Lire la suite…

Transcription

Lire la suite…
1453
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
ÉTUDE DROIT ÉCONOMIQUE
CONCURRENCE
Les saisies globales posent une question délicate, celle de la conciliation de l’efficacité de
l’enquête de concurrence avec le respect des droits de la défense, droits dont la confidentialité de la relation avocat/client est une figure incontestable. Pourtant, à cette question,
l’article L. 450-4 du Code de commerce ne répond guère. Certes, depuis la loi n° 2001-420
du 15 mai 2001, le texte dispose que, en plus de la saisie de simples « documents », les
enquêteurs peuvent procéder à celle de « tout support d’information ». Mais cette précision ne fait qu’autoriser le principe des saisies informatiques, sans aborder le problème de
leur étendue. D’où les difficultés soulevées par les saisies globales et que les cinq arrêts
rendus le 24 avril 2013 tendent à réduire.
1453
Les saisies globales en
droit de la concurrence :
perspectives nouvelles
L
Étude rédigée par Laurent Saenko1
Laurent Saenko est maître de conférences à l’université Paris-Sud, Membre du CERDI (Centre
d’Etudes et de Recherche en Droit de l’Immatériel)
1 - La recherche de la vérité est devenue un objectif important du
droit des affaires contemporain, qui ne peut toutefois être atteint
au mépris des droits les plus fondamentaux. Tel est le sens des cinq
arrêts rendus le 24 avril 2013 par la chambre criminelle de la Cour
de cassation, tous relatifs au contentieux grandissant des saisies
informatiques en droit de la concurrence et dont la publication, du
moins de l’un d’eux, est promise au Bulletin2. Dans ladite espèce,
la société Medtronic était suspectée de pratiques anticoncurrentielles. Après qu’un juge des libertés et de la détention l’a autorisé,
ses locaux furent visités les 9 et 10 novembre 2010 et différents
documents et fichiers informatiques furent saisis par les services
du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence. Aux fins
d’annulation de ces opérations et conformément à la procédure de
1 L’auteur tient à remercier Maître Julia Bombardier (JeantetAssociés)
pour sa relecture attentive.
2 Cass. crim., 24 avr. 2013, n° 12-80.331 : JurisData n° 2013-008124 ; Bulletin à paraître. - Cass. crim., 24 avr. 2013, n° 12-80.332 : JurisData n° 2013007950. - Cass. crim., 24 avr. 2013, n° 12-80.335 : JurisData n° 2013007956 ; Dr. pén. 2013, comm. 112, obs. J.-H. Robert. - Cass. crim., 24 avr.
2013, n° 12-80.336 : JurisData n° 2013-008125. - Cass. crim., 24 avr. 2013,
n° 12-80.346 : JurisData n° 2013-007953.
Page 26
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
l’article L. 450-4 du Code de commerce, la société visitée saisissait le
premier président de la cour d’appel compétente. Elle faisait valoir
que la saisie de plusieurs messageries électroniques avait été faite au
mépris du respect des droits de la défense, certains documents couverts par le secret professionnel de l’avocat ayant été appréhendés.
En somme, la société contestait ce que l’on appelle une saisie globale
(dite encore « de masse »). Par une ordonnance du 15 novembre
2011, le premier président de la cour d’appel de Paris prononça la
régularité de la saisie. S’il a effectivement admis que certains documents relevaient de la correspondance entre l’avocat et son client,
le juge a néanmoins considéré que l’Autorité régulatrice comptait
restituer les documents protégés, et que la simple copie réalisée par
celle-ci ne constituait nullement une atteinte disproportionnée au
regard des intérêts en présence. Au pourvoi, la société visitée avançait plusieurs arguments, articulés autour de quatre moyens. C’est
le quatrième moyen, pris dans sa quatrième branche, qui emporta
la conviction des magistrats de la Haute juridiction. Il y était défendu que les correspondances échangées entre un avocat et son client
étaient insaisissables et que leur saisie portait une atteinte irrémédiable aux droits de la défense devant être sanctionnée par la nullité
de la procédure. Au visa des articles L. 450-4 du Code de commerce
et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, la cassation est prononcée :
« Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de
rechercher si les pièces et supports informatiques dont la saisie était
contestée par la société étaient ou non couverts par le secret professionnel entre un avocat et son client, et sans annuler la saisie de correspondances dont il a constaté qu’elles relevaient de la protection
de ce secret et alors enfin que la violation dudit secret intervient dès
que le document est saisi par les enquêteurs, le premier président a
méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelés ».
2 - Ces cinq arrêts sont importants. On le sait, sous l’influence de
la Cour européenne des droits de l’homme notamment, les droits
fondamentaux ont de plus en plus vocation à pénétrer les régimes
juridiques des visites et saisies du droit des affaires3. Mais si le
débat tournait jusqu’alors autour du problème du double degré
de juridiction4, il tourne désormais autour d’une autre difficulté,
celle – toute redoutable – née du développement des nouvelles
technologies dans l’entreprise. En effet, lorsque l’Administration
ou les enquêteurs sont désireux de saisir un document susceptible
de prouver une entente ou un abus de position dominante, ils
peuvent naturellement se diriger vers les messageries électroniques
ou les réseaux informatiques de la société. Ce sont eux qui, bien
souvent, renferment des échanges déterminants (entre concurrents, un dirigeant et son fournisseur, des salariés, etc.). Mais comment procéder ? Car si ces supports peuvent contenir des éléments
3 L. Saenko, Le temps en droit pénal des affaires,
dir. B. Bouloc, 2008, n° 850.
4 CEDH, 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon et a.
c/ France : D. 2008, p. 1054 ; Rev. sc. crim. 2008,
p. 598, note H. Matsopoulou ; P. Le Monnier de
incriminants entrant dans le champ de l’enquête, ils contiennent
aussi tant d’autres choses qui n’y entrent pas. C’est notamment le
cas des échanges entre un avocat et son client qui sont insaisissables
par principe, étant protégés par le secret professionnel5. Les saisies
globales posent alors une question délicate, celle de la conciliation
de l’efficacité de l’enquête de concurrence avec le respect des droits
de la défense, droits dont la confidentialité de la relation avocat/
client est une figure incontestable. Pourtant, à cette question, l’article L. 450-4 du Code de commerce ne répond guère. Certes, depuis la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, le texte dispose que, en plus
de la saisie de simples « documents », les enquêteurs peuvent procéder à celle de « tout support d’information ». Mais cette précision ne fait qu’autoriser le principe des saisies informatiques, sans
aborder le problème de leur étendue. De sorte que les difficultés
soulevées par les saisies globales (1), si elles trouvent une sérieuse
limite dans les cinq arrêts rendus le 24 avril 2013 par la Cour de
cassation (2), n’empêchent pas certaines questions de se poser (3).
1. Les difficultés
3 - Les saisies globales agitent le contentieux de la concurrence
depuis un certain nombre d’années en raison de la haute technicité du débat qu’elles soulèvent. Ce type de saisies très particulier
présente deux difficultés : une relative aux pièces saisies – soit le
contenu (A) –, une autre relative à la messagerie électronique –
soit le contenant (B).
A. - Le contenu
4 - Si l’on s’intéresse au contenu, d’abord, il faut rappeler que la
saisie est dite globale justement parce qu’elle porte sur des éléments
hétérogènes : certains d’entre eux servent concrètement la preuve
les agissements qui sont visés par l’ordonnance du juge des libertés
et de la détention, tandis que d’autres entretiennent avec cet objectif un rapport moins évident – voire pas de rapport du tout. Pour
autoriser la saisie indifférenciée de tous ces éléments, la jurisprudence a admis que « si l’Administration ne peut appréhender que
des documents se rapportant aux agissements retenus par l’ordonnance d’autorisation de visite et saisie domiciliaires, il ne lui est pas
interdit de saisir des pièces pour partie utiles à la preuve desdits
agissements »7. Pour être saisie, une pièce n’a donc plus à être utile
à la preuve de la pratique anticoncurrentielle ; il suffit qu’elle y soit
pour partie utile. Si l’on fait état des documents physiques (agendas,
bilans comptables, courriers manuscrits, etc.), cette subtilité a par
exemple permis de justifier la saisie de pièces relatives à un chantier autre que celui visé par l’ordonnance d’autorisation8, ou encore
Gouville, Le juge des libertés et de la détention,
thèse Paris II, dir. D. Rebut, 2011, n° 493.
5 L. n° 71-1130, 31 déc. 1971, art. 66-5.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013
1453
6 V. G. Fabre, Saisies globales de messageries et
respect du secret professionnel de l’avocat : RLC
2012, n° 30, p. 60.
7 Cass. crim., 19 nov. 2003, n° 02-81.997.
8 Cass. crim., 19 nov. 2003, préc.
Page 27
1453
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
celle de documents rédigés postérieurement à la pratique anticoncurrentielle incriminée9. Dématérialisation des biens oblige, c’est
toutefois avec les saisies informatiques que cette jurisprudence s’est
amplement illustrée. En effet, pour saisir des documents informatiques, les enquêteurs vont effectuer une recherche par mots-clés
par l’intermédiaire d’un logiciel - l’objectif étant de déterminer si
un ou plusieurs documents entrent dans le champ de l’investigation. Si tel est le cas, autorisés à saisir des pièces « pour partie » utiles,
ils vont pouvoir saisir le contenu entier de la messagerie électronique10. Tout cela, bien sûr, au détriment d’autres documents qui se
trouveront hors champ de l’autorisation du juge des saisies, comme
ceux relevant de la vie privée ou, plus grave, du secret professionnel
de l’avocat. Et il est vrai que cette position ne manque pas d’étonner, tant on peine à comprendre la cohérence du raisonnement
sur lequel elle se fonde : pourquoi un message qui contiendrait le
mot-clé choisi serait-il nécessairement « utile » à la preuve de la pratique anticoncurrentielle ? Plus étonnant encore, pourquoi un message qui ne le contiendrait pas y serait « pour partie » utile ? Il est
curieux d’ainsi déduire de la proximité « numérique » de ces différents messages une finalité commune, fût-elle d’un degré différent.
Est-ce la loi qui l’autorise ? On pourrait le penser car, sur ce point,
l’article L. 450-4 du Code de commerce semble permettre toutes
les fantaisies. Certes, le texte évoque le cadre judiciaire dans lequel
s’inscrivent successivement l’autorisation puis le déroulement de la
saisie. Mais, sauf peut-être très subtilement (C. com., art. L. 450-4,
al. 3 in limine : « la saisie [s’effectue] sous l’autorité et le contrôle du
juge qui [l’a autorisée] »), il n’en évoque pas le domaine. C’est donc
à la jurisprudence qu’il est revenu de fixer ce dernier en énonçant,
assez naturellement du reste, qu’« aux termes [de l’article L. 4504 du Code de commerce], peuvent être saisis tous documents en
rapport avec les agissements prohibés visés par l’autorisation judiciaire »11. « En rapport avec »… voici une expression qu’il convient
d’entendre restrictivement - à défaut de quoi tout aurait un rapport avec tout – et qui ne manque pas de révéler la sévérité de la
Cour de cassation en matière de saisies globales. Car être « pour
partie utile » « à la preuve de », c’est avoir un « rapport avec », certes,
mais un rapport très maigre. Pourtant, on peut le vérifier à deux
égards, la Haute juridiction a fermement maintenu cette position.
D’une part, en cassant sèchement les décisions des juges du fond
qui, sensibles au respect des droits de la défense, avaient annulé de
telles saisies globales12. D’autre part, en refusant, à deux occasions,
9 Cass. crim., 9 févr. 2005, n° 03-86.664. - Cass.
crim., 9 févr. 2005, n° 03-86.795: Bull. crim.,
n° 53.
10 Cass. crim., 12 déc. 2007, n° 06-81.907. - Cass.
crim., 13 janv. 2010, n° 07-86.229 et 07-86.228.
- Cass. crim., 14 déc. 2011 : Bull. crim., n° 259.
- Cass. crim., 19 déc. 2012, n° 12-81.494.
11 Cass. crim., 14 nov. 2007, n° 05-85.739 ; Cass.
crim., 1er juill. 2009, n° 07-84.399.
12 Cass. crim., 20 mai 2009, n° 07-86.437. Confirm. Cass. crim., 29 juin 2011, n° 1085.479 ; Cass. crim., 16 déc. 2009, n° 08-86.359.
Page 28
de transmettre au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l’article L. 450-4 du Code
de commerce et son interprétation13. L’argument du « pour partie
utile » a donc un effet considérable sur le contenu immatériel d’une
messagerie électronique ou d’un disque dur : elle permet superficiellement de le concentrer, de l’agréger autour d’un même objectif : la preuve de la pratique anticoncurrentielle.
Après le contenu, le contenant.
B. - Le contenant
5 - Si l’on s’intéresse au contenant, ensuite, c’est une raison, non
plus juridique mais technique qui permet aux juges du fond de
justifier la saisie globale. Il s’agit de l’insécabilité. C’est parce que
le support informatique qui contient les messages électroniques
est considéré comme étant insécable que la saisie ne peut porter
que sur le contenant, et non sur le contenu. Aussi, pour dispenser
les enquêteurs de procéder à une saisie sélective, les juges du fond,
soutenus en cela par la Cour de cassation, affirment sans relâche
l’indivisibilité des messageries électroniques et des disques durs14.
La raison invoquée est celle de l’authenticité. Seule une saisie globale serait capable d’assurer aux données récoltées une garantie
d’origine, d’intégrité et d’authenticité. Cette position est pleinement assumée par la Haute juridiction. En 2010, le magistrat
délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris s’était
montré réceptif à l’inquiétude des entreprises et, à l’occasion de
demandes en annulation d’opérations de visites et saisies, avait,
par trois ordonnances, décidé de surseoir à statuer en attendant le
résultat d’une expertise15. L’objectif était de déterminer si la saisie
globale était bien la seule méthode susceptible de combiner sécurité (des données) et respect (des droits de la défense). Mais à plusieurs occasions, la chambre criminelle a censuré ces initiatives.
Au sens de l’article 143 du Code de procédure civile, les mesures
d’instruction diligentées seraient, selon elle, « sans rapport concret
avec le litige ». On ne peut évidemment que s’émouvoir d’une telle
rigueur car, comme on l’a fait remarquer17, la cassation de 2012
a été prononcée après que l’expert a rendu son rapport, rapport
dans lequel il montrait que la saisie sélective était techniquement
possible18. Toujours est-il que c’est bien l’insécabilité des supports
informatiques qui permet de parfaire le raisonnement juridique
sur lequel reposent les saisies globales : après la réunion (des élé-
13 Cass. crim., 19 oct. 2011, n° 10-88.194 et 1088197. - Cass. crim., 27 juin 2012 : Bull. crim.,
n° 212.
14 Cass. crim., 17 juin 2009, n° 07-88.354. - Cass.
crim., 8 avr. 2010, n° 08-87.415 et 08-87.416.
- Cass. crim., 29 juin 2011, préc. - Cass. crim.,
14 déc. 2011 : Bull. crim. 2011, n° 259. - Cass.
crim., 14 déc. 2011, n° 10-85.288, 10-85.292,
10-85.294 et 10-85.295.
15 CA Paris, ord. n° 365, 366 et 369, 2 nov. 2010. Sur elles, V. J. Bombardier et Y. Paclot : Option
Finance 2011, n° 1108, p. 27.
16 Cass. crim., 16 juin 2011 : Bull. crim. 2011,
n° 135. - Cass. crim., 11 janv. 2012 : Bull. crim.
2012, n° 10. - Cass. crim., 11 janv. 2012, n° 1088.193 et 10-88.194.
17 J. Catala Marty et L. Nouvel, Conciliation des
droits de la défense et les intérêts de l’enquête
dans la perquisition en concurrence : JCP E
2012, 1442.
18 Comme c’est le cas notamment pour les saisies réalisées à l’initiative de la Commission
européenne, V. J. Bombardier et B. Bouloc :
RLC 2012, n° 30, p. 45.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
Pourquoi un message
qui contiendrait le
mot-clé choisi serait-il
nécessairement
« utile » à la preuve
de la pratique
anticoncurrentielle ?
ments du contenu), l’extraction
(du contenant). Grâce à elle,
des informations protégées par
le secret professionnel de l’avocat vont pouvoir être saisies en
toute impunité, et ce contre la
lettre de l’article 66-5 de la loi du
31 décembre 1971 et la fermeté
du droit international19. Faut-il s’en offusquer ? On serait tenté
de répondre par la négative tant notre droit est habitué, souvent
par rejet de l’infiniment petit, à outrageusement profiter de l’argument (on connaît les débats qui ont animé ou animent encore
l’indivisibilité contractuelle, l’œuvre multimédia, les universalités
de fait ou encore le « tout indivisible » en matière d’escroquerie).
Mais c’est pourtant une réponse positive qui s’impose avec force.
Car la dématérialisation de la conversation entre un avocat et son
client n’affadit en rien la vigueur des droits fondamentaux qui s’y
applique. Or, ces droits fondamentaux ne peuvent porter que sur
une fraction du contenu de la messagerie électronique, jamais sur
le contenant lui-même. L’insécabilité, argument avancé par les
juges pour légitimer la saisie globale, n’est en réalité qu’une justification technique utile à faire primer la neutralité d’un ensemble
sur les droits applicables à ses éléments. Pourtant, à en croire le
rapport remis le 28 août 2011 par l’expert mandaté par le magistrat délégué, l’insécabilité ne serait pas absolue. Une saisie sélective
des messages ayant un véritable rapport avec l’objet de la perquisition serait tout à fait possible20. C’est peut-être cela qui a incité la
Cour de cassation à dépasser sa position par les cinq arrêts rendus
le 24 avril 2013.
2. La solution
6 - Les cinq arrêts rendus le 24 avril 2013 par la chambre criminelle de la Cour de cassation constituent un revirement de jurisprudence incontestable. Alors que le premier président de la cour
d’appel avait prononcé la régularité de la saisie globale, la Cour de
cassation, en cassant, décide de privilégier le secret des correspondances avocat/client sur l’efficacité de la perquisition. Pour ce faire,
la Cour de cassation apporte deux précisions très importantes, une
relative à la constatation de la violation des droits de la défense (A),
une autre relative au moment de cette violation (B).
A. - La constatation de la violation des
droits de la défense
7 - La première précision, d’abord, est relative au rôle du juge dans
la constatation de la violation des droits de la défense. Sa mission
19 Notamment, CEDH, 16 déc. 1992, N. c/ Allemagne : série A, n° 251-B ; TPICE, 17 sept.
2007, aff. T-125/03, Akzo Nobel Chemicals :
Europe 2007, comm. 311, note L. Idot.
s’avère en effet renforcée a priori
et simplifiée a posteriori.
8 - Renforcée a priori, d’une part,
car selon la Haute juridiction, « il
appartenait [au premier président
de la cour d’appel] de rechercher
si les pièces et supports informatiques dont la saisie était contestée par la société étaient ou non
couverts par le secret professionnel entre un avocat et son client ».
9 - Premier constat : le juge doit désormais adopter une posture
active. Dès lors qu’une partie conteste une saisie et invoque la violation du secret professionnel, c’est à lui qu’il revient de « rechercher » si le document critiqué est, ou non, couvert par le secret.
La mission du juge est donc - enfin - pleinement tournée vers la
protection des droits de la défense. Les attendus de principe des
cinq arrêts commentés le révèlent sans concession : « Attendu que
le pouvoir reconnu aux agents de l’Autorité de la concurrence par
l’article L. 450-4 du code de commerce, de saisir des documents
et supports informatiques, trouve sa limite dans le principe de la
libre défense qui commande de respecter la confidentialité des
correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à
l’exercice des droits de la défense ». Il faut saluer cette solution, qui
rejoint celle appliquée depuis longtemps en matière d’instruction
préparatoire. Sauf exception, le pouvoir du juge d’instruction de
saisir tout document utile à la manifestation de la vérité « trouve sa
limite dans le principe de la libre défense, qui domine toute la procédure pénale et qui commande de respecter les communications
confidentielles des inculpés avec les avocats qu’ils ont choisis »21.
On comprendrait donc mal que la chambre criminelle sacrifie les
droits de la défense en matière d’enquête de concurrence alors
qu’elle les défend énergiquement dans d’autres cadres juridiques ce temps est révolu...
10 - En plus d’évoquer la « recherche » que le juge doit désormais
conduire, la Cour de cassation - c’est le second constat - en précise opportunément l’objet. Les juges du fond doivent rechercher
si les « pièces et supports informatiques » sont, ou non, protégés
par le secret professionnel de l’avocat. Cette distinction entre
« pièces » et « supports » informatiques n’est pas anodine. Les
« supports informatiques », ce sont essentiellement des objets (tels
des disques dur, CD, DVD, clés USB, etc.) alors que les « pièces
informatiques », expression plus imagée, vise très certainement les
documents immatériels contenant des données numériques. En
les distinguant clairement, la chambre criminelle renverse donc
la logique jusqu’alors admise et fait enfin primer les éléments sur
20 V. les explications d’A. Ronzano, in Creda
concurrence, lettre 19 oct. 2011.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013
1453
21 Cass. crim., 12 mars 1992 : Bull. crim. 1992,
n° 112.
Page 29
1453
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
l’ensemble. Les messages électroniques protégés par la confidentialité, dont la saisie était autrefois justifiée par l’effet cumulé sur le
contenu (le « pour partie utile ») puis le contenant (l’insécabilité),
le sont désormais réellement. Le juge va donc opérer un véritable
contrôle de fond. Mais que devra-t-il faire s’il constate qu’a été saisi
un message couvert par le secret professionnel ?
11 - Il devra, d’autre part, en prononcer la nullité. La Cour de cassation est très claire : « (…) sans annuler la saisie de correspondances
dont il a constaté qu’elles relevaient de la protection de ce secret »,
le premier président a violé les articles L. 450-4 du Code de commerce et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. La mission du juge
s’en trouve simplifiée. S’il constate que la saisie porte sur une pièce
dont le contenu est protégé par le secret, il doit se contenter d’en
prononcer la nullité. Il en allait tout autrement auparavant, où le
contrôle du juge était beaucoup plus lourd – et moins efficace.
Partant du principe que la saisie globale ne portait pas atteinte aux
droits de la défense, son contrôle se réalisait par l’analyse factuelle
du procès-verbal et de l’inventaire (C. com., art. L. 450-4, al. 9). Par
eux, il vérifiait la cohérence entre les données informatiques saisies
et l’étendue de l’autorisation accordée par le juge des libertés et
de la détention22, mais aussi le fait que les fichiers informatiques
saisis avaient correctement fait l’objet de l’inventaire dont mention était portée au procès-verbal23. Si le rôle du juge est renforcé a
priori et allégé a posteriori, il se pose tout de même une question :
la nullité de la saisie de messages électroniques réalisée en violation des droits de la défense emporte-t-elle nullité de la saisie des
pièces non protégées ? Autrement dit, l’argument de l’insécabilité
est-il réversible ? Impose-t-il la nullité de l’ensemble si l’un de ses
éléments en est affecté ? La question de l’impact de la violation du
secret professionnel de l’avocat sur la saisie de pièces neutres s’était
déjà posée devant la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Dans une affaire où une société contestait la saisie globale de plusieurs centaines de messages électroniques - dont une partie était
relative aux échanges entre certains de ses membres et son avocat
-, les juges du fond avait considéré qu’il n’y avait pas lieu « de donner suite à la demande de nullité de l’ensemble des opérations de
saisie qui présente un caractère disproportionné et reviendrait à
annuler une partie des saisies intervenue dans des conditions parfaitement régulières ». Ils ont été suivis par la Cour de cassation,
qui a considéré que l’invalidation des saisies de documents confidentiels ou couverts par le secret professionnel « n’entraînait pas
la nullité de l’ensemble des opérations »24. Cette position, qui est
également celle retenue en matière fiscale25, ne semble pas devoir
être modifiée par les arrêts commentés (lesquels ne prononcent du
22 Cass. crim., 30 nov. 2011 : Bull. crim. 2011,
n° 243. - Cass. crim., 30 nov. 2011, n° 1081.748 : JurisData n° 2011-026678.
23 Cass. crim., 12 déc. 2007. - Cass. crim., 16 juin
2001 : Bull. crim. 2001, n° 135. - Cass. crim.,
11 janv. 2012 : Bull. crim. 2012, n° 10. - Cass.
Page 30
reste qu’une cassation partielle). Dès lors que les pièces contestées
sont inventoriées séparément, le fait que le juge prononce leur nullité n’affecte ni les saisies concurrentes, ni même le procès-verbal
relatant le déroulement des opérations.
12 - Outre la constatation de la violation des droits de la défense,
c’est sur le moment de cette violation que la Haute juridiction
apporte des précisions intéressantes.
B. - Le moment de la violation des droits de
la défense
13 - La seconde précision, ensuite, est relative au moment de la
violation des droits de la défense. La Cour de cassation énonce
en effet que « (…) la violation dudit secret intervient dès que le
document est saisi par les enquêteurs ». Cette précision, qui peut
paraître superflue au premier abord, est en réalité d’une grande
richesse car elle neutralise les arguments de pure opportunité traditionnellement avancés par les juridictions du fond pour justifier
les saisies globales. On peut les classer par ordre chronologique.
Le premier argument concerne l’atteinte causée par la saisie globale. En prononçant la cassation, la Haute juridiction désavoue le
premier président de la cour d’appel qui avait considéré que « la
simple copie réalisée par [l’autorité de la concurrence] ne saurait
constituer une atteinte disproportionnée au regard des intérêts en
présence, la pertinence de la saisie ne pouvant s’apprécier que par
la prise de connaissance de son contenu ». La copie (c’est-à-dire la
saisie globale) était donc justifiée par la relativité de l’atteinte causée, la prise de connaissance du contenu du message protégé étant
un préalable nécessaire à l’étude de l’opportunité de la saisie. Cet
argument tient de l’erreur de raisonnement et la Cour de cassation ne manque pas de le rappeler. En effet, ce n’est pas la prise de
connaissance du contenu du message qui consomme la violation
des droits de la défense, mais la saisie réalisée en connaissance de la
protection dont ce dernier bénéficie. Le deuxième argument avancé est, lui, relatif aux rôles des autorités de poursuites. Y a-t-il encore violation des droits de la défense lorsque les enquêteurs sont
eux-mêmes soumis au secret professionnel et que l’Autorité de la
concurrence ne pourra pas agir sur le fondement des informations
recueillies ? Ce raisonnement, qui camoufle les effets négatifs de
la saisie globale, a séduit un temps la Cour de cassation27. Mais
en fixant désormais la violation des droits de la défense à la date
de ladite saisie, la Haute juridiction admet implicitement le risque
que représente la simple prise de connaissance, par les enquêteurs,
d’informations protégées par le secret de l’avocat – ne serait-ce que
crim., 11 janv. 2012, n° 10-88.193 : JurisData
n° 2012-000216. - Cass. crim., 11 janv. 2012,
n° 10-88.194 : JurisData n° 2012-000217. Cass. crim., 11 janv. 2012, n° 10-87.087: JurisData n° 2012-002592.
24 Cass. crim., 11 janv. 2012, préc.
25 Cass. crim., 18 janv. 2011, n° 10-11.778 et 1011.777.
26 V., en matière fiscale encore, Cass. com.,
26 juin 2012 : Bull. civ. 2012, IV, n° 137.
27 V. Cass. crim., 29 juin 2011, n° 10-85.479 :
JurisData n° 2011-017024.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
1453
L’argument de
l’insécabilité est-il
réversible?
sur le chapitre de l’impartialité
subjective. Il faut donc saluer la
chambre criminelle de la Cour
de cassation de s’éloigner de la
position prise par la première chambre civile qui, en matière boursière, avait considéré que la violation des droits de la défense était
consommée par l’utilisation indue de l’information protégée par
le secret28. Quant au troisième et dernier argument, il a trait cette
fois au rôle du juge et à la restitution de la pièce saisie illégalement.
Il est vrai qu’il était de jurisprudence constante que la société victime se trouve restaurée dans ses droits par la restitution, par destruction, de la pièce qui avait été saisie en violation de ses droits de
la défense29. Or, encore une fois, en considérant que la violation
des droits de la défense a lieu à l’instant précis de la saisie globale,
la Cour de cassation rejette toute idée de repentir actif : les droits
de la défense sont violés irrémédiablement et aucune réparation
en nature ne saurait les réparer par la suite.
14 - La solution rendue par la chambre criminelle de la Cour de
cassation semble atténuer les difficultés soulevées par la saisies globales. Mais elle pose également des questions.
3. Les questions
15 - Deux questions peuvent se poser : les cinq arrêts rendus le
24 avril 2013 auront-il raison de la pratique des saisies globales (A) ? Et si oui, cela n’est-il pas contraire aux intérêts de la
répression (B) ?
A. - Vers la fin des saisies globales ?
16 - Dans la mesure où ils en réduisent considérablement l’attrait,
ces arrêts vont certainement signer la fin de cette pratique contestable que constituent les saisies globales. Le fait de trouver un motclé dans une messagerie électronique ne sera plus désormais un
motif suffisant pour, sans risque, la saisir entièrement. Si tel est le
cas et que le juge constate que la pièce contestée est protégée par
le secret professionnel de l’avocat, il prononcera la nullité de sa
saisie. Les saisies globales restent donc admissibles par principe,
mais trouvent une importante limite dans le respect des droits de
la défense.
Cela aura trois types de conséquences.
28 Cass. 1re civ., 8 mars 2012, n° 10-26.288 : JurisData n° 2012-005632. - E. Dezeuze, Appréhension par les enquêteurs de l’AMF de correspondances échangées entre un avocat et son
client : Rev. sociétés 2012, p. 379. - D. Martin
et M. Françon, L’utilisation indue d’une information confidentielle par l’AMF validée par la
Cour de cassation : JCP E 2012, 1251.
29 Cass. crim., 11 janv. 2012, Bull. crim., n° 10. Cass. crim., 11 janv. 2012, n° 10-88.193 et 10-
17 - En premier lieu, les méthodes
des enquêteurs de la DGCCRF et
de l’Autorité de la concurrence
seront condamnées à évoluer. Avec
une grande partie de la doctrine30, on les incitera à s’inspirer des
saisies exécutées à l’initiative de la Commission européenne par
lesquelles, à l’aide d’un logiciel spécialisé, les enquêteurs réalisent,
dans les locaux de l’entreprise et de façon contradictoire, une sélection des messages électroniques sans jamais mettre en péril leur
authenticité. Mais l’on pourrait également inciter le législateur à
s’inspirer du droit allemand de la concurrence pour instaurer
une procédure de scellés provisoires (V. également, pour le droit
fiscal, LPF, art. L. 16 B IV bis). Cette procédure permet en effet
à une société perquisitionnée de contester, au cours de l’opération, la saisie d’un document qu’elle revendique être protégé, le
juge tranchant ce litige par la suite. Cela constituerait une avancée non négligeable car cette procédure – applicable par renvoi de
l’article L. 450-4 du Code de commerce à l’article 56 du Code de
procédure pénale – constitue aujourd’hui « une faculté laissée à
l’appréciation des enquêteurs »31. Ces deux idées, cumulées, permettraient un renforcement effectif des droits de la défense qui
confirmerait que le droit de la concurrence est bien entré dans une
ère nouvelle. En droit interne, bien sûr, comme l’illustre la récente
victoire du principe de loyauté de la preuve32. Mais aussi en droit
comparé, comme en témoigne un arrêt rendu le 5 mars 2013 par
la cour d’appel de Bruxelles et qui condamne clairement les saisies
globales réalisées aux mépris du secret professionnel de l’avocat33.
18 - Si les arrêts du 24 avril 2013 laissent espérer une avancée des
méthodes et des formalités encadrant les saisies, ils s’avèrent également, en second lieu, combler le fossé qui sépare aujourd’hui
encore le droit processuel de la concurrence (C. com., art. L. 4504) de la procédure pénale de droit commun (CPP, art. 56). Au
fond, les dérives causées par les saisies globales ne sont rien d’autre
que le symptôme d’un droit de la concurrence lacunaire d’un
point de vue procédural. Prenons quelques exemples criants. Le
Code de commerce ne prévoit pas que les agents de l’Autorité de
la concurrence ont l’obligation, comme c’est le cas des officiers de
police agissant dans le cadre d’une enquête judiciaire, de « provoquer préalablement [à la saisie] toutes mesures utiles pour que soit
assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense »
(C. proc. pén., art. 56 al. 3). Cette précision aurait pourtant été
88.194. - Cass. crim., 16 juin 2011 : Bull. crim.,
n° 135. - Cass. crim., 29 juin 2011, n° 10-85479.
- Cass. crim., 30 nov. 2011 : Bull. crim., n° 243.
- Cass. crim., 14 déc. 2011, n° 10-85.288. - Cass.
crim., 8 avr. 2010, n° 08-87.415.
30 Par exemple, M. Torck, Droit de communication des enquêteurs de l’AMF : la chambre
commerciale au secours du secret des correspondances entre l’avocat et son client ? : Dr. sociétés 2013, comm. 68.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013
31 Cass. crim., 17 juin 2009, n° 07-88.354. - Cass.
crim., 11 déc. 2011 : Bull. crim. 2011, n° 259. Cass. crim., 11 janv. 2012, n° 10-87.087 : JurisData n° 2012-002592.
32 V. Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.316
et 09-14.667 : JurisData n° 2011-000038 ; Bull.
civ. 2011, ass. plén., n° 1.
33 CA Bruxelles, 18e ch., 5 mars 2013, arrêt
n° 2011/MR/3 : RLC à paraître, obs. J. Bombardier.
Page 31
1453
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
fort utile (compar. LPF, art. L. 16 B III al. 4). Même constat sur
la question de la cohérence entre l’objet de la saisie et le domaine
de l’enquête – rappelons que c’est de cette difficulté qu’est née la
jurisprudence du « pour partie utile ». Sur ce point, le Code de
procédure pénale est à la fois plus précis et plus pragmatique que
le Code de commerce. Car par deux fois, pour l’acte de saisie mais
également pour le maintien de l’objet saisi, la loi pénale exige un
lien avec une finalité qu’elle détermine : la manifestation de la
vérité. L’alinéa 5 de l’article 56 dispose ainsi qu’« Il est procédé à
la saisie des données informatiques nécessaires à la manifestation
de la vérité (…) ». Quant à l’alinéa 7, il ne manque pas de relever qu’« Avec l’accord du procureur de la République, l’officier de
police judiciaire ne maintient que la saisie des objets, documents et
données informatiques utiles à la manifestation de la vérité » (V.,
pour l’instruction, CPP, art. 97). Le droit de la concurrence, lui,
est beaucoup plus restrictif sur ce point, l’objet saisi devant entrer
dans le champ de l’enquête tel que fixé par l’ordonnance d’autorisation du juge des libertés et de la détention. Et les exemples de ce
fossé pourraient se multiplier : en droit commun de l’enquête ou
de l’instruction, la jurisprudence a donné un régime juridique relativement stable aux saisies incidentes ; en matière d’instruction,
l’article 99 du Code de procédure pénale prévoit une procédure
de restitution des objets saisis au cours de l’information, alors que
l’article L. 450-4 du Code de commerce n’envisage la restitution
des pièces saisies qu’après la décision définitive de l’Autorité de la
concurrence. Tous ces exemples illustrent un décalage trop grand
entre deux procédures pourtant de plus en plus semblables. Les
arrêts du 24 avril 2013, en renforçant les droits de la défense des
entreprises, participent à la réduction de ce décalage, et donc à la
perte d’intérêt des saisies globales.
19 - Mais, en troisième lieu, l’on peut espérer que les arrêts commentés aient une grande influence sur les saisies réalisées en droit
fiscal et en droit boursier. Suite à l’affaire Ravon, les régimes juridiques des visites et saisies pratiquées dans ces deux matières ont
été, en même temps que le droit de la concurrence, mis pour partie en conformité avec le droit européen (C. com., art. L. 450-4 ;
C. monét. fin., art. L. 621-12 et LPF, art. L. 16 B34). Néanmoins,
des saisies globales y sont beaucoup pratiquées et les mêmes dérives sont constatées. Certes, en matière fiscale, la chambre commerciale de la Cour de cassation semble avoir fait un pas vers une
protection plus accrue du secret professionnel de l’avocat qui
échange des courriels avec son client35. Mais la tendance est tout
autre en droit boursier, où le juge continue de justifier les atteintes
portées par les saisies globales au secret professionnel de l’avocat
34 Sur la question, V. B. Bouloc, Procédure pénale :
Dalloz, 23e éd., 2012, n° 413.
35 Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.008 : JurisData n° 2012-009762. - Quoique, lorsque
les documents informatiques se trouvent en
dehors des locaux, cette attention est moins
Page 32
par des arguments tout à fait étonnants. Au premier rang desquels
figure la renonciation : c’est parce qu’elle remet volontairement ses
messages électroniques aux agents de l’AMF que la personne perquisitionnée renonce à ses droits de la défense. On ne peut que
soutenir la doctrine dans les critiques qu’elle oppose à cet argument, évidemment contestable37.
20 - En quatrième lieu, enfin, il faut espérer que les arrêts commentés tempèrent les ambitions du législateur. C’est qu’en effet,
le récent projet de loi relatif à la consommation prévoit expressément d’étendre la possibilité de réaliser des visites et saisies aux
infractions en matière d’information des consommateurs. Un
nouvel article L. 215-18, V, alinéa 4 du Code de la consommation
verrait ainsi le jour, qui permettrait aux agents agréés de procéder
à la saisie de « tous objets, documents et supports d’information
utiles aux besoins de l’enquête » - les saisies globales seraient ainsi
autorisées. Les sénateurs seront donc bien inspirés de tenir compte
du signal fort que leur envoie la chambre criminelle de la Cour
de cassation par ces cinq arrêts du 24 avril (même si les chances
sont minces, la question des saisies globales n’ayant nullement été
évoquée le 3 juillet 2013 à l’occasion de l’audition, au Sénat, de
M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence).
21 - En somme, il faut espérer que les arrêts commentés connaissent
un grand succès et que la pratique des saisies globales se déroule
enfin dans un cadre respectueux des droits fondamentaux. Mais
attention aux effets à long terme.
B. - Et les intérêts de la répression ?
22 - En mettant à terre la pratique des saisies globales, certaines
difficultés se feront peut-être jour. Sur le fond, on est en droit de
se demander si ce revirement de jurisprudence ne va pas à contrecourant d’une tendance que nul ne conteste, que les nouvelles technologies sont aujourd’hui un outil incontournable pour découvrir
efficacement la vérité. La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure (CPP, art. 57-1) ou celle du 14 mars 2011 d’orientation et
de programmation pour la performance de la sécurité intérieure
(CPP, art. 706-102-1) en sont des illustrations évidentes. Mais en
pratique - et non plus en théorie -, les saisies globales sont devenues une arme essentielle dans la lutte contre la criminalité, notamment la criminalité organisée. Il peut donc paraître regrettable
de s’en priver, d’autant plus que l’une des seules exceptions que
l’on connaît au principe de l’inviolabilité du secret professionnel
de l’avocat est entendue de façon extrêmement restrictive : il s’agit
visible, V. Cass. com., 26 févr. 2013, n° 1214.772 : JurisData n° 2013-003234 ; Dr. pén.
2013, comm. 76, obs. J.-H. Robert.
36 Cass. 1re civ., 8 mars 2012, n° 10-26.288 : JurisData n° 2012-005632. - Confirm., plus tacite-
ment, Cass. com., 29 janv. 2013, n° 11-27.333 :
JurisData n° 2013-001113.
37 Cass. 1re civ., 8 mars 2012, préc. : JCP E 2012,
1251, note D. Martin et M. Françon. - Cass.
com., 29 janv. 2013, n° 11-27.333, préc. : Dr.
sociétés 2013, comm. 68, S. Torck.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
ni plus ni moins de la participation de l’avocat à l’infraction dont
on cherche à acquérir la preuve38. Enfin, on peut simplement se
poser la question des limites. Si les droits de la défense méritent ici
qu’il soit fait obstacle aux saisies globales, pourquoi, un jour, n’en
1453
ira-t-il pas de même des informations personnelles des salariés, du
droit à la sûreté que la personne morale peut revendiquer sur son
patrimoine numérique, etc. ? Nul ne le sait encore.
Annexe
Cass. crim., 24 avr. 2013, n° 12-80.331
LA COUR (…) :
Attendu qu’il résulte de l’ordonnance attaquée et des pièces de
procédure que les services du rapporteur général de l’Autorité
de la concurrence ont procédé, les 9 et 10 novembre 2010, à
des opérations de visite et saisie dans les locaux de la société
Medtronic, autorisées par ordonnance du juge des libertés et de
la détention, en date du 15 octobre 2010 ; que la société visitée
a saisi le premier président de la cour d’appel, aux fins d’annulation de ces opérations et de restitution de la totalité des documents et fichiers saisis ;
En cet état ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des
articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de
l’homme, 101 du TFUE, 7, 47, 48 et 52 de la charte des droits
fondamentaux de l’union européenne, L. 420-1, L. 450-4 du
code de commerce, 56, 57, 57-1, 591 et 593 du code de procédure
pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de la saisie d’un disque dur externe contenant des données stockées
à l’étranger, l’ordonnance prononce par les motifs repris au
moyen ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, le juge, sans se contredire,
a justifié sa décision dès lors qu’il a constaté que le support des
données avait été remis spontanément aux enquêteurs, dans les
locaux de la société visitée, par le représentant de celle-ci ;
Qu’ainsi, le moyen ne saurait être admis ; (…)
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation
des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de
l’homme, 101 du TFUE, 7, 47, 48 et 52 de la charte des droits
fondamentaux de l’union européenne, L. 420-1, L. 450-4 du
code de commerce, 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 , 56, 591
et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque
de base légale ;
« en ce que l’ordonnance attaquée a rejeté toutes les demandes
d’annulation de la société Medtronic dirigées contre le déroulement des opérations de visite et saisies, constaté l’accord de
l’Autorité de la concurrence pour restituer, après vérification,
les pièces dont il serait démontré qu’elles sont véritablement
couvertes par le secret de la correspondance avocat client ou qui
relèveraient exclusivement de la vie privée des salariés, sous réserve que la société Medtronic en fournisse une liste exhaustive
permettant leur identification et constaté à cet égard que l’Autorité de la concurrence ne s’oppose pas la restitution par destruction des messages listés par la société Medtronic en pièce n° 7
qui relèvent véritablement de la correspondance avocat client
mais précise ne pas être en mesure de se prononcer sur le contenu des documents listés en pièce n° 8 par la société Medtronic ;
«aux motifs que sur la saisie intégrale des messageries de MM.
Z... et A... et de Mme X..., il n’est pas sérieusement contesté
que les fichiers informatiques saisis contiennent des éléments
d’information entrant dans le champ de l’autorisation, mais
la société Medtronic soutient, s’agissant de la saisie des messageries de MM. Z... et A... et de Mme X..., que le procédé utilisé
aboutirait à une saisie massive et indifférenciée d’un nombre
exorbitant de pièces, s’établissant, selon elle, à plus de 100 000
documents, ce qui caractériserait une absence de tri préalable,
irrégulière de documents couverts par le secret des correspondances avocat/ client (qui s’élèverait à près d’un millier selon
liste produite, alors même que M. Z... a émis des réserves à cet
égard et que la simple prise de connaissance compromettrait le
secret), contenant des données à caractère personnel (invoquant
une liste non exhaustive de 343 documents contenant les termes
« personnel » ; « perso », « privé » ; « personal » ou « private »)
ou sans rapport avec l’objet de l’enquête (estimant potentiellement que presque 75 % des documents seraient concernés), ne
serait pas indispensable en l’état de méthodes alternatives plus
appropriées (identification de messages par mots clés, scellé
fermé avant tri en présence de l’entreprise), contreviendrait à
l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
que l’Autorité relève qu’en réalité ont été saisis un total de 241
fichiers et que des sélections ont été opérées ; qu’il résulte effectivement du procès-verbal dressé le 9 novembre 2010 que
les saisies informatiques critiquées ne sont intervenues que
lorsqu’une analyse approfondie du support informatique a dû
être effectuée et alors qu’il était constaté la présence de documents entrant dans le champ de l’autorisation ; qu’ainsi aucun
document informatique n’a été saisi après accès à un serveur de
38 Cass. crim., 12 mars 1992 : Bull. crim. 1992, n° 112. - Cass. crim., 18 juin
2003, n° 03-81.979 : JurisData n° 2003-019803 ; Bull. crim. 2003, n° 129.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013
Page 33
1453
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
fichiers « parmlbfile 01 01 » mis à disposition ; qu’à l’évidence,
alors que les enquêteurs peuvent saisir tous supports d’information, ils ont choisi de procéder à la saisie, par voie de copie, sur
trois ordinateurs portables, de fichiers apparaissant présenter
des données pour partie utiles à l’enquête ; qu’il ne s’agit donc
pas d’une opération massive, ni indifférenciée, même si elle
porte sur de nombreuses données et sur l’intégralité des messageries du type Microsoft Outlook ; que si la société Medtronic
dénonce l’insuffisance du tri opéré et la saisie globale de fichiers,
elle ne produit aucun élément réellement susceptible de contredire les indications techniques, quant au caractère insécable de
l’ensemble indivisible formé par les fichiers messageries, fournies par l’Autorité, qui précise que :
- au regard de leur particularité ces fichiers ne peuvent en l’état
actuel de la technique être saisis que dans leur globalité, dès
lors qu’ils contiennent des éléments pour partie utiles à la
preuve des agissements suspectés,
- chaque messagerie du type Microsoft Outlook est stockée
dans un fichier conteneur unique, un tel mode de stockage,
préexistant, ne pouvant être changé par l’utilisateur ou l’administrateur réseau, seul endroit du stockage pouvant être choisi,
- le fait d’individualiser les messages en les extrayant est de nature à modifier l’état de l’ordinateur visité et des attributs des
fichiers,
- il en est ainsi des messageries de M. Z... et de Mme X... mis à la
disposition des enquêteurs sous la forme de fichiers « pst » ;
qu’il n’est pas discuté que chaque message peut être extrait,
quoique ne figurant pas comme un fichier distinct dans le
matériel informatique, l’Autorité précisant simplement, sans
que soit, en fait, apporté d’élément contraire, que l’obligation
de ne pas altérer les métadonnées des fichiers impose une saisie intégrale de ces fichiers messageries ; qu’il en résulte que
seule la saisie des fichiers messagerie en leur entier apparaît
donner actuellement une garantie d’origine, d’intégrité et
d’authenticité, des données ; qu’il ne peut, dans ces circonstances, être admis qu’il serait disproportionné, compte tenu de
la nécessité de préserver l’authenticité des données au jour de
la saisie, tant pour l’efficacité de l’enquête que la garantie des
droits de l’entreprise saisie, d’avoir procédé à la copie intégrale
des fichiers de messageries, sans individualisation, surplace,
des seuls messages entrant dans le champ de l’autorisation judiciaire, alors que ces fichiers présentent des éléments intéressant l’enquête, ce qui exclut un dépassement manifeste et préjudiciable de l’objet des investigations autorisées, et que par
ailleurs, la copie remise à la société saisie lui permet d’assurer
effectivement sa défense ; qu’il sera ajouté que si des correspondances échangées par la société Medtronic avec des avocats, des éléments à caractère personnel, ou hors champ d’enquête, ont pu être saisis, c’est exclusivement à raison du
caractère composite des contenus des fichiers de messageries
professionnelles et de leur copie en intégralité, dont il a été
relevé qu’elle constituait une garantie de fiabilité ; qu’aucun
Page 34
moyen illicite n’a été mis en œuvre pour saisir des pièces ou
documents susceptibles d’être protégés, étant observé que si le
président directeur-général de la société Medtronic a signalé
aux rapporteurs que sa messagerie contenait des documents
couverts par le secret de la correspondance avocat-client et
proposé d’en éviter la saisie par la fourniture de noms d’avocats, il a bien été informé que chaque fichier de messagerie de
type « pst « devait être saisi dans son intégralité ; que, par ailleurs, la fonction habituelle de telles messageries étant, par
nature, professionnelle, le seul choix de regroupements ou
qualifications de messages, effectués par l’utilisateur ne saurait
suffire à l’exclure et démontrer qu’il s’agit d’évidence d’éléments à caractère personnel ; qu’enfin seule une divulgation,
inexistante en la cause, violerait la confidentialité ; que la société Medtronic ne démontre pas la nécessité de modifier les
modalités de la saisie, dès lors que les rapporteurs ont pu inventorier informatiquement les fichiers saisis en la présence de
l’occupant des lieux ou de son représentant, après avoir eu
accès aux données informatiques, qu’ils ne sont pas tenus d’individualiser sur place les messages entrant dans le champ de
l’autorisation judiciaire, que la présence de courriels protégés
ou hors champ n’apparaît pas disproportionnée au regard du
but légitime et nécessaire de recherche autorisée d’éléments de
preuve de pratiques illicites, alors que des pièces entrant dans
le champ de l’autorisation sont incluses dans les messageries
copiées, que l’Autorité ne s’oppose pas à la restitution des
pièces listées en pièce 7 qui relèveraient véritablement de la
correspondance avocat-client et auraient trait à l’exercice des
droits de la défense ni de messages qui relèveraient exclusivement de la vie privée des salariés, précisant simplement que la
liste produite en pièce 8 ne la met pas en mesure d’en vérifier
le contenu et relevant, à juste titre, que la présence de documents sans rapport avec l’enquête ne saurait faire grief, faute
de pouvoir être utilisés ou d’être protégés ; qu’en définitive, les
données saisies n’apparaissant pas techniquement divisibles,
au regard des impératifs de leur préservation, ni étrangères au
but de l’autorisation accordée, les OVS ne sauraient être invalidées, pas plus que la saisie de tout ou partie des messageries
concernées ; que sur la vérification des documents saisis la
société Medtronic soutient que l’occupant des lieux (ou son
représentant) n’aurait pas été effectivement mis en mesure de
vérifier les documents au fur et à mesure de leur saisies, que
l’inventaire des fichiers saisis serait insuffisant et que toutes les
précautions nécessaires au respect de ses droits ne seraient pas
respectées ; que cependant les rapporteurs ne sauraient être
tenus dans le cadre de l’enquête de s’expliquer sur les moyens
de sélection leur permettant, en présence de l’occupant, de
déterminer les fichiers paraissant pertinents, au regard du
nombre de documents contenus dans chacun d’eux et de la
nécessaire efficacité de la recherche légitime d’éléments susceptibles d’intéresser l’enquête, alors qu’aucune disposition
légale n’impose cette communication ; que la recherche ainsi
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
effectuée ne saurait être préjudiciable à la partie saisie qui est
en mesure de contester l’étendue des saisies réalisées et d’obtenir ainsi un contrôle juridictionnel effectif des mesures ; que si
les fichiers de messageries ont été inventoriés informatiquement, ils sont suffisamment identifiés par leur nom, taille,
empreinte numérique et chemins d’accès, et authentifiés numériquement selon leur emplacement d’origine ; que cet inventaire des fichiers saisis a été réalisé sur place, le jour des
opérations, en la présence de l’occupant des lieux ou de son
représentant, après accès aux données informatiques et les
scellés mentionnent l’origine de la copie, et l’établissement
détaillé de l’intégralité des données ne saurait être exigé au
regard de leur quantité, alors que la description exhaustive des
pièces mises sous scellés n’est pas légalement imposée et qu’un
inventaire sous forme informatique des fichiers saisis n’est pas
interdit ; qu’enfin, les informations saisies ont fait l’objet d’une
copie remise à la société Medtronic lui permettant de connaître
précisément les données contenues dans chacun des fichiers
saisis ainsi inventoriés, et, partant, de vérifier de manière, en
fait, parfaitement fiable et exhaustive, ce qui n’est contredit par
aucun élément, toutes les données ainsi appréhendées contenues dans ces fichiers, garantissant les droits de la défense,
qu’au demeurant la société Medtronic a pu effectivement exercer le présent recours sur la base de ces copies, dont la remise a
été dûment actée au procès-verbal de visite et saisie ; que le
moyen de nullité tiré d’un non-respect effectif de droits de
vérification doit donc être rejeté ; que sur la loi Informatique
et Libertés, la société Medtronic soutient encore que les prescriptions de la loi Informatique et Libertés n° 78-17 du 6 janvier 1978 n’auraient pas été respectées alors que l’autorité procéderait à un traitement de données à caractère personnel au
sens de l’article 2 de cette loi en réalisant les opérations de
saisies dans les locaux d’une entreprise ; que cependant le traitement reproché ne s’applique pas à un ensemble de données
à caractère personnel, alors que les éléments sont organisés en
fichiers d’entreprise, par nature professionnels et ne
contiennent normalement que des messages échangés dans le
cadre des activités de la société Medtronic ; que, même si des
courriels à caractère personnel peuvent y être inclus, il ne peut
pour autant être valablement admis que les outils mis par l’entreprise à la disposition de ses collaborateurs pour les besoins
de l’activité sociale, seuls visités, perdent leur caractère professionnel ; que les fichiers de messageries constituant un tout
indivisible et comportant pour partie des éléments utiles, il ne
peut être considéré que les saisies ainsi réalisées, dûment autorisées, visant une personne morale, sont susceptibles d’enfreindre la loi Informatique et Libertés et d’être annulées en
tout, ou partie, à ce titre ; que sur la restitution, la société
Medtronic prétend qu’une simple restitution ne suffirait pas à
régulariser les saisies, alors que le secret professionnel et le caractère confidentiel des données personnelles seraient irrémédiablement compromis et que le cadre procédural délimitant
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013
1453
l’enquête n’aurait pas été respecté ; qu’il sera relevé que la
question prioritaire de constitutionnalité (QPC) présentée
dans un mémoire distinct (déposé le 2 mai 2011) également
évoquée par la société Medtronic a depuis fait l’objet d’une
ordonnance de refus de transmission le 4 octobre 2011 ; qu’il
ne saurait être retenu que la restitution de documents protégés
serait insuffisante, alors qu’elle aura nécessairement pour effet,
comme une annulation, laquelle ne peut porter que sur les
seuls documents appréhendés irrégulièrement, d’exclure l’utilisation de données relevant du secret de la correspondance
avocat-client ou de la vie privée, rétablissant, le cas échéant, les
droits de la société saisie, ce qui constitue incontestablement
un redressement approprié des droits protégés, la copie de ces
données ne pouvant dès lors faire grief ; qu’en l’espèce, ainsi
que précédemment rappelé, l’Autorité ne s’oppose pas à la restitution des documents protégés ; que le simple fait que ces
données ont néanmoins été copiées par celle-ci ne saurait
constituer une atteinte disproportionnée au regard des intérêts en présence alors que les nécessités de l’enquête judiciairement autorisée de recherche de preuves de pratiques illicites
justifient la saisie de messageries intégrales, laquelle préserve le
saisi de toute altération des données pouvant lui être opposées ; que, par ailleurs, le fait qu’il incombe à l’entreprise saisie
d’établir la réalité de la protection invoquée ne constitue pas
une rupture dans l’égalité des armes, alors que la copie remise
lui permet de vérifier précisément toutes les données appréhendées et que s’agissant de ses propres données elle peut les
identifier et les caractériser, étant observé que la pertinence de
la saisie d’un document ne peut s’apprécier que parla prise de
connaissance de son contenu ; qu’aucune atteinte disproportionnée au regard des intérêts en présence, y compris en terme
de coût, ou de l’objet de l’enquête autorisée n’est caractérisée,
alors qu’il n’est pas dénié que les fichiers saisis contiennent
pour partie des pièces entrant dans le champ de l’autorisation,
et que la restitution des éléments protégés qu’elles sont susceptibles de contenir, est de nature à exclure tout grief ; que les
OVS réalisées ne sauraient donc être invalidées ; qu’en conséquence, les demandes de la société Medtronic, tant principale
d’annulation de la totalité des opérations avec toutes conséquences de droit, que subsidiaires d’annulation de la saisie des
fichiers électroniques placés sous scellés n’10 ou de la saisie des
documents listés en pièce n’7 seront rejetées ; qu’il sera par
contre pris acte de l’accord de restitution de l’Autorité : (…)
4°) « alors que quelle qu’en soit la forme, les correspondances
échangées entre un avocat et son client sont insaisissables ce qui
interdit à l’administration de prendre connaissance de tels documents ; que la saisie de correspondances couvertes par le secret
professionnel concernant directement l’enquête en cours porte une
atteinte irrémédiable aux droits de la défense devant être sanctionnée par la nullité de la procédure ; qu’en décidant que la saisie
de courriels couverts par le secret professionnel n’a pas pour effet
d’invalider la totalité des opérations mais entraîne seulement la
Page 35
1453
ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES
restitution a posteriori de ces documents, le délégué du premier président a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme, 7, 47 et 52 de la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne, ensemble
l’article L. 450-4 du code de commerce ; » (…)
Les moyens étant réunis ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Attendu que le grief est devenu inopérant, dès lors que, par
arrêt du 27 juin 2012, la Cour de cassation a dit n’y a voir
lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche et le quatrième moyen, pris en ses trois premières et en sa cinquième
branches :
Attendu que, pour rejeter le surplus des demandes d’annulation et de restitution présentées par la société Medtronic,
l’ordonnance prononce par les motifs repris aux moyens ;
Attendu qu’en statuant ainsi, le premier président, qui
n’était pas tenu de se fonder sur les modalité techniques des
saisies, les moteurs de recherche et les mots-clefs utilisés,
que les enquêteurs n’ont pas l’obligation de révéler à la personne visitée, et dès lors que les parties ont eu la possibilité
d’établir que les fichiers entraient ou non dans les prévisions
de l’autorisation, a, sans méconnaître les textes légaux et
conventionnels et européens invoqués, justifié sa décision ;
D’où il suit que le grief ne saurait être admis ;
Mais sur le quatrième moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu les articles L. 450-4 du code de commerce et 66-5 de la loi
du 31 décembre 1971 ;
Attendu que le pouvoir reconnu aux agents de l’Autorité de
la concurrence par l’article L. 450-4 du code de commerce,
de saisir des documents et supports informatiques, trouve sa
Page 36
limite dans le principe de la libre défense qui commande de
respecter la confidentialité des correspondances échangées
entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits
de la défense ;
Attendu que, pour refuser de se prononcer sur le contenu
des documents listés en pièce n° 8 par la société Medtronic
et refuser d’annuler la saisie de la pièce n° 7 dont il admet
qu’elle relève véritablement de la correspondance entre
avocat et client, le premier président énonce que l’Autorité
ne s’oppose pas à la restitution de ce document protégé et
que la simple copie réalisée par celle-ci ne saurait constituer
une atteinte disproportionnée au regard des intérêts en présence, la pertinence de la saisie ne pouvant s’apprécier que
par la prise de connaissance de son contenu ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait
de rechercher si les pièces et supports informatiques dont la
saisie était contestée par la société étaient ou non couverts
par le secret professionnel entre un avocat et son client, et
sans annuler la saisie de correspondances dont il a constaté
qu’elles relevaient de la protection de ce secret et alors enfin
que la violation dudit secret intervient dès que le document
est saisi par les enquêteurs, le premier président a méconnu
les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelés ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs : casse et annule, l’ordonnance n° 111 du
premier président de la cour d’appel de Paris, en date du
15 novembre 2011, mais seulement en ce qu’elle a rejeté la
demande d’annulation de la saisie des pièces relevant de la
protection du secret professionnel entre un avocat et son
client et des droits de la défense, toutes autres dispositions
étant expressément maintenues (…).
LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013

Documents pareils