La Mafia sicilienne
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La Mafia sicilienne
La Mafia sicilienne, c’est quoi ? Quelques repères académiques La Mafia est avant tout une réalité sicilienne. Etymologiquement le terme pourrait dériver du vieux toscan signifiant misère. Plus sûrement, pour d’autres historiens du sujet, il viendrait du dialecte palermitain désignant un ensemble de valeurs positives allant de “l’excellence” à la “noblesse d’âme” en passant par la “beauté” (y compris celle d’une femme dont on peut dire qu’elle est mafia). C’est à cela que se réfèrent les mafieux quand ils se considèrent comme des hommes d’honneur, membres d’une Honorable Société, constituant une aristocratie du crime mandatée pour rendre service. De là a pu naître le mythe d’une mafia chevaleresque, gardienne de valeurs d’entraide et de solidarité. La réalité est tout autre et s’enracine dans la nature des rapports compliqués de l’Etat et de la société sicilienne. En Sicile l’Etat a souvent été d’origine étrangère depuis les Byzantins jusqu’aux Bourbons de Naples en passant par les Arabes, les Normands, les Angevins, les Aragonais, les Espagnols. De quoi susciter une tradition plus ou moins forte d’insoumission sur fond de revendication identitaire. De plus, la remise en cause depuis le début du XIXè des structures du féodalisme va avoir pour conséquence, décisive dans l’émergence de la Mafia, l’affaiblissement de l’autorité traditionnelle de la noblesse et l’autonomisation en temps de troubles des hommes de mains qui jusqu’alors dépendaient d’elle. Enfin, le nouvel Etat issu, à partir de 1860, du processus d’unification de l’Italie, déçoit les attentes siciliennes en imposant notamment sa loi fiscale et un système de conscription obligatoire. Pour y échapper beaucoup prennent le maquis où ils retrouvent les anciens hommes de mains de la noblesse. Structurée de façon très hiérarchisée, Cosa Nostra est divisée en familles (cosca) à la tête desquelles se trouvent à l’échelon local les parrains (capo). Aux niveaux supérieurs, une structure pyramidale identique remonte jusqu’au capo contrôlant la Sicile tout entière, le parrain des parrains (capo di tutti capi). On ne peut être admis qu’au terme d’une période d’observation et après un rituel d’initiation. L’Honorable Société impose sa protection contre le paiement d’un impôt, le pizzo, et contrôle ainsi rapidement les secteurs clés de l’économie et de la politique. Bientôt il ne fut plus de position tenable sans lui faire allégeance et l’Etat se résigna à cette situation faisant même parfois preuve de complaisance ou de complicité. Il y eut cependant des périodes de lutte contre la Mafia. Ainsi sous le fascisme, Mussolini résolument hostile à tout ce qui pouvait porter atteinte à l’Etat avaitil mandaté en Sicile le Préfet Mori (dit le Préfet de fer). Son action permit de démanteler partiellement les réseaux mafieux, contribuant ainsi à l’exil outreAtlantique de bon nombre d’entre eux. Le débarquement allié en Sicile en juillet 1943 et la fin de la Seconde Guerre mondiale rétablissent assez vite la Mafia dans ses positions et l’Etat italien d’après-guerre a souvent donné le spectacle d’une attitude velléitaire dans sa lutte contre la Mafia. Tout au plus permit-il de laisser accroire à une opinion publique souvent exaspérée par la Mafia que l’engagement et le dévouement de ses agents les plus brillants, comme Dalla Chiesa ou Falcone, étaient le gage des efforts incessants et déterminés qu’il menait contre la pieuvre. © culture&sens La Mafia sicilienne, c’est quoi ? La touche culture&sens • 23 mai 1992, une explosion pulvérise le véhicule du juge Falcone, tué sur le coup en compagnie de son épouse et de trois membres de son escorte. A proximité, Giovanni Brusca, dit scannacristiani (l’égorgeur de chrétiens), a actionné le détonateur des 400 kilos d’explosifs placés dans des canalisations sous l’autoroute. C’est la réponse de la Mafia au travail mené, depuis une dizaine d’années, par ce juge. En effet, depuis le début des années quatre-vingt, la Sicile, et plus particulièrement Palerme, sont dévastées par un redoublement de la violence mafieuse, entre clans rivaux et à l’encontre des magistrats et policiers, dont le général Dalla Chiesa, assassiné. C’est la “guerre mafieuse” ou la Mattanza (pour reprendre le terme de la pêche au thon alors utilisé), l’épisode le plus sanglant de l’histoire de la Mafia pendant lequel les Corléanais s’imposent. Falcone et son confrère Borsellino enquêtent inlassablement. Falcone obtient notamment la confession de Tommaso Buscetta,“Le parrain des deux mondes” ; l’homme, extradé du Brésil, a perdu dans la guerre mafieuse, deux fils, un frère, un neveu, un beau-frère, un gendre. Ainsi les deux juges peuvent dresser l’acte d’accusation d’un “maxiprocès” (8 607 pages de preuves pour 342 accusés) qui se tient à Palerme dans un véritable bunker. Après 22 mois de procédure, le verdict tombe le 16 décembre 1987 : 2 665 années de prison ; verdict confirmé, contrairement aux attentes de Cosa Nostra, par la Cour de Cassation en janvier 1992. • Dès les obsèques du juge Falcone, l’indignation et les accusations des Palermitains et plus largement des Siciliens et des Italiens sont très fortement exprimées. Elles redoublent quand deux mois plus tard, le juge Borsellino est exécuté à son tour. L’Etat, suspect d’inefficacité, de complaisance et de complicité, est obligé, sous cette pression populaire, d’intensifier sa lutte contre la Mafia. • Société secrète, elle obéit à des règles et des rites lui garantissant la clandestinité et la fidélité de ses membres. Parmi eux, le rite de l’initiation qui ne semble pas avoir changé des origines à la confession de Buscetta, en 1984. Devant les anciens et les capi de sa future “famille”, le candidat fait couler le sang d’une de ses mains sur une image sacrée, le plus souvent une Vierge de l’Annonciation, à laquelle est mis le feu. Il prononce un serment de fidélité et d’obédience absolue. Il lui est répondu : “Si tu trahis Cosa Nostra, ta chair brûlera comme l’image de ce saint”. L’embrasement de l’image sainte associe les éléments du sacré, la divinité et le feu, au serment de fidélité. Il symbolise aussi peut-être la mort de l’homme ordinaire qui renaît en “homme d’honneur”. Pour nous contacter et réagir : www.culture-sens.fr Des idées de loisirs A voir : Le parrain I, II et III, de F-F. Coppola. Cent Jours à Palerme, de G. Ferrara. Gomorra, de M. Garrone. Donnie Brasco, de M. Newell. Les affranchis, de M. Scorcese. Les incorruptibles, de B. de Palma. Série télé : Corleone. A lire : Essais : Cosa Nostra, J. Dickie, Buchet Chastel. La mafia sicilienne - des marchés d’agrumes aux marchés globalisés, C. Ducouloux-Favard, Arnaud Frand. Petit dictionnaire énervé de la mafia, F. Rizzoli, édition de l’opportun. Gomorra, R. Saviano. Romans : Le Jour de la chouette. L. Sciascia. Chien de faïence, A. Camilleri. Le Parrain, M. Ruzzo. BD : Cosa Nostra, Clarke. © culture&sens