux, d'une production diversifiée et de la qualité. Une reconnaissance que l’agriculture n’assure pas uniquement une fonction nourricière mais contribue à un héritage culturel particulier et à la formation du tissu social rural. Une agriculture destinée avant tout à nourrir les gens d'ici sans exclure de saisir les opportunités d'exporter nos produits. S'ajoute à cela une pression populaire pour s'assurer que ces diverses préoccupations soient adressées par le gouvernement et que celui-ci protège les ressources, autant humaines qu'environnementales, pour que le secteur agricole et alimentaire soit en mesure de répondre aux attentes de la population (Commission 2008). Ceci pousse vers la mise en place de mesures pour protéger les agriculteurs actuels et assurer une relève agricole, une meilleure protection du territoire agricole, spécialement les territoires en zones périurbaines qui sont les plus touchés par l’étalement urbain. Les acteurs du secteur (autant producteurs, transformateurs que distributeurs) sont préoccupés par la concurrence étrangère et estiment que le gouvernement a la responsabilité de leur assurer une place de choix sur le marché intérieur (que ce soit avec un plus grand accès aux tablettes des supermarchés et aux institutions) (Commission 2008, 28). Plusieurs participants à la Commission ont aussi demandé un soutien aux nouvelles initiatives et méthodes non conventionnelles de production et de distribution (initiatives de type agro-écologique, jardins sur les toits, ruches en ville, marchés publics, agriculture soutenue par la communauté, etc.) (Commission 2008, 26-28). Les attentes en termes de santé poussent vers une meilleure information (traçabilité, identification de la provenance, un étiquetage des produits concernant la valeur nutritive, les OGM, etc.), le tout traduisant une préoccupation pour des standards environnementaux et sanitaires très élevés. Le souci environnemental et de santé publique pousse les consommateurs de plus en plus vers des produits biologiques, du terroir et à accorder davantage de crédibilité aux appellations réservées (Commission 2008, 23). Selon le Rapport Pronovost, les produits biologiques ont vu augmenter leur part de 15% annuellement entre 2001 et le dépôt du rapport. Ces nouvelles préoccupations ouvrent la voie aux notions de développement durable, d’agriculture plus respectueuse de l’environnement, à la contestation face à l’utilisation des produits chimiques, pesticides et autres, et à un souci de développement d’alternatives. 29 Les enjeux propres au Québec, déterminés par l’ensemble des facteurs externes et internes, et l’opinion publique font du Québec un terrain propice à la mise en place de la souveraineté alimentaire. Mais de quelle souveraineté alimentaire s’agit-il exactement? Les différences d’interprétation et d’adaptation peuvent être nombreuses. C’est pourquoi, après avoir résumé le contenu de la Politique de souveraineté alimentaire du gouvernement du Québec déposée en mai 2013 suivront deux tableaux soulignant respectivement : 1) la concordance entre la PSA et les six piliers de Nyéléni et 2) les vues des deux principaux « clans » au Québec (d’un côté la Coalition sur la souveraineté alimentaire dont l’UPA fait partie et de l’autre l’Union paysanne dont les vues sont largement partagées par NFU et Food Secure Canada, entre autres) et les choix faits par le Gouvernement du Québec dans sa politique. Le contenu de la Politique de souveraineté alimentaire Dans son rapport rendu public à l’hiver 2008, la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois (CAAAQ) (…) avait invité notamment le gouvernement à revoir son intervention afin d’appuyer le secteur de façon plus efficace. La Commission avait alors évoqué l’intérêt de doter le Québec d’une politique agricole et agroalimentaire renouvelée (Québec, MAPAQ, 2013, 7). Le gouvernement de M. Charest, qui avait mis sur pied la Commission Pronovost, a toutefois préféré tabletter le rapport et commander d’autres études : rapport Saint-Pierre (février 2009), rapport Ouimet (avril 2009) puis finalement, il aura relancé une étude en commission parlementaire qui aboutira au Livre vert24 pour une politique bioalimentaire, qui reprenait un peu le travail qu’avait fait la Commission (Belair-Cirino 2013 (15 juin)). Depuis la publication du livre vert pour une politique bioalimentaire au printemps 2011 et durant les travaux en commission parlementaire qui ont suivi, plusieurs intervenants du milieu ont fait valoir l’importance de se doter rapidement d’une politique moderne pour appuyer le secteur et mieux répondre aux aspirations de la société québécoise. Plusieurs ont aussi signalé que le temps n’est plus à la consultation et qu’il faut dès maintenant passer à l’action. Cette première politique québécoise de souveraineté alimentaire est l’aboutissement d’une réflexion qui a mobilisé l’ensemble des partenaires du secteur. Elle marque les débuts d’une nouvelle ère en posant les assises qui guideront les interventions du gouvernement du Québec auprès du secteur bioalimentaire pour les prochaines années (Québec MAPAQ 2013, 7). 24 Le Livre vert pour une politique bioalimentaire : donner le goût du Québec est un document de consultation qui expose le projet de politique bioalimentaire québécoise. Il définit la vision, les orientations et les objectifs qui étaient destinés à guider les interventions gouvernementales au cours des années suivantes. Le Livre vert fait suite à des groupes de discussion qui ont eu lieu durant l’année 2009 auxquels de nombreux acteurs du secteur agricole et agroalimentaire ont été conviés. 30 Dans la Politique de souveraineté alimentaire (ci-après « PSA »), le gouvernement du Québec décrit ainsi les objectifs poursuivis (Québec, MAPAQ, 2013, 20) : assurer à l’ensemble des Québécois un approvisionnement en aliments de qualité, à juste prix et bons pour leur santé; accroître la proportion de l’alimentation des Québécois satisfaite grâce aux aliments du Québec; développer un secteur bioalimentaire prospère, rémunérateur, générateur d’emplois, respectueux de l’environnement et contribuant à l’occupation dynamique du territoire québécois. Pour atteindre ces objectifs, la PSA a été organisée autour de quatre axes : Axe 1 - l’identité des aliments du Québec : « en mettant en valeur l’offre et les spécificités des produits québécois, en le faisant intensément sur le marché québécois et en le faisant sur les marchés extérieurs qui peuvent engendrer davantage de prospérité pour la société québécoise » (Québec, MAPAQ, 2013, 23-27). En somme, il s’agit d’abord de promouvoir les aliments du Québec avec les labels « Aliments du Québec » et « Aliments préparés au Québec » en misant sur les caractéristiques propres de ces produits (qualité, sécurité, salubrité) pour que les consommateurs accordent une plus grande place aux produits d’ici. L’objectif principal étant d’augmenter substantiellement (de 35% à 50%) les parts de marché des produits agroalimentaires québécois sur le marché intérieur, ceci contribuant au développement économique du secteur, à la création d’emploi, etc. Le gouvernement entend aussi favoriser une plus grande proximité entre le producteur et le consommateur en promouvant l’émergence de nouveaux modes de mise en marché en circuits courts (marchés publics, achats directs à la ferme, circuits agrotouristiques) et ce, en « minimisant les contraintes en matières de volume, de prix et de logistique […] » (Québec, MAPAQ, 2013, 24). De plus, la Politique spécifie l’importance de mieux renseigner le consommateur et ce, par la reconnaissance de nouvelles caractéristiques sur les modes de production (ex.: biologique), la certification environnementale, le bien-être animal, la traçabilité d’un aliment ou le commerce équitable. Le document n’indique toutefois pas les mesures concrètes qui seront adoptées en ce sens, à l’exception de la promotion des labels déjà reconnus. Sous cet axe, le gouvernement entend aussi faire une plus grande place aux produits d’ici en s’efforçant « d’améliorer la capacité des entreprises du secteur bioalimentaire à pénétrer les réseaux institutionnels financés par le gouvernement »25 (Québec, MAPAQ, 2013, 27) (mais encore une fois, les mesures concrètes en ce sens sont peu élaborées). Il entend de même « accorder une attention particulière aux activités 25 Cette mesure a été suivie d’une stratégie pour faire en sorte d'aider les entreprises québécoises à s'implanter auprès du marché institutionnel. (La Presse 2013 (18 décembre)) 31 d’accompagnement et de prospection sur les marchés externes qui sauront mettre en évidence l’identité et le savoir-faire du Québec », l’objectif étant principalement de viser une balance commerciale positive. Axe 2 – l’occupation dynamique du territoire : « en assurant l’intégrité et une utilisation optimale du patrimoine foncier agricole ainsi qu’en stimulant le dynamisme et la diversification du secteur bioalimentaire en région » (Québec, MAPAQ, 2013, 28-32), par une série de moyens législatifs et économiques. La PSA veut garantir l’intégrité du territoire agricole pour les générations futures en modifiant la Loi sur la protection des terres agricoles et la Loi sur l’acquisition de terres agricoles par des non-résidents ainsi qu’en assurant une plus grande transparence à l’égard des transactions dont sont l’objet les terres agricoles. La PSA veut aussi favoriser l’utilisation optimale et durable du territoire et des ressources. Pour ce faire, il met à contribution les acteurs locaux pour la réalisation de Plans de développement de la zone agricole (PDZA) qui sont, tels que décrits par le gouvernement, des documents de planification qui visent à mettre en valeur la zone agricole d’une municipalité régionale de comté (MRC) en favorisant le développement durable des activités agricoles. Il repose sur un état de situation et sur la détermination des possibilités de développement des activités agricoles. Il est réalisé par une MRC, en concertation avec les acteurs du milieu (Québec, MAPAQ, 2014). Les PDZA devraient : « mettre en valeur les entreprises agricoles et leurs produits; viser l’accroissement ou la diversification des productions, des produits, des modèles d’entreprise ou des modes de mise en marché; favoriser la reconnaissance de la multifonctionnalité de l’agriculture; encourager le développement d’activités complémentaires telles que l’agrotourisme ou la transformation à la ferme » (Québec, MAPAQ, 2014). Les comités chargés du développement des PDZA sont généralement composés de représentants régionaux et nationaux (maires, élus de la région, agents de différents ministères), de producteurs agricoles de la région (incluant les entreprises de transformation et d’agrotourisme) et de membres de centres locaux de développement. Axe 3 – la valorisation du potentiel économique du secteur : « en permettant à tous les maillons de la filière de bénéficier de conditions favorables à l’essor et à la mise en valeur d’un secteur bioalimentaire dynamique » (Québec, MAPAQ, 2013, 33-37). Cette section de la PSA est relativement peu concrète et ne spécifie aucun outil particulier à mettre en place ou à promouvoir. L’axe établit simplement les grandes lignes à prendre en compte lorsque les outils/mesures/règlements ou autres 32 seront éventuellement élaborés. La PSA mise avant tout sur l’adoption par les entreprises d’excellentes capacités de gestion et de pratiques et technologies d’avant-garde et ce, dans l’objectif d’accroître leur productivité et leur compétitivité. Pour y arriver, la PSA cible entre autres la formation permettant d’améliorer les compétences de la main-d’œuvre et l’appui aux projets de développement et d’investissements générateurs d’activités économiques. Elle entend donner davantage de souplesse aux programmes déjà existants, faire en sorte d’intéresser les jeunes à faire carrière dans ce domaine tout en leur donnant une aide pour démarrer leur entreprise ou permettre le transfert d’une entreprise. Enfin, la PSA propose de prendre davantage en compte le secteur de la transformation alimentaire dans l’aide financière, de favoriser le développement de nouvelles technologies et enfin de réitérer son appui à la gestion de l’offre. Axe 4 – le développement durable : « en incitant l’ensemble du secteur à adopter des modes de production, de transformation et d’approvisionnement durables au bénéfice des générations actuelles et futures » (Québec, MAPAQ, 2013, 39-43. Cette mise en valeur de la zone agricole sera rendue possible par 1) la promotion de certaines pratiques telles que l’aménagement de haies brisevent et de bandes riveraines élargies, la préservation de milieux humides, la protection de réserves d’eau municipale, la valorisation de paysages ou encore de berges ainsi que par 2) le développement d’un affichage « vert », telle l’empreinte carbone et 3) le recours à l’éco-conditionnalité qui rend nécessaire pour les entreprises de se conformer à certaines conditions environnementales pour accéder à l’aide gouvernementale et enfin 4) la poursuite des actions déjà entreprises telles que la Stratégie phytosanitaire26, la Stratégie de développement durable de l’aquaculture en eau douce au Québec27. À noter que ce sont essentiellement (à l’exception de l’affichage vert) des mesures qui étaient déjà en place avant le dépôt de la PSA. Pour terminer, la PSA crée la Table de concertation des partenaires du bioalimentaire québécois qui aura pour mandat « d'apporter un éclairage au ministre et au gouvernement sur la mise en œuvre de la nouvelle politique ainsi que sur différentes questions d'intérêt concernant le développement du secteur bioalimentaire » (Conférence régionale des élus de Gaspésie - Îles-de-la-Madeleine, 2013). Il s’agit d’un outil de gouvernance composé de 22 personnes nommées par le ministre, qui préside luimême aux travaux et réunissant « les hauts dirigeants des organisations jugées les plus 26 Vise à rationaliser, réduire et remplacer l'emploi des pesticides en agriculture, afin de diminuer les risques que présentent ces produits pour la santé et l'environnement. 27 Vise une diminution globale de 40 % de la quantité de phosphore rejetée par les entreprises piscicoles. 33 représentatives des différents maillons du secteur bioalimentaire et les partenaires intéressés de la société québécoise » (Québec, Portail Québec, 2013a). On constatera l’absence de l’Union paysanne (Union paysanne, s.d.-a), des organisations syndicales représentant les travailleurs de l'industrie de la transformation et de la distribution alimentaire (Confédération des syndicats nationaux, 2013) et l’absence de la Communauté urbaine de Montréal, un partenaire primordial pour les questions d’étalement urbain et d’agriculture urbaine et périurbaine (Communauté métropolitaine de Montréal, 2013). La conformité entre la PSA et les piliers de Nyéléni La Déclaration de Nyéléni, qui a donné lieu à l’élaboration des six piliers comme base de la souveraineté alimentaire, est un document essentiel pour les gouvernements et les mouvements paysans qui désirent mettre en place des politiques ou des programmes visant la souveraineté alimentaire. Et malgré le fait que les « les contextes du Nord et du Sud [soient] effectivement différents, la souveraineté alimentaire est fondée sur le même principe partout dans le monde, soit la capacité de maintenir une agriculture familiale basée sur les interventions souveraines de nos gouvernements » (Réseau d’études des dynamiques transnationales et de l’action collective, 2009, 24-25), et ce dans un esprit de développement durable. La réalisation de la souveraineté alimentaire ne peut être possible qu’en intégrant l’ensemble des éléments composant les six piliers de Nyéléni (même si certains paraissent moins pertinents pour les pays du Nord); tous sont indissociables les uns des autres (Beauregard, 2009, 12). Le fait d’adopter une approche holistique garantit la mise en place d’une réelle souveraineté alimentaire et non d’une action qui aurait davantage l’allure d’une politique d’autosuffisance. Ceci dit, cela n’exclut pas l’adaptation locale du concept. Il nous apparait d’ailleurs nécessaire de ne pas s’attarder sur certains éléments particuliers des piliers qui ne sont pas pertinents au Québec (par exemple la protection des producteurs nationaux face au dumping relatif à l’aide alimentaire, le Québec n’étant tout simplement pas tributaire d’aide alimentaire de l’extérieur) tout en s’assurant de ne pas retirer l’essence même des piliers. 34 Tableau I : Tableau comparatif entre les piliers de Nyéléni et la Politique de souveraineté alimentaire du Gouvernement du Québec Six piliers de Nyéléni (voir Annexe 1) Politique de SA du Québec Les piliers de Nyéléli dans d’autres États 1. La priorité donnée à l’alimentation des populations. o o o En priorité : caractère stratégique de l’agriculture et de l’alimentation pour l’économie du Québec. « […] attention particulière aux activités d’accompagnement et de prospection sur les marchés externes » (Québec, MAPAQ, 2013, 27). En second plan : assurer aux Québécois, surtout les plus démunis, un approvisionnement en aliments de qualité, à juste prix et bons pour leur santé. Plan de développement de la zone agricole (PDZA) Table de concertation des partenaires du bioalimentaire québécois. Protection plus élaborée des terres agricoles (changements de la Loi sur l’achat par des étrangers) Problématique du monopole syndical o o o o PDZA Promotion des circuits courts. Aucune position sur les OGM. Problématique du monopole syndical o o 2. La valorisation des producteurs d’aliments. o o o 3. L’établissement de systèmes locaux de production. o o o L’une des adaptations nationales les plus pertinentes du 28 premier pilier a été faite au Venezuela . L’agriculture sert en tout premier lieu à assurer la sécurité alimentaire de la population nationale. Équateur : mesures protectionnistes envers les producteurs nationaux pour prévenir la dépendance aux importations. Mesures de prévention contre les monopoles et la 29 spéculation sur les produits alimentaires. Mali : promotion des femmes et des hommes qui vivent du 30 secteur agricole. 31 Insertion du troisième pilier en Équateur : Renforcer le développement d’organisation set de réseaux de producteurs et consommateurs. Protéger la population contre les aliments nocifs pour la santé ou dont les effets sont encore scientifiquement incertain. Priorité accordé aux réseaux associatifs de petits producteurs. 28 The State shall promote sustainable agriculture as the strategic basis for overall rural development, and consequently shall guarantee the population a secure food supply, defined as the sufficient and stable availability of food within the national sphere and timely and uninterrupted access to the same for consumers. A secure food supply must be achieved by developing and prioritizing internal agricultural and livestock production understood as production deriving from the activities of agriculture, livestock, fishing and aquiculture (Asamblea Nacional Constituyente, 1999, article 305). 29 Adopting fiscal, tax and tariff policies that protect the national agro-food and fishing sector to prevent dependence on food imports. Preventing monopoly practices and any type of speculation with food products (Asamblea Constituyente 2008, 281(2)). 30 La politique de développement agricole assure la promotion des femmes et des hommes qui vivent du secteur agricole dans le respect de l’équité entre milieux rural et urbain (Mali 2006, article 7). 31 Strengthening the development of organizations and networks of producers and consumers, along with those for the marketing and distribution of food stuffs, so as to promote equity between rural and urban spaces. Preventing and protecting the population from consuming polluted food stuffs, or those that jeopardize their health or whose effects are still scientifically uncertain. Acquiring food and raw materials for social and food programs, giving priority to associative networks of small producers. (Asamblea Constituyente 2008, article 281(10-13-14)) 35 4. Le renforcement du contrôle local. o o 5. La construction des savoirs et savoir-faire. o o o 6. Le travail avec la nature. o o o o Protection de l’eau et du territoire agricole déjà en place : Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection ainsi que Loi sur la protection des terres agricoles Renforcement de la Loi sur l’achat des terres par des étrangers dans la PSA. Système d’éducation déjà en place. Ajout : promotion de la formation de la main-d’œuvre via une aide financière supplémentaire en fonction du niveau d’études. Ne rejette pas les OGM et position flou sur les nouvelles technologies à envisager. Souci de bonne gestion environnementale : rappel de la Loi sur le développement durable, importance grandissante de l’agriculture biologique, développement d’un affichage « vert », volonté de se conformer aux tendances de la population en faveur d’aliments plus santé et produit selon des méthodes plus durables. Éco-conditionnalité Poursuite des actions déjà entreprises : Stratégie phytosanitaire, Stratégie de développement durable de l’aquaculture en eau douce. L’essentiel en environnement est déjà en place selon le gouvernement (Nature Québec, 2013 (16 mai)). o Équateur : promeut l’utilisation, la conservation et l’échange gratuit de semences ainsi qu’interdit le monopole 32 ou la privatisation de l’eau. 33 o Équateur : Développement de la recherche scientifique et de l’innovation axée sur la souveraineté alimentaire. Effort de diversification et appui à la culture biologique. o Équateur : Les droits de la nature sont ancrés dans la constitution. L’introduction d’organismes susceptibles d’altérer le patrimoine génétique est interdite. Promotion de la biodiversité de l’agriculture. 34 32 The State shall make laws for the use and access to land that must fulfill social and environmental functions. A national land fund, established by law, shall regulate the equitable access of campesinos to land. Large estate farming and land concentration is forbidden, as is the monopolizing or privatizing of water and sources thereof (Asamblea Constituyente 2008, article 282). Promoting the conservation and recovery of agricultural biodiversity and related ancestral wisdom, along with the use, conservation and free exchange of seeds (Asamblea Constituyente 2008, article 281(4)). 33 Ensuring the development of appropriate scientific research and technological innovation to guarantee food sovereignty; Regulating, under biosecurity regulations, the use and development of biotechnology, as well as its experimentation, use and marketing (Asamblea Constituyente 2008, article 281(8)). Bolstering diversification and the introduction of ecological and organic technologies in farm and livestock production (Asamblea Constituyente 2008, article 281(3)). 34 The introduction of organisms and organic and inorganic material that might definitively alter the nation’s genetic assets is forbidden (Asamblea Constituyente 2008, article 73). 36 (Pilier 1) Pour le ministre de l’agriculture, le ministère qu’il dirige est d’abord à caractère économique (Radio-Canada, 2013b). Ce qui ressort principalement de la PSA, c’est le caractère stratégique pour l’économie du Québec que revêt l’alimentation. La contribution du secteur bioalimentaire est significative par 1) sa contribution économique, 2) sa contribution au développement régional par les emplois qu’elle génère, 3) son rôle dans la protection et la mise en valeur des ressources (Québec, MAPAQ, 2013, 8-10). La présente politique accorde donc « une attention particulière aux activités d’accompagnement et de prospection sur les marchés externes qui sauront mettre en évidence l’identité et le savoir-faire du Québec » (Québec, MAPAQ, 2013, 27). Conformément au premier pilier de Nyéléni, l’un des objectifs de la PSA consiste à assurer à l’ensemble des Québécois, notamment les gens et les familles à faible revenu, un approvisionnement en aliments de qualité, à juste prix et bons pour leur santé. Il n’est toutefois pas spécifié que l’approvisionnement doit être local. L’importation de produits, que ce soit aux fins de transformation locale, peut aussi être un moyen. À la lecture de la PSA, il est clair que la priorité n’est pas donnée à l’alimentation de la population mais plutôt au développement économique de l’industrie. (Pilier 2) Tout comme l’Équateur, le Québec s’est doté d’un ensemble de mesures pour protéger l’agriculture provinciale, mesures qui se sont toutefois effritées avec les règles de l’OMC. Certaines propositions, tel que d’accorder des tarifs réduits d’électricité pour les productions en serre, tendent à donner avantage aux producteurs nationaux. Toutefois, le gouvernement ne semble pas enclin à défier ou contourner les règles internationales pour mettre en place un système plus protecteur et prévenir la dépendance aux importations. L’alternative consiste à promouvoir, par la conscientisation, l’achat local. Mais pour s’assurer de valoriser et de soutenir l’ensemble des producteurs, il est essentiel d’avoir une diversité de représentation, une diversité de porte-paroles qui valorisent chacun à leur façon des secteurs et façons de faire différents. La principale problématique est soulevée par le monopole syndical de l’UPA. En contrepartie, la mise en place des Plan de développement de la zone agricole vient assurer une représentation plus diversifiée et adaptée à chaque région et aux particularités de celles-ci (incluant les particularités des producteurs locaux qui peuvent varier considérablement d’une MRC à l’autre). Les PDZA permettraient, selon le Gouvernement, « de mettre en valeur les entreprises agricoles et leurs produits, d'accroître ou de diversifier les activités, de favoriser la multifonctionnalité de l'agriculture et d'accentuer le développement d'activités complémentaires de l'agriculture, comme l'agrotourisme ou la transformation alimentaire à la ferme » (Québec, Portail Québec, 2013b). Cette pratique s’avère par 37 contre diminuée par la mise en place de la Table de concertation dont la représentativité soulève les mêmes problématiques que celle du monopole de l’UPA. En effet, l’absence de représentants de certaines organisations tel que mentionné précédemment porte atteinte à l’objectif de valorisation de l’ensemble des producteurs d’aliments, plus particulièrement ceux évoluant dans des secteurs plus marginaux. Par ailleurs, on comprend mal le choix de ne pas inclure la Communauté urbaine de Montréal à cette table, considérant, comme il était mentionné dans le Rapport Pronovost (Commission 2008, 200), que les terres agricoles qui subissent le plus de pression sont celles en zone périurbaine. Pour terminer, l’ajout d’une protection additionnelle des terres agricoles ne peut que renforcer la protection des moyens de subsistance des producteurs, à condition que l’accès aux ressources soit équivalent pour tous. Mais la question de l’accès à ces terres à la relève demeure : est-ce que le resserrement de la Loi sur l’achat de terres par des étrangers contribuera réellement à protéger l’accès à la relève compte tenu que l’un des principaux problèmes relève du manque de moyens financiers de cette relève et non pas du manque de terres disponibles? (Piliers 3) Les deuxième et troisième piliers sont largement complémentaires et s’entrecoupent à divers endroits. En outre, les PDZA sont non seulement conçues pour répondre à des besoins proprement locaux en valorisant les producteurs mais sont par ailleurs conçues pour rapprocher les preneurs de décisions avec les principaux acteurs concernés par ces décisions. C’est aussi le cas en promouvant les circuits courts, tel qu’entend le faire la PSA. Toutefois, même si le gouvernement entend assurer une alimentation saine et nutritive (en s’appuyant sur les normes de qualité du Québec), en aucun moment il n’exclut le recours aux OGM. Il ne s’oppose pas non plus ouvertement aux pratiques du système international qui promeut une agriculture non durable. Conformément au troisième pilier, nous serions en droit d’attendre davantage d’attention à la diversité des associations (en mettant fin au monopole de l’UPA), plus particulièrement les associations locales et/ou régionales qui tendent à être plus représentatives des spécificités des régions et des productions marginales. (Pilier 4) Au Québec, la gestion publique des ressources, particulièrement l’eau et la terre, est déjà largement élaborée. La Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau de 2009 protège déjà l’eau de l’appropriation privée et a déjà établi des mesures de protection pour assurer 38 l’accessibilité aux générations actuelles et futures.35 De même, le régime de protection des terres agricoles est déjà très étendu et le renforcement des règles d’acquisition pour les étrangers qu’entend mettre en place le gouvernement ne fera que renforcer un système déjà bien établi. Les semences sont quant à elles écartées du débat puisque le gouvernement ne s’est pas positionné sur les OGM, un des facteurs de réduction de la biodiversité. Peu ou pas d’efforts n’ont été consacrés à mettre en œuvre les directions du quatrième pilier, considérant que nombre de mesures étaient déjà en place lors du dépôt de la PSA. (Pilier 5) Sur la question des technologies à envisager, la PSA reste floue. Une position qui se garde bien d’alimenter la controverse et de placer le gouvernement dans une position où il aurait à faire face soit au pouvoir des multinationales telles que Monsanto, soit à la pression populaire qui tend vers un rejet des technologies controversées. On sait que le gouvernement n’exclut pas le recours aux OGM sans toutefois en faire la promotion, mais jusqu’où est-il prêt à investir dans la recherche d’outils qui pourraient mettre à mal ou protéger les savoirs locaux? À cela, aucune réponse. Toutefois, à travers la bonification de l’aide financière aux jeunes diplômés, il est clair que la politique se veut un outil de modernisation de l’agriculture face à ce qu’il considère comme une activité de plus en plus complexe requérant une génération d’agriculteurs de plus en plus formés. (Pilier 6) La PSA affiche clairement un souci (théorique) de bonne gestion environnementale. On y rappelle l’importance de la Loi sur le développement durable. On y parle également de l’importance grandissante de l’agriculture biologique, du développement d’un affichage « vert », telle l’empreinte carbone et diverses autres mesures (p. 39-40). On constate par ailleurs une volonté évidente de suivre la tendance de la population en faveur d’aliments plus santé et produits selon des méthodes plus durables. Mais au-delà du souci environnemental, la politique semble davantage répondre aux signaux qu’envoient les consommateurs québécois. Les affichages, que ce soit sur la provenance ou la qualité du produit, relèvent de mesures promotionnelles en laissant le soin aux consommateurs de prendre en charge le défi environnemental de la souveraineté alimentaire. La machine gouvernementale évacue ainsi son rôle de régulateur. 35 « CONSIDÉRANT que l’eau est indispensable à la vie et qu’elle est une ressource vulnérable et épuisable ; CONSIDÉRANT que l’eau est une ressource faisant partie du patrimoine commun de la nation québécoise et qu’il importe de la préserver et d’en améliorer la gestion pour répondre aux besoins des générations actuelles et futures ; CONSIDÉRANT que l’usage de l’eau est commun à tous et que chacun doit pouvoir accéder à une eau dont la qualité et la quantité permettent de satisfaire ses besoins essentiels ; CONSIDÉRANT que l’État, en tant que gardien des intérêts de la nation dans la ressource eau, se doit d’être investi des pouvoirs nécessaires pour en assurer la protection et la gestion. » (LQ 2009, Préambule) 39 L’une des seules mesures se qualifiant dans le sixième pilier est l’éco-conditionnalité qui rend nécessaire pour les entreprises de se conformer à certaines conditions environnementales pour accéder à l’aide gouvernementale. On ne peut qu’en saluer l’objectif mais, encore une fois, cette mesure était déjà en place au moment du dépôt de la PSA. Un des postulats exprimés dans la nouvelle Politique, c’est que l’essentiel en environnement a été fait et qu’il suffit maintenant de simplement poursuivre ce qui est déjà en place (Nature Québec, 2013), ce que déplore Nature Québec en rappelant que la situation de l’environnement en milieu agricole est loin d’être réglée. Le renforcement de la compétitivité des produits québécois sur les marchés internationaux est un objectif qui tend généralement à favoriser la production industrielle et les pratiques d’élevage intensif tel que l’industrie du porc au Québec. Dans les faits, l’association agriculture-stratégie économique, contrairement à agriculture-développement social, ne cadre aucunement avec les objectifs des piliers, particulièrement avec le sixième pilier. La PSA tente ainsi de « faire cohabiter un développement durable avec un développement qui ne l’est pas » (Nature Québec 2013). Pour terminer notre analyse de la PSA, nous examinerons le contenu de la PSA face aux différentes visions prônées au niveau local par les deux principaux groupes en faveur de la souveraineté alimentaire, soit l’Union paysanne et la Coalition pour la souveraineté alimentaire. Groupes divergents et politique gouvernementale L’ampleur des thèmes abordés par le concept de souveraineté alimentaire et l’ensemble des visions et instruments en lien avec l’agriculture ne permettent pas, dans le cadre d’un travail de cette ampleur, de faire un tour complet. Aussi, les choix effectués pour le tableau qui suit répondent à la logique suivante : seuls les sujets/thèmes ayant fait l’objet de positions explicites de la part des deux principaux groupes ont été inclus. La première partie du tableau se penche sur les sujets qui ont fait consensus, la partie suivante, les sujets sur lesquels les deux groupes divergent. Il est toutefois possible que le gouvernement soit resté silencieux sur certains éléments dans sa politique, silence généralement révélateur de ses intentions ou de sa capacité à réellement contrôler l’agriculture. Sur les groupes retenus pour le tableau qui suit, quelques précisions sur leur position respective s’imposent. L’Union paysanne, créée en 2001, est membre de La Via Campesina et est responsable 40 de l’introduction du concept de souveraineté alimentaire au Québec. Elle a pour but de « regrouper en une force collective organisée et représentative tous ceux qui sont en faveur d’une agriculture et d’une alimentation paysannes pour faire contrepoids au monopole de représentation syndicale et au puissant lobby de l’industrie agro-alimentaire et des promoteurs du libre-échange en faveur d’un modèle industriel d’agriculture » (Union paysanne, s.d.-b). Pour l’Union paysanne, la SA préconise, telle que défini par La Via Campesina, « une agriculture de proximité destinée en priorité à alimenter les marchés régionaux et nationaux. Elle est respectueuse de l’autonomie des agriculteurs partout dans le monde et du droit des citoyens de tous les pays à une alimentation saine et suffisante. Elle va ainsi de pair avec l’agriculture écologique et paysanne, tout en s’opposant à l’utilisation des plantes transgéniques en agriculture, au brevetage du vivant et à la mainmise locale et mondiale des industries de l’alimentation » (Union paysanne, s.d.-e). Mais surtout le concept de la souveraineté alimentaire inclut de façon intrinsèque l'autonomie des agriculteurs et la liberté d'association. C’est pourquoi l’une des principales batailles de l’Union est de promouvoir le pluralisme d’association, bref de contester le monopole de l’UPA. L’Union avait d’ailleurs reçu avec enthousiasme les conclusions de la Commission Pronovost, dans lesquelles il était recommandé de mettre fin à ce monopole.36 Née dans la foulée du Rendez-vous québécois pour la souveraineté alimentaire tenu le 7 septembre 2007, au moment du dernier jour d’audience de la Commission Pronovost, la Coalition pour la souveraineté alimentaire a pour mandat de « promouvoir les mesures publiques nationales ainsi que les ententes internationales visant le droit des peuples à définir leur politique alimentaire et agricole » (Coalition (a)). Elle regroupe plus de 80 membres venant de différents milieux (producteurs, transformateurs, distributeurs, organisations environnementales et sociales, etc.). Elle suit de près les positions politiques des différents paliers de gouvernements en matière d’agriculture et d’alimentation, promeut sa vision auprès du gouvernement ainsi qu’auprès des instances internationales, et ce, avec l’appui des organisations membres des réseaux auxquels elle s’allie. La Coalition revendique d’ailleurs une politique-cadre sur la souveraineté alimentaire tant aux niveaux fédéral que provincial (revendication qui a porté ses fruits au niveau provincial) comprenant, entre autres, des objectifs d’approvisionnement national pour les citoyens et les établissements publics (niveau d’autosuffisance), d’accès physique et économique à une alimentation saine pour tous 36 (...) dans une société démocratique, on peut difficilement justifier le maintien d’un régime qui oblige un groupe de personnes à adhérer à une structure unique d’association, régime qui, au demeurant, ne prévoit aucun dispositif pour vérifier la volonté des personnes d’y adhérer ou d’y maintenir leur participation. Cette situation est malsaine et nuit même à la crédibilité de l’UPA (Commission 2008, 235). 41 (sécurité alimentaire), d’accès aux supermarchés pour les producteurs nationaux, d’étiquetage obligatoire sur la provenance des aliments, de protection et promotion de la gestion de l’offre et de la mise en marché collective, de protection du territoire agricole, de reconnaissance du statut particulier de l’agriculture et de l’alimentation. Sur les neuf membres du conseil d’administration de la Coalition siègent à l’heure actuelle le président de l’UPA, le secrétaire général de l’UPA-DI (Union des producteurs agricoles-développement international) ainsi que le vice-président des Producteurs laitiers du Québec. Ce sont ces personnes qui élisent les officiers : le président de l’UPA en fait partie. À noter qu’aucune mention de La Via Campesina n’est faite sur le site de la Coalition. La naissance du concept de souveraineté alimentaire n’est liée qu’à la FAO.37 L’UPA, membre le plus influent de la Coalition, a de son côté « pour mission principale de promouvoir, défendre et développer les intérêts professionnels, économiques, sociaux et moraux des productrices et des producteurs agricoles et forestiers du Québec (…) » (Union des producteurs agricoles 2010b). Pour l’Union paysanne, le concept de souveraineté alimentaire « a été récupéré par l'Union des producteurs agricoles qui en a purgé les éléments les plus compromettants pour elle et travesti le sens profond pour en faire un concept fourre-tout » (Union paysanne 2012). 37 « Le concept de souveraineté alimentaire a été discuté publiquement pour la première fois en 1996 lors du Sommet mondial de l'alimentation, organisé par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), et reçoit de plus en plus d'appuis dans le monde » (Coalition pour la souveraineté alimentaire (b)). 42 Tableau II : Tableau comparatif entre les positions des deux principaux groupes et celle adoptée par le Gouvernement du Québec dans sa Politique de SA Thèmes abordés Approche Position de l’Union paysanne (aussi Position de la Coalition sur la Souveraineté soutenue par NFU et Food Secure Canada) alimentaire (UPA membre) Consensus ou quasi-consensus Approche holistique. Meilleure intégration Approche holistique. Davantage de et coordination entre les différents collaboration et de cohérence entre les ministères. ministères. Position adoptée dans la Politique de souveraineté alimentaire du Québec Approche sectorielle. « Pour le gouvernement, la Politique de souveraineté alimentaire est un élément à part entière d’une vision économique complète. » (Québec, MAPAQ 2013, p.3) Définition de la souveraineté alimentaire Droit socioéconomique, tel que défini par La Via Campesina. Accorde une grande importance aux conditions sociales et environnementales de production des aliments. Le droit des peuples à définir leur propre politique alimentaire et agricole, tel que défini dans la Déclaration de Montréal. Ne va pas à l’encontre du commerce. « Capacité d’un état de définir sa propre politique agricole et alimentaire suivant les intérêts de sa population… » (Québec, Portail Québec 2013c). Élément d’une vision économique. Loi sur la protection du territoire agricole (LPTAQ) Union paysanne : préserver la protection du territoire agricole mais modulation de la LPTAQ selon les régions et les besoins des communautés. Préserver le territoire agricole mais critique envers la modification faite à la Loi par le gouvernement en raison de l’absence de référence aux droits de l’homme. Sur le statut de l’agriculture à l’OMC et la protection des marchés nationaux Sortir notre agriculture de l’OMC et des accords commerciaux. Mesures qui permettraient d’être à l’abri de la pollution génétique par les OGM et du dumping. Traitement similaire à celui prévu pour la culture dans la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Unesco. Possibilité d'ériger des barrières douanières. Contre la tendance à une libéralisation trop grande. Dépôt du projet de loi n 46 : « a pour objet de resserrer les règles déterminant l'accès aux terres agricoles par des nonrésidents » (Québec, Portail Québec, 2013e) Problème dû à la compétence partagée de l’agriculture. Enjoint le gouvernement fédéral à resserrer et clarifier les règles applicables aux produits importés Pas de remise en question de la mainmise de l’OMC. Actions de type promotionnel. Sur la question de la taille des entreprises Sur la question des OGM Divergence Les fermes à échelles humaines, autonomes, La société ne devrait pas avoir à restreindre ces diversifiées, créatrices d’emplois locaux, choix individuels quant à la grosseur des facilement transmissibles (Union paysanne, fermes, tant que ces choix répondent à la notion d’acceptation sociale et n’ont pas des s.d.-b). conséquences néfastes sur l’environnement. Contre sans ambiguïté. Ne sont pas d’emblée exclus de l’équation de la souveraineté alimentaire, mais leur rôle devra o Maintien des instruments telle que l’ASRA qui soutiennent les intégrateurs et favorisent l’expansion des entreprises. Silence. 43 Sur les syndicats en agriculture Sur la mise en marché collective et les outils associés (gestion de l’offre, quotas, plans 38 conjoints) Mettre fin au monopole de l’UPA. Pluralisme d'association. Réformer la Loi sur la mise en marché agricole. Séparer le rôle du syndicat de celui de la mise en marché. Gestion de l’offre confiée à un comité multipartite. Redonner une fonction plus sociale qu’économique aux quotas (Union paysanne, s.d.-c). Assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) Responsable de l’expansion de l’intégration industrielle en agriculture (Union paysanne, 2013). Réforme : exclure les intégrateurs. Remplacement graduel de l’ASRA par un programme de soutien universel. être débattu et convenu en tant que choix collectif (Réseau d’études des dynamiques transnationales et de l’action collective 2009, 11). Critique envers leur mode de gestion. Maintien du monopole syndical de l’UPA. Silence. Soutien la gestion de l’offre actuelle. Soutien la gestion de l’offre actuelle. Statut quo. Statut quo. 38 Le prix des quotas dans les productions sous gestion de l’offre accroît substantiellement la valeur marchande des fermes et, par voie de conséquence, le montant du capital à investir, ce qui est prohibitif pour la plupart des aspirants agriculteurs. « Une ferme laitière moyenne, la « ferme familiale », qui a une cinquantaine de vaches, ça valait lors de notre tournée 2,5 millions, dont un million pour le quota. Si on est obligé d’emprunter tout ce montant, ça devient vraiment très difficile. Par contre, si c’est une ferme où on peut commencer tout petit, de la culture maraîchère par exemple, c’est moins nécessaire d’avoir un don des parents » (Belair-Cirino, 2013). Aucun changement n’a été proposé pour modifier cette problématique. 44 Sur l’approche globale, les parties semblent s’entendre sur la nécessité d’adopter une approche holistique en promouvant une meilleure intégration, collaboration et coordination entre les différents ministères. L’Union paysanne accorde une grande importance aux conditions sociales et environnementales de production des aliments. Elle considère la souveraineté alimentaire comme un droit socioéconomique, tel que défini par La Via Campesina, permettant aux pays de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leur population sans qu’elles puissent avoir un impact négatif sur les populations d’autres pays. La souveraineté alimentaire est ainsi une rupture par rapport à l’accord sur l’agriculture de l’OMC. La Coalition accorde pour sa part à l’agriculture des dimensions sociales, environnementales et culturelles en plus de la dimension économique. Elle entend la souveraineté alimentaire comme « le droit des peuples à définir leur propre politique alimentaire et agricole; à protéger et à réglementer la production et les échanges agricoles nationaux de manière à atteindre des objectifs de développement durable; à déterminer leur degré d’autonomie alimentaire et à éliminer le dumping sur leurs marchés. La souveraineté alimentaire ne va pas à l’encontre du commerce, dans la mesure où ce dernier est subordonné au droit des peuples à une production agricole et alimentaire locale, saine et écologique, réalisée dans des conditions équitables qui respectent le droit de tous les partenaires à des conditions de travail et de rémunération décentes » (Déclaration de Montréal 2007). « Pour nous, pour le Québec [tel que cité par Mme Marois], la souveraineté alimentaire, c'est d'abord la capacité de l'État québécois à définir sa propre politique agricole et alimentaire suivant les intérêts de sa population. La souveraineté alimentaire privilégie la production locale ainsi que l'accès à la terre et aux ressources pour y parvenir, sans exclure les échanges et les exportations » (Québec, Portail Québec 2013c). Bien que le gouvernement ait adopté une définition proche de celle des deux groupes, il ressort une impression tout à fait différente de la PSA, à savoir une approche sectorielle (économique). En résumé, comme cité en début de document, pour le gouvernement, « la Politique de souveraineté alimentaire est un élément à part entière d’une vision économique complète » (Québec, MAPAQ, 2013, 3). Lorsque l’on quitte les approches globales et que l’on aborde des sujets plus précis, à savoir la position des deux groupes sur le statut de l’agriculture à l’OMC et la protection des marchés 45 nationaux ainsi que sur la protection du territoire agricole, les opinions, quoiqu’elles ne soient pas en opposition, divergent. En général, les positions de l’Union paysanne sur la souveraineté alimentaire sont plus catégoriques et laissent moins de place aux compromis que celles de la Coalition. L’Union paysanne promeut une agriculture hors de l’OMC et des accords commerciaux (Union paysanne, s.d.e). Elle ajoute à cela qu’il nous faut protéger le territoire de la pollution génétique par les OGM et du dumping. Pour sa part, la Coalition a développé une vision d’entre-deux, celle où l’agriculture devrait jouir d’un traitement particulier similaire à celui prévu pour la culture dans la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’Unesco. Cela n’exclut pas, tel que soutenu par le coordonnateur de la Coalition, de protéger nos agriculteurs en érigeant « des barrières douanières, pour éviter que ce soit les pays [...] plus avantagés que nous qui nous nourrissent » (Radio-Canada 2013a). Plusieurs fédérations de l’UPA croient de même qu’il faut protéger les secteurs névralgiques, c’est-à-dire permettre de « réglementer la production et les échanges agricoles nationaux […] » (Union des producteurs agricoles 2010). Elles invoquent un rempart contre la tendance à une libéralisation trop grande des marchés des produits agricoles. Les systèmes de gestion de l’offre représentent pour elles l’application concrète de ce rempart. Dans un contexte de compétences partagées et surtout parce que les actions fédérales au niveau international à force de loi sur les provinces, les gouvernements provinciaux peuvent difficilement se distancer de la tangente que prend le gouvernement fédéral. Le fait que les règles de l'OMC ne soient pas clairement remises en cause par le gouvernement fédéral confine les provinces à des actions de type purement promotionnel telles que des campagnes publicitaires et des mesures incitatives qu’on a eu l’occasion de voir tel que « Mettez le Québec dans votre assiette », méthodes qui atteignent vite leur limite, ce que craignait par ailleurs le coordonnateur de la Coalition (RadioCanada 2013a). Le Ministre de l’agriculture François Gendron a toutefois souligné « qu'il est nécessaire que le gouvernement fédéral resserre et clarifie les règles applicables aux produits importés entrant en concurrence avec les produits sous gestion de l'offre et qu'il maintienne les contrôles nécessaires aux frontières » (Québec, Portail Québec 2013d). Il enjoint donc le gouvernement fédéral à ne pas libéraliser davantage, mais sans plus. Sur la protection du territoire agricole, tous sont d’accord pour préserver cet acquis et même le renforcer, mais chacun en invoquant des modifications propres à leur objectif respectif. Ciblant davantage le développement rural, l’Union paysanne serait plutôt en faveur de la modulation de la 46 Loi en fonction des régions et des besoins des communautés tandis que la Coalition, qui accorde une importance plus grande à l’accès à la terre en tant que droit de l’homme sur le plan international, privilégie l’ajout explicite d’une référence aux droits dans la Loi. Le dépôt du projet de loi no 4639, qui devait permettre de mieux lutter contre l'accaparement des terres agricoles, a d’ailleurs été critiqué par les deux groupes. D’une part, pour son inadéquation : l’Union paysanne considère que le Parti québécois a choisi des « modifications marginales à la Loi sur la protection du territoire agricole plutôt que de s’attaquer au problème bien plus important de l’accès à la terre et à la zone agricole pour ceux qui veulent vivre et habiter notre territoire » (Union paysanne, s.d.-d), en nous rappelant que plus de 50% du territoire agricole du Québec n’est pas cultivé. D’autre part, par sa définition incomplète en raison de l’absence d’une référence claire aux droits de l’homme. Plusieurs initiatives ou propositions ont par ailleurs déjà été faites pour contribuer à non seulement protéger les terres agricoles mais pour faciliter l’accès à ces terres à la relève agricole telles que la création d’une Société d’aménagement et de développement agricole du Québec (SADAQ) (Institut de recherche en économie contemporaine 2012) ou la fiducie foncière (expérimentée par la ferme Cadet Roussel). Aucun de ces éléments n’a été retenu. Seule la bonification de l’aide financière pour l’aide au démarrage ou à l’établissement « envers les jeunes ayant séjourné sur les bancs d’école, la complexification des activités invitant à une professionnalisation de la nouvelle génération de producteurs agricoles » (Bélair-Cirino 2013b). Une mesure qui permet un accès plus aisé à une certaine relève. Avec les éléments les plus controversés et les outils les plus structurants et contraignants qui ont pour la majorité été mis en place il y a plus de 30 ans, on remarque rapidement que le gouvernement a préféré soit être silencieux, soit opter pour le statu quo. En effet, que ce soit sur la place des OGM, sur la taille des entreprises agricoles, sur le monopole de l’UPA, sur la mise en marché collective actuelle et les divers outils (quotas, assurance stabilité, etc.), les positions entre le gouvernement et la Coalition se rejoignent tandis que l’Union paysanne fait bande à part. Les réformes qu’elle demandait, et qui avaient d’ailleurs été promues par la Commission Pronovost, n’ont pas été retenues. Il s’agissait entre autres de séparer le rôle de syndicat de celui de la mise en marché qui, selon eux, relève actuellement du conflit d’intérêt et d’en confier la responsabilité à un comité 39 A pour objet de resserrer les règles déterminant l'accès aux terres agricoles par des non-résidents. (Québec, Portail Québec, 2013e) 47 multipartite formé de l’État québécois, des différentes organisations syndicales agricoles, de la relève agricole et de la société civile (Union paysanne, s.d.-c). Afin de favoriser les circuits courts et le rapprochement entre producteurs et consommateurs, la vente directe aux consommateurs et la production artisanale ou de créneau ne devraient pas être soumises aux règles de commercialisation de l’agence de vente ou du canal unique de vente (Laplante 2007). Elle demandait de plus d’exclure les intégrateurs de l’Assurance stabilisation des revenus agricole (ASRA), aide qui devrait soutenir l’agriculture familiale et non l’expansion de l’intégration industrielle en agriculture, une tangente tout à fait contraire au concept de souveraineté alimentaire. Par ailleurs, si la souveraineté alimentaire repose sur un environnement démocratique et que nous pouvons considérer le Québec en tant qu’environnement démocratique, il apparaît que l’agriculture a été exclue de cette démocratie. Le fait d’avoir absence de choix quant à l’élection de son représentant révèle une culture à des lieux de la démocratie nécessaire pour instaurer la souveraineté alimentaire. En somme, il semble que l’on ait adopté une vision chiffrée qui intègre des concepts qui ont la faveur de la population : développement durable, protection de l’environnement, santé publique. Ce sont des concepts vendeurs mais qui ne constituent pas le socle de la politique – le moteur de la PSA étant le développement économique. Si la PSA était basée sur une vision holistique tels que le promeuvent les deux « clans », la PSA teinterait l’ensemble des politiques du gouvernement. On serait alors en droit d’attendre une certaine cohérence entre les ministères. Or, la possibilité par exemple d’acheminer les sables bitumeux vers le Québec que laisse entendre la ministre des Ressources naturelles (Nadeau 2013) vient en quelque sorte contrecarrer les efforts sur le plan environnemental de la PSA. La politique de souveraineté alimentaire du gouvernement Marois s’apparente en bien des points bien plus à la politique d’autosuffisance mise en place par l’ex-ministre Jean Garon sous le gouvernement de René Lévesque, à la fin des années 1970. La politique de M. Garon était d’utiliser nos avantages, selon le type de sol et l’ensoleillement, nos connaissances et nos capacités. Son programme d’autosuffisance alimentaire était basé sur la protection du territoire agricole qui était d’ailleurs accompagnée par une politique de développement. Son objectif était de nous nourrir et d’exporter les produits qui allaient compenser nos importations. Il faut d’ailleurs se rappeler que pendant le mandat de Jean Garon comme ministre de l’Agriculture de 1976 à 1985, les parts de 48 marché des produits agroalimentaires québécois sur le marché intérieur ont atteint près de 80% (Décary-Gilardeau, Gendron et Bisaillon 2007, 34). On constate aussi que le gouvernement a adopté une approche qu’on dirait volontariste, dans le sens où il n’intervient pas ou peu dans le marché par voie réglementaire, jugeant les forces du marché suffisantes pour produire les effets escomptés. Elle invite plutôt les consommateurs et les entreprises à prendre eux-mêmes en charge les enjeux par leur bonne volonté. La PSA se garde donc bien de placer le gouvernement en tant que régulateur et fait plutôt dans l'incitation et la promotion. Rien sur un retour à une gouvernance démocratique (par la fin du monopole de l’UPA), en plus d’être accompagnée de mesures contradictoires qui prônent à la fois la ferme familiale, le développement durable et l’exportation. L’utilisation du terme SA pour le gouvernement révèle davantage une intention autonomiste face à l’agriculture. On ne s’étonne pas que le terme de souveraineté de la part d’un gouvernement provincial indépendantiste suscite un attrait irrésistible et l’opportunité de déclarer sa souveraineté, peu importe la forme qu’elle revêt, trouve toujours sa voie. Le changement récent de gouvernement par un parti fédéraliste aura toutefois vite fait d’écarter cet attrait. Seul l’avenir nous dira ce que le nouveau gouvernement fera de cette politique. Il ne serait pas surprenant qu’elle soit tablettée, tout comme les nombreux rapports sur l’agriculture qui ont été déposés dans les dernières années. Mais les débats autour de l’agriculture demeurent et les agriculteurs tout comme la population en général ne resteront pas sur leur faim bien longtemps. Peu importe la forme que prendra les futurs ajustements du modèle agricole et alimentaire québécois, le Gouvernement devra inévitablement répondre aux nouveaux enjeux. 49 Conclusion L’agriculture est revenue au cœur des débats. De plus en plus, les populations se réapproprient la responsabilité vis-à-vis de ce qu’elles mangent et de la façon dont sont produits les aliments. On le constate notamment avec l’effervescence des mouvements sociaux autour des questions agricoles, des initiatives en agriculture (projets d’agriculture urbaine, par exemple), de la popularité des salons, expositions, rencontres autour des questions alimentaires. La souveraineté alimentaire a certes évolué depuis son lancement et a fait de plus en plus d’adeptes, mais le risque est grand de voir le concept se vider de son contenu car de plus en de leaders politiques se prononcent aussi en faveur de la souveraineté alimentaire. Mais ils donnent parfois à la souveraineté alimentaire un contenu qui n’a plus rien à voir avec son vrai contenu. L’origine du concept et son évolution sont aujourd’hui assez bien documentées. Mais il ne suffit pas de s’opposer à un modèle et de mettre de l’avant une idéologie alternative, encore faut-il transcrire le tout concrètement dans des politiques et des « projets » à tous les niveaux. Les avancées à l’international (à l’ONU, par exemple, pour la reconnaissance du droit à la souveraineté alimentaire ou du droit des paysans) suivent leur cours et sont largement documentées. Ce qui est actuellement en émergence, ce sont les modes d’appropriation du concept par différents acteurs locaux et, plus intéressant encore, l’appropriation par les instances politiques nationales. Certaines recherches assez récentes ciblant la mise en œuvre locale commencent à émerger sur les différents modes d’appropriation qui ont été faits, soit par l’introduction du concept dans la constitution du pays, soit dans des lois ou simplement par des politiques comme au Québec. Comme nous avons pu le constater, le contenu de la Politique de souveraineté alimentaire du gouvernement du Québec a finalement assez peu à offrir aux adeptes de la SA telle qu’entendu par les principales organisations dont La Via Campesina. Son adaptation relève non pas de l’adaptation nécessaire au contexte québécois mais davantage d’une adaptation politique répondant à des intérêts particuliers. La population québécoise s’était prononcée à plusieurs reprises sur leur vision de l’agriculture et de l’alimentation mais force est de constater que leur volonté a été peu prise en compte et que les éléments les plus contestés n’ont pas été adressé. En comparant la PSA avec l’intégration du concept dans d’autres pays tels qu’en Équateur, nous pouvons aisément conclure que le Gouvernement aura vidé la souveraineté alimentaire de sa substance pour en faire davantage une politique d’autosuffisance et de développement économique. 50 On peut aisément constater qu’un mouvement à l’origine rassembleur tel que la souveraineté alimentaire peut être approprié par différents groupes et même gouvernements et adapté à leur goût. Malgré les efforts de définition et d’adaptation, il n’existe pas de formule standard de mise en œuvre et c’est sur son application interne qu’il est aujourd’hui essentiel de débattre. 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Environment and Society:Advances in Research 2, Berghahn Books 59 Annexe A : Rencontres provinciales sur la souveraineté alimentaire40 6 et 7 septembre 2007 : l’UPA organise à Montréal, de concert avec la Coalition G05, la Coopérative fédérée et Équiterre (aussi Desjardins, la CSN, la Fédération des coopératives d'alimentation du Québec), les premiers Rendez-vous québécois pour la souveraineté alimentaire auxquels trois personnalités de renom agissent comme conférenciers : John Saul, essayiste et romancier canadien auteur de La mort de la globalisation, Aminata Traoré, exministre de la Culture et du Tourisme du Mali, militante altermondialiste et promotrice de la souveraineté alimentaire et Hervé Kempf, journaliste au quotidien Le Monde et auteur de Comment les riches détruisent la planète. 7 septembre 2007 : dans le cadre des premiers Rendez-vous québécois pour la souveraineté alimentaire, 42 organisations québécoises et canadiennes ratifient le texte « Pour un contrat social fondé sur la souveraineté alimentaire » - aussi appelé Déclaration de Montréal - qui est officiellement déposé à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois (CAAAQ). 7 septembre 2007 : les 42 organisations signataires de la Déclaration de Montréal invitent publiquement, devant les médias, les gouvernements du Québec et du Canada à faire de la souveraineté alimentaire la pierre d’assise de leur politique agricole et alimentaire et d’assumer un leadership international dans la promotion de l’exception agricole. Mi-novembre 2007 : l’UPA crée un poste de coordonnateur à la souveraineté alimentaire, une fonction stratégique dont l’objectif est de contribuer à la connaissance et au rayonnement du concept de souveraineté alimentaire au Québec, au Canada et outrefrontière et de travailler, en collaboration avec les organisations signataires de la Déclaration de Montréal, à la création d’un organisme qui serait voué à promouvoir la souveraineté alimentaire. 5 décembre 2007 : réunis à Québec dans le cadre du 83e Congrès général de l’UPA, les 411 agriculteurs et agricultrices délégués, issus de 16 fédérations régionales et de 25 groupes spécialisés, entérinent à l’unanimité la résolution visant à « faire de la souveraineté alimentaire le fer de lance d’un nouveau projet de contrat social ». Mi-décembre 2007 : l’UPA publie le premier bulletin d’information intitulé Vers la souveraineté alimentaire, en collaboration avec Équiterre et la Coopérative fédérée, Desjardins, la CSN et la Fédération des coopératives d'alimentation du Québec. 8 novembre 2008 : à l’invitation des mêmes organisations et à 15 jours de la fondation de la Coalition pour la souveraineté alimentaire, le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, livre, devant un auditoire de 350 personnes au pavillon du Cœur des sciences de l’Université du Québec à Montréal, sa conférence intitulée « Sécurité et Souveraineté alimentaire : que reste-t-il de nous dans notre assiette? » . 24 novembre 2008 : Les mêmes organisations accueillent à Montréal les représentants de plus de 80 organisations de la société civile québécoise et canadienne pour l’assemblée de fondation de la Coalition pour la souveraineté alimentaire. Décembre 2008 : devant les 400 agriculteurs et agricultrices délégués au 84e congrès général de l’UPA à Québec, le président général du Syndicat agricole, Christian Lacasse, remet au ministre québécois de l’Agriculture, Claude Béchard, le document LE POUVOIR DE SE NOURRIR, Autonomie, Santé, Développement durable, Équité, Notre vision de la future 40 Tiré directement du site web de l’UPA. http://www.upa.qc.ca/fr/Agriculture_et_societe/Souverainete_alimentaire__suite_.html 60 politique agricole et alimentaire du Québec qui comprend des recommandations claires au chapitre de l’exception agricole et de la souveraineté alimentaire (voir les Axes 1 et 4). Janvier à décembre 2009 : la Coalition pour la souveraineté alimentaire s’organise. Son conseil d’administration tient ses premières réunions et développe son premier plan de développement stratégique. Ses porte-parole multiplient les présentations et les conférences dans le cadre de congrès et de rencontres stratégiques portant sur l’agriculture, le commerce et l’alimentation. Au printemps 2009, la Coalition invite des juristes de l'Université Laval (Geneviève Parent et Dominique Roux) à présenter aux ambassadeurs agriculteurs, l'État du droit en matière d'alimentation et de travail au Forum des peuples pour la souveraineté alimentaire, qui a lieu à Rome à l’automne 2009, en marge du Sommet mondial sur la sécurité alimentaire de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture . 18 mars 2010 : forte de ses 80 membres en règle, la Coalition pour la souveraineté alimentaire souffle sa première bougie et tient à Saint-Hyacinthe – métropole agroalimentaire du Québec – sa première assemblée générale annuelle. Juin 2010 : à l’occasion des sommets du G8 et du G20 qui ont lieu en Ontario, la Coalition pour la souveraineté alimentaire mène une campagne de mobilisation par courriel et via les médias traditionnels, Facebook (Coalition souveraineté alimentaire / Food sovereingty / Soberania Alimentaria) et www.NourrirNotreMonde.org invitant les leaders politiques mondiaux à reconnaître que « Le droit de manger passe avant le droit de commercer ». 26 novembre 2010 : La Coalition organise un séminaire sur les instruments de la gouvernance internationale des systèmes alimentaires et y convie 5 conférenciers d’Europe et d’Amérique. 25 mars 2011 : la Coalition tient sa seconde assemblée générale et y invite le professeur et agronome Marcel Mazoyer, successeur idéologique de René Dumont. Dans les mois qui suivent, la Coalition met sur pied un comité d’experts devant lui conseiller une stratégie et une cible de militance sur le plan de la gouvernance internationale de l’alimentation et de l’agriculture; 5 et 6 septembre 2011 : la Coalition est partenaire d’un séminaire sur le droit de la sécurité et de la souveraineté alimentaire coréalisé par la Faculté de droit de l’Université Laval et le programme Lascaux, un programme européen de recherche en droit de l’agroalimentaire regroupant plus de 130 juristes de partout dans le monde. 17 octobre 2011 : la Coalition se rend à Rome pour intégrer les rangs du Mécanisme de la Société civile du Comité sur la sécurité alimentaire mondiale de la FAO, en tant qu’ONG; 4 décembre 2011, la Coalition tient son second Petit-déjeuner du bon goût de la gouvernance, en accueillant le conférencier et chercheur de l'ONG Grain sur la question de l'accaparement des terres agricoles de par le monde; 28 mars 2012 : la Coalition souffle sa troisième bougie en assemblée générale et accueille pour l’occasion le directeur du Programme Lascaux, M. François Collard-Dutilleul, et le conseiller juriste de l’ancien Rapporteur de l’ONU sur le droit à l’alimentation, M. Christophe Golay. 3-5 avril 2012 : la Coalition organise une série de 3 conférences à Ottawa, Québec et Montréal, prononcées par M. Jean Ziegler, ancien rapporteur de l’ONU sur le droit à l’alimentation et actuel vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. 5 décembre 2012, la Coalition tient son 3e Petit-déjeuner du bon goût de la gouvernance en accueillant la première ministre du Québec, Mme Pauline Marois, qui vient présenter quelques grandes lignes de sa future politique de souveraineté alimentaire; 61 8 avril 2013, lors de sa 4e assemblée annuelle, la Coalition accueille le ministre Jean-François Lisée et présente aux membres sa cible de militance telle que retenue par le conseil d'administration et conseillée par son Comité CIBLE, à savoir une nouvelle convention internationale pour la diversité alimentaire et agricole; 5 au 15 octobre 2013, la Coalition prend part à la 40e session du Comité sur la sécurité alimentaire mondial de la FAO, à Rome; 16 et 17 octobre 2013, Journée internationale de l'alimentation, la Coalition accueille à nouveau l'agronome Marcel Mazoyer comme conférencier, dans le cadre de deux conférences grand public données à Montréal et à Québec; 25 au 27 novembre 2013, la Coalition prend part à l'évènement final du Programme Lascaux, où la proposition juridique d'un projet de nouvelle convention consacrant un statut particulier aux aliments, est rendue publique et transmise à l'ensemble des parlementaires du Parlement européen et de l'Assemblée nationale française. 62 Annexe B - Six piliers de Nyéléni41 Les six piliers de la souveraineté alimentaire 1. La priorité donnée à l’alimentation des populations La souveraineté alimentaire place au centre des politiques alimentaires, agricoles, d’élevage et de pêche le droit à une alimentation suffisante, saine, respectueuse des cultures, pour l’ensemble des individus, des populations et des communautés, englobant celles souffrant de la faim, sous occupation, dans des zones de conflits ou marginalisées; elle rejette l’assertion selon laquelle l’alimentation est un produit comme un autre, géré par le secteur agro-alimentaire. 2. La valorisation des producteurs d’aliments : La souveraineté alimentaire valorise et soutient les pratiques, de même qu’elle respecte le droit, des hommes et des femmes, des paysans et des petits agriculteurs familiaux, des pasteurs, des pêcheurs artisanaux, des habitants de la forêt, des peuples autochtones et des travailleurs agricoles, des travailleurs de la mer, dont les migrants, qui cultivent, font pousser, récoltent et transforment les aliments; elle rejette les politiques, actions et programmes qui les dévalorisent, menacent leurs moyens de subsistance et contribuent à les faire disparaître. 3. L’établissement de systèmes locaux de production : La souveraineté alimentaire rapproche producteurs et consommateurs, les place au centre du processus de décision sur les questions alimentaires. Sur les marchés locaux, elle protège les producteurs du dumping des importations et de l’aide alimentaire, elle protège les consommateurs d’une nourriture nutritionnellement pauvre et malsaine, d’une aide alimentaire inappropriée et d’aliments contaminés par des organismes génétiquement modifiés. Elle permet de résister aux institutions, aux accords et aux pratiques qui dépendent de et qui promeuvent un commerce mondial non durable et inéquitable et qui donnent un pouvoir considérable et injustifiable aux transnationales. 4. Le renforcement du contrôle local: La souveraineté alimentaire place la gestion des territoires, des terres, des pâturages, de l’eau, des semences, du bétail et des ressources halieutiques dans les mains des producteurs locaux et respectent leurs droits. Ceux-ci peuvent en faire usage et les partager selon des systèmes socialement et écologiquement durables, qui permettent le maintien de la diversité. La souveraineté alimentaire reconnaît que les territoires locaux ne respectent parfois pas les frontières géopolitiques et permet aux communautés locales d’habiter et d’utiliser leurs territoires. Elle promeut la concertation et l’action collective entre les producteurs de différentes régions et territoires, de différents secteurs d’activités, contribuant à la résolution de conflits internes ou de conflits avec les autorités locales ou nationales. Elle refuse la privatisation des ressources naturelles, qu’elle soit permise par des lois, des contrats commerciaux ou des régimes de propriété intellectuelle. 5. La construction des savoirs et savoir-faire : La souveraineté alimentaire se construit sur les savoirs et savoir-faire locaux des producteurs et sur leurs organisations locales qui préservent, développent et gèrent les systèmes de production et de cultures locaux. Elle permet le développement de programmes de recherche appropriés et qui ne 41 Bulletin Nyéléni. Numéro 13, mars 2013, www.nyeleni.org - [email protected] (Page consultée le 20 février 2014) 63 menacent pas les générations futures. Elle rejette donc les technologies qui les soumettent, les menacent ou les contaminent, comme par exemple l’ingénierie génétique. 6. Le travail avec la nature : La souveraineté alimentaire utilise les apports de l’environnement selon des pratiques de cultures et de production agro-écologiques diversifiées et faibles consommatrices d’intrants, qui optimisent les apports des écosystèmes, améliore la résilience et l’adaptation, particulièrement face au changement climatique. Elle cherche à guérir la planète pour que la planète puisse nous guérir. Elle refuse les pratiques qui mettent à mal les écosystèmes, les monocultures et les élevages intensifs fortement consommateurs d’énergie, les pratiques de pêche destructrices et les autres modes de production industriels, qui détruisent l’environnement et contribuent au réchauffement mondial (rapport de synthèse – Mali 2007). 64 Annexe C – Intégration nationale de la souveraineté alimentaire Extrait en partie de Food Policy for People: Incorporating food sovereignty principles into State governance, 2009 Ces dix dernières années, des pays ont intégré la souveraineté alimentaire dans leur constitution et la législation nationale. 1999 – Le Venezuela approuve par référendum populaire la Constitution bolivarienne du Venezuela. Les Articles 305, 306, et 307 traitent du cadre de travail de la souveraineté alimentaire. 2001 – Loi foncière du Venezuela touche à la réforme agraire. 2004 – L’Assemblée nationale du Sénégal vote la LOASP, incluant les principes de la souveraineté alimentaire sous l’influence de l’organisation paysanne le CNCR. 2006 – L’Assemblée nationale du Mali approuve la Loi sur l’Orientation agricole (LAO). Cela jette les bases d’une mise en œuvre future de la Souveraineté alimentaire au Mali. 2007 (15 janvier) – Le Népal approuve une constitution provisoire qui reconnaît la souveraineté alimentaire comme un droit du peuple népalais et qui sera mis place par le prochain gouvernement. 2008 (juillet) – Le Venezuela approuve des lois en faveur de la souveraineté alimentaire: la Loi sur la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire, la Loi sur une santé agricole intégrée, la Loi sur le développement d’une économie populaire, la Loi sur la promotion et le développement de petites et moyennes entreprises et d’unités de production sociale. 2008 (28 septembre) – L’Équateur approuve une nouvelle constitution reconnaissant la souveraineté alimentaire. S’y est ajoutée une loi-cadre dont l’un des atouts tient à l’accent mis, dans plusieurs de ses dispositions, sur les petits exploitants agricoles.42 2009 (25 janvier) – La constitution récemment approuvée en Bolivie reconnaît les droits aux peuples autochtones ainsi que les droits de la souveraineté alimentaire. 2009 (17 février) – L’Équateur approuve une loi organique sur la souveraineté alimentaire. 2009 (18 juin) – L’Assemblée nationale du Nicaragua adopte la Loi n° 693 sur la sécurité et la souveraineté nutritionnelle et alimentaire. Le Nicaragua a plusieurs programmes alimentaires nationaux associés à la souveraineté alimentaire et au droit à l’alimentation dont: Faim Zéro, Pratiques usuraires Zéro et Sécurité et souveraineté alimentaires pour la vie. 2009 − Le Népal intègre le droit à la souveraineté alimentaire dans sa constitution provisoire. 2013 (16 mai) – Le gouvernement du Québec dévoile sa politique de souveraineté alimentaire. 42 De Schutter. 2010. Combattre la faim par le biais du droit à l’alimentation. Note d’information 1, mai. 65