Janvier 2007

Transcription

Janvier 2007
Comptabilité
LA NEUTRALISATION DANS LES COMPTES
INDIVIDUELS DES INCIDENCES FISCALES
DES DÉPRÉCIATIONS COMPTABLES
tions peuvent être synthétisées par le
schéma suivant :
Etape 1 :
Identification
d’une perte
de valeur
Non
Rien
à faire
Oui
Odile BARBE DANDON
Laurent DIDELOT
Expert-comptable diplômée
Professeur au Groupe ESC
Dijon Bourgogne
Diplômé d’expertise comptable
PRAG à l’Université de Bourgogne
Professeur au Groupe ESC
Dijon Bourgogne
L
e règlement CRC 2002-10
a introduit dans le Plan
Comptable Général de nouvelles
modalités de dépréciation des
immobilisations, applicables aux
exercices ouverts à compter du
1er janvier 2005. Ces nouvelles règles
entrent dans le cadre du processus
de convergence du PCG avec les
IFRS, en l'occurrence la norme IAS
36 relative aux dépréciations.
L'administration fiscale ayant limité
les possibilités de déductibilité
de ces dépréciations (instruction
du 30/12/05), le Conseil national
de la comptabilité a publié le
24/10/06 un avis (2006-12) relatif
aux modalités de reprise de
dépréciations comptables et
de neutralisation des incidences
fiscales dans les comptes individuels
(voir RFC décembre 2006).
L'analyse de ces différentes
dispositions comptables et fiscales
permettra de mettre en évidence
la difficulté du processus français
de convergence du PCG avec les
IFRS dans le respect du principe
de connexité comptabilité/fiscalité.
Nouvelles règles
comptables relatives
aux dépréciations
d'immobilisations
Les nouvelles règles comptables relatives aux dépréciations des immobilisa-
Résumé de l’article
Dans le cadre du processus de norma lisation comptable internationale et
européenne, le normalisateur français
a choisi de faire converger progressi vement le PCG avec le référentiel IFRS.
Ainsi, le règlement CRC 2002-10 a introduit dans le Plan Comptable Général
de nouvelles modalités de déprécia tion des immobilisations directement
issues de la norme IAS 36. Les diver gences entre les traitements comp table et fiscal induisent toutefois des
difficultés pratiques de déduction fis cale des dépréciations comptables.
L'avis 2006-12 du CNC apporte une
réponse technique qui illustre la com plexité de la convergence dans un
contexte de connexion comptabilité/fiscalité.
Etape 2 :
Test
de dépréciation
Etape 3 :
Comptabilisation
si dépréciation
(VA < VNC)
27
Ainsi, aux termes de l'article 322-5-1 du
PCG, une entité doit apprécier à chaque
clôture d'exercice et à chaque situation
intermédiaire s'il existe un indice quelconque indiquant qu'un actif a pu perdre
notablement de sa valeur (indice externe : valeur de marché, taux d'intérêt…
ou interne : obsolescence ou dégradation physique, performances inférieures
aux prévisions…).
En cas d'indice de perte de valeur, un
test de dépréciation est mis en œuvre
afin de comparer la valeur nette comptable de l'actif immobilisé à sa valeur
actuelle. Le PCG (art. 322-1) donne les
définitions suivantes :
• la valeur actuelle est la valeur la plus
élevée de la valeur vénale ou de la
valeur d'usage ;
• la valeur vénale est le montant qui pourrait être obtenu à la date de clôture, de
la vente d'un actif lors d'une transaction conclue à des conditions normales
de marché, net des coûts de sortie ;
• la valeur d'usage d'un actif est la valeur
des avantages économiques futurs
R.F.C. 395 Janvier 2007
Réflexion
attendus de son utilisation et de sa
sortie ;
• la dépréciation d'un actif est la constatation que sa valeur actuelle est devenue inférieure à sa valeur nette comptable.
Dans la pratique, la valeur d'usage n'est
déterminée que si la valeur vénale est
inférieure à la valeur nette comptable.
Enfin, l'article 322-5-3 du PCG précise les
modalités et les conséquences d'une
dépréciation :
28
Conséquences fiscales
des nouvelles règles
comptables sur les
dépréciations
Les sources de divergence comptabilité/fiscalité relatives à la dépréciation des
immobilisations corporelles et incorporelles sont de 4 ordres :
1. Non prise en compte
de la valeur d'usage en fiscalité
• Si la valeur actuelle d'un actif immobilisé devient inférieure à sa valeur
nette comptable, cette dernière, si l'actif continue à être utilisé, est ramenée
à la valeur actuelle par le biais d'une
dépréciation ;
L'instruction fiscale du 30/12/05 (§ 145)
rappelle que les provisions, pour être
déductibles, doivent être constituées en
vue de faire face à des pertes ou des
charges nettement précisées et que des
événements en cours rendent probables.
• Toutefois, lorsque la valeur actuelle
n'est pas jugée notablement, c'est-àdire de manière significative, inférieure à la valeur nette comptable, cette
dernière est maintenue au bilan (principe d'importance relative) ;
Ainsi, la dépréciation d'une immobilisation doit être étayée par référence soit
à des événements particuliers ayant affecté la valeur de l'immobilisation, soit à
une valeur de marché, soit à une valeur
d'expertise indépendante. Une dépréciation calculée par référence à la valeur
vénale est donc déductible.
• La comptabilisation d'une dépréciation modifie de manière prospective la
base amortissable de l'actif déprécié ;
• Les règles relatives à l'évaluation des
dépréciations lors de leur première
constatation s'appliquent à leur évaluation postérieure.
La disparition ou la diminution de l'indice de perte de valeur peut donc ramener la valeur actuelle de l'actif à un montant supérieur à sa valeur nette
comptable et justifier une reprise de
dépréciation. Cette dernière est toutefois plafonnée comme l'indique l'avis
2002-7 du CNC (§ 2.2.3) : la valeur nette
comptable d'un actif, augmentée suite
à la reprise d'une dépréciation, ne doit
pas être supérieure à la valeur nette
comptable qui aurait été déterminée si
aucune dépréciation n'avait été comptabilisée pour cet actif au cours des exercices antérieurs.
Cette disposition, qui vise à éviter la
réévaluation ultérieure d'immobilisations dépréciées, implique la conservation en mémoire du plan d'amortissement initial de l'actif. On peut s'étonner
que cette disposition de l'avis 2002-07
n'ait pas été reprise dans le règlement
CRC 2002-10 et ne figure donc pas dans
le PCG.
R.F.C. 395 Janvier 2007
A contrario, les dépréciations calculées
à partir de la valeur d'usage ne sont pas
déductibles. La prise en compte de flux
de trésorerie futurs liés à l'actif s'apparente en effet à la constitution d'une
provision pour manque à gagner.
Les conséquences pratiques de cette disposition semblent toutefois limitées :
• Si la valeur actuelle est égale à la valeur
vénale, la dépréciation comptable est
déductible fiscalement ;
Abstract
As part of the international and European
accounting standardisation process, the
French standard-setting authority has
opted for the progressive harmonisation
of the national accounting chart (PCG)
with IFRS. As a result, new methods for
depreciating fixed assets generated
directly by IAS 36 have been included in
the PCG in compliance with CRC ruling
2002-10. However, the differences between accounting treatment and tax as
regards writing-off for accounting depreciation have presented practical difficulties. CNC ruling 2006-12 provides a technical answer which shows the complexity
of harmonisation when applied to the
accounting treatment/tax link.
• Si la valeur actuelle est égale à la valeur
d'usage, la valeur vénale est alors inférieure à la valeur d'usage et la dépréciation calculée par rapport à la valeur
vénale supérieure à celle calculée par
rapport à la valeur d'usage. La dépréciation comptable est également
déductible fiscalement ;
• La limite de déductibilité prévue par
l'administration fiscale ne trouverait à
s'appliquer qu'en l'absence de valeur
vénale du bien.
2. Base de calcul
de la dépréciation différente
L'instruction fiscale du 30/12/05 (§ 146)
précise que la déduction d'une dépréciation est limitée, en tout état de cause,
à la valeur nette fiscale de l'immobilisation dépréciée, c'est-à-dire après constatation des amortissements dérogatoires.
Ainsi, la dépréciation comptable d'une
immobilisation amortie sur une durée
d'utilisation supérieure à la durée d'usage ou selon le mode dégressif s'avère
partiellement non déductible, même si
elle est déterminée à partir d'une valeur
vénale.
3. Valeur vénale différente
en fiscalité
Sur le plan fiscal, la valeur vénale est
déterminée abstraction faite des coûts de
sortie. En conséquence, la fraction de
dépréciation comptable correspondant
aux coûts de sortie n'est pas déductible.
4. Non prise en compte
de la dépréciation dans la base
de calcul de l'amortissement fiscal
Au plan fiscal, la base de calcul des amortissements correspond au prix de revient
de l'immobilisation (art. 15 de l'annexe
II du CGI), et non à la valeur comptable
amortissable diminuée des dépréciations.
Neutralisation
des incidences fiscales
des dépréciations
L'avis 2006-12 du CNC du 24/10/06
apporte une solution technique permettant d'assurer la déductibilité fiscale des dépréciations comptables : le
transfert de la dépréciation en compte
d'amortissement à hauteur du montant
acquis à chaque clôture.
Comptabilité
Le montant du transfert est égal à la différence entre le montant des dotations aux amortissements calculé sur la nouvelle
base amortissable, et le montant des dotations aux amortissements qui aurait été comptabilisé en l'absence de dépréciation. Cette reprise est étalée sur la durée d'utilisation restant à courir. Les reprises de la dépréciation et les dotations aux
amortissements sont constatées en résultat exceptionnel.
Soient les deux exemples de la note de présentation de l'avis 2006-12 du CNC complétés de leur traitement fiscal :
Exemple 1 :
Un bien est acquis le 1/01/N pour une valeur de 1 000 K€.
Amortissement comptable et amortissement fiscal : sur 10 ans selon le mode linéaire
Absence de valeur résiduelle
Dépréciation comptable constatée au 31/12/N+4 de 200 K€ considérée comme fiscalement non déductible
Dépréciation non remise en cause au cours des exercices ultérieurs.
Le plan d'amortissement comptable et fiscal de ce bien s'établit comme suit :
Comptabilité
Année
Base
Dotation
Fiscalité
VNC
Dépréciation
Dotation
N
1 000
100
900
100
N+1
1 000
100
800
100
N+2
1 000
100
700
100
N+3
1 000
100
600
100
N+4
1 000
100
500
N+5
300
60
240
100
N+6
300
60
180
100
N+7
300
60
120
100
N+8
300
60
60
100
N+9
300
60
0
100
200
100
29
Montant du transfert de N+5 à N+9 = dotation aux amortissements sans dépréciation - dotation aux amortissements après
dépréciation = 100 - 60 = 40
Ce montant correspond bien à la quote-part de dépréciation devenue définitive :
• VNC du bien déprécié au 31/12/N+5 : 240
• VNC du bien au 31/12/N+5 en l'absence de dépréciation : 400
• Reprise maximum de dépréciation : 400 - 240 = 160
• Dépréciation devenue définitive en N+5 : 200 - 160 = 40
Les écritures de transfert à constater au 31/12/N+5, N+6, N+7, N+8, N+9 sont les suivantes :
29
Dépréciations des immobilisations
7876
6871
40
Reprises sur dépréciations exceptionnelles
Dotations aux amortissements exceptionnels
sur immobilisations corporelles et incorporelles
28
Amortissements des immobilisations
40
40
40
La dépréciation constatée en N+4 ayant été réintégrée extra-comptablement, la reprise de dépréciation effectuée de N+5
à N+9 est non imposable, d'où une déduction extra-comptable annuelle de 40, soit 200 (5 x 40) sur la durée d'utilisation
restant à courir.
Exemple 2 :
Un bien est acquis le 1/01/N pour une valeur de 2 000 K€.
Amortissement comptable : 10 ans selon le mode linéaire
R.F.C. 395 Janvier 2007
Réflexion
Amortissement fiscal : sur 8 ans selon le mode linéaire
Absence de valeur résiduelle et de coûts de sortie
Dépréciation comptable constatée au 31/12/N+4 de 600 K€ déterminée à partir de la valeur vénale
Dépréciation non remise en cause au cours des exercices ultérieurs.
Le plan d'amortissement comptable et fiscal de ce bien s'établit comme suit :
Année
30
Base
Traitement IFRS (1)
Traitement complémentaire
lié à la connexion
comptabilité/fiscalité
Comptabilité
Fiscalité
Dotation
VNC
Dépréciation
Dotation
déductible
Amortissement
dérogatoire
N
2 000
200
1 800
250
50
N+1
2 000
200
1 600
250
50
N+2
2 000
200
1 400
250
50
N+3
2 000
200
1 200
250
50
N+4
2 000
200
1 000
250
50
N+5
400
80
320
250
50
N+6
400
80
240
250
50
N+7
400
80
160
250
50
N+8
400
80
80
-
(200)
N+9
400
80
0
-
(200)
600
1. hors fiscalité différée.
Bien qu'étant calculée sur la base de la valeur vénale du bien, la dépréciation comptable de 600 n'est pas entièrementdéductible :
La valeur résiduelle fiscale du bien au 31.12.N+4 ressort en effet à : 2000 - (5 x 250) = 750
La dépréciation fiscalement déductible est de : 750 - 400 = 350
La quote-part de dépréciation non déductible fiscalement est de : 600 - 350 = 250
Elle doit être réintégrée.
Montant du transfert de N+5 à N+9 = dotation aux amortissements sans dépréciation - dotation aux amortissements après
dépréciation = 200 - 80 = 120
Les écritures de transfert à constater au 31/12/N+5, N+6, N+7, N+8, N+9 sont les suivantes :
29
Dépréciations des immobilisations
7876
6871
120
Reprises sur dépréciations exceptionnelles
Dotations aux amortissements exceptionnels
sur immobilisations corporelles et incorporelles
28
Amortissements des immobilisations
120
120
120
L'administration fiscale ne s'étant pas encore prononcée sur les conséquences fiscales des dispositions ci-dessus, le traitement fiscal est à notre avis le suivant :
La dépréciation constatée en N+4 ayant été réintégrée extra-comptablement à hauteur de 250, la reprise de dépréciation
effectuée de N+5 à N+9 doit être déduite extra-comptablement de 10 en N+7 et de 120 en N+8 et N+9.
En effet, la base d'amortissement fiscale de l'actif après dépréciation est toujours égale à son prix de revient (art. 15 de l'annexe II du CGI), soit : 2 000. L'annuité d'amortissement déductible de N+5 à N+7 reste donc égale à 250. Elle se traduit par
une dotation économique de 80, une dotation dérogatoire de 50 et une dotation exceptionnelle de 120.
La reprise de dépréciation constatée de N+5 à N+9 est imposable à hauteur de 350.
La reprise de dépréciation des exercices N+5 et N+6 ne donne donc lieu à aucun retraitement extra-comptable. En revanche, la
reprise de dépréciation de N+7 n'est imposable qu'à hauteur de 110 (350 - 120 - 120). II convient de procéder à une déduction
extra-comptable de 10. Les reprises de N+8 et N+9 ne sont pas imposables. Elles font l'objet d'une déduction extra-comptable.
R.F.C. 395 Janvier 2007
Comptabilité
Ces retraitements peuvent être résumés dans le tableau suivant :
Traitement
IFRS (1)
Traitement complémentaire lié à la connexion comptabilité/fiscalité
Amortissement Amortissement Amortissement
économique
dérogaoire
exceptionnel
Impact
sur résultat
comptable
Reprise
de dépréciation
Imposable
Non
imposable
N+5
80
50
120
250
120
120
N+6
80
50
120
250
120
120
N+7
80
50
120
250
120
110
N+8
80
(200)
120
-
120
120
N+9
80
(200)
120
-
120
120
10
1. hors fiscalité différée.
Conclusion
La convergence du PCG avec les IFRS a pour objectif d'éviter la multiplicité des référentiels comptables.
Toutefois, le principe de connexité de la fiscalité avec la comptabilité, réaffirmé dans l'instruction fiscale du 30/12/05, pose
de nombreux problèmes pratiques pour éviter la perte d'avantages fiscaux qui trouvent notamment leur illustration dans le
cas des dépréciations d'actifs :
• Nécessité de recourir de manière fréquente aux amortissements dérogatoires ;
• Obligation de procéder à des suivis extra-comptables lourds et à des écritures comptables multiples et sophistiquées.
La complexité des IFRS est souvent mise en avant comme un frein à leur application, mais la connexion comptabilité fiscalité semble constituer un obstacle tout aussi important :
• en maintenant dans les états financiers des entreprises des amortissements dérogatoires qui n'ont pas de signification économique,
• en créant des mesures simplificatrices pour les PME qui génèrent des sous-référentiels comptables (exemple : Règlement
CRC 06-09),
• en favorisant le maintien d'options comptables non reconnues au plan international (frais d'acquisition d'immobilisations,
frais de développement, méthode de l'achèvement…).
Odile BARBE DANDON
Laurent DIDELOT
Références
Plan Comptable Général (Règlement CRC 99-03 modifié par les règlements CRC ultérieurs)
Avis 2006-12 du CNC du 24/10/2006 et sa note de présentation (RFC décembre 2006)
Instruction fiscale du 30/12/2005
Norme IAS 36 - Dépréciation d’actifs
Le nouveau site de l’Ordre des Experts-Comptables
pour comprendre le plan comptable français et son évolution
R.F.C. 395 Janvier 2007
31