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Le Publieur est heureux de vous donner à lire un extrait de "Le Veau d'or invisible", le livre de Cédric Haquart. l ’ histoire ou une histoire ? Il y a quatre gros continents inhabités, puis la Pangée, leur regroupement, puis à nouveau un éclatement en plusieurs continents, puis, bien plus tard, à l’époque du Jurassique, il y a les dinosaures – vous en avez certainement entendu parler. C’est très long à se faire, tout ça. Il y a longtemps, très longtemps, toujours dans cette galaxie, le sud de la Scandinavie devient plus froid que le nord, et les hommes qui la peuplent remontent habiter dans ce que nous nommons, nous, la Norvège. Des années passent et c’est l’inverse : ces bûcherons spécialistes en bois de coudrier commencent alors à collectionner les engelures et se font pionniers de l’Europe, par lassitude de digérer la viande de baleine. Dès , on entend parler des premières attaques des Vikings, dirigées contre des monastères. On massacre les moines et on pille les coffres-forts de la chrétienté qui n’étaient jamais fortifiés et presque toujours édifiés à l’écart des endroits civilisés, loind de la surveillance éventuelle de troupes armées. 13 le veau d ’ or invisble Ces légendaires raids pirates (les Standhög de printemps) gagnent rapidement les villes. Ce ne sont pas des croisades avec but d’imposer une religion aux peuplades soumises, comme c’est le cas pour bien d’autres invasions de l’époque. Mais ce sont des audacieux qui, mal servis chez eux ou dépossédés avides de gloire et aussi de richesses, veulent acquérir des terres sans lesquelles, dans leur patrie, toute reconnaissance sociale est impossible. Des cadets de famille, des aristocrates dévoyés ou bien exclus par des rivaux, des aventuriers, des paysans veulent se remplir les poches de façon conséquente et rapide. En a lieu le premier pillage de Paris et le grand siège que l’histoire a retenu s’y déroule quarante ans plus tard, c’est un échec pour les guerriers du Grand Nord qui descendent la Seine. En France, on les chasse de l’Armorique têtue en , leurs attaques perdurent cependant au dépends de l’Angleterre. Lors du traité de Saint-Clair-Sur-Epte, en , Charles iii le Simple accorde deux choses à la délégation nordique : la main (et le restant du corps) de sa fille Gisèle au chef Rollon et quelques fiefs français de Normandie pour les chiens de guerre assoiffés de ses armées. Les départements que l’on nomme aujourd’hui le Nord et l’Aisne ne figurent pas dans le traité, ils hébergent toutefois une multitude de géants blonds, roux et châtains tant ces têtes cornues se sont révélés expansifs. La réalité ne se résume jamais aux lignes des livres d’histoire et les lois sont faites pour être contournées. Les trois quarts des jeunes guerriers débarqués sur les côtes normandes ou flamandes se soucient peu de laisser leurs glaciers ingrats loin derrière eux. Leur installation dans le Nord-Ouest franc, de chaque côté de l’embouchure de la Seine, et à l’Est, à distance égale et 14 l ’ histoire ou une histoire stratégique des fleuves Somme et Meuse, leur procure désormais la vie gallo-romaine dont ils rêvent sur ce qu’on appellerait, nous, leur Côte d’Azur scandinave. Les voilà donc qui tentent l’intégration au sein d’une population qu’ils n’ont cessé de meurtrir de façon brutale et sanguinaire. Pour certains, il s’agit d’élever le bâtard qui résulte d’une saillie forcée, est-il d’ailleurs possible de recenser les innombrables viols alors commis ; pour d’autres, c’est le moment de cheminer quelques kilomètres plus au sud afin d’aller tout ensemencer, tant les champs que les ventres des filles des régisseurs terriens qui en ont la propriété. Les Vikings reçoivent successivement les sacrements du baptême et du mariage. Les Jarls, leurs seigneurs, sont enfin à leur aise. Ils découvrent alors un pays gras de gibier et nettement plus chaud que les étendues blanches de leur terre natale. Un pays qui s’offre comme une femme craintive. Le panthéon nordique est gravé à la hachette sur les coques échouées et recouvertes de lierre. N’allant pas jusqu’à renier complètement les Ases d’Asgard, leurs divinités, ils restent mitigés quand il s’agit d’adorer ce Dieu que les chrétiens disent pluri-fonctionnel et qui pourtant n’est qu’un homme, à l’évidence d’apparence faible, toujours représenté à l’agonie le corps cloué. Un Dieu qui n’a pas de femmes, qui s’occupe à la fois du tonnerre, du savoir, de la fertilité…Et qui, lui, n’a même pas été fichu d’inventer la boussole du ciel étoilé ! À l’époque des premiers raids sanguinaires, les moines avaient coutume de dire « De la fureur des Northmen, libère-nous Seigneur!». Les moines ne voient que la terreur, pas la poésie… 15 le veau d ’ or invisble Ce sont vraiment des petites natures, ces gens de croix, ils ne savent pas qu’un flot de sang est beau à voir lorsque l’on ouvre soi-même la veine de l’ennemi. Non, ils préfèrent leur poésie à eux, celle qui délègue les sombres missions à des bourreaux mandatés. Vraiment, l’homme de glace, lui, est un vrai esthète. Il compare la mer à une voie fluviale enchantée, empruntée par les cygnes majestueux que sont leurs vaisseaux de guerre, les Drakkars ou Langskips. Sur ces embarcations parfaites, l’espace est si bien géré que les boucliers des guerriers sont disposés à l’extérieur du pont, assurant par-là même une protection supplémentaire. Leur particularité réside dans la souplesse des bordages à clins dont les planches, rivetées entre elles, se recouvrent les unes les autres comme les ardoises d’un toit, mais aussi dans les deux façons qu’ils ont d’avancer : voile carrée pour la haute mer, et jusqu’à soixante-quinze rameurs pour les arrivées surprises ou le combat naval. Une immense capacité de chargement et une forme effilée leur permettent de remonter les fleuves ou de pénétrer les fjords les plus étroits, et ne les privent pourtant pas d’une efficace stabilité au milieu des océans. Mais “bateau” est en fait le terme le plus juste. Lorsque nous disons “Drakkar”, de “Dreki”, nous ne nommons en fait que la figure de proue à tête de dragon ou de serpent qui précède le reste du bateau. Du reste, il est bon de savoir que l’on emploie également le mot “Viking” à tord. Originellement, il signifie “expédition maritime”. Les gens dont on parle sont en fait des “Vikingrs” avec un “r” ou des “Nortmanni” ou encore des “Genti”, terme irlandais et biblique trompeur qui désigne un païen. 16 l ’ histoire ou une histoire Quoi qu’il en soit, pour tous ceux qui ne sont pas Vikings, les eaux glacées du fleuve Styx, la mer du Nord, mènent le plus directement possible à l’entrée des enfers… L’espérance de vie de ces diables ne dépasse guère la petite cinquantaine tant l’existence est rude, dangereuse et la notion d’honneur axé sur une irrésistible manie à relever les défis les plus déraisonnés, les bravades les plus inconscientes. Dans son quotidien, l’homme du Nord est un personnage assurément plein de contraste. Capable d’allégresse pour des choses que lui seul comprend, il se montre par ailleurs insensible et sans pitié à des moments où nous, Sudistes, serions peut-être moins déterminés à en découdre dans l’instant. De tempéramment très fauve, tant par son manque de tact que son système pileux hirsute, le Viking surprend par son innatendue propreté. Homme des mers, l’eau lui est familière mais le savon aussi curieusement. Il fait froid dans les fjords, pourtant, le samedi, jour de la grande lessive, on n’hésite pas à retirer les vestes en tissus et peaux d’ours pour se couvrir de neige ou s’immerger dans un bain bouillant. On est également boucher sur les champs de bataille mais jovial au banquet. Boucher au point qu’un loup de mer meurt souvent jeune et en héros. Le guerrier nordique ne rêve que d’une chose lorsqu’il a trop bu de bière ou d’eau de vie : mourir dignement et l’épée à la main. Être vieux est honteux. Que les Walkyries depuis l’autre côté du Bifrost, le pont qui sépare les Dieux de notre planète, désignent chaque marin pour entrer au Wahalla ! Et ensuite leur dépouille se consumera dans les flammes des embarcations. Pour nos héros, ce n’est que de la beauté ! Les visites qu’ils rendent aux moines sont de toute courtoisie. Ces promenades 17 le veau d ’ or invisble sont aussi respectables que le cheval, animal presque divin, choyé entre tous. À chacun de leurs retours, les hommes les plus âgés du clan, restés à terre, les saluent en soufflant dans les lurs, de longues trompes de bronze. Le scalde leur rend hommage et accompagne ses poèmes de son luth. De très grands guerriers comme les Haraldsson mettent pied à terre, et avant d’embrasser les pâturages glacés, enlèvent le casque décoré de bossettes, de cornes ou d’une sculpture animale en or comme le cochon ou le veau, qu’ils palpent comme ils palperaient Mjollnirr, le divin marteau du dieu du tonnerre Thor, s’il leur était donné… Et pourtant, ce marteau-là, personne ne l’a vraiment miré des deux, mais tous pensent qu’il existe !