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1453 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES ÉTUDE DROIT ÉCONOMIQUE CONCURRENCE Les saisies globales posent une question délicate, celle de la conciliation de l’efficacité de l’enquête de concurrence avec le respect des droits de la défense, droits dont la confidentialité de la relation avocat/client est une figure incontestable. Pourtant, à cette question, l’article L. 450-4 du Code de commerce ne répond guère. Certes, depuis la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, le texte dispose que, en plus de la saisie de simples « documents », les enquêteurs peuvent procéder à celle de « tout support d’information ». Mais cette précision ne fait qu’autoriser le principe des saisies informatiques, sans aborder le problème de leur étendue. D’où les difficultés soulevées par les saisies globales et que les cinq arrêts rendus le 24 avril 2013 tendent à réduire. 1453 Les saisies globales en droit de la concurrence : perspectives nouvelles L Étude rédigée par Laurent Saenko1 Laurent Saenko est maître de conférences à l’université Paris-Sud, Membre du CERDI (Centre d’Etudes et de Recherche en Droit de l’Immatériel) 1 - La recherche de la vérité est devenue un objectif important du droit des affaires contemporain, qui ne peut toutefois être atteint au mépris des droits les plus fondamentaux. Tel est le sens des cinq arrêts rendus le 24 avril 2013 par la chambre criminelle de la Cour de cassation, tous relatifs au contentieux grandissant des saisies informatiques en droit de la concurrence et dont la publication, du moins de l’un d’eux, est promise au Bulletin2. Dans ladite espèce, la société Medtronic était suspectée de pratiques anticoncurrentielles. Après qu’un juge des libertés et de la détention l’a autorisé, ses locaux furent visités les 9 et 10 novembre 2010 et différents documents et fichiers informatiques furent saisis par les services du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence. Aux fins d’annulation de ces opérations et conformément à la procédure de 1 L’auteur tient à remercier Maître Julia Bombardier (JeantetAssociés) pour sa relecture attentive. 2 Cass. crim., 24 avr. 2013, n° 12-80.331 : JurisData n° 2013-008124 ; Bulletin à paraître. - Cass. crim., 24 avr. 2013, n° 12-80.332 : JurisData n° 2013007950. - Cass. crim., 24 avr. 2013, n° 12-80.335 : JurisData n° 2013007956 ; Dr. pén. 2013, comm. 112, obs. J.-H. Robert. - Cass. crim., 24 avr. 2013, n° 12-80.336 : JurisData n° 2013-008125. - Cass. crim., 24 avr. 2013, n° 12-80.346 : JurisData n° 2013-007953. Page 26 LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES l’article L. 450-4 du Code de commerce, la société visitée saisissait le premier président de la cour d’appel compétente. Elle faisait valoir que la saisie de plusieurs messageries électroniques avait été faite au mépris du respect des droits de la défense, certains documents couverts par le secret professionnel de l’avocat ayant été appréhendés. En somme, la société contestait ce que l’on appelle une saisie globale (dite encore « de masse »). Par une ordonnance du 15 novembre 2011, le premier président de la cour d’appel de Paris prononça la régularité de la saisie. S’il a effectivement admis que certains documents relevaient de la correspondance entre l’avocat et son client, le juge a néanmoins considéré que l’Autorité régulatrice comptait restituer les documents protégés, et que la simple copie réalisée par celle-ci ne constituait nullement une atteinte disproportionnée au regard des intérêts en présence. Au pourvoi, la société visitée avançait plusieurs arguments, articulés autour de quatre moyens. C’est le quatrième moyen, pris dans sa quatrième branche, qui emporta la conviction des magistrats de la Haute juridiction. Il y était défendu que les correspondances échangées entre un avocat et son client étaient insaisissables et que leur saisie portait une atteinte irrémédiable aux droits de la défense devant être sanctionnée par la nullité de la procédure. Au visa des articles L. 450-4 du Code de commerce et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, la cassation est prononcée : « Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de rechercher si les pièces et supports informatiques dont la saisie était contestée par la société étaient ou non couverts par le secret professionnel entre un avocat et son client, et sans annuler la saisie de correspondances dont il a constaté qu’elles relevaient de la protection de ce secret et alors enfin que la violation dudit secret intervient dès que le document est saisi par les enquêteurs, le premier président a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelés ». 2 - Ces cinq arrêts sont importants. On le sait, sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme notamment, les droits fondamentaux ont de plus en plus vocation à pénétrer les régimes juridiques des visites et saisies du droit des affaires3. Mais si le débat tournait jusqu’alors autour du problème du double degré de juridiction4, il tourne désormais autour d’une autre difficulté, celle – toute redoutable – née du développement des nouvelles technologies dans l’entreprise. En effet, lorsque l’Administration ou les enquêteurs sont désireux de saisir un document susceptible de prouver une entente ou un abus de position dominante, ils peuvent naturellement se diriger vers les messageries électroniques ou les réseaux informatiques de la société. Ce sont eux qui, bien souvent, renferment des échanges déterminants (entre concurrents, un dirigeant et son fournisseur, des salariés, etc.). Mais comment procéder ? Car si ces supports peuvent contenir des éléments 3 L. Saenko, Le temps en droit pénal des affaires, dir. B. Bouloc, 2008, n° 850. 4 CEDH, 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon et a. c/ France : D. 2008, p. 1054 ; Rev. sc. crim. 2008, p. 598, note H. Matsopoulou ; P. Le Monnier de incriminants entrant dans le champ de l’enquête, ils contiennent aussi tant d’autres choses qui n’y entrent pas. C’est notamment le cas des échanges entre un avocat et son client qui sont insaisissables par principe, étant protégés par le secret professionnel5. Les saisies globales posent alors une question délicate, celle de la conciliation de l’efficacité de l’enquête de concurrence avec le respect des droits de la défense, droits dont la confidentialité de la relation avocat/ client est une figure incontestable. Pourtant, à cette question, l’article L. 450-4 du Code de commerce ne répond guère. Certes, depuis la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, le texte dispose que, en plus de la saisie de simples « documents », les enquêteurs peuvent procéder à celle de « tout support d’information ». Mais cette précision ne fait qu’autoriser le principe des saisies informatiques, sans aborder le problème de leur étendue. De sorte que les difficultés soulevées par les saisies globales (1), si elles trouvent une sérieuse limite dans les cinq arrêts rendus le 24 avril 2013 par la Cour de cassation (2), n’empêchent pas certaines questions de se poser (3). 1. Les difficultés 3 - Les saisies globales agitent le contentieux de la concurrence depuis un certain nombre d’années en raison de la haute technicité du débat qu’elles soulèvent. Ce type de saisies très particulier présente deux difficultés : une relative aux pièces saisies – soit le contenu (A) –, une autre relative à la messagerie électronique – soit le contenant (B). A. - Le contenu 4 - Si l’on s’intéresse au contenu, d’abord, il faut rappeler que la saisie est dite globale justement parce qu’elle porte sur des éléments hétérogènes : certains d’entre eux servent concrètement la preuve les agissements qui sont visés par l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, tandis que d’autres entretiennent avec cet objectif un rapport moins évident – voire pas de rapport du tout. Pour autoriser la saisie indifférenciée de tous ces éléments, la jurisprudence a admis que « si l’Administration ne peut appréhender que des documents se rapportant aux agissements retenus par l’ordonnance d’autorisation de visite et saisie domiciliaires, il ne lui est pas interdit de saisir des pièces pour partie utiles à la preuve desdits agissements »7. Pour être saisie, une pièce n’a donc plus à être utile à la preuve de la pratique anticoncurrentielle ; il suffit qu’elle y soit pour partie utile. Si l’on fait état des documents physiques (agendas, bilans comptables, courriers manuscrits, etc.), cette subtilité a par exemple permis de justifier la saisie de pièces relatives à un chantier autre que celui visé par l’ordonnance d’autorisation8, ou encore Gouville, Le juge des libertés et de la détention, thèse Paris II, dir. D. Rebut, 2011, n° 493. 5 L. n° 71-1130, 31 déc. 1971, art. 66-5. LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013 1453 6 V. G. Fabre, Saisies globales de messageries et respect du secret professionnel de l’avocat : RLC 2012, n° 30, p. 60. 7 Cass. crim., 19 nov. 2003, n° 02-81.997. 8 Cass. crim., 19 nov. 2003, préc. Page 27 1453 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES celle de documents rédigés postérieurement à la pratique anticoncurrentielle incriminée9. Dématérialisation des biens oblige, c’est toutefois avec les saisies informatiques que cette jurisprudence s’est amplement illustrée. En effet, pour saisir des documents informatiques, les enquêteurs vont effectuer une recherche par mots-clés par l’intermédiaire d’un logiciel - l’objectif étant de déterminer si un ou plusieurs documents entrent dans le champ de l’investigation. Si tel est le cas, autorisés à saisir des pièces « pour partie » utiles, ils vont pouvoir saisir le contenu entier de la messagerie électronique10. Tout cela, bien sûr, au détriment d’autres documents qui se trouveront hors champ de l’autorisation du juge des saisies, comme ceux relevant de la vie privée ou, plus grave, du secret professionnel de l’avocat. Et il est vrai que cette position ne manque pas d’étonner, tant on peine à comprendre la cohérence du raisonnement sur lequel elle se fonde : pourquoi un message qui contiendrait le mot-clé choisi serait-il nécessairement « utile » à la preuve de la pratique anticoncurrentielle ? Plus étonnant encore, pourquoi un message qui ne le contiendrait pas y serait « pour partie » utile ? Il est curieux d’ainsi déduire de la proximité « numérique » de ces différents messages une finalité commune, fût-elle d’un degré différent. Est-ce la loi qui l’autorise ? On pourrait le penser car, sur ce point, l’article L. 450-4 du Code de commerce semble permettre toutes les fantaisies. Certes, le texte évoque le cadre judiciaire dans lequel s’inscrivent successivement l’autorisation puis le déroulement de la saisie. Mais, sauf peut-être très subtilement (C. com., art. L. 450-4, al. 3 in limine : « la saisie [s’effectue] sous l’autorité et le contrôle du juge qui [l’a autorisée] »), il n’en évoque pas le domaine. C’est donc à la jurisprudence qu’il est revenu de fixer ce dernier en énonçant, assez naturellement du reste, qu’« aux termes [de l’article L. 4504 du Code de commerce], peuvent être saisis tous documents en rapport avec les agissements prohibés visés par l’autorisation judiciaire »11. « En rapport avec »… voici une expression qu’il convient d’entendre restrictivement - à défaut de quoi tout aurait un rapport avec tout – et qui ne manque pas de révéler la sévérité de la Cour de cassation en matière de saisies globales. Car être « pour partie utile » « à la preuve de », c’est avoir un « rapport avec », certes, mais un rapport très maigre. Pourtant, on peut le vérifier à deux égards, la Haute juridiction a fermement maintenu cette position. D’une part, en cassant sèchement les décisions des juges du fond qui, sensibles au respect des droits de la défense, avaient annulé de telles saisies globales12. D’autre part, en refusant, à deux occasions, 9 Cass. crim., 9 févr. 2005, n° 03-86.664. - Cass. crim., 9 févr. 2005, n° 03-86.795: Bull. crim., n° 53. 10 Cass. crim., 12 déc. 2007, n° 06-81.907. - Cass. crim., 13 janv. 2010, n° 07-86.229 et 07-86.228. - Cass. crim., 14 déc. 2011 : Bull. crim., n° 259. - Cass. crim., 19 déc. 2012, n° 12-81.494. 11 Cass. crim., 14 nov. 2007, n° 05-85.739 ; Cass. crim., 1er juill. 2009, n° 07-84.399. 12 Cass. crim., 20 mai 2009, n° 07-86.437. Confirm. Cass. crim., 29 juin 2011, n° 1085.479 ; Cass. crim., 16 déc. 2009, n° 08-86.359. Page 28 de transmettre au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l’article L. 450-4 du Code de commerce et son interprétation13. L’argument du « pour partie utile » a donc un effet considérable sur le contenu immatériel d’une messagerie électronique ou d’un disque dur : elle permet superficiellement de le concentrer, de l’agréger autour d’un même objectif : la preuve de la pratique anticoncurrentielle. Après le contenu, le contenant. B. - Le contenant 5 - Si l’on s’intéresse au contenant, ensuite, c’est une raison, non plus juridique mais technique qui permet aux juges du fond de justifier la saisie globale. Il s’agit de l’insécabilité. C’est parce que le support informatique qui contient les messages électroniques est considéré comme étant insécable que la saisie ne peut porter que sur le contenant, et non sur le contenu. Aussi, pour dispenser les enquêteurs de procéder à une saisie sélective, les juges du fond, soutenus en cela par la Cour de cassation, affirment sans relâche l’indivisibilité des messageries électroniques et des disques durs14. La raison invoquée est celle de l’authenticité. Seule une saisie globale serait capable d’assurer aux données récoltées une garantie d’origine, d’intégrité et d’authenticité. Cette position est pleinement assumée par la Haute juridiction. En 2010, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris s’était montré réceptif à l’inquiétude des entreprises et, à l’occasion de demandes en annulation d’opérations de visites et saisies, avait, par trois ordonnances, décidé de surseoir à statuer en attendant le résultat d’une expertise15. L’objectif était de déterminer si la saisie globale était bien la seule méthode susceptible de combiner sécurité (des données) et respect (des droits de la défense). Mais à plusieurs occasions, la chambre criminelle a censuré ces initiatives. Au sens de l’article 143 du Code de procédure civile, les mesures d’instruction diligentées seraient, selon elle, « sans rapport concret avec le litige ». On ne peut évidemment que s’émouvoir d’une telle rigueur car, comme on l’a fait remarquer17, la cassation de 2012 a été prononcée après que l’expert a rendu son rapport, rapport dans lequel il montrait que la saisie sélective était techniquement possible18. Toujours est-il que c’est bien l’insécabilité des supports informatiques qui permet de parfaire le raisonnement juridique sur lequel reposent les saisies globales : après la réunion (des élé- 13 Cass. crim., 19 oct. 2011, n° 10-88.194 et 1088197. - Cass. crim., 27 juin 2012 : Bull. crim., n° 212. 14 Cass. crim., 17 juin 2009, n° 07-88.354. - Cass. crim., 8 avr. 2010, n° 08-87.415 et 08-87.416. - Cass. crim., 29 juin 2011, préc. - Cass. crim., 14 déc. 2011 : Bull. crim. 2011, n° 259. - Cass. crim., 14 déc. 2011, n° 10-85.288, 10-85.292, 10-85.294 et 10-85.295. 15 CA Paris, ord. n° 365, 366 et 369, 2 nov. 2010. Sur elles, V. J. Bombardier et Y. Paclot : Option Finance 2011, n° 1108, p. 27. 16 Cass. crim., 16 juin 2011 : Bull. crim. 2011, n° 135. - Cass. crim., 11 janv. 2012 : Bull. crim. 2012, n° 10. - Cass. crim., 11 janv. 2012, n° 1088.193 et 10-88.194. 17 J. Catala Marty et L. Nouvel, Conciliation des droits de la défense et les intérêts de l’enquête dans la perquisition en concurrence : JCP E 2012, 1442. 18 Comme c’est le cas notamment pour les saisies réalisées à l’initiative de la Commission européenne, V. J. Bombardier et B. Bouloc : RLC 2012, n° 30, p. 45. LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES Pourquoi un message qui contiendrait le mot-clé choisi serait-il nécessairement « utile » à la preuve de la pratique anticoncurrentielle ? ments du contenu), l’extraction (du contenant). Grâce à elle, des informations protégées par le secret professionnel de l’avocat vont pouvoir être saisies en toute impunité, et ce contre la lettre de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et la fermeté du droit international19. Faut-il s’en offusquer ? On serait tenté de répondre par la négative tant notre droit est habitué, souvent par rejet de l’infiniment petit, à outrageusement profiter de l’argument (on connaît les débats qui ont animé ou animent encore l’indivisibilité contractuelle, l’œuvre multimédia, les universalités de fait ou encore le « tout indivisible » en matière d’escroquerie). Mais c’est pourtant une réponse positive qui s’impose avec force. Car la dématérialisation de la conversation entre un avocat et son client n’affadit en rien la vigueur des droits fondamentaux qui s’y applique. Or, ces droits fondamentaux ne peuvent porter que sur une fraction du contenu de la messagerie électronique, jamais sur le contenant lui-même. L’insécabilité, argument avancé par les juges pour légitimer la saisie globale, n’est en réalité qu’une justification technique utile à faire primer la neutralité d’un ensemble sur les droits applicables à ses éléments. Pourtant, à en croire le rapport remis le 28 août 2011 par l’expert mandaté par le magistrat délégué, l’insécabilité ne serait pas absolue. Une saisie sélective des messages ayant un véritable rapport avec l’objet de la perquisition serait tout à fait possible20. C’est peut-être cela qui a incité la Cour de cassation à dépasser sa position par les cinq arrêts rendus le 24 avril 2013. 2. La solution 6 - Les cinq arrêts rendus le 24 avril 2013 par la chambre criminelle de la Cour de cassation constituent un revirement de jurisprudence incontestable. Alors que le premier président de la cour d’appel avait prononcé la régularité de la saisie globale, la Cour de cassation, en cassant, décide de privilégier le secret des correspondances avocat/client sur l’efficacité de la perquisition. Pour ce faire, la Cour de cassation apporte deux précisions très importantes, une relative à la constatation de la violation des droits de la défense (A), une autre relative au moment de cette violation (B). A. - La constatation de la violation des droits de la défense 7 - La première précision, d’abord, est relative au rôle du juge dans la constatation de la violation des droits de la défense. Sa mission 19 Notamment, CEDH, 16 déc. 1992, N. c/ Allemagne : série A, n° 251-B ; TPICE, 17 sept. 2007, aff. T-125/03, Akzo Nobel Chemicals : Europe 2007, comm. 311, note L. Idot. s’avère en effet renforcée a priori et simplifiée a posteriori. 8 - Renforcée a priori, d’une part, car selon la Haute juridiction, « il appartenait [au premier président de la cour d’appel] de rechercher si les pièces et supports informatiques dont la saisie était contestée par la société étaient ou non couverts par le secret professionnel entre un avocat et son client ». 9 - Premier constat : le juge doit désormais adopter une posture active. Dès lors qu’une partie conteste une saisie et invoque la violation du secret professionnel, c’est à lui qu’il revient de « rechercher » si le document critiqué est, ou non, couvert par le secret. La mission du juge est donc - enfin - pleinement tournée vers la protection des droits de la défense. Les attendus de principe des cinq arrêts commentés le révèlent sans concession : « Attendu que le pouvoir reconnu aux agents de l’Autorité de la concurrence par l’article L. 450-4 du code de commerce, de saisir des documents et supports informatiques, trouve sa limite dans le principe de la libre défense qui commande de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense ». Il faut saluer cette solution, qui rejoint celle appliquée depuis longtemps en matière d’instruction préparatoire. Sauf exception, le pouvoir du juge d’instruction de saisir tout document utile à la manifestation de la vérité « trouve sa limite dans le principe de la libre défense, qui domine toute la procédure pénale et qui commande de respecter les communications confidentielles des inculpés avec les avocats qu’ils ont choisis »21. On comprendrait donc mal que la chambre criminelle sacrifie les droits de la défense en matière d’enquête de concurrence alors qu’elle les défend énergiquement dans d’autres cadres juridiques ce temps est révolu... 10 - En plus d’évoquer la « recherche » que le juge doit désormais conduire, la Cour de cassation - c’est le second constat - en précise opportunément l’objet. Les juges du fond doivent rechercher si les « pièces et supports informatiques » sont, ou non, protégés par le secret professionnel de l’avocat. Cette distinction entre « pièces » et « supports » informatiques n’est pas anodine. Les « supports informatiques », ce sont essentiellement des objets (tels des disques dur, CD, DVD, clés USB, etc.) alors que les « pièces informatiques », expression plus imagée, vise très certainement les documents immatériels contenant des données numériques. En les distinguant clairement, la chambre criminelle renverse donc la logique jusqu’alors admise et fait enfin primer les éléments sur 20 V. les explications d’A. Ronzano, in Creda concurrence, lettre 19 oct. 2011. LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013 1453 21 Cass. crim., 12 mars 1992 : Bull. crim. 1992, n° 112. Page 29 1453 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES l’ensemble. Les messages électroniques protégés par la confidentialité, dont la saisie était autrefois justifiée par l’effet cumulé sur le contenu (le « pour partie utile ») puis le contenant (l’insécabilité), le sont désormais réellement. Le juge va donc opérer un véritable contrôle de fond. Mais que devra-t-il faire s’il constate qu’a été saisi un message couvert par le secret professionnel ? 11 - Il devra, d’autre part, en prononcer la nullité. La Cour de cassation est très claire : « (…) sans annuler la saisie de correspondances dont il a constaté qu’elles relevaient de la protection de ce secret », le premier président a violé les articles L. 450-4 du Code de commerce et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. La mission du juge s’en trouve simplifiée. S’il constate que la saisie porte sur une pièce dont le contenu est protégé par le secret, il doit se contenter d’en prononcer la nullité. Il en allait tout autrement auparavant, où le contrôle du juge était beaucoup plus lourd – et moins efficace. Partant du principe que la saisie globale ne portait pas atteinte aux droits de la défense, son contrôle se réalisait par l’analyse factuelle du procès-verbal et de l’inventaire (C. com., art. L. 450-4, al. 9). Par eux, il vérifiait la cohérence entre les données informatiques saisies et l’étendue de l’autorisation accordée par le juge des libertés et de la détention22, mais aussi le fait que les fichiers informatiques saisis avaient correctement fait l’objet de l’inventaire dont mention était portée au procès-verbal23. Si le rôle du juge est renforcé a priori et allégé a posteriori, il se pose tout de même une question : la nullité de la saisie de messages électroniques réalisée en violation des droits de la défense emporte-t-elle nullité de la saisie des pièces non protégées ? Autrement dit, l’argument de l’insécabilité est-il réversible ? Impose-t-il la nullité de l’ensemble si l’un de ses éléments en est affecté ? La question de l’impact de la violation du secret professionnel de l’avocat sur la saisie de pièces neutres s’était déjà posée devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Dans une affaire où une société contestait la saisie globale de plusieurs centaines de messages électroniques - dont une partie était relative aux échanges entre certains de ses membres et son avocat -, les juges du fond avait considéré qu’il n’y avait pas lieu « de donner suite à la demande de nullité de l’ensemble des opérations de saisie qui présente un caractère disproportionné et reviendrait à annuler une partie des saisies intervenue dans des conditions parfaitement régulières ». Ils ont été suivis par la Cour de cassation, qui a considéré que l’invalidation des saisies de documents confidentiels ou couverts par le secret professionnel « n’entraînait pas la nullité de l’ensemble des opérations »24. Cette position, qui est également celle retenue en matière fiscale25, ne semble pas devoir être modifiée par les arrêts commentés (lesquels ne prononcent du 22 Cass. crim., 30 nov. 2011 : Bull. crim. 2011, n° 243. - Cass. crim., 30 nov. 2011, n° 1081.748 : JurisData n° 2011-026678. 23 Cass. crim., 12 déc. 2007. - Cass. crim., 16 juin 2001 : Bull. crim. 2001, n° 135. - Cass. crim., 11 janv. 2012 : Bull. crim. 2012, n° 10. - Cass. Page 30 reste qu’une cassation partielle). Dès lors que les pièces contestées sont inventoriées séparément, le fait que le juge prononce leur nullité n’affecte ni les saisies concurrentes, ni même le procès-verbal relatant le déroulement des opérations. 12 - Outre la constatation de la violation des droits de la défense, c’est sur le moment de cette violation que la Haute juridiction apporte des précisions intéressantes. B. - Le moment de la violation des droits de la défense 13 - La seconde précision, ensuite, est relative au moment de la violation des droits de la défense. La Cour de cassation énonce en effet que « (…) la violation dudit secret intervient dès que le document est saisi par les enquêteurs ». Cette précision, qui peut paraître superflue au premier abord, est en réalité d’une grande richesse car elle neutralise les arguments de pure opportunité traditionnellement avancés par les juridictions du fond pour justifier les saisies globales. On peut les classer par ordre chronologique. Le premier argument concerne l’atteinte causée par la saisie globale. En prononçant la cassation, la Haute juridiction désavoue le premier président de la cour d’appel qui avait considéré que « la simple copie réalisée par [l’autorité de la concurrence] ne saurait constituer une atteinte disproportionnée au regard des intérêts en présence, la pertinence de la saisie ne pouvant s’apprécier que par la prise de connaissance de son contenu ». La copie (c’est-à-dire la saisie globale) était donc justifiée par la relativité de l’atteinte causée, la prise de connaissance du contenu du message protégé étant un préalable nécessaire à l’étude de l’opportunité de la saisie. Cet argument tient de l’erreur de raisonnement et la Cour de cassation ne manque pas de le rappeler. En effet, ce n’est pas la prise de connaissance du contenu du message qui consomme la violation des droits de la défense, mais la saisie réalisée en connaissance de la protection dont ce dernier bénéficie. Le deuxième argument avancé est, lui, relatif aux rôles des autorités de poursuites. Y a-t-il encore violation des droits de la défense lorsque les enquêteurs sont eux-mêmes soumis au secret professionnel et que l’Autorité de la concurrence ne pourra pas agir sur le fondement des informations recueillies ? Ce raisonnement, qui camoufle les effets négatifs de la saisie globale, a séduit un temps la Cour de cassation27. Mais en fixant désormais la violation des droits de la défense à la date de ladite saisie, la Haute juridiction admet implicitement le risque que représente la simple prise de connaissance, par les enquêteurs, d’informations protégées par le secret de l’avocat – ne serait-ce que crim., 11 janv. 2012, n° 10-88.193 : JurisData n° 2012-000216. - Cass. crim., 11 janv. 2012, n° 10-88.194 : JurisData n° 2012-000217. Cass. crim., 11 janv. 2012, n° 10-87.087: JurisData n° 2012-002592. 24 Cass. crim., 11 janv. 2012, préc. 25 Cass. crim., 18 janv. 2011, n° 10-11.778 et 1011.777. 26 V., en matière fiscale encore, Cass. com., 26 juin 2012 : Bull. civ. 2012, IV, n° 137. 27 V. Cass. crim., 29 juin 2011, n° 10-85.479 : JurisData n° 2011-017024. LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES 1453 L’argument de l’insécabilité est-il réversible? sur le chapitre de l’impartialité subjective. Il faut donc saluer la chambre criminelle de la Cour de cassation de s’éloigner de la position prise par la première chambre civile qui, en matière boursière, avait considéré que la violation des droits de la défense était consommée par l’utilisation indue de l’information protégée par le secret28. Quant au troisième et dernier argument, il a trait cette fois au rôle du juge et à la restitution de la pièce saisie illégalement. Il est vrai qu’il était de jurisprudence constante que la société victime se trouve restaurée dans ses droits par la restitution, par destruction, de la pièce qui avait été saisie en violation de ses droits de la défense29. Or, encore une fois, en considérant que la violation des droits de la défense a lieu à l’instant précis de la saisie globale, la Cour de cassation rejette toute idée de repentir actif : les droits de la défense sont violés irrémédiablement et aucune réparation en nature ne saurait les réparer par la suite. 14 - La solution rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation semble atténuer les difficultés soulevées par la saisies globales. Mais elle pose également des questions. 3. Les questions 15 - Deux questions peuvent se poser : les cinq arrêts rendus le 24 avril 2013 auront-il raison de la pratique des saisies globales (A) ? Et si oui, cela n’est-il pas contraire aux intérêts de la répression (B) ? A. - Vers la fin des saisies globales ? 16 - Dans la mesure où ils en réduisent considérablement l’attrait, ces arrêts vont certainement signer la fin de cette pratique contestable que constituent les saisies globales. Le fait de trouver un motclé dans une messagerie électronique ne sera plus désormais un motif suffisant pour, sans risque, la saisir entièrement. Si tel est le cas et que le juge constate que la pièce contestée est protégée par le secret professionnel de l’avocat, il prononcera la nullité de sa saisie. Les saisies globales restent donc admissibles par principe, mais trouvent une importante limite dans le respect des droits de la défense. Cela aura trois types de conséquences. 28 Cass. 1re civ., 8 mars 2012, n° 10-26.288 : JurisData n° 2012-005632. - E. Dezeuze, Appréhension par les enquêteurs de l’AMF de correspondances échangées entre un avocat et son client : Rev. sociétés 2012, p. 379. - D. Martin et M. Françon, L’utilisation indue d’une information confidentielle par l’AMF validée par la Cour de cassation : JCP E 2012, 1251. 29 Cass. crim., 11 janv. 2012, Bull. crim., n° 10. Cass. crim., 11 janv. 2012, n° 10-88.193 et 10- 17 - En premier lieu, les méthodes des enquêteurs de la DGCCRF et de l’Autorité de la concurrence seront condamnées à évoluer. Avec une grande partie de la doctrine30, on les incitera à s’inspirer des saisies exécutées à l’initiative de la Commission européenne par lesquelles, à l’aide d’un logiciel spécialisé, les enquêteurs réalisent, dans les locaux de l’entreprise et de façon contradictoire, une sélection des messages électroniques sans jamais mettre en péril leur authenticité. Mais l’on pourrait également inciter le législateur à s’inspirer du droit allemand de la concurrence pour instaurer une procédure de scellés provisoires (V. également, pour le droit fiscal, LPF, art. L. 16 B IV bis). Cette procédure permet en effet à une société perquisitionnée de contester, au cours de l’opération, la saisie d’un document qu’elle revendique être protégé, le juge tranchant ce litige par la suite. Cela constituerait une avancée non négligeable car cette procédure – applicable par renvoi de l’article L. 450-4 du Code de commerce à l’article 56 du Code de procédure pénale – constitue aujourd’hui « une faculté laissée à l’appréciation des enquêteurs »31. Ces deux idées, cumulées, permettraient un renforcement effectif des droits de la défense qui confirmerait que le droit de la concurrence est bien entré dans une ère nouvelle. En droit interne, bien sûr, comme l’illustre la récente victoire du principe de loyauté de la preuve32. Mais aussi en droit comparé, comme en témoigne un arrêt rendu le 5 mars 2013 par la cour d’appel de Bruxelles et qui condamne clairement les saisies globales réalisées aux mépris du secret professionnel de l’avocat33. 18 - Si les arrêts du 24 avril 2013 laissent espérer une avancée des méthodes et des formalités encadrant les saisies, ils s’avèrent également, en second lieu, combler le fossé qui sépare aujourd’hui encore le droit processuel de la concurrence (C. com., art. L. 4504) de la procédure pénale de droit commun (CPP, art. 56). Au fond, les dérives causées par les saisies globales ne sont rien d’autre que le symptôme d’un droit de la concurrence lacunaire d’un point de vue procédural. Prenons quelques exemples criants. Le Code de commerce ne prévoit pas que les agents de l’Autorité de la concurrence ont l’obligation, comme c’est le cas des officiers de police agissant dans le cadre d’une enquête judiciaire, de « provoquer préalablement [à la saisie] toutes mesures utiles pour que soit assuré le respect du secret professionnel et des droits de la défense » (C. proc. pén., art. 56 al. 3). Cette précision aurait pourtant été 88.194. - Cass. crim., 16 juin 2011 : Bull. crim., n° 135. - Cass. crim., 29 juin 2011, n° 10-85479. - Cass. crim., 30 nov. 2011 : Bull. crim., n° 243. - Cass. crim., 14 déc. 2011, n° 10-85.288. - Cass. crim., 8 avr. 2010, n° 08-87.415. 30 Par exemple, M. Torck, Droit de communication des enquêteurs de l’AMF : la chambre commerciale au secours du secret des correspondances entre l’avocat et son client ? : Dr. sociétés 2013, comm. 68. LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013 31 Cass. crim., 17 juin 2009, n° 07-88.354. - Cass. crim., 11 déc. 2011 : Bull. crim. 2011, n° 259. Cass. crim., 11 janv. 2012, n° 10-87.087 : JurisData n° 2012-002592. 32 V. Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, n° 09-14.316 et 09-14.667 : JurisData n° 2011-000038 ; Bull. civ. 2011, ass. plén., n° 1. 33 CA Bruxelles, 18e ch., 5 mars 2013, arrêt n° 2011/MR/3 : RLC à paraître, obs. J. Bombardier. Page 31 1453 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES fort utile (compar. LPF, art. L. 16 B III al. 4). Même constat sur la question de la cohérence entre l’objet de la saisie et le domaine de l’enquête – rappelons que c’est de cette difficulté qu’est née la jurisprudence du « pour partie utile ». Sur ce point, le Code de procédure pénale est à la fois plus précis et plus pragmatique que le Code de commerce. Car par deux fois, pour l’acte de saisie mais également pour le maintien de l’objet saisi, la loi pénale exige un lien avec une finalité qu’elle détermine : la manifestation de la vérité. L’alinéa 5 de l’article 56 dispose ainsi qu’« Il est procédé à la saisie des données informatiques nécessaires à la manifestation de la vérité (…) ». Quant à l’alinéa 7, il ne manque pas de relever qu’« Avec l’accord du procureur de la République, l’officier de police judiciaire ne maintient que la saisie des objets, documents et données informatiques utiles à la manifestation de la vérité » (V., pour l’instruction, CPP, art. 97). Le droit de la concurrence, lui, est beaucoup plus restrictif sur ce point, l’objet saisi devant entrer dans le champ de l’enquête tel que fixé par l’ordonnance d’autorisation du juge des libertés et de la détention. Et les exemples de ce fossé pourraient se multiplier : en droit commun de l’enquête ou de l’instruction, la jurisprudence a donné un régime juridique relativement stable aux saisies incidentes ; en matière d’instruction, l’article 99 du Code de procédure pénale prévoit une procédure de restitution des objets saisis au cours de l’information, alors que l’article L. 450-4 du Code de commerce n’envisage la restitution des pièces saisies qu’après la décision définitive de l’Autorité de la concurrence. Tous ces exemples illustrent un décalage trop grand entre deux procédures pourtant de plus en plus semblables. Les arrêts du 24 avril 2013, en renforçant les droits de la défense des entreprises, participent à la réduction de ce décalage, et donc à la perte d’intérêt des saisies globales. 19 - Mais, en troisième lieu, l’on peut espérer que les arrêts commentés aient une grande influence sur les saisies réalisées en droit fiscal et en droit boursier. Suite à l’affaire Ravon, les régimes juridiques des visites et saisies pratiquées dans ces deux matières ont été, en même temps que le droit de la concurrence, mis pour partie en conformité avec le droit européen (C. com., art. L. 450-4 ; C. monét. fin., art. L. 621-12 et LPF, art. L. 16 B34). Néanmoins, des saisies globales y sont beaucoup pratiquées et les mêmes dérives sont constatées. Certes, en matière fiscale, la chambre commerciale de la Cour de cassation semble avoir fait un pas vers une protection plus accrue du secret professionnel de l’avocat qui échange des courriels avec son client35. Mais la tendance est tout autre en droit boursier, où le juge continue de justifier les atteintes portées par les saisies globales au secret professionnel de l’avocat 34 Sur la question, V. B. Bouloc, Procédure pénale : Dalloz, 23e éd., 2012, n° 413. 35 Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-14.008 : JurisData n° 2012-009762. - Quoique, lorsque les documents informatiques se trouvent en dehors des locaux, cette attention est moins Page 32 par des arguments tout à fait étonnants. Au premier rang desquels figure la renonciation : c’est parce qu’elle remet volontairement ses messages électroniques aux agents de l’AMF que la personne perquisitionnée renonce à ses droits de la défense. On ne peut que soutenir la doctrine dans les critiques qu’elle oppose à cet argument, évidemment contestable37. 20 - En quatrième lieu, enfin, il faut espérer que les arrêts commentés tempèrent les ambitions du législateur. C’est qu’en effet, le récent projet de loi relatif à la consommation prévoit expressément d’étendre la possibilité de réaliser des visites et saisies aux infractions en matière d’information des consommateurs. Un nouvel article L. 215-18, V, alinéa 4 du Code de la consommation verrait ainsi le jour, qui permettrait aux agents agréés de procéder à la saisie de « tous objets, documents et supports d’information utiles aux besoins de l’enquête » - les saisies globales seraient ainsi autorisées. Les sénateurs seront donc bien inspirés de tenir compte du signal fort que leur envoie la chambre criminelle de la Cour de cassation par ces cinq arrêts du 24 avril (même si les chances sont minces, la question des saisies globales n’ayant nullement été évoquée le 3 juillet 2013 à l’occasion de l’audition, au Sénat, de M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence). 21 - En somme, il faut espérer que les arrêts commentés connaissent un grand succès et que la pratique des saisies globales se déroule enfin dans un cadre respectueux des droits fondamentaux. Mais attention aux effets à long terme. B. - Et les intérêts de la répression ? 22 - En mettant à terre la pratique des saisies globales, certaines difficultés se feront peut-être jour. Sur le fond, on est en droit de se demander si ce revirement de jurisprudence ne va pas à contrecourant d’une tendance que nul ne conteste, que les nouvelles technologies sont aujourd’hui un outil incontournable pour découvrir efficacement la vérité. La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure (CPP, art. 57-1) ou celle du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (CPP, art. 706-102-1) en sont des illustrations évidentes. Mais en pratique - et non plus en théorie -, les saisies globales sont devenues une arme essentielle dans la lutte contre la criminalité, notamment la criminalité organisée. Il peut donc paraître regrettable de s’en priver, d’autant plus que l’une des seules exceptions que l’on connaît au principe de l’inviolabilité du secret professionnel de l’avocat est entendue de façon extrêmement restrictive : il s’agit visible, V. Cass. com., 26 févr. 2013, n° 1214.772 : JurisData n° 2013-003234 ; Dr. pén. 2013, comm. 76, obs. J.-H. Robert. 36 Cass. 1re civ., 8 mars 2012, n° 10-26.288 : JurisData n° 2012-005632. - Confirm., plus tacite- ment, Cass. com., 29 janv. 2013, n° 11-27.333 : JurisData n° 2013-001113. 37 Cass. 1re civ., 8 mars 2012, préc. : JCP E 2012, 1251, note D. Martin et M. Françon. - Cass. com., 29 janv. 2013, n° 11-27.333, préc. : Dr. sociétés 2013, comm. 68, S. Torck. LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES ni plus ni moins de la participation de l’avocat à l’infraction dont on cherche à acquérir la preuve38. Enfin, on peut simplement se poser la question des limites. Si les droits de la défense méritent ici qu’il soit fait obstacle aux saisies globales, pourquoi, un jour, n’en 1453 ira-t-il pas de même des informations personnelles des salariés, du droit à la sûreté que la personne morale peut revendiquer sur son patrimoine numérique, etc. ? Nul ne le sait encore. Annexe Cass. crim., 24 avr. 2013, n° 12-80.331 LA COUR (…) : Attendu qu’il résulte de l’ordonnance attaquée et des pièces de procédure que les services du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence ont procédé, les 9 et 10 novembre 2010, à des opérations de visite et saisie dans les locaux de la société Medtronic, autorisées par ordonnance du juge des libertés et de la détention, en date du 15 octobre 2010 ; que la société visitée a saisi le premier président de la cour d’appel, aux fins d’annulation de ces opérations et de restitution de la totalité des documents et fichiers saisis ; En cet état ; Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 101 du TFUE, 7, 47, 48 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’union européenne, L. 420-1, L. 450-4 du code de commerce, 56, 57, 57-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de la saisie d’un disque dur externe contenant des données stockées à l’étranger, l’ordonnance prononce par les motifs repris au moyen ; Attendu qu’en se déterminant ainsi, le juge, sans se contredire, a justifié sa décision dès lors qu’il a constaté que le support des données avait été remis spontanément aux enquêteurs, dans les locaux de la société visitée, par le représentant de celle-ci ; Qu’ainsi, le moyen ne saurait être admis ; (…) Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 101 du TFUE, 7, 47, 48 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’union européenne, L. 420-1, L. 450-4 du code de commerce, 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 , 56, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; « en ce que l’ordonnance attaquée a rejeté toutes les demandes d’annulation de la société Medtronic dirigées contre le déroulement des opérations de visite et saisies, constaté l’accord de l’Autorité de la concurrence pour restituer, après vérification, les pièces dont il serait démontré qu’elles sont véritablement couvertes par le secret de la correspondance avocat client ou qui relèveraient exclusivement de la vie privée des salariés, sous réserve que la société Medtronic en fournisse une liste exhaustive permettant leur identification et constaté à cet égard que l’Autorité de la concurrence ne s’oppose pas la restitution par destruction des messages listés par la société Medtronic en pièce n° 7 qui relèvent véritablement de la correspondance avocat client mais précise ne pas être en mesure de se prononcer sur le contenu des documents listés en pièce n° 8 par la société Medtronic ; «aux motifs que sur la saisie intégrale des messageries de MM. Z... et A... et de Mme X..., il n’est pas sérieusement contesté que les fichiers informatiques saisis contiennent des éléments d’information entrant dans le champ de l’autorisation, mais la société Medtronic soutient, s’agissant de la saisie des messageries de MM. Z... et A... et de Mme X..., que le procédé utilisé aboutirait à une saisie massive et indifférenciée d’un nombre exorbitant de pièces, s’établissant, selon elle, à plus de 100 000 documents, ce qui caractériserait une absence de tri préalable, irrégulière de documents couverts par le secret des correspondances avocat/ client (qui s’élèverait à près d’un millier selon liste produite, alors même que M. Z... a émis des réserves à cet égard et que la simple prise de connaissance compromettrait le secret), contenant des données à caractère personnel (invoquant une liste non exhaustive de 343 documents contenant les termes « personnel » ; « perso », « privé » ; « personal » ou « private ») ou sans rapport avec l’objet de l’enquête (estimant potentiellement que presque 75 % des documents seraient concernés), ne serait pas indispensable en l’état de méthodes alternatives plus appropriées (identification de messages par mots clés, scellé fermé avant tri en présence de l’entreprise), contreviendrait à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ; que l’Autorité relève qu’en réalité ont été saisis un total de 241 fichiers et que des sélections ont été opérées ; qu’il résulte effectivement du procès-verbal dressé le 9 novembre 2010 que les saisies informatiques critiquées ne sont intervenues que lorsqu’une analyse approfondie du support informatique a dû être effectuée et alors qu’il était constaté la présence de documents entrant dans le champ de l’autorisation ; qu’ainsi aucun document informatique n’a été saisi après accès à un serveur de 38 Cass. crim., 12 mars 1992 : Bull. crim. 1992, n° 112. - Cass. crim., 18 juin 2003, n° 03-81.979 : JurisData n° 2003-019803 ; Bull. crim. 2003, n° 129. LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013 Page 33 1453 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES fichiers « parmlbfile 01 01 » mis à disposition ; qu’à l’évidence, alors que les enquêteurs peuvent saisir tous supports d’information, ils ont choisi de procéder à la saisie, par voie de copie, sur trois ordinateurs portables, de fichiers apparaissant présenter des données pour partie utiles à l’enquête ; qu’il ne s’agit donc pas d’une opération massive, ni indifférenciée, même si elle porte sur de nombreuses données et sur l’intégralité des messageries du type Microsoft Outlook ; que si la société Medtronic dénonce l’insuffisance du tri opéré et la saisie globale de fichiers, elle ne produit aucun élément réellement susceptible de contredire les indications techniques, quant au caractère insécable de l’ensemble indivisible formé par les fichiers messageries, fournies par l’Autorité, qui précise que : - au regard de leur particularité ces fichiers ne peuvent en l’état actuel de la technique être saisis que dans leur globalité, dès lors qu’ils contiennent des éléments pour partie utiles à la preuve des agissements suspectés, - chaque messagerie du type Microsoft Outlook est stockée dans un fichier conteneur unique, un tel mode de stockage, préexistant, ne pouvant être changé par l’utilisateur ou l’administrateur réseau, seul endroit du stockage pouvant être choisi, - le fait d’individualiser les messages en les extrayant est de nature à modifier l’état de l’ordinateur visité et des attributs des fichiers, - il en est ainsi des messageries de M. Z... et de Mme X... mis à la disposition des enquêteurs sous la forme de fichiers « pst » ; qu’il n’est pas discuté que chaque message peut être extrait, quoique ne figurant pas comme un fichier distinct dans le matériel informatique, l’Autorité précisant simplement, sans que soit, en fait, apporté d’élément contraire, que l’obligation de ne pas altérer les métadonnées des fichiers impose une saisie intégrale de ces fichiers messageries ; qu’il en résulte que seule la saisie des fichiers messagerie en leur entier apparaît donner actuellement une garantie d’origine, d’intégrité et d’authenticité, des données ; qu’il ne peut, dans ces circonstances, être admis qu’il serait disproportionné, compte tenu de la nécessité de préserver l’authenticité des données au jour de la saisie, tant pour l’efficacité de l’enquête que la garantie des droits de l’entreprise saisie, d’avoir procédé à la copie intégrale des fichiers de messageries, sans individualisation, surplace, des seuls messages entrant dans le champ de l’autorisation judiciaire, alors que ces fichiers présentent des éléments intéressant l’enquête, ce qui exclut un dépassement manifeste et préjudiciable de l’objet des investigations autorisées, et que par ailleurs, la copie remise à la société saisie lui permet d’assurer effectivement sa défense ; qu’il sera ajouté que si des correspondances échangées par la société Medtronic avec des avocats, des éléments à caractère personnel, ou hors champ d’enquête, ont pu être saisis, c’est exclusivement à raison du caractère composite des contenus des fichiers de messageries professionnelles et de leur copie en intégralité, dont il a été relevé qu’elle constituait une garantie de fiabilité ; qu’aucun Page 34 moyen illicite n’a été mis en œuvre pour saisir des pièces ou documents susceptibles d’être protégés, étant observé que si le président directeur-général de la société Medtronic a signalé aux rapporteurs que sa messagerie contenait des documents couverts par le secret de la correspondance avocat-client et proposé d’en éviter la saisie par la fourniture de noms d’avocats, il a bien été informé que chaque fichier de messagerie de type « pst « devait être saisi dans son intégralité ; que, par ailleurs, la fonction habituelle de telles messageries étant, par nature, professionnelle, le seul choix de regroupements ou qualifications de messages, effectués par l’utilisateur ne saurait suffire à l’exclure et démontrer qu’il s’agit d’évidence d’éléments à caractère personnel ; qu’enfin seule une divulgation, inexistante en la cause, violerait la confidentialité ; que la société Medtronic ne démontre pas la nécessité de modifier les modalités de la saisie, dès lors que les rapporteurs ont pu inventorier informatiquement les fichiers saisis en la présence de l’occupant des lieux ou de son représentant, après avoir eu accès aux données informatiques, qu’ils ne sont pas tenus d’individualiser sur place les messages entrant dans le champ de l’autorisation judiciaire, que la présence de courriels protégés ou hors champ n’apparaît pas disproportionnée au regard du but légitime et nécessaire de recherche autorisée d’éléments de preuve de pratiques illicites, alors que des pièces entrant dans le champ de l’autorisation sont incluses dans les messageries copiées, que l’Autorité ne s’oppose pas à la restitution des pièces listées en pièce 7 qui relèveraient véritablement de la correspondance avocat-client et auraient trait à l’exercice des droits de la défense ni de messages qui relèveraient exclusivement de la vie privée des salariés, précisant simplement que la liste produite en pièce 8 ne la met pas en mesure d’en vérifier le contenu et relevant, à juste titre, que la présence de documents sans rapport avec l’enquête ne saurait faire grief, faute de pouvoir être utilisés ou d’être protégés ; qu’en définitive, les données saisies n’apparaissant pas techniquement divisibles, au regard des impératifs de leur préservation, ni étrangères au but de l’autorisation accordée, les OVS ne sauraient être invalidées, pas plus que la saisie de tout ou partie des messageries concernées ; que sur la vérification des documents saisis la société Medtronic soutient que l’occupant des lieux (ou son représentant) n’aurait pas été effectivement mis en mesure de vérifier les documents au fur et à mesure de leur saisies, que l’inventaire des fichiers saisis serait insuffisant et que toutes les précautions nécessaires au respect de ses droits ne seraient pas respectées ; que cependant les rapporteurs ne sauraient être tenus dans le cadre de l’enquête de s’expliquer sur les moyens de sélection leur permettant, en présence de l’occupant, de déterminer les fichiers paraissant pertinents, au regard du nombre de documents contenus dans chacun d’eux et de la nécessaire efficacité de la recherche légitime d’éléments susceptibles d’intéresser l’enquête, alors qu’aucune disposition légale n’impose cette communication ; que la recherche ainsi LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES effectuée ne saurait être préjudiciable à la partie saisie qui est en mesure de contester l’étendue des saisies réalisées et d’obtenir ainsi un contrôle juridictionnel effectif des mesures ; que si les fichiers de messageries ont été inventoriés informatiquement, ils sont suffisamment identifiés par leur nom, taille, empreinte numérique et chemins d’accès, et authentifiés numériquement selon leur emplacement d’origine ; que cet inventaire des fichiers saisis a été réalisé sur place, le jour des opérations, en la présence de l’occupant des lieux ou de son représentant, après accès aux données informatiques et les scellés mentionnent l’origine de la copie, et l’établissement détaillé de l’intégralité des données ne saurait être exigé au regard de leur quantité, alors que la description exhaustive des pièces mises sous scellés n’est pas légalement imposée et qu’un inventaire sous forme informatique des fichiers saisis n’est pas interdit ; qu’enfin, les informations saisies ont fait l’objet d’une copie remise à la société Medtronic lui permettant de connaître précisément les données contenues dans chacun des fichiers saisis ainsi inventoriés, et, partant, de vérifier de manière, en fait, parfaitement fiable et exhaustive, ce qui n’est contredit par aucun élément, toutes les données ainsi appréhendées contenues dans ces fichiers, garantissant les droits de la défense, qu’au demeurant la société Medtronic a pu effectivement exercer le présent recours sur la base de ces copies, dont la remise a été dûment actée au procès-verbal de visite et saisie ; que le moyen de nullité tiré d’un non-respect effectif de droits de vérification doit donc être rejeté ; que sur la loi Informatique et Libertés, la société Medtronic soutient encore que les prescriptions de la loi Informatique et Libertés n° 78-17 du 6 janvier 1978 n’auraient pas été respectées alors que l’autorité procéderait à un traitement de données à caractère personnel au sens de l’article 2 de cette loi en réalisant les opérations de saisies dans les locaux d’une entreprise ; que cependant le traitement reproché ne s’applique pas à un ensemble de données à caractère personnel, alors que les éléments sont organisés en fichiers d’entreprise, par nature professionnels et ne contiennent normalement que des messages échangés dans le cadre des activités de la société Medtronic ; que, même si des courriels à caractère personnel peuvent y être inclus, il ne peut pour autant être valablement admis que les outils mis par l’entreprise à la disposition de ses collaborateurs pour les besoins de l’activité sociale, seuls visités, perdent leur caractère professionnel ; que les fichiers de messageries constituant un tout indivisible et comportant pour partie des éléments utiles, il ne peut être considéré que les saisies ainsi réalisées, dûment autorisées, visant une personne morale, sont susceptibles d’enfreindre la loi Informatique et Libertés et d’être annulées en tout, ou partie, à ce titre ; que sur la restitution, la société Medtronic prétend qu’une simple restitution ne suffirait pas à régulariser les saisies, alors que le secret professionnel et le caractère confidentiel des données personnelles seraient irrémédiablement compromis et que le cadre procédural délimitant LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013 1453 l’enquête n’aurait pas été respecté ; qu’il sera relevé que la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) présentée dans un mémoire distinct (déposé le 2 mai 2011) également évoquée par la société Medtronic a depuis fait l’objet d’une ordonnance de refus de transmission le 4 octobre 2011 ; qu’il ne saurait être retenu que la restitution de documents protégés serait insuffisante, alors qu’elle aura nécessairement pour effet, comme une annulation, laquelle ne peut porter que sur les seuls documents appréhendés irrégulièrement, d’exclure l’utilisation de données relevant du secret de la correspondance avocat-client ou de la vie privée, rétablissant, le cas échéant, les droits de la société saisie, ce qui constitue incontestablement un redressement approprié des droits protégés, la copie de ces données ne pouvant dès lors faire grief ; qu’en l’espèce, ainsi que précédemment rappelé, l’Autorité ne s’oppose pas à la restitution des documents protégés ; que le simple fait que ces données ont néanmoins été copiées par celle-ci ne saurait constituer une atteinte disproportionnée au regard des intérêts en présence alors que les nécessités de l’enquête judiciairement autorisée de recherche de preuves de pratiques illicites justifient la saisie de messageries intégrales, laquelle préserve le saisi de toute altération des données pouvant lui être opposées ; que, par ailleurs, le fait qu’il incombe à l’entreprise saisie d’établir la réalité de la protection invoquée ne constitue pas une rupture dans l’égalité des armes, alors que la copie remise lui permet de vérifier précisément toutes les données appréhendées et que s’agissant de ses propres données elle peut les identifier et les caractériser, étant observé que la pertinence de la saisie d’un document ne peut s’apprécier que parla prise de connaissance de son contenu ; qu’aucune atteinte disproportionnée au regard des intérêts en présence, y compris en terme de coût, ou de l’objet de l’enquête autorisée n’est caractérisée, alors qu’il n’est pas dénié que les fichiers saisis contiennent pour partie des pièces entrant dans le champ de l’autorisation, et que la restitution des éléments protégés qu’elles sont susceptibles de contenir, est de nature à exclure tout grief ; que les OVS réalisées ne sauraient donc être invalidées ; qu’en conséquence, les demandes de la société Medtronic, tant principale d’annulation de la totalité des opérations avec toutes conséquences de droit, que subsidiaires d’annulation de la saisie des fichiers électroniques placés sous scellés n’10 ou de la saisie des documents listés en pièce n’7 seront rejetées ; qu’il sera par contre pris acte de l’accord de restitution de l’Autorité : (…) 4°) « alors que quelle qu’en soit la forme, les correspondances échangées entre un avocat et son client sont insaisissables ce qui interdit à l’administration de prendre connaissance de tels documents ; que la saisie de correspondances couvertes par le secret professionnel concernant directement l’enquête en cours porte une atteinte irrémédiable aux droits de la défense devant être sanctionnée par la nullité de la procédure ; qu’en décidant que la saisie de courriels couverts par le secret professionnel n’a pas pour effet d’invalider la totalité des opérations mais entraîne seulement la Page 35 1453 ÉTUDES ET COMMENTAIRES AFFAIRES restitution a posteriori de ces documents, le délégué du premier président a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 7, 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ensemble l’article L. 450-4 du code de commerce ; » (…) Les moyens étant réunis ; Sur le premier moyen, pris en sa première branche : Attendu que le grief est devenu inopérant, dès lors que, par arrêt du 27 juin 2012, la Cour de cassation a dit n’y a voir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ; Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche et le quatrième moyen, pris en ses trois premières et en sa cinquième branches : Attendu que, pour rejeter le surplus des demandes d’annulation et de restitution présentées par la société Medtronic, l’ordonnance prononce par les motifs repris aux moyens ; Attendu qu’en statuant ainsi, le premier président, qui n’était pas tenu de se fonder sur les modalité techniques des saisies, les moteurs de recherche et les mots-clefs utilisés, que les enquêteurs n’ont pas l’obligation de révéler à la personne visitée, et dès lors que les parties ont eu la possibilité d’établir que les fichiers entraient ou non dans les prévisions de l’autorisation, a, sans méconnaître les textes légaux et conventionnels et européens invoqués, justifié sa décision ; D’où il suit que le grief ne saurait être admis ; Mais sur le quatrième moyen, pris en sa quatrième branche : Vu les articles L. 450-4 du code de commerce et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ; Attendu que le pouvoir reconnu aux agents de l’Autorité de la concurrence par l’article L. 450-4 du code de commerce, de saisir des documents et supports informatiques, trouve sa Page 36 limite dans le principe de la libre défense qui commande de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense ; Attendu que, pour refuser de se prononcer sur le contenu des documents listés en pièce n° 8 par la société Medtronic et refuser d’annuler la saisie de la pièce n° 7 dont il admet qu’elle relève véritablement de la correspondance entre avocat et client, le premier président énonce que l’Autorité ne s’oppose pas à la restitution de ce document protégé et que la simple copie réalisée par celle-ci ne saurait constituer une atteinte disproportionnée au regard des intérêts en présence, la pertinence de la saisie ne pouvant s’apprécier que par la prise de connaissance de son contenu ; Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de rechercher si les pièces et supports informatiques dont la saisie était contestée par la société étaient ou non couverts par le secret professionnel entre un avocat et son client, et sans annuler la saisie de correspondances dont il a constaté qu’elles relevaient de la protection de ce secret et alors enfin que la violation dudit secret intervient dès que le document est saisi par les enquêteurs, le premier président a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelés ; D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; Par ces motifs : casse et annule, l’ordonnance n° 111 du premier président de la cour d’appel de Paris, en date du 15 novembre 2011, mais seulement en ce qu’elle a rejeté la demande d’annulation de la saisie des pièces relevant de la protection du secret professionnel entre un avocat et son client et des droits de la défense, toutes autres dispositions étant expressément maintenues (…). LA SEMAINE JURIDIQUE - ENTREPRISE ET AFFAIRES - N° 31-34 - 1ER AOÛT 2013