Pourquoi ont-ils tué Laurent

Transcription

Pourquoi ont-ils tué Laurent
Pourquoi ont-ils tué
Laurent-Désiré Kabila ?
Du m.êm.e auteur
o Le méga-énonciateur. Pour une analyse sémio-pragmatique
du discours de la presse, Bruxelles: Academia Bruylant,
2002.
Emmanuel M.A. NASH I
POURQUOI
ONT-ILS
TUÉ
Laurent-Désiré KAS ILA ?
L'Harmattan
Points de vue
Collection dirigée par Denis Pryen
Déjà parus
A-J. MBEM et D. FLAUX, Vers une société eurafricaine,
2006.
Charles DEBBASCH, La succession d'Eyadema, le perroquet
de Kara, 2006.
Azarias Ruberwa MANYW A, Notre vision de la République
Démocratique du Congo, 2006.
Philémon NGUELE AMOUGOU, Afrique, lève-toi et marche I,
2006.
Yitzhak KOULA, Pétrole et violences au Congo-Brazzaville,
2006.
Jean-Louis
TSHIMBALANGA,
L'impératif
d'une culture
démocratique en République Démocratique du Congo, 2006.
Maligui SOUMAH, Guinée: la démocratie sans le peule, 2006.
Fodjo Kadjo ABO, Pour un véritable réflexe patriotique en
Afrique, 2005.
Anicet-Maxime
DJEHOURY, Marcoussis:
les raisons d'un
échec. Recommandations pour une médiation, 2005.
FODZO Léon, L'exclusion sociale au Cameroun, 2004.
J.C. DJEREKE, Fallait-il prendre les armes en Côte d'Ivoire ?,
2003.
ST ALON Jean-Luc, Construire une démocratie consensuelle au
Rwanda, 2002.
EMONGO Lomomba, Le devoir de libération. Esclave, libèretoi toi-même.
ÉBOUA
Samuel, D'Ahidjo
à Biya Le changement
au
Cameroun.
KUOH Manga, Cameroun un nouveau départ.
KISSANGOU Ignace, Une Afrique, un espoir.
BEMBET Christian Gilbert, Congo: impostures "souveraines"
et crimes "démocratiques ».
EMONGO Lomomba, L'esclavage moderne. Le droit de lutter.
BABU-ZALE, Le Congo de Lissouba.
NKAINFON PEFURA Samuel, Le Cameroun du multipartisme
au multipartisme.
«
Un siècle après Berlin, le Congo est donc encore et
toujours au coeur de toutes les convoitises. Ses
dirigeants d'hier et d'aujourd'hui et peut-être ceux
de demain, peu importe qu'ils s'appellent Kabila,
Mobutu ou Lumumba,
se trouvent
toujours
confrontés face à des appétits du dehors. La durée
de leur mandat est inversement proportionnelle à
leur capacité d'honorer ce principe»
(Isidore Ndaywell è Nziem)
http://www.1ibrairieharmattan.com
[email protected]
harmattan 1@\vanadoo.fr
@ L'Harmattan, 2007
ISBN: 978-2-296-02352-9
EAN : 9782296023529
Prologue
Mardi 16 janvier 2001, Kinshasa, RDC. Le Président
Laurent-Désiré Kabila (LDK) est victime d'un attentat dans
lequel il perd la vie. Plusieurs versions aussi vraisemblables
les unes que les autres sont avancées par les spécialistes
concernant ce crime et ses commanditaires:
Kabila aurait été
victime de sa garde rapprochée
ou des services plus
organisés, tantôt de l'Ouganda ou du Rwanda, tantôt de
l'Occident1.
En réalité, il est évident que plusieurs plans simultanés
étaient montés depuis des mois en vue d'éliminer Kabila2.
Mais, secret d'Etat, comme le meurtre de Patrice Lumumba,
cette disparition pourrait demeurer un mystère pendant
quelques décennies, et on risque de ne pas savoir, avant
longtemps,
lequel de ces complots précisément
aura
emporté LDK. Comme la plupart de ses pairs africains, le
président congolais est mort sans avoir rédigé ses mémoires.
Comme son prédécesseur Mobutu, Kabila a emporté ses
secrets d'Etat avec lui dans la tombe. Il n'a pas laissé à ses
compatriotes
le témoignage écrit de son expérience du
1 On se rappellera que Kampala et Bruxelles s'empressèrent d'annoncer le
décès du président Kabila, au moment où le gouvernement congolais luimême le donnait pour «blessé», sans doute dans le but de gagner du
temps pour organiser la succession et prévenir le chaos.
2La thèse des complots multiples est défendue, entre autres, par deux
journaux spécialisés sur l'Afrique centrale. Le premier, belge, écrit:
«L'assassinat du président, que tous présentaient comme un "obstacle au
dialogue", un "verrou à la libéralisation", a été l'aboutissement
d'un
complot savamment orchestré, aux ramifications multiples menant en
Afrique, en Europe et aux Etats-Unis» (Braeckman C., « La mort de Kabila
reste un secret d'Etat», Le Soir, Bruxelles, 16 janvier 2002). Le second
quotidien, français, rapporte:
«Un an après, la version officielle de
l'assassinat n'es2t guère éclairante. Seule certitude: plusieurs complots
étaient ourdis (. ..) La thèse des complots multiples, insiste-t-il, que
corrobore notre enquête sur une conspiration mêlant intérêts mafieux et
caciques mobutistes...»
(Ayad C., «Qui a tué Kabila? Toujours le
mystère », Libération, Paris, 18 janvier 2002).
pouvoir, de ses ambitions pour le Congo, de ses relations
avec les puissances occidentales.
De tout ce qui est paru à ce jour en français sur ce sujet,
l'ouvrage de Ludo Martensl constitue sans doute l'un des
plus renseignés, en termes quantitatifs. Mais, les orientations
idéologiques qui ont inspiré et guidé la rédaction de ce livre
en altèrent sensiblement la qualité.
J'ai à mon tour été tenté d'écrire un livre sur Kabila,
personnalité
controversée
s'il en fut, tant je voulais
comprendre
les raisons qui ont poussé les dirigeants
occidentaux à se réjouir2 de sa disparition rapide. Cet
homme, tous l'avaient pourtant célébré comme le sauveur
du processus démocratique arrêté par le régime de Mobutu.
Ce, en dépit du fait que l'avènement de Laurent Désiré
Kabila remettait justement en question les acquis de ladite
démocratisation
inaugurée
par la Conférence nationale
souveraine de 1991-1992.
Mais, pendant que je préparais cet ouvrage, un événement
est survenu qui m'a convaincu d'abandonner
ce projet. En
réunissant ma documentation, j'entrai en possession d'un
enregistrement
vidéo de la rencontre que feu le président
Kabila avait eue au Gabon, un mois après la seconde
invasion du Congo d'août 1998, avec la communauté
congolaise de Libreville. Je visionnai et re-visionnai cette
cassette, et me rendis compte que je tenais là un document
historique. D'abord, à cause du contexte de l'événement:
alors qu'il se rendait à un rendez-vous politique avec ses
IMartens
L., Kabila et la révolution congolaise. Panafricanisme ou
néocolonialisme ?, EPO, Bruxelles, 2002.
2 Des responsables politiques occidentaux, parmi ceux qui avaient salué la
mise à l'écart de Mobutu par Kabila en mai 1997, ont caché difficilement
leur hostilité envers celui-ci, y compris lors de son assassinat. Exemples:
«
La mort de Kabila n'est pas surprenante. C'était un homme néfaste pour
son pays. Il l'est devenu
beaucoup
plus rapidement
que Mobutu.
Il fut
finalement pire que Mobutu... » (Mark Eyskens, ancien Premier ministre
belge, dans La Libre Belgique,Bruxelles, 18 janvier 2001); « Kabila ? C'est
Mobutu II ! C'est un des personnages les plus sinistres de toute l'Afrique»
(Hervé de Charette, ancien ministre français des Affaires étrangères, cité
dans La Libre Belgique, Bruxelles, 29-30 août 1998).
8
homologues du continent africain, Kabila avait prévu de
rencontrer ses compatriotes de la diaspora, mais il prit le
soin de se faire accompagner
de la crème des artistes
musiciens congolais. Cela donnait un air de famille à la
rencontre. A travers cet échange avec des représentants des
Congolais
de l'intérieur et de l'extérieur, le président
s'adressait, en quelque sorte, et comme il le dira d'ailleurs
lui-même, à tous ses compatriotes. On savait que depuis sa
«guerre
de libération », il devait des explications aux
Congolais.
Inédit, ensuite, parce qu'en fait d'échange, les participants
auront eu droit plutôt à une «confession intime », comme si
Kabila sentait un besoin impérieux de se décharger d'un
poids qu'il avait de plus en plus de mal à porter seul. C'est
donc à cœur ouvert, en un langage excluant la langue de bois
classique, que l'ancien président s'adressa à son auditoire.
Rarement discours de chef d'Etat en exercice aura été aussi
franc (je ne dis pas sincère) !
Discours franc lorsqu'il explique les raisons de la seconde
guerre que l'Ouganda et le Rwanda, ses anciens maîtres, ont
déclenché en août 1998 contre la RDC, par «rébellion» du
Rassemblement
congolais
pour la démocratie
(RCD)
interposée; franc encore lorsqu'il raconte la genèse du
mouvement insurrectionnel
(AFDL) qui le porta lui-même
au pouvoir en mai 1997 ; franc lorsqu'il révèle les raisons de
sa rupture avec les présidents Museveni et Kagame; franc
enfin quand il cite les puissances occidentales qui avaient
juré sa perte et qui sont en fait les véritables commanditaires
des deux guerres du Congo1.
Ce document
est encore inédit parce que dans cet
entretien,
non seulement
Kabila parle du rêve qu'il
1 Comme Mayoyo Bitumba Tipo- Tipo et bien d'autres, je défens la thèse
d'une «guerre par double procuration»:
les mouvements dits rebelles
comme le RCD-Goma et le MLC sous-traitent la guerre pour le compte des
gouvernements
du Rwanda et de l'Ouganda, qui eux-mêmes la soustraitent
au
bénéfice
de
gouvernements
occidentaux.
http://kikwitonline.com/
kikwitwe b .nsf / article / KivuE pee Damocles Tran
sition.
9
entretenait pour le Congo, mais aussi parce que, pour la
première fois, un responsable politique du Tiers-monde lève
le voile sur la nature réelle des rapports que les chefs d'Etat
africains entretiennent avec les dirigeants occidentaux et les
organismes
internationaux.
C'est dire si ce témoignage
pourra instruire également d'autres peuples d'Afrique et
d'ailleurs.
Il est inédit, enfin, au vu des thèses développées lors de
cet entretien. Ce sont pratiquement celles que, de manière
récurrente,
l'ex-président
congolais a défendues
dans
plusieurs de ses discours, quasiment avec les mêmes termes.
Tant devant les instances internationales
(Conseil de
sécurité de l'ONU, sommets africains), que lors de rendezvous importants avec ses compatriotes (communauté
congolaise de Bruxelles, autorités civiles coutumières
et
militaires de Bukavu, ex-FAZ, population de Kinshasa, etc.),
LDK avait cet unique message à la bouche:
Il n'y a pas de guerre civile ni de rébellion.
Le Congo est agressé par le Rwanda, le Burundi et
l'Ouganda,
qui ont le soutien
de la communauté
internationale, Etats-Unis en tête.
Ceux-ci ont entrepris de renverser mon gouvernement
parce que je refuse qu'ils décident à ma place avec quelles
multinationales
il faut signer les contrats miniers, qui doit
faire partie de mon gouvernement, quand et comment il faut
organiser les élections.
Pour la première fois depuis 1960, des élections libres et
démocratiques seront organisées au Congo dans ce pays, et il
est capital qu'elles soient financées par nous-mêmes, etc. ».
On comprend dès lors le choix du titre de la première
partie de cet opuscule: le testament politique de Kabila.
Plutôt qu'un énième travail d'« expert» sur le personnage,
l'évidence s'est imposée à moi de le laisser parler, pour
raison d'authenticité
essentiellement. Certes, l'ex-président
congolais
occulte, autant qu'il le peut, ses propres
responsabilités
dans les deux guerres. Qui s'offusquera de
n'avoir pas affaire à un exercice d'auto flagellation?
10
Voilà pourquoi,
à mes yeux, une restitution
sans
commentaire de ce discours pour le moins séducteur de
Kabila, aurait ressemblé à un exercice de propagande. C'est
par ailleurs le sentiment que l'on éprouve à la lecture du
récit rapporté par le journal Le Palmarès de Kinshasal, qui
s' est contenté de reproduire cet entretien. J'avoue, pour ma
part, qu' ayant été parmi les premiers et rares Congolais à
fustiger la démarche militariste de l'accession de Kabila au
pouvoir par les armes, je fais cependant ici œuvre de
scientifique, adoptant une posture distanciée par rapport aux
positions
défendues
dans le cadre de mes activités
associatives, aidé en cela par une certaine « déformation du
métier» .
En 1996, j'étais, en effet, président de l'asbl SIMA-KIVU2
lorsqu'éclata la première guerre d'agression de l'ex-Zaïre.
Grâce au travail de cette organisation,
et aux contacts
entretenus avec la société civile du Kivu, en particulier avec
Mgr Christophe
Munzihirwa,
l'archevêque
de Bukavu
lâchement assassiné par des militaires rwandais le 29 octobre
1996, je me suis forgé deux convictions concernant les
guerres
successives
du Congo
- Zaïre.
D'abord, celle-ci: toutes ces guerres sont téléguidées par
les Etats-Unis d' Amérique, qui se servent de l'Ouganda, du
Burundi et du Rwanda comme bras armé. Ensuite, celle-ci:
Laurent Désiré Kabila lui-même ne fut qu'un Congolais de
service, recruté pour servir de masque à cette entreprise
d'agression dont l'objectif était et demeure la balkanisation
du Congo. Au départ, mon envie de comprendre
était
aiguisée par une question lancinante toute simple: comment
Kabila, recrue américaine3 tout comme le dictateur Mobutu
1MukengeA., « Kabila raconte comment les Rwandais avaient préparé son
assassinat », dans Le Palmarès, Kinshasa, n° 1343, 28 sept. 1998.
2 Soutien aux initiatives des mouvements actifs au Kivu, association de
droit belge, fondée en 1993, regroupant les ressortissants et amis du Kivu
en Belgique.
3 Nous disposions d'informations assez précises quant au rôle de l'attaché
militaire américain et du numéro deux de l'ambassade américaine à Kigali
dans le recrutement de Kabila. Voir détails à ce sujet dans Reyntjens F.,La
11
qu'il venait renverser, pouvait-il représenter une opportunité
de changement démocratique au Zaïre, alors qu'il remettait
en cause un fondement de base que la Conférence nationale
souveraine avait bétonné dans la constitutionl, à savoir que
personne ne pouvait plus s'emparer du pouvoir par les
armes et la violence?
J'avoue que c'est Honoré N gbanda, l'ancien conseiller
spécial en matière de sécurité de feu le président Mobutu,
qui a apporté la réponse la plus satisfaisante
à mon
questionnement.
Il rapporte dans son dernier ouvrage2 une
discussion fort révélatrice qu'il eut en 1997 avec Dan
Simpson, l'ambassadeur
des Etats-Unis à Kinshasa, au
moment où les troupes de l'AFDL « dirigées» par LaurentDésiré Kabila, s'apprêtaient
à donner l'assaut final sur
Kinshasa. Le conseiller spécial posa donc au diplomate
américain une question qu'avait dû se poser à l'époque toute
personne qui connaissait le passé «terroriste»
de Kabila.
Dans les années 1965, en effet, le maquisard Kabila avait pris
en otage des citoyens américains et exigé une rançon pour la
libération, ce qui lui valut d'être indexé par la CIA.
Je cite l'échange entre N' gbanda et Simpson:
- Comment pouvez-vous aujourd'hui vous acoquiner avec
celui que vos services qualifiaient encore hier de « bandit» et
d' « escroc» pour combattre Mobutu? On dirait que vous
avez brûlé vos archives à Washington! ».
- Qui vous a dit que Kabila est devenu notre ami ? Pour
l'instant, nous avons besoin de lui. Mais, nous lui réglerons
son compte3 quand nous en aurons fini avec lui. Pour
guerre
des grands
lacs. Alliances mouvantes et conflits extraterritoriaux en
Afrique centrale, L'Harmattan, Paris, 1999, pp. 75-89, ou encore Braeckman
C., L'enjeu congolais, Fayard, Paris, 1999, p. 47.
1 «Tout Zaïrois a le droit et le devoir sacrés de défendre la Nation et son
intégrité territoriale
et de faire échec à tout individu ou groupe
d'individus qui prend le pouvoir par la force... » (Acte constitutionnel de
la Transition, article 37, n° spécial du Journal officiel de la République du
Zaïre, avril 1994).
2 Ngbanda Nzambo H., Crimes organisés en Afrique centrale. Révélations sur
les réseaux nvandais et occidentaux, Duboiris, Paris, 2004, p. 212.
3 C'est moi qui souligne.
12
l'instant, c'est lui l'homme qu'il nous faut! Nous savons
qu'il n' a pas le profil pour diriger ce pays! .
Ayant acquis quelques certitudes sur les prétextes et les
enjeux réels des invasions de 1996 et de 1998, je devais ici y
référer opportunément
en vue d'éclairer les propos de
Laurent Désiré Kabila par ses autres discours et son action
politique, ainsi que par mes propres analysesl. C'est le sens à
accorder aux commentaires en note de bas de page, que j' ai
voulus très limités afin d'orienter le moins possible mon
lecteur.
C'est également le souci du lecteur qui m'a poussé à
réécrire certains passages, tant certaines tournures
ou
expressions
propres à la culture congolaise pourraient
dérouter le francophone ordinaire. On voudra bien noter que
j'ai toutefois respecté le style parlé du discours.
Je livre ma propre analyse de cet assassinat et des leçons à
en tirer pour la République démocratique du Congo dans la
seconde partie de l'ouvrage intitulée: La seconde mort de
Laurent-Désiré Kabila.
1 Je renvoie en particulier à mes écrits suivants (voir bibliographie) :
- «La nouvelle diplomatie belge: Tout ça ne nous arrachera pas le
Congo» ,
- «Le Congo des Kabila : des concessions aux compromissions »,
- « Médias et diplomatie: la guerre du Congo dans le journal»,
- «Perdre Kabila pour ne pas perdre le Congo? »,
- M.A. Nashi E. & Braspenning T., «La République démocratique du
Congo entre les pressions externes et internes », in Géopolitique africaine, n°
3, Paris, 2001 (http:j jwww.african-geopolitics.orgjholne_french.htm).
13
Première partie:
Le testaInent politique de Laurent-Désiré
Kabila
Dimanche 7 mars 1999, aéroport de Harare. Grâce au
détecteur de métal, la police de douane zimbabwéenne vient
d'appréhender
trois Américains
en provenance
de la
République
démocratique
du Congo, qui se présentent
comme des missionnaires de l'Eglise pentecôtiste
«
Harvest
Fields Ministries ».
Mais, très rapidement, les enquêtes menées au Zimbabwe
et au Congo permettent de mettre en lumière les faits ciaprès1 :
Les suspects s'appellent Joseph Pettijohn, Jona Dixon et
Gary Blanchard.
On découvre
qu'il s'agit en réalité de militaires
chevronnés,
disposant
d'une grande quantité
d'armes
sophistiquées.
On révèle aussi qu'ils sont en liaison avec un fonctionnaire
américain et quatre fonctionnaires britanniques
arrêtés à
Kinshasa le 9 mars, accusés d'espionnage
et placés en
résidence surveillée, avant d'être expulsés quelques jours
plus tard, après l'intervention
des postes diplomatiques
américains
et britanniques.
Le ministre congolais
de
l'Intérieur de l'époque, Gaëtan Kakudji, déclarera: «cette
expulsion est directement liée à l'arrestation, ce week-end,
de trois Américains à Harare ».
Leurs réseaux s'étendent au Zimbabwe et au Congo; ils
avaient loué des caches d'armes à Harare, ainsi qu'à
Lubumbashi où ils s'étaient installés vers le mois de mars
1997, juste avant l'arrivée du président Kabila dans cette
ville.
1 Sur ces événements,
C.,
«
1999.
voir Martens L., op. cit., pp. 535-539 ; et Braeckman
Congo: une guerre, plusieurs visages», Le Soir, Bruxelles, 15 mars
La vérification des aveux a permis aux officiers du
renseignement
du Zimbabwe de découvrir que les trois
« missionnaires»
étaient liés au gouvernement
américain.
Leur mission était de déstabiliser le Congo et le Zimbabwe.
Ils portaient sur eux un plan du State House, la résidence du
président Robert Mugabe, dont le renversement, suscité par
son engagement aux côtés de Kabila, était évoqué depuis le
mois de novembre. Mais, plus précisément, note le journal
zimbabwéen The Herald du 15 mars 1999, «les trois ont
admis que leur but était d'assassiner Kabila... ».
Ils l'ont raté cette fois-là!
Mais, qui se souvient encore de cette révélation parue
dans un quotidien belge spécialisé dans les questions
congolaises une année après l'attentat contre Laurent Désiré
Kabila : «Depuis Kinshasa on a noté qu'au lendemain de
l'assassinat,
le colonel Sandursky,
attaché militaire à
l'ambassade des Etats-Unis, dont la carte de visite se trouvait
dans la poche de Rachidi1, fut ramené en voiture
diplomatique blindée jusqu'au pied de l'avion qui l'évacua
d'urgence... »2 ?
1 Rachidi Kasereka Minzele est le nom du jeune garde du corps de Laurent
Désiré Kabila qui aurait tiré sur lui plusieurs coups à bout portant, avant
d'être lui-même abattu par le chef d'état-major
du Président, Eddy
Kapend.
2 Braeckman C., « Congo: la mort de Kabila reste un secret d'Etat»,
Le
Soir, Bruxelles, 16 janvier 2002.
18
Ce qu'ils voulaient,
c'est le Congo
[Le délégué de la communauté congolaise de Libreville] :
L'occasion nous est donnée ici aujourd'hui d'entendre de
la bouche de notre président la genèse du conflit et tout ce
qui se fait autour de ce problème.
[Laurent Désiré Kabila] :
Je suis content. Vous êtes certainement les représentants
de beaucoup de Congolais qui vivent ici au Gabon, que
j'aurais bien voulu voir, avec lesquels j'aurais bien voulu
partager l'analyse de la situation de notre pays. Mais, parce
que vous êtes un groupe représentatif, je ne saurai pas
répondre exactement à la demande de votre représentant: la
genèse de la situation. Ce serait très, très long. Contentonsnous de faire le point de la situation.
Qu'est-ce qui se passe dans votre pays? Vous le savez
tous. Quelles sont les motivations de nos agresseurs, on les a
expliquées à plusieurs reprises et de différentes manières.
D'autres ont des versions selon lesquelles les Rwandais ne
voulaient pas de Kabila, ni les Ougandais, naturellement.
Pourquoi ne voulaient-ils pas de Kabila ? Parce que Kabila
n'était pas manipulable. Mais, ce qu'ils voulaient, c'est le
Congo, ce n'est pas du tout Kabila. Moi, ils me prennent
pour un obstacle.
Tout était marchandage politique
Nous étions en alliance avec le Rwanda, cette alliance était
une alliance d'intérêts, tout le monde le sait. Nous l'avons
clamé tout haut. Nous devions passer par le Rwanda pour
détrôner le régime de chez nous qui n'était plus populaire,
un régime qui a apporté beaucoup de misère. Cela aussi,
tout le monde le sait1.
Nous nous sommes réconciliés d'ailleurs avec tout ce
monde-là, à commencer par Mobutu lui-même (rires). Mais,
son régime était un régime qui a plongé dans une
irresponsabilité
illimitée, chose que Mobutu lui-même a
reconnue, lorsque nous nous sommes retrouvés sur le
bateau2. Il ne faisait que s'étonner. Il (croyait qu'il) était dieu.
Moi je lui disais:
- Tu n'es qu'un homme, tu as plongé ton pays dans la
misère... .
Cela dit, notre révolution est une révolution de pardon.
L'objectif principal de notre alliance avec les Rwandais
c'était de libérer notre pays. Car, aucun pays limitrophe n'a
jamais supporté une entreprise révolutionnaire qui visait le
changement politique dans notre pays. Donc, nous étions
laissés
à nous-mêmes.
Un peu comme
les hutus
d'aujourd'hui,
les hutus du Burundi et du Rwanda.
ID'entrée de jeu, Kabila tient à magnifier son rôle dans la chute de Mobutu
en prétendant qu'il agit dans le cadre d'une alliance d'intérêts. Or, c'est
désormais un secret de polichinelle que sur recommandation du président
tanzanien Nyerere, il fut recruté par le Rwandais Kagame et l'Ougandais
Museveni. Ce dernier a expliqué pourquoi Kabila représentait l'homme
idéal pour eux: Zaïrois, du Katanga, non Tutsi, opposé à Mobutu depuis
30 ans, parlant swahili. Museveni a déclaré:
« j'ai
accepté de le présenter à
Kagame. Pourquoi? Parce que le Rwanda avait de sérieux problèmes avec
Mobutu» (Tiré de Canal +/ Capa Production/PIani
Presse, L'Afrique en
n10rceaux : la tragédie des Grands-Lacs, documentaire, 2001).
2 Il s'agit du
«
S.A.P. Outenika », le navire sud-africain qui servit de cadre
à la rencontre Mobutu-Kabila,
noire (Congo-Brazzaville).
le 4 mai 1997, aux larges du port de Pointe20