Fausses couches à répétition - Journées de Biologie Clinique

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Fausses couches à répétition - Journées de Biologie Clinique
53es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER
THÉMATIQUE
– INSTITUT PASTEUR
À TAPER
Fausses couches à répétition
Jacques Lepercq a,*
1. Introduction
Environ 50 % des conceptions échouent et aboutissent à
un arrêt d’évolution très précoce de la grossesse survenant dans les trois premières semaines de grossesse et le
plus souvent avant le retard de règles. Une fausse couche
spontanée du 1er trimestre (FCS) est définie par l’absence
de grossesse évolutive à 12 semaines d’aménorrhée (SA).
Les pertes fœtales au-delà de 12 SA, ou fausses couches
tardives sortent de notre propos.
La fréquence des FCS du 1er trimestre est d’environ 15 %,
augmente avec l’âge, et concerne au moins une femme
sur quatre en période d’activité génitale [1].
Les FCS à répétition sont définies par trois FCS consécutives ou plus au sein d’un même couple et concernent
environ 1 % des couples désirant une grossesse. La fréquence augmente avec l’âge et le nombre de FCS : 17-35 %
après deux FCS, 25-46 % après trois FCS [2].
2. Étiologies des FCS à répétition
2.1. Causes génétiques
Des anomalies chromosomiques sont retrouvées dans
50 à 70 % des conceptus des FCS, ce taux passant à
80 % chez les femmes de plus de 35 ans présentant des
FCS à répétition [3]. En cas de FCS à répétition, une anomalie chromosomique équilibrée est retrouvée chez un
parent dans 2 à 4 % des cas. Il s’agit essentiellement de
translocations équilibrées. Des anomalies géniques sont
possibles mais non identifiées.
La progestérone est indispensable au maintien de la
grossesse au début et l’insuffisance lutéale est souvent
évoquée. Le bénéfice d’un traitement par la progestérone n’a pas été démontré sur la prévention des FCS à
répétition.
Un possible lien entre le syndrome des ovaires polykystiques et les FCS à répétition a été évoqué et un bénéfice
de la metformine suggéré mais non confirmé. Il est rappelé
que la metformine traverse le placenta, que le nombre de
grossesses exposées au 1er trimestre est insuffisant pour
conclure à l’absence de tératogénicité, qu’aucun suivi à
long terme des enfants exposés n’est actuellement disponible, et enfin que la metformine n’a pas d’AMM pendant
la grossesse.
2.3. Causes utérines
La responsabilité des anomalies congénitales de l’utérus (utérus cloisonné, utérus bicorne) dans les FCS à
répétition est évoquée, et le bénéfice de la résection
d’une cloison utérine controversé. Le traitement des
synéchies acquises de l’utérus pourrait améliorer le
pronostic. Enfin, les responsabilités des fibromes utérins et des séquelles de l’exposition au diéthylstilbestrol
sont peu probables [4].
2.4. Causes infectieuses
Ureaplasma urealyticum, Mycoplasma hominis, Chlamydia
trachomatis ont été isolés dans des prélèvements vaginaux
et cervicaux de patientes ayant eu des FCS. Aucune étude
descriptive n’a été menée en cas de FCS à répétition et
aucune étude d’intervention n’est disponible. Cette cause
n’est actuellement plus recherchée.
2.2. Causes endocriniennes
2.5. Maladies auto-immunes
Les pathologies thyroïdiennes non traitées sont plus associées à une infertilité.
Le risque de FCS est augmenté en cas de maladies autoimmunes en poussée évolutive et pourrait être majoré
par l’interruption intempestive du traitement en début de
grossesse. Il est donc important de programmer la grossesse chez ces patientes. En revanche, il n’existe aucune
justification à rechercher un lupus, une sclérodermie ou une
thyroïdite chez une patiente par ailleurs asymptomatique.
Le diabète de type 1 n’augmente le risque de FCS que s’il
est très déséquilibré, si l’HbA1c dépasse de 7 à 9 déviations-standard la moyenne des valeurs normales.
Université Paris Descartes
Groupe hospitalier Cochin Saint Vincent de Paul
82, av. Denfert-Rochereau
75674 Paris cedex 14
a
* Correspondance
[email protected]
© 2011 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
2.6. Syndrome des
antiphospholipides (SAPL)
Le SAPL est une pathologie auto-immune dont les critères ont été définis par un consensus international [5].
Le diagnostic de SAPL nécessite la présence d’au moins
un des critères cliniques et un des critères biologiques.
Les critères cliniques regroupent les thromboses vasculaires (un ou plusieurs épisodes cliniques de thromboses
veineuses, artérielles ou micro vasculaires dans tout tissu
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Dossier scientifique
ou organe documenté par l’imagerie, le Doppler ou l’histologie, et les complications obstétricales (mort fœtale in
utero inexpliquée, prématurité induite avant 34 SA pour
insuffisance placentaire ou pré éclampsie sévères, FCS
à répétition sans cause retrouvée).
Il est isolé dans plus de 50 % des cas et peut être associé à d’autres maladies auto-immunes. Les critères
biologiques sont : anticoagulant circulant de type lupique,
IgG ou IgM anticardiolipines > 40 UGPL (ELISA), IgG ou
IgM antiβ2glycoprotéine1 > 40 UGPL (ELISA). Ces anomalies doivent être présentes au moins à deux reprises à
12 semaines d’intervalle. Il apparaît d’emblée des seuils
de positivité variables selon les équipes.
Dans une population de patientes ayant un SAPL, le pourcentage de FCS varie de 25 à 67 %. Un critère biologique
est présent chez 15 à 20 % des femmes ayant des FCS
à répétition [6].
2.7. Thrombophilies héréditaires
Une association entre thrombophilies héréditaires et FCS
à répétition a été suggérée, mais les résultats contradictoires issus d’études de faible puissance comportant de
nombreux biais ne permettent pas de conclure à une causalité certaine. Deux études prospectives récentes n’ont
pas confirmé l’association entre la mutation du facteur V
Leiden ou la mutation G20210A du gène de la prothrombine et les FCS à répétition [7, 8]. Par ailleurs, il n’existe
pas d’association entre déficit en protéine S, en protéine
C, en antithrombine ou mutations du gène MTHFR et les
FCS à répétition.
Une méta-analyse de la Cochrane Database sur l’efficacité
des traitements anticoagulants (aspirine et héparine) dans
cette indication n’a retenu que deux études dont un essai
randomisé versus placebo. Aucun traitement n’a montré de
bénéfice ne permettant donc pas de les recommander [9].
La recherche de thrombophilies héréditaires chez des
patientes ayant des FCS à répétition n’est actuellement
plus recommandée par le Collège américain des gynécologues obstétriciens [10].
2.8. Causes allo-immunes
Un défaut de la tolérance maternelle à la greffe semi-allogénique représentée par le conceptus a été évoqué et a
abouti à différents traitements à visée immunosuppressive
(corticoïdes, immunoglobulines, transfusion de leucocytes)
dont l’absence de bénéfice a conduit à leur abandon.
3. Enquête étiologique
La première consultation est primordiale. Elle permet de
préciser :
• le nombre et le terme des FCS, les examens complémentaires déjà réalisés et les éventuels traitements entrepris ;
• les modalités d’évacuation utérine (abstention, médicament, curetage) ;
10
• les issues d’éventuelles grossesses (terme de naissance,
pathologie vasculaire placentaire) ;
• l’âge, les antécédents personnels, médicaux, chirurgicaux,
gynécologiques et éventuellement familiaux au 1er degré ;
• le retentissement psychologique et socioprofessionnel
chez la femme et son conjoint. Un recours à un psychologue ou un psychiatre pourra être envisagé, du fait du
retentissement des échecs de conception, d’une part, et
en l’absence d’étiologie curable, d’autre part.
En cas de suspicion de maladie auto-immune, la patiente
sera adressée à un interniste.
La question de déclencher l’enquête étiologique après
deux FCS, notamment chez une femme de plus de 35
ans, devra être discutée du fait de la similitude de causes
après deux ou trois FCS [11].
Au vu des causes et des possibilités thérapeutiques, les
examens suivants seront réalisés : hystéroscopie diagnostique, caryotypes des deux parents après information et
recueil des consentements, anticoagulant de type lupique,
anticorps anticardiolipines, anticorps antiβ2glycoprotéine1,
TSH pour certains.
Aucune étiologie ne sera retrouvée dans 50 à 75 % des
cas. Dans cette situation, après trois FCS, un pourcentage
de grossesse spontanée de 50 à 70 % a été déduit [2].
4. Traitement
4.1. Un traitement spécifique pourra
être indiqué dans certaines indications
La section d’une cloison utérine ou la levée de synéchies
pourra être proposée.
La mise en évidence d’une anomalie chromosomique
équilibrée chez l’un des parents pourra faire discuter une
fécondation in vitro après sélection préimplantatoire des
embryons à caryotypes normaux. Après information des
traitements et du pourcentage de succès, à comparer
au taux de succès spontané, le couple sera orienté vers
une équipe spécialisée ayant l’autorisation de réaliser
un diagnostic préimplantatoire. En l’absence de cause
identifiée, et du fait de la fréquence des anomalies chromosomiques du conceptus, ce recours est actuellement
théorique.
4.2. Le bénéfice d’un traitement
anticoagulant est documenté
en cas de SAPL
Les indications et les modalités du traitement préventif de
la thrombose sortent de notre propos.
Le traitement par aspirine (100 mg/jour) associé à l’héparine non fractionnée à doses préventives (5 000 unités
par voie sous-cutanée/12 heures) versus aspirine seule
est associé à une réduction des FCS (19 % vs. 47 %, OR
0.26, IC 95 % 0.14-0.48) (nombre de sujets à traiter : 4).
Le traitement par aspirine est habituellement débuté en
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préconceptionnel et l’héparine administrée dès la confirmation biologique de la grossesse. Ce bénéfice n’a pas
été retrouvé sur la prévention des pertes fœtales tardives
[12]. Le bénéfice de doses élevées d’héparine n’a pas été
démontré [9].
Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) plus
simples d’utilisation et mieux tolérées ont été comparées
à l’héparine dans deux petites études sans différence
observée. Cependant, dans la méta-analyse récente, les
HBPM n’ont pas d’efficacité démontrée dans la prévention
Références
[1] Steer C, Campbell S, Davies M, Mason B, Collins W. Spontaneous
abortion rates after natural and assisted conception, BMJ 1989;299:
1317-8.
[2] Ogasawara M, Aoki K, Okada S, Suzumori K. Embyronic karyotype
on abortuses in relation to the number of previous miscarriages, Fertil
Steril 2000;73:300-4.
[3] Marquard K, Westphal LM, Milki AA, Lathi RB. Etiology of recurrent pregnancy loss in women over the age of 35 years, Fertil Steril 2009 (in press).
[4] Porter TF, Scott JR. Evidence-based care of recurrent miscarriage,
Best Pract Res Clin Obstet Gynaecol 2005;19:85-101.
[5] Wilson WA, Gharavi AE, Koike T, Lockshin MD, Branch DW, Piette
JC, et al. International consensus statement on preliminary classification criteria for definite antiphospholipid syndrome: report of an international workshop. Arthritis Rheum 1999;42:1309-11.
[6] Stephenson M, Kutteh W. Evaluation and management of recurrent
early pregnancy loss. Clin Obstet Gynecol 2007;50(1):132-45.
[7] Dizon-Townson D, Miller C, Sibai B, Spong CY, Thom E, Wendel G
Jr, et al. The relationship of the factor V Leiden mutation and pregnancy
outcomes for mother and fetus. National Institute of Child Health and
Human Development Maternal-Fetal Medicine Units Network. Obstet
Gynecol 2005;106:517-24.
des récidives de FCS (17 % vs. 22 %, OR 0.70, IC 95 %
0.34-1.45), ni dans la prévention des pertes fœtales tardives [12]. Le manque de puissance des études, les biais
d’inclusion et de réalisation ne permettent peut-être pas
de conclure à un effet bénéfique justifiant un essai thérapeutique sur des effectifs plus grands. L’augmentation
des posologies d’HBPM escomptant un effet thérapeutique supérieur est empirique et pourrait exposer à des
complications hémorragiques.
Conflit d’intérêt : xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
[8] Silver RM, Zhao Y, Spong CY, Sibai B, Wendel G Jr, Wenstrom K, et
al. Prothrombin gene G20210A mutation and obstetric complications.
Eunice Kennedy Shriver National Institute of Child Health and Human
Development Maternal-Fetal Medicine Units (NICHD MFMU) Network.
Obstet Gynecol 2010;115:14-20.
[9] Kaandorp S, Di Nisio M, Goddijn M, Middeldorp S. Aspirin or anticoagulants for treating recurrent miscarriage in women without antiphospholipid syndrome. Cochrane Database of Systematic Reviews 2009,
Issue 1. Art. No.: CD004734. DOI: 10.1002/14651858. CD004734.pub3
[10] American College of Obstetricians and Gynecologists. Inherited
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Obstet Gynecol 2010;116:212-22.
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1020 women with two versus three or more recurrent pregnancy losses.
Fertil Steril 2010;93:1234-43.
[12] Ziakas PD, Pavlou M, Voulgarelis M. Heparin treatment in antiphospholipid syndrome with recurrent pregnancy loss. A systematic review
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[13] Empson MB, Lassere M, Craig JC, Scott JR. Prevention of recurrent
miscarriage for women with antiphospholipid antibody or lupus anticoagulant. Cochrane Database of Systematic Reviews 2005, Issue 2. Art.
No.: CD002859. DOI: 10.1002/14651858.CD002859.pub2.
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