Les juridictions du travail lèvent le voile sur les - Larcier

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Les juridictions du travail lèvent le voile sur les - Larcier
Droit social et fiscal
Doctrine
Les juridictions du travail lèvent le voile
sur les dessous de la téléréalité
Virginie Gutmer
Les émissions dites de « téléréalité » soulèvent de nouvelles interrogations en droit du travail. La présente contribution se
penche sur la question de savoir si le contrat liant les participants de telles émissions à la société de production peut être
qualifié de contrat de travail et analyse le raisonnement de la Cour de cassation française sur ce point.
Les juridictions belges n’ayant pas encore eu l’occasion de se prononcer à ce sujet, une analyse doctrinale est proposée,
examinant si la jurisprudence française peut être transposée à la situation belge.
Parallèlement, la question de savoir si les participants pourraient être qualifiés d’artistes-interprètes est abordée. Cela
a une incidence, d’une part, sur le statut social applicable, d’autre part, sur les droits voisins qui pourraient leur être
reconnus. À nouveau, partant de la réponse française, une solution est proposée en droit belge.
De genaamde “Reality TV” werpt nieuwe vragen op in het arbeidsrecht. Huidige bijdrage buigt zich over de vraag of het
contract, dat de deelnemers van dergelijke programma’s aan de productiehuizen bindt, kan worden gekwalificeerd als een
arbeidsovereenkomst en analyseert de redenering van het Franse Hof van Cassatie op dit punt.
De Belgische rechtbanken werden nog niet in de mogelijkheid gesteld zich over de kwestie uit te spreken. Een theoretische
analyse wordt dan ook voorgesteld, waarbij wordt onderzocht of de Franse rechtspraak kan worden aangewend in de
Belgische situatie.
Gelijktijdig wordt ook de vraag behandeld of de deelnemers kunnen worden gekwalificeerd als uitvoerende kunstenaars.
Dit heeft namelijk gevolgen, enerzijds, op het toepasselijk arbeidsrechtelijk statuut en, anderzijds, op de aanverwante
rechten welke hun kunnen worden toegekend. Opnieuw, vertrekkende van het Franse antwoord, wordt een oplossing naar
Belgisch recht voorgesteld.
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Introduction générale
en contrat de travail le règlement de participation
qu’ils avaient signé avec la société de production.
En passant de l’autre côté de l’écran, ces juridictions ont été amenées à analyser la réalité des
rapports qu’avaient entretenus les candidats avec la
société de production. Leur verdict a été sans équivoque et confirmé par la Cour de cassation française :
le lien unissant les participants au producteur est en
réalité un contrat de travail.
Nous nous proposons d’analyser, dans la présente
contribution, le raisonnement qu’ont suivi les juridictions françaises pour en arriver à cette conclusion ;
nous allons à cet égard commenter l’arrêt de principe
de la Cour de cassation du 3 juin 2009 qui fait suite à
l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 12 février 2008,
ainsi que deux arrêts plus récents dans lesquels la
Cour de cassation confirme et développe sa jurisprudence. Nous verrons ensuite si les juridictions du travail belges pourraient adopter le même point de vue.
Accessoirement, nous nous pencherons aussi sur
la question de savoir dans quelle mesure l’on pourrait qualifier les participants à une émission de téléréalité d’artistes-interprètes.
Depuis plus de dix ans, les émissions dites de
«téléréalité» envahissent littéralement nos petits
écrans.
Habituellement, les participants à ce genre
d’émissions signent avec la société de production des
«règlements de participation» qui contiennent, pour
l’essentiel, des clauses relatives à la cession des droits
à l’image et des droits de propriété intellectuelle, à
l’éventuelle contrepartie financière de la cession de
ces droits, au prix éventuel attribué au gagnant de
l’émission (si l’émission en prévoit un), ainsi que
des clauses relatives aux obligations du participant,
notamment en terme de disponibilité et de confidentialité.
Il y a quelques années en France, considérant que
les conditions dans lesquelles ils avaient été placés
pendant le tournage présentaient toutes les caractéristiques d’un contrat de travail, plusieurs participants à
l’émission «L’île de la tentation» ont saisi les juridictions du travail françaises en vue de faire requalifier
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bien le cas, les éléments caractéristiques du contrat
de travail que sont la prestation d’un travail contre
rémunération dans un lien de subordination vis-à-vis de
l’employeur étant, selon la cour d’appel, réunis.
Les éléments relevés par la cour pour aboutir à
cette conclusion sont les suivants :
A. Arrêts de la Cour d’appel du
12 février 2008 et de la Cour de
cassation du 3 juin 2009
– quant à la prestation de travail
la cour a estimé que, contrairement à ce que
soutenait la société de production, «l’immixtion de
caméras dans la vie privée, même consentie, ne relève
pas d’un simple divertissement et n’est pas exclusive
de contrainte dès lors que l’action consiste à isoler
le sujet dans un contexte relationnel de nature à
éprouver ses sentiments et partant sa personnalité» ;
la mise à l’épreuve du candidat correspondait donc
bien, selon la cour, à la définition proposée par le
participant du travail comme «activité humaine exigeant un effort soutenu, qui vise à la modification
des éléments naturels, à la création et/ou à la production de nouvelles choses, de nouvelles idées» ;
selon la cour, le règlement signé par les participants consacrait également la prestation de travail en
ce qu’il exigeait une «disponibilité permanente du
participant pour le tournage, avec interdiction de sortir du site et de communiquer avec l’extérieur, pendant plusieurs jours et nuits tant que dure le tournage,
le participant ne pouvant interrompre sa collaboration
qu’au motif de circonstances exceptionnelles ou avec
l’accord préalable de la société de production» ;
1. Arrêt de la Cour d’appel du 12 février
2008(1)
a. Contexte
C’est à l’occasion d’un litige relatif à la saison
2003 de l’émission «L’île de la tentation» que les
juridictions du travail françaises ont été saisies de la
question de la nature des relations existant entre les
participants et la société de production.
Pour rappel, le concept de cette émission, produite à l’époque par la société Glem pour TF1, est le
suivant : «Quatre couples non mariés et non pacsés,
sans enfant, testent leurs sentiments réciproques lors
d’un séjour d’une durée de douze jours sur une île
exotique, séjour pendant lequel ils sont filmés dans
leur quotidien, notamment pendant les activités
qu’ils partagent avec des célibataires de sexe opposé.
À l’issue de ce séjour, les participants font le point
de leurs sentiments envers leur partenaire. Il n’y a ni
gagnant, ni prix».
Le conseil de prud’hommes de Paris a suivi la
thèse développée par d’anciens participants de la
saison 2003 selon laquelle ceux-ci étaient liés à la
société de production par un contrat de travail ; sa
décision a ensuite été confirmée par la cour d’appel
de Paris au terme du raisonnement exposé ci-dessous.
– quant à la rémunération
la cour a relevé que les participants avaient bénéficié, en échange de leurs prestations, d’avantages
en nature (prise en charge d’un billet d’avion allerretour pour la Thaïlande, frais de visa, hébergement,
repas, activités sportives et autres) et qu’ils s’étaient
vus octroyer une somme de 1 525 EUR laquelle
devait s’analyser, d’après la cour, comme la contrepartie du travail presté par les participants et non,
comme le prévoyait le «règlement participants»,
comme une avance sur les royalties à percevoir sur
les exploitations «merchandising et/ou promotionnelles»(2);
b. Analyse de la Cour
1° Existence d’un contrat de travail
Dans son arrêt du 12 février 2008, la cour
d’appel de Paris a d’abord rappelé la jurisprudence
française classique suivant laquelle «l’existence d’un
contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties ni de la dénomination de la convention, mais des
conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité de la personne concernée», pour en conclure que
la dénomination du document signé par les candidats, à savoir «règlement participants», ne permettait pas, en elle-même, d’exclure l’existence d’une
relation contractuelle de travail subordonné.
Ce principe posé, la cour a ensuite vérifié si les
dispositions contractuelles et les conditions de fait
dans lesquelles s’était déroulée l’émission révélaient
ou non l’existence d’un contrat de travail. Tel fut
– quant au lien de subordination
la cour a rappelé que le lien de subordination est
caractérisé par «l’exécution d’un travail sous l’autorité
d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres
et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son collaborateur» ;
les éléments suivants, dont certains étaient prévus contractuellement par le règlement, attestaient
notamment de l’existence de cette autorité :
(1) Paris, 12 février 2008, R.G. no 07/02721.
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(2) Exploitations que l’on avait fait miroiter aux participants mais qui, en réalité, n’ont pas eu lieu.
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I. Analyse de la jurisprudence
française
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quer dans des relations interpersonnelles générées
naturellement par une vie communautaire entre
couples et célibataires ;
– si la réalité vécue n’était plus, du fait d’un
contexte et de circonstances formatés, celle de la vie
courante, pour autant la création d’une œuvre de fiction n’était pas effective ;
– enfin, le fait d’être filmé, même au cours de
relations cadrées, n’impliquait pas une activité d’artiste-interprète, la catégorie d’interprète d’œuvre
d’improvisation filmée n’existant pas dans la convention collective».
– le fait que le séjour et les conditions de vie des
candidats pendant le tournage étaient exclusivement
déterminés par la production, les responsables du
tournage décidant de leur emploi du temps(3) et leur
imposant les heures de réveil et de coucher ;
– l’obligation qu’avaient les participants de
suivre les instructions de la production relatives au
planning du tournage ainsi que les règles du programme définies par la production ;
– l’obligation qu’ils avaient de participer aux
différentes activités et réunions organisées par la
production ;
– le droit qu’avait le producteur d’interdire aux
participants d’avoir des contacts avec leur famille ou
proches ;
– le pouvoir de mise en garde que le producteur
s’était octroyé ;
– le droit qu’avait le producteur de sanctionner par la rupture du contrat le non-respect par les
participants des obligations découlant pour eux du
règlement ;
– le droit qu’avait le producteur d’infliger une
sanction pécuniaire en cas de violation de l’obligation de confidentialité.
2. Arrêt de la Cour de cassation du 3 juin
2009(4)
L’affaire a ensuite été portée devant la Cour de
cassation par la société de production ; seule la question de la qualification des relations contractuelles
lui a été soumise, aucun pourvoi n’ayant été formé
par les participants à propos de la question du statut
d’artistes-interprètes(5).
Les arguments de la société de production n’y
ont pas été mieux accueillis que devant les juridictions précédentes.
La Cour de cassation a en effet décidé ce qui
suit : «qu’ayant constaté que les participants avaient
l’obligation de prendre part aux différentes activités
et réunions, qu’ils devaient suivre les règles du programme définies unilatéralement par le producteur,
qu’ils étaient orientés dans l’analyse de leur conduite,
que certaines scènes étaient répétées pour valoriser
des moments essentiels, que les heures de réveil et
de sommeil étaient fixées par la production, que le
règlement leur imposait une disponibilité permanente, avec interdiction de sortir du site et de communiquer avec l’extérieur, et stipulait que toute
infraction aux obligations contractuelles pourrait être
sanctionnée par le renvoi, la cour d’appel, qui répondant aux conclusions, a caractérisé l’existence d’une
prestation de travail exécutée sous la subordination
de la société Glem, et ayant pour objet la production
d’une “série télévisée”, prestation consistant pour les
participants pendant un temps et dans un lieu sans
rapport avec le déroulement habituel de leur vie personnelle, à prendre part à des activités imposées et à
exprimer des réactions attendues, ce qui la distingue
du seul enregistrement de leur vie quotidienne et
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2° Statut d’artistes-interprètes
Dans cette même affaire, outre la requalification
de leur relation contractuelle en contrat de travail, les
participants avaient sollicité que leur soit reconnu le
statut d’artistes-interprètes et que leur soit appliquée
la convention collective de travail régissant ce statut.
Sur ce point, la cour a par contre considéré leur
demande non fondée aux motifs que :
– «si les participants avaient été impliqués
dans des jeux de scène guidés par le producteur, ils
n’avaient pas eu à interpréter une œuvre littéraire ou
artistique pour la réalisation du programme de téléréalité à laquelle ils ont participé ;
– s’ils avaient participé à la réalisation d’une
œuvre télévisée, ils n’avaient pas joué un rôle même
s’ils ont pu parfois, pour satisfaire au concept de
l’émission, être orientés dans l’analyse de leur
conduite et répéter certaines scènes filmées afin de
valoriser quelques moments essentiels ;
– s’ils ont consenti à la cession des droits qu’ils
pouvaient détenir sur leurs nom, prénom, image et
intervention, ils n’avaient pas accompli une prestation d’interprétation, leur participation s’étant limitée à exprimer leurs propres sentiments et à s’impli-
cipation à une émission dite de “télé-réalité”», La Semaine
juridique, no 37, 2009, pp. 216 et s. ; B. Edelman,
«Quand “L’île de la tentation” ne séduit pas le droit»,
Rec. Dalloz, 2009, no 37, pp. 2517 et s. ; J.‑F. Cesaro
et P.‑Y. Gautier, «Tenter sa chance ou travailler :
­qualifications, téléréalité et contrats spéciaux», Rec.
­Dalloz, 2009, no 31, pp. 2116 et s.
(3) A ce sujet, la Cour a estimé que le fait que les candidats disposaient d’un peu de temps libre ne venait pas
contredire la réalité du pouvoir disciplinaire du producteur.
(4) Cass. fr., ch. soc., 3 juin 2009, numéros de pourvois
08-40981, 08-40982, 08-40983, 08-41712, 08-41713
et 08-41714.
(5) Pour une analyse doctrinale française, voy. D. Feldman, «La requalification en contrat de travail de la parti-
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B. Arrêt de la Cour de cassation du
24 avril 2013(6)
La Cour de cassation a réitéré sa jurisprudence
dans un arrêt du 24 avril 2013 rendu à la suite des
pourvois formés contre une décision de la cour d’appel
de Versailles du 5 avril 2011 dans le cadre de la même
émission, «L’île de la tentation»(7). La Cour de cassation a jugé que la cour d’appel avait pu déduire des
éléments de fait relevés(8) que les participants étaient
liés à la société de production par un contrat de travail.
Dans cette affaire, les participants ont également
été déboutés par les juges du fond de leur demande
tendant à se voir reconnaître la qualité d’artistesinterprètes.
Cette question a, cette fois-ci, été soumise à la
Cour de cassation qui a estimé que «c’est sans se
contredire que la cour d’appel a relevé que les participants à l’émission en cause n’avaient aucun rôle
à jouer ni aucun texte à dire, qu’il ne leur était
demandé que d’être eux-mêmes et d’exprimer leurs
réactions face aux situations auxquelles ils étaient
confrontés et que le caractère artificiel de ces situations et de leur enchaînement ne suffisait pas à leur
donner la qualité d’acteurs ; qu’ayant ainsi fait ressortir que leur prestation n’impliquait aucune interprétation, la cour a décidé à bon droit que la qualité
d’artiste-interprète ne pouvait leur être reconnue».
C. Arrêt de la Cour de cassation du
25 juin 2013(9)
Encore plus récemment, la Cour de cassation a
été saisie de pourvois formés contre un arrêt de la
cour d’appel ayant également requalifié en contrat
de travail la relation existant entre celui qui avait
obtenu le titre de «Mister France 2003» et la société
de production.
En l’espèce, la cour d’appel avait constaté que «le
règlement candidats, effectivement appliqué, comportait des dispositions plaçant les participants sous
l’autorité du producteur qui disposait d’un pouvoir de
(6) Cass. fr., 1re ch. civ., 24 avril 2013, numéros de
pourvois 11-19091 et s.
(7) Plusieurs candidats qui avaient participé aux saisons
2003, 2004, 2005, 2006 et 2007 de l’émission ont à
nouveau sollicité la requalification du «règlement participants» en contrat de travail.
(8) Existence d’une «bible» prévoyant le déroulement
des journées et la succession d’activités filmées imposées,
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mises en scène répétées, interviews dirigés, choix des vêtements par la production, horaires imposés allant jusqu’à
vingt heures par jour, obligation de vivre sur le site et
impossibilité de se livrer à des occupations personnelles,
instauration de sanctions, prestations ayant pour finalité la
production d’un bien ayant une valeur économique.
(9) Cass. fr., ch. soc., 25 juin 2013, numéro de pourvoi
12-13968.
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sanction, que le candidat s’engageait à participer aux
répétitions et à l’émission pendant huit jours, qu’il
acceptait expressément de se conformer au choix du
producteur sur les lieux de restauration et d’hébergement, de répondre aux questions du présentateur et aux
interviews au cours de l’émission, d’être filmé, d’effectuer les chorégraphies choisies par le producteur» ; la
Cour de cassation a considéré que la cour d’appel avait
ainsi «caractérisé l’existence d’une prestation de travail
exécutée sous la subordination de la société et ayant
pour objet la production d’un bien ayant une valeur
économique, prestation consistant pour les participants, pendant un temps et dans un lieu sans rapport
avec le déroulement habituel de leur vie personnelle, à
prendre part à des activités imposées, ce qui la distingue
du seul enregistrement de leur vie quotidienne».
Au vu de ces faits, semblables à ceux des décisions précédentes, la Cour de cassation a confirmé que
c’est à bon droit que la cour d’appel en avait déduit
que les parties étaient liées par un contrat de travail.
Cette affaire présentait toutefois un élément
particulier la distinguant des arrêts commentés cidessus. L’émission «Mister France» possède en effet
certaines caractéristiques d’un jeu, puisque les candidats doivent s’éliminer les uns les autres en faisant valoir leurs atouts, sanctionnés par un vote du
public.
La société de production avait dès lors monté en
épingle cette caractéristique pour tenter de soutenir
que, en tout état de cause, le règlement était en réalité un contrat de jeu, c’est-à-dire un contrat aléatoire exclusif de tout contrat de travail.
La cour d’appel avait toutefois exclu cette théorie
au motif que «la perspective d’être désigné gagnant
n’était pas soumise à la survenance d’un élément
imprévisible, totalement dû au hasard, mais aux
qualités physiques et à l’aptitude du candidat à se
mettre en valeur».
La Cour de cassation a confirmé cette appréciation, estimant que «la cour d’appel qui a retenu que
l’objet du contrat ne consistait pas dans l’organisation d’un jeu, que l’élection de Mister France était
un concept d’émission et non une compétition ayant
une existence propre, organisée de manière autonome, et que la prestation des candidats servait à
fabriquer un programme audiovisuel à valeur économique, a pu en déduire que la qualification de
contrat de jeu devait être écartée».
qui a souverainement retenu que le versement de la
somme de 1 525 EUR avait pour cause le travail exécuté, a pu en déduire que les participants étaient liés
par un contrat de travail à la société de production».
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À défaut de jurisprudence en la matière, nous
tenterons donc de répondre à la question précitée par
une analyse doctrinale du contrat de travail.
Avant de procéder à cet examen, il convient de
préciser que, tout comme la jurisprudence française,
la jurisprudence belge considère que le juge n’est pas
lié par la qualification donnée par les parties à leur
relation. Toutefois, à la différence de la jurisprudence
française, la jurisprudence belge impose au juge, pour
pouvoir substituer au contrat une autre qualification,
de constater que les éléments soumis à son appréciation permettent d’exclure la qualification donnée
par les parties à la convention(12). Ainsi que le relève
J. Clesse(13), «Établir que la qualification de contrat
de travail est seulement plausible ou adéquate ne suffit pas ; le juge ne procédera à la requalification que
si, et seulement si, il relève la présence d’éléments
inconciliables avec la qualification conventionnelle».
Ce pouvoir octroyé au juge semble à première vue contraire à l’article 1134 du Code civil
qui prévoit que «les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites».
Ce principe doit toutefois se combiner avec l’article 1156 du même Code qui dispose que l’«on doit
dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que
de s’arrêter au sens littéral des termes». En d’autres
termes, comme l’explique V. Vannes(14), le juge a le
pouvoir et même le devoir de modifier la qualification donnée par les parties au contrat lorsque leur
volonté réelle, déterminée par les clauses du contrat
ou par l’exécution qui lui a été donnée, contredit la
qualification qu’elles ont choisie.
Dans le cas de la téléréalité, le fait que les parties
n’aient pas inséré leur relation contractuelle dans le
champ du travail ne sera dès lors pas suffisant à l’en
exclure définitivement.
Par cet arrêt, la cour confirme le principe de qualification en contrat de travail même si un élément
aléatoire, comme le vote du public, intervient dans
le déroulement de l’émission.
II. Transposition de l’analyse
française à la situation belge
A. Qualification de la relation entre
les parties
1. Introduction
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Confrontées aux mêmes éléments de fait, les
juridictions du travail belges feraient-elles également droit à la demande des participants de voir leur
contrat requalifier en contrat de travail ?
Quoique la jurisprudence belge n’ait, à notre
connaissance, pas encore eu l’occasion de se pencher sur cette question, la problématique s’est déjà
posée en Belgique à propos d’une émission flamande,
dénommée «Toast Kannibaal», dont le concept était
de faire vivre une famille belge avec une tribu primitive pendant plusieurs semaines en les privant de
tout contact avec l’extérieur.
Certains participants à cette émission avaient
soutenu devant le tribunal de première instance de
Bruxelles(10) qu’ils devaient être considérés comme
des travailleurs au sens de la loi du 16 mars 1971 sur
le travail(11) et reprochaient à la société de production
de s’être rendue coupable de plusieurs violations de
cette loi.
Le tribunal n’a cependant pas pu trancher cette
question, relevant que (i) les participants n’avaient
tiré aucune conséquence juridique de la prétendue
violation par la société de production de cette loi
et que (ii) la demande contenue dans le dispositif
de leurs conclusions visant à obtenir une indemnité
découlant du contrat de travail était exprimée en
des termes particulièrement vagues et généraux. Le
tribunal a donc ordonné la réouverture des débats,
notamment pour permettre aux demandeurs de préciser leur demande sur ce point.
Ce litige s’étant toutefois soldé par un règlement
transactionnel, nous ne connaîtrons jamais la position du tribunal à ce sujet.
2. Définition du contrat de travail
Le contrat de travail est celui par lequel un travailleur s’engage, contre rémunération, à fournir un
travail sous l’autorité d’un employeur(15).
Comme en droit français, les éléments constitutifs du contrat de travail sont donc :
– la fourniture d’un travail ;
– l’octroi d’une rémunération en contrepartie
du travail accompli ;
(10) Civ. Bruxelles, 27 mai 2009, A&M, 2011/2, p. 187.
(11) M.B., 30 mars 1971.
(12) Voy. notamment Cass., 10 octobre 2011, J.T.T.,
2012, p. 21 ; Cass., 25 mai 2009, J.T.T., 2009, p. 369 ;
Cass., 23 mars 2009, J.T.T., 2009, p. 370 ; Cass.,
1er décembre 2008, J.T.T., 2009, p. 372 ; Cass., 4 juin
2008, J.T.T., 2008, p. 380.
(13) J. Clesse, «Vers une nouvelle appréciation de la
nature juridique de la relation de travail», in La Nouvelle
loi sur les relations de travail – Premier état et perspectives,
Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2007, p. 32.
(14) V. Vannes, Le contrat de travail : aspects théoriques
et pratiques, 3e éd., Bruylant, Bruxelles, 2011, p. 110 ;
voy. également C. trav. Bruxelles, 10 avril 2009, J.T.T.,
2009, p. 373.
(15) Voy. articles 2, 3, 4 et 5 de la loi du 3 juillet 1978
relative aux contrats de travail, M.B., 22 août 1978.
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a. Travail
Le contrat de travail a pour objet principal la
fourniture d’un travail.
L’employeur s’engage à fournir du travail au
salarié(16) et le salarié s’engage à exécuter le travail
qui lui est confié(17).
Si, comme l’enseigne la doctrine, la notion de
travail est «large, flexible et pluriforme»(18), la loi du
3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ne s’applique cependant pas à toute forme d’activité mais
uniquement au travail professionnel.
Que faut-il entendre par «travail professionnel» ?
M. De Vos(19), analysant doctrine et jurisprudence, enseigne que celles-ci retiennent essentiellement deux critères alternatifs pour qualifier un travail
de «travail professionnel» au sens de la loi de 1978 :
– le critère de l’utilité du travail pour l’employeur, c’est-à-dire de la valeur économique du
travail pour l’entreprise ; dans cette optique, est
considérée comme travail professionnel l’activité
qui présente, à un titre ou un autre, un intérêt pour
l’employeur ;
– le critère des motifs déterminants du travailleur
dans l’accomplissement de son travail, qui doivent
résider dans l’intention d’acquérir, par son travail, des
revenus destinés à pourvoir à sa subsistance(20).
C’est à ce dernier critère que cet auteur se rallie,
faisant remarquer que, en réalité, toute activité proposée par un employeur à un tiers présentera généralement une utilité pour lui ; ainsi, le travail effectué
dans le cadre d’un contrat de stage, même s’il vise
l’enseignement du stagiaire, aura aussi souvent une
utilité pour l’employeur. En d’autres termes, le critère de l’utilité du travail pour l’employeur ne permet pas, en lui-même, de distinguer suffisamment
le travail professionnel d’autres formes d’activités
puisque tout travail confié par l’employeur présentera normalement pour lui une utilité.
Il nous paraît que cette conception puisse être
approuvée, à ceci près toutefois qu’il ne nous semble
pas que le critère de l’utilité doive être abandonné
mais au contraire combiné avec le critère des motifs
du travailleur. Il convient en effet de constater que le
critère de l’utilité, quoiqu’il ne soit pas déterminant
(19) M. De Vos, Loon naar Belgisch arbeidsovereenkomstenrecht, Maklu, Anvers, 2001, pp. 96 et s.
(20) Voy. notamment Trib. trav. Tongres, 6 mars 2006,
R.A.B.G., 2006, p. 1053.
(16) Article 20, 1°, de la loi du 3 juillet 1978 relative
aux contrats de travail.
(17) Article 17, 1°, de la loi du 3 juillet 1978 relative
aux contrats de travail.
(18) M. De Vos, Loon naar Belgisch arbeidsovereenkomstenrecht, Maklu, Anvers, 2001, p. 96 et les références qu’il cite.
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à lui seul, reste tout de même pertinent pour distinguer une relation réellement professionnelle d’une
autre. C’est ainsi que le travail confié à un stagiaire
ou un apprenti ne présentera en théorie pas le même
degré d’utilité pour l’employeur que celui d’un travailleur rémunéré.
Le critère de l’utilité pourra ainsi selon nous
continuer à jouer un rôle afin de compléter l’analyse
d’une convention sous l’angle des motifs déterminants du travailleur et afin de tenir compte du caractère essentiellement dynamique de toute relation
contractuelle.
En effet, la nature des relations contractuelles
nouées entre les parties peut être modifiée en cours de
route. C’est ainsi que l’activité prestée au départ hors
des liens d’un contrat de travail peut finir par y rentrer.
Ce changement peut se faire de commun accord
et de manière explicite, comme dans le cas d’un stagiaire qui se verrait proposer de devenir travailleur
et de percevoir une rémunération à ce titre.
Cela peut toutefois aussi se faire de manière
implicite. C’est ainsi que l’employeur qui finirait
par exiger de la part de son stagiaire les mêmes
prestations que celles d’un travailleur (c’est-à-dire
l’exigence d’une utilité de travail telle qu’elle justifierait une rémunération) aboutit selon nous à une
modification de la convention. Le stagiaire a alors le
choix d’accepter ou de refuser cette modification. Si
le stagiaire accepte de continuer à prester pour son
employeur, l’on devra alors considérer qu’existe un
contrat de travail et le stagiaire, devenu travailleur,
aura ainsi le droit d’exiger une rémunération adéquate pour son activité.
Soutenir le contraire reviendrait à permettre aux
employeurs peu scrupuleux de faire prester de véritables activités de travail professionnel (c’est-à-dire
un travail économique pleinement utile pour eux) à
des personnes à qui ils dénieraient en même temps
le droit à la protection sociale et à la rémunération.
Cela ne se conçoit évidemment pas.
C’est pourquoi il convient d’appliquer le critère
des motifs du travailleur de manière dynamique, en
combinaison avec le critère de l’utilité du travail
pour l’employeur. Cela permet d’appréhender les
situations où les parties, bien qu’étant formellement
convenues au départ d’une activité hors contrat de
travail, finissent par modifier cette situation initiale
et à se soumettre, explicitement ou implicitement,
aux règles dudit contrat de travail.
– la subordination dans laquelle le travail est
exécuté.
Nous analysons ces éléments ci-dessous.
Droit social et fiscal
Doctrine
C’est d’ailleurs cette analyse que la Cour de cassation française a suivie notamment dans son arrêt
précité du 25 juin 2013 relatif à «Mister France» en
rejetant l’argument de l’employeur selon lequel on
ne devait tenir compte que de la volonté initiale du
travailleur qui ne s’était jamais engagé à accomplir
une véritable prestation de travail moyennant une
rémunération et qui avait garanti dans le contrat
signé entre les parties qu’il participait au programme
à des fins personnelles et non professionnelles, et en
estimant que, pour savoir si l’on avait à faire à une
activité professionnelle, l’on devait au contraire également tenir compte de la valeur économique de
l’activité déployée par les personnes concernées au
profit de l’employeur. Joint à la constatation que les
participants à l’émission «Élection Mister France
2003» étaient placés sous l’autorité de la société de
production, cela a permis à la Cour de conclure que
les prestations accomplies par les participants étaient
en fait bien des prestations professionnelles.
Comme expliqué plus haut, cette solution doit
être approuvée en ce qu’elle tient à la fois compte de
la réalité juridique et matérielle et permet d’éviter que
des employeurs ne détournent à leur profit les règles de
droit en profitant de personnes crédules à qui l’on fait
conclure un certain type de contrat et qui ensuite se
rendent compte que ce que l’on exige d’eux est en réalité la prestation d’un véritable travail professionnel.
Il nous semble donc que la solution française
puisse être approuvée en droit belge également.
La rémunération est la contrepartie du travail
presté.
La Cour de cassation décide que «l’arrêt qui
constate qu’une personne a fourni certaines p­ restations
pour compte et sous l’autorité d’une autre personne
sans constater qu’une rémunération a été convenue ne
peut légalement décider qu’un contrat de travail existait entre ces deux personnes»(21).
La rémunération est donc un élément constitutif
du contrat de travail, de sorte que les parties doivent
s’être mises d’accord tant sur le principe du paiement d’une rémunération pour le travail accompli
que sur le montant de celle-ci ou sur les éléments
permettant de le déterminer(22). En d’autres termes,
le montant de la rémunération ne doit pas avoir été
défini expressément ; il suffit qu’il ait été convenu
qu’une rémunération sera payée et que la rémunération à payer soit déterminable.
Faisant application de ces principes, la cour
du travail d’Anvers a ainsi décidé dans un arrêt du
12 décembre 2001(23), qu’à défaut de salaire convenu,
il ne saurait être question de contrat de travail et
qu’il n’y avait pas lieu de calculer le salaire sur la
base des conventions collectives de travail relatives
au paiement d’un salaire minimum dans la mesure
où l’application de ces conventions supposait d’abord
l’existence d’un contrat de travail.
À suivre cette jurisprudence, il suffirait, dans le
cas qui nous occupe, que les règlements de participation ne comportent aucune mention d’un salaire ou
autres avantages en faveur des candidats pour éviter
la requalification en contrat de travail.
Les choses ne sont toutefois pas aussi simples.
En effet, pour certains juges(24), le fait que la
rémunération n’ait pas été convenue par écrit n’est
pas déterminant pour l’existence d’un contrat de
­travail, puisque le salaire minimum peut être calculé
par référence aux conventions collectives de travail,
ce qui le rend déterminable ; selon cette jurisprudence, constater qu’un travail est exercé sous autorité est donc suffisant pour conclure à l’existence
d’un contrat de travail(25). En outre, c’est l’intention
des parties de rémunérer le travail accompli qui est
­primordiale(26); cette intention peut avoir été ­présente
dès le départ de la convention, mais peut également
se faire jour en cours d’exécution du contrat, les parties modifiant alors leur relation initiale(27).
Ceci rejoint ce que nous écrivions au point précédent au sujet du travail et confirme que le fait
(21) Cass., 6 mars 2000, J.T.T., 2000, p. 227 ; voy. également Cass., 25 octobre 2004, Chr. D.S., 2005, p. 78.
(22) C. trav. Mons, 27 juin 2003, Chr. D.S., 2005, p. 83 ;
C. trav. Mons, 8 juin 2001, J.L.M.B., 2003/6, p. 261 ;
Cass., 25 mai 1998, J.T.T., 1998, p. 393 ; Trib. trav.
Bruxelles, 2 février 1987, J.T.T., 1987, p. 217.
(23) C. trav. Anvers, 12 décembre 2001, Chr. D.S., 2002,
p. 449.
(24) C. trav. Bruxelles, 12 novembre 2007, J.T.T., 2008,
p. 43 ; Cass., 22 novembre 2004, J.T.T., 2005, p. 25 ;
Cass., 29 octobre 2001, R.W., 2002-2003, p. 462.
(25) Cass., 22 novembre 2004, J.T.T., 2005, p. 25.
(26) Comme expliqué par V. Vannes, «ce qui importe
pour déterminer l’existence d’un contrat de travail, c’est
l’intention des parties de rémunérer le travailleur et
d’être rémunéré par l’employeur. En conséquence, lorsque
la rémunération n’a pas été clairement définie, mais que
les circonstances établissent l’intention des parties de
rémunérer les prestations accomplies, il y a juridiquement un contrat de travail» (V. Vannes, Le contrat de
travail – Aspects théoriques et pratiques, 3e éd., Bruylant,
Bruxelles, 2011, p. 86) ; voy. aussi Trib. Trav. Liège,
13 octobre 1998, Chr. D.S., 2000, p. 89.
(27) La cour du travail d’Anvers a ainsi conclu à l’existence d’un contrat de travail après avoir constaté qu’alors
qu’un travailleur ne devait au départ effectuer qu’un
essai gratuit, l’employeur l’avait fait travailler pendant
plusieurs semaines sans le payer, de sorte que l’employeur
avait abusé de son droit d’employer quelqu’un gratuitement à l’essai (C. trav. Anvers, 27 octobre 2000, Chr.
D.S., 2001, p. 477).
Auteurs & Media 2014/1
b. Rémunération
24
LARCIER
elle a également consacré la méthode indiciaire à
laquelle recouraient les juges du fond, ceux-ci ne faisant droit à la requalification que s’ils constataient
une accumulation d’indices incompatibles avec la
qualification donnée par les parties à leur relation
contractuelle.
C’est ainsi que l’article 331 de la loi-programme
édicte comme principe que les parties choisissent
librement la nature de leur relation de travail, mais
que la priorité est à donner à la qualification qui se
révèle de l’exercice effectif si celle-ci exclut la qualification juridique choisie par les parties.
Il y aura requalification de la relation de travail
si l’exécution de celle-ci laisse apparaître la réunion
de suffisamment d’éléments incompatibles avec la
qualification donnée par les parties à la relation de
travail(32).
Ces éléments sont à rechercher dans les critères
suivants prévus par la loi :
1) les critères généraux parmi lesquels l’on
retrouve :
• les critères qui permettent d’apprécier l’existence ou l’absence d’un lien d’autorité ;
il s’agit principalement des éléments sur lesquels
les juridictions du travail se fondaient déjà avant la
loi pour apprécier l’existence ou l’absence d’un lien
d’autorité, à savoir :
– la volonté des parties telle qu’exprimée dans
leur convention pour autant que l’exécution effective
conforte la volonté exprimée ;
– la liberté d’organisation du temps de travail :
l’exposé des motifs(33) précise que constituent notamment des indices de l’existence d’un lien de subordination l’obligation faite au travailleur de respecter un
horaire de travail précis(34) et contraignant, l’absence
de liberté dans la détermination des dates de congé et
de vacances, l’obligation de pointer ainsi que l’obligation faite au travailleur de prévenir de ses absences
et les justifier ; ce critère est apprécié in concreto en
fonction des circonstances propres à chaque espèce(35);
– la liberté d’organisation du travail : il s’agit
ici des modalités d’exécution du travail autres que
le temps de travail ; l’exposé des motifs(36) précise
c. Lien de subordination
Le lien de subordination est l’élément véritablement caractéristique du contrat de travail. Plusieurs
autres types de contrats prévoient en effet l’exécution
d’un travail contre rémunération sans qu’il ne soit
question d’un contrat de travail à défaut de l’existence d’un lien de subordination entre les parties.
Cette subordination est établie par la preuve de
l’autorité de l’employeur sur le travailleur, laquelle
se manifeste par le pouvoir de direction et de surveillance dont dispose l’employeur(28). Il est de jurisprudence constante que le pouvoir de direction et de
surveillance ne doit pas être effectivement exercé ;
il suffit que l’employeur ait la possibilité de l’exercer(29).
La loi-programme (I) du 27 décembre 2006(30),
modifiée par une loi du 25 août 2012(31), qui traite,
en son titre XIII, de la «Nature des relations de travail» a pour objectif de créer un cadre permettant
d’apprécier la nature juridique de la relation de travail. Cette loi s’est inscrite dans le prolongement des
principes dégagés par la jurisprudence antérieure,
qui accordait une primauté à la qualification contractuelle retenue par les parties et ne procédait à une
requalification du contrat que si les éléments de fait
révélaient une incompatibilité avec le contrat choisi ;
(28) W. Van Eeckhoutte et V. Neuprez, Compendium
social – Droit du travail, 2012-2013, Kluwer, Waterloo,
2012, pp. 614 et s.
(29) Cass., 4 février 2013, R.G. no S.11.0051.F, www.
juridat.be ; Cass., 3 février 2003, R.W., 2004-2005,
p. 437 ; Cass., 27 avril 1998, Arr. Cass., 1998, p. 416.
(30) M.B., 28 décembre 2006.
(31) M.B., 11 septembre 2012.
(32) Article 332 de la loi-programme.
(33) Projet de loi-programme (I), exposé des motifs,
Doc. parl., Chambre, sess. ord. 2006-2007, no 2773/001,
p. 216.
LARCIER
(34) Voy. à ce sujet, Cass., 25 mai 2009, J.T.T., 2009,
p. 370.
(35) C’est ainsi que, dans certains cas, les obligations
découlant de contraintes organisationnelles ou commerciales (par exemple, le fait de devoir respecter un horaire
précis lié aux heures d’ouverture et de fermeture d’un
magasin) pourraient ne pas être considérées comme un
indice de subordination.
(36) Projet de loi-programme (I), exposé des motifs,
Doc. parl., Chambre, sess. ord. 2006-2007, no 2773/001,
p. 217.
25
Auteurs & Media 2014/1
Droit social et fiscal
Doctrine
d’exiger d’une personne qu’elle exécute des prestations économiquement utiles dans le cadre d’un
lien de subordination (à ce sujet, voy. point suivant)
entraîne, si cette personne se soumet à cette exigence, l’application du régime du contrat de travail.
Il résulte de ce qui précède que le candidat qui,
au départ, s’engage dans l’émission pensant ne devoir
rien faire d’autre qu’être lui-même, et qui plus tard
se rend compte qu’en réalité on a exigé de lui un
véritable travail subordonné, peut donc à bon droit,
nous semble-t-il, demander la requalification du
contrat de participation en contrat de travail, quand
bien même le contrat initialement signé n’aurait pas
fait état d’une rémunération et quand bien même
le participant n’avait, en s’inscrivant à l’émission,
aucune intention d’en percevoir une.
Droit social et fiscal
Doctrine
Auteurs & Media 2014/1
que sont des indices de subordination la définition
précise des tâches à accomplir associée à l’existence
d’instructions précises(37) et de décisions d’un supérieur hiérarchique ; toutefois, des directives générales
peuvent être compatibles avec un contrat d’entreprise si elles sont la conséquence de la nature de l’activité exercée ou si elles sont nécessaires en vue de la
réalisation du résultat poursuivi(38);
– la possibilité d’exercer un contrôle hiérarchique : selon l’exposé des motifs(39), la possibilité
d’être contrôlé, surveillé et le fait que ce contrôle soit
susceptible de déboucher sur des sanctions internes
est révélateur d’une relation subordonnée ;
• ceux que la loi considère comme impuissants,
à eux seuls, à qualifier adéquatement la relation de
travail(40) ; il s’agit de l’intitulé de la convention,
de l’inscription auprès d’un organisme de sécurité
sociale, de l’inscription à la Banque-Carrefour des
entreprises, de l’inscription auprès de l’administration de la T.V.A. et de la manière dont les revenus
sont déclarés à l’administration fiscale ;
• et, enfin, ceux qui ne peuvent être pris en
considération pour apprécier la nature d’une relation de travail(41), à savoir les contraintes inhérentes à
l’exercice d’une profession qui sont imposées par ou
en vertu d’une loi(42).
2) les critères spécifiques, d’ordre socioéconomique
ou juridique, qui sont propres à un secteur, à une ou
plusieurs professions ou à une ou plusieurs catégories
de professions et qui servent à compléter les critères
généraux (sans pouvoir y déroger) ; de tels critères
peuvent être déterminés par arrêté royal.
Comme l’explique J. Clesse(43), «le juge n’est pas
tenu à une application mécanique des quatre critères
généraux retenus par la loi et, le cas échéant, des
critères spécifiques. Il apprécie, en fonction des éléments qui lui sont régulièrement soumis, la valeur
relative des indices retenus de chacun des critères
applicables. Sa conviction se formera en fonction de
l’ensemble des indices».
Si, comme nous venons de le voir, la loi-programme a pour objectif de déterminer la qualification à donner à une relation de travail, il convient
de relever que, dans le cas des émissions de téléréalité, les parties n’auront initialement pas considéré
qu’elles se trouvaient dans le cadre d’une relation de
travail.
Toutefois, si l’existence d’un travail est démontrée, la présence du lien de subordination pourra être
recherchée à l’aide des critères énoncés par la loi. La
jurisprudence considère d’ailleurs qu’il y a également lieu de se baser sur les critères définis par la
loi-programme lorsque les parties n’ont pas donné
de qualification à leur collaboration(44).
En conséquence, si les dispositions du contrat et
la manière dont les parties l’ont exécuté témoignent
effectivement du pouvoir de la société de production
de diriger l’exécution et l’organisation du travail ainsi
que de son pouvoir de contrôler le respect par les participants des instructions données et de les sanctionner le cas échéant, la position des juges belges devrait
correspondre à celle des juges français.
(37) Voy. à ce sujet Cass., 6 décembre 2010, R.A.B.G.,
2011, p. 1024.
(38) C’est ce que soutenait l’avocat général Genicot pour
conclure à la requalification erronée par la cour du travail
de Bruxelles d’un contrat de collaboration indépendante.
Après avoir rappelé que l’existence d’une surveillance, d’un
contrôle des activités, voire de directives précises, ne sont
pas en soi des éléments incompatibles avec la notion de
contrat d’entreprise, il a estimé qu’«il en va ainsi à tout
le moins si ces directives apparaissent être naturellement
inhérentes à l’objet même de l’activité convenue et si elles
n’expriment ainsi qu’une sujétion objective aux contraintes
organisationnelles que l’objet du contrat impose par luimême, plus qu’un assujettissement à l’autorité même du
cocontractant. Ainsi, dans un contrat d’entreprise, l’autorité apparaît dès lors comme l’expression des contingences
que lui dictent sa nature et son objet (…). C’est la notion
de subordination dite économique, c’est-à-dire déduite
de la réalité économique qui relie les parties au cadre de
l’entreprise convenue. Mais il peut arriver que cette autorité monte en puissance et s’exprime au-delà des exigences
strictement liées à la nature de l’ouvrage convenu dans une
relation interpersonnelle dominante : en ce cas il se produit
un glissement structurel où un cadre préservé de liberté
le cède à l’autorité, où, (…) le travail déterminé exécuté
librement le cède à la force de travail mise à la disposition
du cocontractant». Notons toutefois que la Cour de cassation n’a pas suivi son avocat général (Cass., 10 novembre
2011, J.T.T., 2012, p. 21).
(39) Projet de loi-programme (I), exposé des motifs,
Doc. parl., Chambre, sess. ord. 2006-2007, no 2773/001,
pp. 217 et s.
(40) Article 333, § 3, de la loi-programme.
(41) Article 333, § 2, de la loi-programme.
(42) Ainsi qu’expliqué dans l’exposé des motifs, «l’objectif
de cette disposition est que ce type de contraintes établies
par ou en vertu d’une autre loi, sur la base d’une autre
ratio legis que la qualification d’une relation de travail, ne
puissent venir interférer sur l’appréciation de la nature
d’une relation de travail particulière, que ce soit dans le
sens de l’établissement d’un lien d’autorité ou non». À
titre d’exemple, l’on peut citer la réglementation contraignante à laquelle les médecins sont soumis dans le secteur
hospitalier, ce qui n’empêche pas qu’ils puissent exercer
leurs prestations en qualité de travailleurs indépendants.
(43) J. Clesse, «Vers une nouvelle appréciation de la
nature juridique de la relation de travail», in La Nouvelle
loi sur les relations de travail – Premier état et perspectives,
Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2007, p. 43.
(44) Trib. trav. Gand, 15 décembre 2008, T.G.R., 2009,
p. 275.
26
LARCIER
de la condition du lien de subordination, mais elle
aurait tout aussi bien pu s’en servir pour vérifier si, in
concreto, les participants n’étaient pas en réalité amenés
à jouer le rôle que la chaîne désirait les voir assumer.
La décision française et sa critique sont-ils transposables en droit belge ?
La loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins du 30 juin 1994(46) ne contient pas de définition
de la notion d’artiste-interprète, mais les travaux
préparatoires font référence à cet égard à la définition
contenue à l’article 3, a), de la Convention internationale sur la protection des artistes-interprètes ou
exécutants, des producteurs de phonogrammes et des
organismes de radiodiffusion du 26 octobre 1961
(dite «Convention de Rome»). Il est donc permis,
pour cerner la notion d’artiste-interprète en droit
belge, de se référer à ladite Convention.
Or celle-ci définit les artistes-interprètes ou exécutants comme la loi française, à savoir : «les acteurs,
chanteurs, musiciens, danseurs et autres personnes
qui représentent, chantent, récitent, déclament,
jouent ou exécutent de toute autre manière des
œuvres littéraires et artistiques». À définition identique, raisonnements identiques : il nous paraît donc
que tant le raisonnement de la Cour que la critique
de M. Daverat puissent être soutenus en droit belge.
Relevons à ce sujet que l’attitude de la jurisprudence française a déjà eu l’heur du tribunal de première
instance de Bruxelles dans l’affaire Toast Kannibaal
précitée, où le tribunal a considéré que les participants
n’étaient pas des artistes-interprètes, précisément au
motif que «la participation à ce programme de téléréalité ne constitue pas une prestation artistique dès
lors que le programme ne constitue pas une œuvre
littéraire ou artistique, mais ne vise qu’à restituer la
réalité»(47). Comme M. Daverat le remarque, cette
conclusion nous semble cependant méconnaître le fait
que les émissions dites de téléréalité sont la plupart
du temps réalisées comme des œuvres de fiction et ont
autant besoin que ces dernières d’un scénario.
À titre surabondant, l’on notera, en droit
belge, que si l’on reconnaissait que les participants
fournissent des «prestations artistiques»(48), ceuxci pourraient se prévaloir de l’article 1erbis, § 1er,
de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du
28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des
travailleurs(49) tel que modifié par la loi-programme
du 24 décembre 2002.
On se souviendra que, dans les affaires françaises commentées ci-dessus, les participants avaient
demandé, outre la requalification de leur contrat en
contrat de travail, à être reconnus comme artistesinterprètes. Une telle qualification entraînait naturellement des conséquences au niveau du statut
social applicable aux participants mais pouvait, en
outre, avoir des conséquences encore plus larges, en
ce que, comme on le sait, la loi attribue des droits
voisins du droit d’auteur aux artistes-interprètes.
Cette qualification aurait ainsi permis aux participants de prétendre, en plus d’un salaire, à un intéressement aux revenus tirés de l’exploitation des émissions auxquelles ils avaient participé.
Par son arrêt du 24 avril 2013, la Cour de cassation française a cependant rejeté cette thèse et refusé
de considérer que les participants à une émission de
téléréalité puissent bénéficier du statut d’artistesinterprètes.
Le raisonnement de la Cour s’appuie sur la définition française de la notion d’artiste-interprète, à
savoir «la personne qui représente, chante, récite,
déclame, joue ou exécute de toute autre manière une
œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés,
de cirque ou de marionnette», définition de laquelle
elle retient que la qualité d’artiste-interprète nécessite forcément la préexistence d’une œuvre, d’un
rôle, à laquelle l’artiste donne vie.
Or, nous dit la Cour, «les participants n’avaient
aucun rôle à jouer ni aucun texte à dire» : il ne leur
était demandé «que d’être eux-mêmes et d’exprimer leurs réactions face aux situations auxquelles ils
étaient confrontés». Ils ne sauraient donc être qualifiés d’artistes-interprètes.
Avec un éminent auteur français, X. Daverat(45),
l’on peut cependant douter de la validité de ce raisonnement eu égard aux faits de la cause. En effet,
comme M. Daverat le fait remarquer, et comme la
Cour le note elle-même dans son arrêt, l’émission
était basée sur une «bible» et faisait usage «de mises
en scènes dûment répétées, d’interviews dirigées de
telle sorte que l’interviewé était conduit à dire ce
qui était attendu par la production». La Cour n’a fait
usage de ces éléments que pour vérifier la réalisation
(48) Par «fourniture de prestations artistiques et/ou
production des œuvres artistiques», il faut entendre «la
création et/ou l’exécution ou l’interprétation d’œuvres
artistiques dans le secteur de l’audiovisuel et des arts
plastiques, de la musique, de la littérature, du spectacle,
du théâtre et de la chorégraphie» (cfr article 1erbis, § 2, de
la loi du 27 juin 1969).
(49) M.B., 25 juillet 1969.
(45) X. Daverat, «Téléréalité et interprétation artistique», La Semaine juridique, no 26, 2013, pp. 1266 et s.
(46) M.B., 27 juillet 1994.
(47) Traduction libre de : «De deelname aan dit reality
programma is geen artistieke prestatie aangezien het
programma geen werk van letterkunde of kunst is, maar
beoogt een weergave van de werkelijkheid te zijn».
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Droit social et fiscal
Doctrine
B. Reconnaissance du statut
d’artistes-interprètes aux
participants
Droit social et fiscal
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Auteurs & Media 2014/1
Selon cette disposition, le statut social des travailleurs liés par un contrat de travail s’applique
en effet aux personnes «qui, sans être liées par un
contrat de travail, fournissent des prestations artistiques et/ou produisent des œuvres artistiques contre
paiement d’une rémunération pour le compte du
donneur d’ordre, personne physique ou morale, à
moins que la personne qui fournit ces prestations
artistiques et/ou produit ces œuvres artistiques ne
prouve que ces prestations et/ou ces œuvres artistiques ne sont pas fournies dans des conditions socioéconomiques similaires à celles dans lesquelles se
trouve un travailleur par rapport à son employeur
(…)». Une présomption réfragable d’assujettisse-
ment au régime de sécurité sociale des travailleurs
salariés est donc prévue par cette disposition(50).
L’on terminera enfin par une question, à savoir
si les participants ne pourraient pas être qualifiés
d’auteurs ? En effet, après tout, si l’on part du principe que rien ne leur est imposé, qu’il n’y pas de scénario (ce dont nous doutons), il faut tout de même
constater qu’au final, une histoire s’est écrite, ayant
permis de raconter quelque chose au spectateur.
Dès lors, pourquoi ne pas considérer que ce sont les
participants qui donnent forme à l’émission, qui
l’écrivent au jour le jour et qui, à ce titre, en sont les
auteurs(51) ? Il s’agit là sans doute d’un autre débat,
mais riche de perspectives.
(50) Relevons que l’article 332 de la loi-programme (I)
du 27 décembre 2006 prévoit qu’il y aura également
requalification lorsque la qualification donnée par les parties à la relation de travail ne correspond pas à la nature
de la relation de travail présumée.
(51) Il va de soi qu’il conviendra de se poser la question
de l’originalité des contributions des participants avant
de conclure qu’elles peuvent être protégées par le droit
d’auteur.
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