sortis de l`Ecole de Police, ignorants de la Mafia et de la

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sortis de l`Ecole de Police, ignorants de la Mafia et de la
: • Marino à la torture de l'eau salée. A 4 heures du
matin, le jeune homme meurt étouffé. La
machine de rEtat se met rapidement en marche et donne le coup d'envoi, si l'on en croit les
policiers, d'une véritable persécution.
En l'espace d'un mois : dix-huit arrestations, transfert du préfet et de deux de ses
adjoints, démantèlement de la Mobile; nettoyage. tiOcturne et inexpliqué du bureau de
Cassarà, où il ne restera plus lin seul dossier. Il
a donc suffi Cele la Mafia reprenne l'offensive
contre la police, sur 'un front qui était calme
depuis 1982, pour que l'Etat ajoute ses coups à
ceux de l'Onorata Società:
Entre les tués, les arrêtés, les transférés
d'office et le partants volontaires, il ne reste
Plus persônne », dit notre inspecteur. Un auire : « C'est fichu. Notre chef, Cassarà, est
mort. Les nouveaux arrivés sont ignorants. On
ne cherche phis les ."latimnti", les fugitifs.
Reconnaissons que la Mafia a gagné. » Découragés démotivés, amers, les 210 flics de la
Mobile, rebelles en pleine ville, viennent de
découvrir qu'il est frustrant, en même temps
que dangereux, d'être un serviteur de l'Etat en
Sicile.
Etre flic à Palerme, 800 000 habitants, un
crime par jour, si l'on tient compte des lupare
blanche, des « disparitions ». 21 voitures de
police-secOurs réparties en trois équipes, soit 1
vciiture pour 100 000 habitants ; des quartiers
qui n'ont pas aperçu, en dix ans, un seul véhicule des forces de l'ordre et d'antres qui ont Vu
sauter sur une bombe, comme à Brancaceio, le
premier commissariat de zone installé en
1982; 25 policiers, avec 2 autos blindées,
chargés de traquet, on se demande comment,
211 latitanti qui bénéficient, eux, en plus des
bagnoles plombées d'argent, de bases et de
complicités dans la population locale. Palerme, la ville où circulent à toute vitesse d'innombrables escortes : pour les magistrats du
pool anti-Mafia, pour certains fonctionnaires
de la Préfecture, et c'est bien normal, mais
aussi pour les assesseurs régionaux et municipaux, les présidents d'institut, les députés...
L'escorte est devenue ici mi symbole social
l'avoir ou pas révèle votre importance, quitte à
l'utiliser seulement le matin pour arriver en
trombe au Palais des Normands, tandis cine
l'après-midi vous allez faire vos achats à pied
dans les boutiques chics de via della Liberté ou
de via Roma. Normal?
La grande misère de, la police de Palerme.
Une seule jumelle que se disputent les 210
agents de la Mobile... Les Collectes entre collègues pour payer lès informateurs... Les voitures empruntées aux amis ou aux petites amies
p6ur faire des filatures; parce que celles de
service sont archirepérées, même par le dernier
des gamins du quartier de l'Arenella... Le pauvre Cassarà, contraint à enfourcher sa vieille
Vespa d'étudiant pour ses reconnaissances en
terre mafieuse... Les radios qui ne marchent
pas... Les fils de policiers qui organisent des
tours de garde pour protéger les habitations de _
leurs papas... _
Après l'été noir de 1985, le pouvoir décide de
renflouer, au moins en apparence, le navire.
Des tables, des chaises neuves, un ordinateur,
Sont expédiés à la Mobile. En décembre, ils
attendaient dans la cour d'être installés, et 70
nouveaux flics débarquent, des jeunots à peine
40 LE NOUVEL OBSERVATEUR 'NOTRE ÉPOQUE
-
Beppe Montana
Nini Cassarà
Roberto Antiochia
Salvatore Marino
_
sortis de l'Ecole de Police, ignorants de la
Mafia et de la Sicile, sauf ces 4 qu'il a fallu
renvoyer dans leurs foyers parce qu'ils provenaient de familles mafieuses. Les 66 restants
ont été enfermés pendant quinze jours (dimanche non compris) dans une caserne de la capitale sicilienne. Des officiers de police leur ont
expliqué schématiquement l'Organisation, le
trafic de drogue, les ramifications internationales. Aucun livre à lire, quelques conseils
pratiques : « Attention à qui vous parlez. Attention à ce que vous dites. » Un agent raconte: « Quand nous avons voulu entrer dans
les détails, on nous a dit : Regardez autour de
vous. Que rien ne vous échappe. Prenez l'habitude de reconnaître les voitures que vous croisez fréquemment. Ne restez pas bloqués dans
la circulation. Passez au rouge ! »
Et le droit bancaire pour les enquêtes économiques sur la Mafia .> Et l'histoire de l'Organisation? Et les origines culturelles du sentire mafioso, comme dit Sciascia ? Et la bonne
méthode pour affronter la mafiosité ? Rien. Et
dire que l'équipe Cassarà, même avec ses pauvres moyens, avait mis au point une technique
efficace et intelligente de lutte. Exactement
comme le général Dalla Chiesa, pour lutter
contre la subversion, avait appris à ses hommes
à « vivre comme des terroristes », le commissaire Cassarà les avait incités à « vivre comme
des mafieux »...
Mais c'est difficile de lutter contre la Mafia
quand on n'a pas l'Etat avec soi. A chaque
nouveau crime, c'est un fait, l'Etat cherche
d'abord à faire le gros dos, il se défile. « La
Mafia a très bien compris, ,qxplique le juge
Giovanni Falcone, que si CaSsarà ou Falcone
sont éliminés, l'Etat ne réagira qu'avec molleee. » Ensuite, quand il riposte, c'est en
continuant à sous-évaluer le phénomène mafieux et les risques qu'il fait courir à la démocratie et en envoyant des renforts aussi impressionnants qu'inefficaces, destinés seulement à
tranquilliser l'opinion publique du Nord. « Il
faudra de toute façon attendre au moins deux
ans avant que la nouvelle Squadra mobile recommence à marcher », diagnostique, pessimiste, notre inspecteur de police passé à la
clandestinité. Et lui, que fera-t-il ?
Les doigts de la main droite joints, tournés
vers le haut et agités par une sorte d'interrogation spasmodique — un geste classique en
Sicile quand on veut exprimer son scepticisme
—, il précise : « Après mes six mois de congé
maladie, je retournerai peut-être à mon poste.
Mais que ce soit clair : pour moi, la lutte contre
la Mafia, c'est fini. Pourquoi et pour qui devrais-je la faire ?Chi me lo fa fare ? »
Au moment où s'ouvre le grand procès
contre Cosa Nostra, ce n'est pas la Mafia qui
s'en plaindra.
.
MARCELLE PADOVANI •

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