Ne touchez pas au grisbi de Vente

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Ne touchez pas au grisbi de Vente
Ne touchez pas au grisbi de Vente-privée.com !
Par France Charruyer, société d’avocats ALTIJ, associé fondateur
Forte de sa notoriété auprès de ses membres, la société Vente-privée.com a engagé depuis plusieurs
années un process de protection de ses signes distinctifs notamment par le dépôt de trois marques semifiguratives nationales et communautaire en 2004 et 2005. Cela était sans compter les agissements
parasitaires ou procéduriers de ses concurrents.
Nous avions déjà évoqué dans notre précédente chronique ce feuilleton judiciaire digne d’Audiard
opposant les 2 signes Vente-privée.com et Showroomprive.com, ce dernier épisode dans la lignée de
« touchez pas au grisbi » vient peut-être de trouver son épilogue.
Ainsi, la société Vente-privée.com est engagée depuis 2013 dans deux procédures judiciaires :
- Une première affaire concernant la marque Vente-privée.com dans laquelle la société
Showroomprivé.com avait demandé la nullité de la marque verbale Vente-privée.com ;
- Une deuxième affaire concernant le signe distinctif Ventre-privée.com dans laquelle la société
Vente-privée.com avait assigné le titulaire des trois noms de domaine venteprives.com,
ventprivee.com et ventepriveee.com.
Alors que dans la première affaire, le TGI de Paris 1 a annulé la marque pour manque de distinctivité,
le même TGI de Paris2 , dans la deuxième affaire, (bien que voisin de chambre) devait consacrer la
notoriété du signe distinctif à titre de dénomination sociale, d’enseigne, de nom de domaine et de …
marque. Du Audiard …
La société Vente-privée.com a donc fait appel du premier jugement. Or, pour rappel, la Cour de
cassation, dans un arrêt du 14 mai 20133, avait considéré qu’un nom de domaine, qui n’avait pas de
caractère distinctif, avait acquis un tel caractère par l’usage.
Par un arrêt du 31 mars 2015, la Cour d’appel de Paris vient de trancher le litige opposant les deux
sociétés concurrentes et de confirmer la validité de la marque Vente-privée.com nonobstant son défaut
de distinctivité reproché par les premiers juges.
La Cour d’appel de Paris a en effet considéré que, dépourvu de caractère distinctif au moment de son
dépôt, la marque Vente-privée.com l’avait acquis par son usage. Mais tout dépend de la nature de
l’usage , pour mémoire…
L’acquisition du caractère distinctif par l’usage permet en effet la protection des marques notoires
dépourvues de ce caractère au moment de leur dépôt sur le fondement de l’article 3 § 3 de la Directive
2088/8/CE et de l’article L. 711-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle.
Pour caractériser cette acquisition par l’usage, la Cour d’appel a utilisé les critères dégagés par la CJCE
dans l’affaire Windsurfing Chemsee4 à savoir un usage continu, intense, de longue durée, à titre de
marque pour identifier les produits et services concernés comme provenant d’une entreprise
TGI Paris, Sect. I, Ch. 3, 28 novembre 2013, n°12-12.856
TGI Paris, Sect. III, Ch. 3, 6 décembre 2013
3 Cass. com., 14 mai 2013 n°12-15.534
4 CJUE, 4 mai 1999, aff.C-109/97
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déterminée, usage caractérisé notamment par : la part de marché détenue, l’intensité, l’étendue
géographique, la durée de l’usage, l’importance des investissements.
Ces critères ont été repris dans un arrêt de la Cour d’appel portant sur la marque LES PUCES DU
DESIGN, dans lequel la Cour précise qu‘il « convient de prendre en considération tous les éléments pertinents,
et notamment l’intensité, la durée et l’étendue géographique de l’usage, la part de marché détenue par la marque,
l’importance des investissements réalisés pour la promouvoir, la proportion des consommateurs intéressés qui, grâce
à la marque, identifie le produit ou service comme provenant d’une entreprise déterminée, les déclarations
d’organisations professionnelles »5.
Ces listes ne sont pas exhaustives et sont analysées par les tribunaux de façon casuistique à la seule
discrétion du juge. Ainsi, le tribunal de grande instance de Paris a considéré que la marque PNEUS
ONLINE pour un service de vente de pneus en ligne a acquis un caractère distinctif, car le titulaire de
cette marque a attesté de ses parts de marché élevés, de ses efforts promotionnels, de la valeur
économique de sa marque et de la perception de cette dénomination par les journalistes 6 . Cette
appréciation se faisant au cas par cas, les tribunaux ont, à l’inverse, refusé l’acquisition du caractère
distinctif pour les marques LOTO7 et LE FOOT8.
En l’espèce, la société Vente-privée.com a pu démontrer un tel usage grâce à de nombreux élément de
preuve et notamment des sondages. La société a ainsi apporté la preuve de l’apposition de la mention
« Prix vente-privée.com » aux cotés de millions de produits proposés à la vente en ligne, de l’utilisation
dans les courriers électroniques adressés quotidiennement à 20 millions de membres, de la présentation
des services dans la presse écrite et la presse en ligne, etc.
Par ailleurs, la Cour a évalué la valeur économique de la société Vente-privée.com par le biais de ses
90% de parts de marchés des ventes événementielles sur Internet, du développement de son chiffre
d’affaires de 300 millions d’euros HT en 2007 à plus d’1 milliard d’euros en 2013, et de l’importance
de son réseau de membres se chiffrant à 20 millions de membres dont 11 millions en France.
A travers ces éléments, la Cour a pu apprécier la notoriété de la société et de son site Internet accessible
au nom de domaine Vente-privée.com, et ainsi retenir le caractère distinctif de la marque
correspondante.
On en touche pas impunément au « grisbi » de vente-privée.com.
Ce revirement vient réconforter bon nombre de titulaires de marques, qui peuvent désormais envisager
de suppléer le défaut de distinctivité en apportant la preuve de « l’usage continu, intense et de longue durée »
et fort opportunément acter de la forte valorisation attachée à leurs marques.
Reste à savoir quel sera in fine la position de la Cour de cassation…
Feuilleton à suivre…
CA, Pôle 5, Ch. 2, 28 septembre 2012, n° 11/09466 « LES PUCES DU DESIGN »
TGI Paris, 24 juin 2010
7 Cass. com., 28 avril 2004, n°02-14.373
8 CA Paris, 5 novembre 2010, n°09-18.667
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