Eux présidents

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Eux présidents
«Eux présidents», les scénarios de
2017 : Le rêve de Roxane (épisode 1)
Et si François Hollande… contre toute attente, se faisait réélire? Crédits photo : montage :
KENZO TRIBOUILLARD, Vincent BOISOT, François BOUCHON, THIBAULT CAMUS, Laurent
Zabulon/ABACAPRESS
FICTION POLITIQUE – François Hollande a été réélu président de la
République. Les problèmes (re)commencent…
Dans la nuit du lundi 8 au mardi 9 mai 2017, François Hollande fit un rêve
étrange qui eut pour conséquence de le faire se dresser brutalement sur son
séant aux alentours de 4 heures du matin. Aussitôt, Julie Gayet se réveilla
et, observant ses yeux hagards, lui chuchota tendrement : «Que se passe-t-il,
mon chéri ?» Il répondit : «C’est incroyable ! Figure-toi que j’ai rêvé que
j’avais été réélu président de la République !…» Puis, il regarda autour de
lui, reconnut en un éclair la chambre de l’Élysée et, se souvenant
soudainement des 48 dernières heures, eut un large sourire. Il n’eut pas le
temps d’articuler un mot de plus que, déjà, Julie lui glissait en
l’embrassant sur le front : «Tu as rêvé de la réalité, mon chou. Si ton
esprit est encore un peu brumeux, laisse-moi simplement te rappeler que tu as
été réélu dimanche président de la République française. C’est reparti pour
cinq ans…» Elle l’embrassa à nouveau, puis, songeant qu’elle jouerait dans
Cyranola semaine suivante au Théâtre de l’Odéon, se rendormit en déclamant
intérieurement la scène où Roxane confie au pauvre mousquetaire secrètement
épris d’elle son amour pour Christian. «Voilà, j’aime… quelqu’un… qui ne le
sait pas d’ailleurs… pas encore… mais qui va bientôt le savoir, s’il
l’ignore… un pauvre garçon qui jusqu’ici m’aima timidement, de loin, sans
oser le dire… Il a sur son front de l’esprit, du génie… Il est fier, noble,
jeune, intrépide, beau !» Sa respiration devint plus lente et la belle Julie
sombra dans le sommeil, qui l’entraîna vers le siège d’Arras et le mortel
assaut des Espagnols.
« Sur ce coup-là, tu as été vraiment bon. Mais pour la suite, faut voir… »
François Hollande, lui, s’était levé. Il prit une douche, s’habilla et gagna
son bureau plongé dans l’obscurité. Son fauteuil lui tendait les bras, pour
cinq nouvelles années, mais il choisit de ne pas s’y asseoir. Il regarda le
parc de l’Élysée puis le ciel étoilé. Le chef de l’État, qui ne pouvait
s’empêcher de sourire, passa ses doigts sur ses tempes et murmura: «J’ai été
réélu ! Oui ! J’ai été réélu !» Il décida finalement de s’asseoir et se
remémora les six derniers mois. La primaire à gauche, gagnée in extremis
contre Arnaud Montebourg grâce à d’opportuns bourrages d’urnes, le Congrès
d’investiture à la Mutualité, ceinturée par tous les frondeurs qui lançaient
sur le bâtiment des œufs et des tomates et à qui Jean-Christophe Cambadélis
criait désespérément depuis une fenêtre: «Ne tirez pas, camarades !», cette
campagne électorale où il fallut éviter tous les comités d’accueil belliqueux
(taxis, éleveurs, chômeurs, cégétistes, médecins, infirmières, contribuables,
pêcheurs, «pigeons», etc.), cet incroyable premier tour qui vit le président
sortant prendre la deuxième place loin derrière Marine Le Pen mais juste
devant Nicolas Sarkozy, à qui François Bayrou avait subtilisé des électeurs,
puis le «front républicain » et le succès final, le dimanche 7 mai, avec
50,5 % des voix. Tandis que, dans l’appartement privé de l’Élysée, Roxane
rêvait de son cadet de Gascogne, François Hollande se dit à lui-même : «Sur
ce coup-là, tu as été vraiment bon. Mais pour la suite, faut voir…»
Quelques heures plus tard, et alors que le soleil de mai illuminait déjà le
parc de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet entra dans le bureau présidentiel. Suivi
de Philae, le labrador du président, qui, à son air joyeux et frétillant,
semblait avoir compris que l’un des plus beaux parcs de Paris serait
probablement encore à sa disposition pour quelques années encore.
«Jean-Pierre, comment vas-tu ?, s’exclama François Hollande. Tu vas rire,
mais figure-toi que j’ai rêvé que j’avais été réélu président de la
République !»
Le secrétaire général de l’Élysée, que François Hollande, au nom d’une longue
amitié, avait reconduit à son
«Les premiers sondages ne sont pas bons, tu sais. Mais tu ne vas pas
mettre la barre à gauche, c’est impossible.»
poste le dimanche 7 mai à 20 h 01, s’obligea à sourire. Puis, redevenu
sérieux comme un pape, il posa sur la table du président 12 gros classeurs
sur lesquels était écrit soit «urgent », soit «urgentissime ». Le chef de
l’État se renfrogna.
«Toi, tu vas déjà me parler de boulot…»
Jean-Pierre Jouyet s’assit de l’autre côté du bureau, hésita quelques
secondes, puis se lança. «En fait, oui, je viens te parler de boulot.
François, vois-tu, je pense qu’il faut frapper fort tout de suite si on veut
gagner les législatives dans un mois. Et crois-moi, ce n’est pas gagné !
Malgré la victoire, le PS est en loques et la droite est ultrarevancharde.
Les premiers sondages ne sont pas bons, tu sais. Mais tu ne vas pas mettre la
barre à gauche, c’est impossible. Il faut rassurer tout le monde. Bruxelles,
Berlin, les marchés, le FMI. Bref, je ne te fais pas un dessin, tu connais ça
par cœur. J’ai eu Mario Draghi hier au téléphone. Il m’a dit que la politique
arrangeante de la BCE n’allait pas durer. C’est super-inquiétant, tu le sais
bien. Imagine qu’il se mette à remonter les taux d’intérêt ! Avec la dette
qu’on a, on est morts ! Ça nous plomberait le déficit tout de suite et on
serait obligés d’augmenter les impôts ! Pour un début de quinquennat,
franchement, il y a mieux !»
François Hollande écoutait son secrétaire général et l’interrompit en
souriant. «Il y a mieux, certes, mais augmenter les impôts en début de
quinquennat, je l’ai déjà fait !»
Jean-Pierre Jouyet, interloqué, le regarda fixement quatre secondes.
«Tu l’as fait, certes, mais tu sais ce que ça t’a coûté !»
«Avoue que nous, les anciens trotskistes, on s’y entend niveau
manipulations, agitation et propagande !»
Le président de la République s’esclaffa. «Jean-Pierre, ça m’a coûté d’être
aujourd’hui, dans ce bureau, devant toi, au deuxième jour de mon second
quinquennat ! Donc, ne t’inquiète pas avec ces histoires de Mario Draghi, de
taux d’intérêt et de FMI! Je sais que tu ne veux pas me croire mais j’ai
toujours eu la baraka. Je ne vois pas pourquoi ça s’arrêterait du jour au
lendemain !» Aux pieds du chef de l’État, Philae eut un bâillement qui
semblait valoir approbation du propos présidentiel.
C’est alors que le téléphone sonna. C’était Jean-Christophe Cambadélis.
François Hollande appuya sur la touche «haut-parleur » pour que Jean-Pierre
Jouyet ne rate rien de la conversation.
«Allô, François ? Comment vas-tu ? Moi, ça va, mais tout de même, quelle
histoire ! Réélu ! Tu te rends compte ! J’en reviens toujours pas ! Avoue que
nous, les anciens trotskistes, on s’y entend niveau manipulations, agitation
et propagande ! J’ai aucune idée à quoi ressemblera la suite mais, de toi à
moi, l’essentiel c’est qu’on soit toujours là !» Le premier secrétaire, à qui
François Hollande avait renouvelé toute sa confiance le dimanche 7 mai à
20 h 02, était hilare.
Le chef de l’État l’interrompit. «Jean-Christophe ? Peux-tu s’il te plaît me
faire une description brève et synthétique de l’état du PS. J’ai en face de
moi Jean-Pierre qui, la mine contrite, comme tu le connais, me fait un
portrait apocalyptique de la situation. Il me dit qu’on va se planter aux
législatives et que donc je nomme à Matignon dans un mois Sarko, ou Fillon,
ou Le Maire, Juppé si le job l’amuse encore, ou pourquoi pas Mariton! Je
l’entends déjà me proposer sa flat tax!»
Dans son bureau de la Rue de Solferino, Jean-Christophe Cambadélis réfléchit
quelques secondes, puis dit: «Alors voilà ».
Et le premier secrétaire décrivit un Parti socialiste qui, en dépit du succès
présidentiel, était en lambeaux tant il
«Ce Montebourg ! Quel comédien ! Beuvray, c’est le Solutré du pauvre !»
s’était déchiré les mois précédents. Arnaud Montebourg avait gravi quatre
fois le mont Beuvray la veille, c’est-à-dire au lendemain de la réélection de
François Hollande, escorté d’une armée de frondeurs qui confiaient à qui
voulaient les entendre qu’ils ne se présenteraient pas sous les couleurs du
PS lors des législatives. Il y aurait scission et le «peuple de gauche »
devrait choisir, disaient-ils, «entre la vérité et le mensonge ». Au sommet
de la montagne, lors de sa quatrième ascension, l’ancien ministre du
Redressement productif avait lancé, comme toujours théâtral : «Le peuple
français a souhaité réélire un homme qui a trahi notre idéal pendant cinq
longues années et s’apprête à rééditer sa vilenie pendant cinq autres et
probablement interminables années ! C’est son choix ! Que ce peuple,
admirable malgré ses égarements, sache que plus que jamais je me tiens à sa
disposition pour défendre ce en quoi il croit et dont l’a détourné un habile
politicien avec son air hélas inimitable où la sournoiserie le dispute à
l’hypocrisie. Mesdames et messieurs, je vous remercie. » Emmenés par
Christian Paul, les frondeurs avaient applaudi et lancé quelques vagues cris
guerriers tandis que, dans le ciel du Morvan, d’inquiétants corbeaux
tournoyaient.
«Ce Montebourg ! Quel comédien ! Beuvray, c’est le Solutré du pauvre !»,
pouffa François Hollande, tandis qu’à l’autre bout du fil Jean-Christophe
Cambadélis avait les larmes aux yeux tellement l’épisode morvandiau le
faisait rire aussi. «François, tu le connais ! Tu le mets au sommet d’une
colline, et hop, aussitôt il prend son air inspiré ! C’est un Barrès de
gauche ! Parfois, je me dis qu’on devrait interdire la politique aux
comédiens ! Mais en te disant ça, je réalise que si c’était le cas, tu ne
serais pas président de la République ni moi premier secrétaire !»
Tandis que François Hollande souriait à la dernière blague de Jean-Christophe
Cambadélis, Jean-Pierre Jouyet observa son téléphone, dont l’écran venait de
s’allumer. C’était un texto d’Emmanuel Macron, dont la tonalité était bien
différente de celle qui ressortait de la conversation entre le chef de l’État
et le patron du PS.
«Tu sais comme moi que quand l’Espagnol est énervé, ça tremble à fond de
Madrid jusqu’à Barcelone !»
Le SMS était ainsi rédigé: «Jean-Pierre, je compte sur toi pour convaincre
FH. Les marchés veulent ma nomination à Matignon. Moi seul peux gagner les
législatives. Tu sais bien qu’on peut compter sur mon génie ! Si c’est pas
moi, on est morts. Totale cata ! Donc, En Marche! Je t’embrasse. EM .»
Tandis que François Hollande et Jean-Christophe Cambadélis continuaient à
deviser plaisamment sur le cours des choses et le lyrisme un peu ridicule
d’Arnaud Montebourg, Jean-Pierre Jouyet répondit par texto à son
interlocuteur, qui sous un ciré jaune arpentait à marée basse et sous une
pluie traversière la plage du Touquet. «Je fais tout pour le convaincre, mais
là il discute avec JCC. Je crains le pire mais ne t’inquiète pas. Et
surveille Valls. On me dit qu’il est énervé parce qu’il sait déjà qu’il ne
sera évidemment plus premier ministre. Or, tu sais comme moi que quand
l’Espagnol est énervé, ça tremble à fond de Madrid jusqu’à Barcelone ! Lol.
Je t’embrasse. JPJ. »
Le secrétaire général de l’Élysée appuya sur la touche «envoi » au moment où
le chef de l’État raccrochait. François Hollande enleva ses lunettes et dit:
«Jean-Christophe est vraiment trop drôle. Il me dit qu’il a trouvé le moyen
de faire revenir tous les frondeurs, cet idiot de Montebourg, cette folle de
Martine, etc. Figure-toi qu’il a déjà trouvé le concept ! “La Nouvelle et
Très Belle Alliance Populaire!”. Avec des majuscules partout s’il te plaît !
De toi à moi, je me demande s’il ne veut pas être premier ministre! Ça me
paraît pas trop mal, qu’en penses-tu ? Peut-être qu’on va les gagner, ces
législatives !»
Jean-Pierre Jouyet regarda le président de la République d’un air un peu
gêné. «François, j’aime beaucoup Jean-Christophe mais je ne vais pas te
refaire mon cours sur les marchés, Draghi, le FMI et compagnie. Donc voilà :
il me semble que le seul premier ministre possible, vu le contexte, c’est
Emmanuel. Je sais bien que désormais tu le détestes – et il faut dire qu’il a
largement dépassé les bornes de la déloyauté – mais je ne vais pas
t’apprendre qu’en politique il faut savoir, dans son propre intérêt, passer
l’éponge et tout recommencer à zéro.»
À ce moment précis, la porte du bureau présidentiel s’ouvrit à l’improviste.
On vit entrer Julie Gayet qui, songeant au Théâtre de l’Odéon, entra en
déclamant: «… Il a sur son front de l’esprit, du génie… Il est fier, noble,
jeune, intrépide, beau !»
Source :© «Eux présidents», les scénarios de 2017 : Le rêve de Roxane
(épisode 1)