Pooling, quand l`union fait la force

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Pooling, quand l`union fait la force
T r i b u n e
Les industriels de la grande consommation doivent faire face à
des enjeux contradictoires : réduire la quantité d’émission de
CO2, tout en augmentant les fréquences de livraison
vers leurs clients. La mutualisation des moyens logistiques est
une solution pour répondre à une telle contradiction. Rémy
Le Moigne et Nicolas Bouniol de la société de conseil Infineo
nous présentent leurs retours d’expériences sur cette solution.
Pooling,
quand l’union fait la force
D
Rémy Le Moigne,
Associé Supply Chain d’Infineo
[email protected]
90
Nicolas Bouniol,
Directeur d’Infineo
[email protected]
ans le secteur de la grande distribution, les organisations logistiques d’aujourd’hui ne permettent pas de répondre aux enjeux de
demain. Depuis longtemps déjà, les
industriels et les distributeurs ont mis en
place des organisations logistiques collaboratives (plates-formes de cross-docking, gestion partagée des approvisionnements, CPFR...). L’objectif principal de
ces organisations logistiques était d’assurer une qualité de service très élevée. Cet
objectif est maintenant atteint par la majorité des acteurs de la grande distribution.
A présent, ces acteurs doivent faire face à
de nouveaux enjeux et répondre à de nouvelles contraintes : réduction des coûts
logistiques et des niveaux de stock, diminution de la quantité d'émissions de CO2,
augmentation du prix du carburant, pénurie de l’offre de transport...
Les organisations logistiques ne permettent
pas d’adresser efficacement ces nouveaux
enjeux. Comment réduire les niveaux de
N°21 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2008
stock chez les distributeurs tout en continuant à livrer par camion complet ?
Comment réduire le nombre de kilomètres
parcourus des camions tout en augmentant
les fréquences de livraison ?
La GMA comme réponse
aux nouveaux enjeux
Pour adresser ces nouveaux enjeux,
certains industriels mettent aujourd’hui
en place des organisations logistiques
mutualisées, la « Gestion Mutualisée des
Approvisionnements » ou GMA. Encore
appelée mutualisation logistique ou
Pooling en anglais, la GMA est une organisation dans laquelle plusieurs industriels livrent ensemble, à partir d’un
même entrepôt et dans le même camion,
un ou plusieurs distributeurs.
La mutualisation concerne à la fois les
moyens physiques (entrepôts, camions) et
les organisations (pilotage des approvisionnements...).
La GMA permet de réduire le nombre de
Sponsor
Platinium
kilomètres parcourus, tout en augmentant le taux de remplissage des camions.
Notre analyse des premiers pilotes a
montré un gain du nombre de kilomètres
parcourus pouvant atteindre 20% et une
diminution de la quantité d'émissions de
CO2 équivalente.
La GMA réduit également les coûts
logistiques notamment en abaissant les
niveaux de stock du distributeur (en diminuant les quantités livrées) ou encore les
coûts d’achat de transport et d’entreposage des industriels (par une mutualisation des moyens).
Une mise en œuvre
volontariste
Si le « pooling » fait l’objet d’un regain
d’intérêt chez les industriels, les premières mises en place datent pourtant d’il
y a plus d’une dizaine d’années. Par
exemple, pour les produits frais ou surgelés, les industriels du secteur agroalimentaire furent rapidement amenés à utiliser
des moyens logistiques communs pour
gérer au mieux la chaîne du froid. Ce
choix d’organisation était avant tout
imposé par les contraintes logistiques
liées au produit : livraisons fréquentes en
faibles quantités de produits qui se
conservent peu, infrastructures logistiques onéreuses et spécifiques pour gérer
la chaîne du froid, etc.
Ce qui est nouveau dans les récentes
mises en œuvre de « pooling », c’est
qu’elles n’ont pas été imposées aux industriels mais qu’elles correspondent à un
choix d’évolution.
En France, Sara Lee et Cadbury furent
parmi les premiers en 2004 à mutualiser
leurs transports à destination des distributeurs. Ils conservèrent alors des platesformes logistiques en propre. A la même
période, Henkel et Georgia Pacific
lancèrent un projet pilote similaire tandis
que Bénédicta, Nutrimaine et Pastacorp
décidèrent de livrer certains entrepôts
du groupe Carrefour à partir d’une
plate-forme commune. Plus récemment,
en 2006, Henkel, Colgate et Reckittt
Benckiser ont regroupé leurs stocks sur
deux plates-formes communes afin de
livrer dans un seul camion les produits des
3 sociétés à certains clients.
Deux modes de GMA
Les industriels qui mettent en place une
GMA ont le choix entre deux modes de
fonctionnement.
Le premier, la GMA à répartition fixe,
consiste à déterminer a priori par point de
livraison la répartition entre les différents
industriels du nombre de palettes d’un
chargement. Cette répartition peut être
ajustée par exception (opération commerciale de l’un des acteurs, rupture...) entre
les différents services clients.
Le second, la GMA à répartition
variable, consiste à calculer, pour chaque
livraison, la répartition du nombre de
palettes entre les industriels. Comme ce
calcul ne peut-être réalisé conjointement
par les différents services client, il est souvent confié à un acteur externe (prestataire de service logistique...). Des sociétés
comme Influe Logistics Service, FM
Logistic ou encore Kuehne + Nagel
offrent aujourd’hui ce type de prestations.
Une étape de l’optimisation
du transport routier
Après la qualité de service et le niveau
des stocks, toutes les attentions se tournent à présent vers l’optimisation du
transport routier. La mutualisation logistique constitue une des premières étapes
importantes. L’externalisation de la
fonction logistique par les industriels
puis la concentration des prestataires
logistiques facilitera sans doute la mise
en œuvre et la généralisation à court
terme de ce nouveau modèle.
D’autres types d’actions sont envisageables à plus ou moins long terme :
augmenter la capacité de charge des
véhicules, repenser les packagings et
conditionnements produits, améliorer
la planification du transport et la traçabilité des véhicules, maîtriser des flux
inversés… ◆
Rémy Le Moigne,
Nicolas Bouniol
Projet de « pooling » :
retours d’expérience
◆ Les industriels qui mutualisent leur logistique doivent s’assurer de leur
« compatibilité logistique » : les différents produits sont-ils compatibles
entre eux pour le transport ? Les clients livrés sont-ils communs ? Les caractéristiques de la demande client sont-elles complémentaires (volume, saisonnalité) ? Les organisations logistiques existantes sont-elles similaires
(location des usines et des entrepôts existants...) ?
◆ Un projet de GMA doit être mis en place progressivement. Par exemple,
le projet pourra débuter par la réalisation d’un test pilote en « multi pick »
(sans mutualiser les entrepôts, en livrant un seul client), se poursuivre par la
mise en place d’une GMA à répartition fixe et enfin se terminer par la mise
en oeuvre d’une GMA à répartition variable.
◆ La désignation d’un chef de projet expérimenté est indispensable pour
piloter en parallèle un grand nombre de chantiers impliquant un grand
nombre d’acteurs : adaptation des modes de fonctionnement, sélection des
prestataires logistiques pour l’entreposage et le transport, déménagement
des entrepôts, mise à niveau des systèmes d’information... Ces projets sont
quelquefois rendus plus difficiles par les contraintes de confidentialité entre
les différents industriels. L’attribution de ce rôle à une tierce personne
(consultant, 3PL) est une bonne pratique, en particulier pour arbitrer les
éventuels conflits d’intérêts entre les acteurs.
◆ Les projets de GMA présentent des retours sur investissement élevés, en
particulier en raison de coûts de mise en œuvre relativement faibles. Pour
ces projets, les gains sont réalisés dès le premier chargement.
◆ Le rôle du prestataire logistique est essentiel dans une organisation logistique mutualisée et bien plus important que dans une organisation plus
classique. Cette caractéristique profite aux prestataires en stabilisant ainsi
leurs relations avec leurs clients. Pour ces derniers, c’est aussi l’opportunité
de développer une offre dédiée aux nombreux industriels de taille
moyenne qui n’ont pas individuellement les ressources pour conduire de
telles démarches.
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