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Normes relatives aux Bonnes Pratiques Cliniques
dans l’Union européenne - 2 partie
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J.P. Demarez*, J.M. Husson**
LE PROJET DE DIRECTIVE DANS SES DIFFÉRENTS ASPECTS
Ce projet, dans l'intention des rédacteurs, précède une autre
directive devant énoncer “les principes et lignes directrices
détaillées de Bonnes Pratiques Cliniques”, étant entendu que
tant les Bonnes Pratiques Cliniques européennes publiées en
1990 que celles issues du processus ICH constituent “des lignes
directrices qui, n'étant pas contraignantes, (nécessitent) un cadre
législatif d'appui”.
Le présent projet a donc pour but de constituer pour tous les
États membres ce cadre législatif, conditions d'accueil des
Bonnes Pratiques Cliniques.
Exposé des motifs
Ainsi qu'il apparaît dans l'exposé des motifs, le projet poursuit
deux finalités : garantir le même niveau de protection aux
patients participant aux essais dans tout État membre, et rationaliser, de façon communautaire, les procédures documentaires
et administratives mises en œuvre pour la réalisation d'un essai.
Des éléments conduisent à penser qu'en fait la deuxième finalité est dominante. Les rédacteurs constatent en effet que tous
les États membres ont déjà pris des mesures de protection des
personnes en fonction de conventions internationales et/ou de
dispositions législatives, et que “conformément au principe de
subsidiarité, et dans la mesure où la protection offerte par les
différents États paraît suffisante et ne porte pas atteinte au marché intérieur, il n'est pas proposé d'harmoniser” ces domaines.
La confidentialité nécessaire en matière de données cliniques
est d'autre part abordée par les dispositions de la directive
95/46/CEE “relative à la protection des personnes à l'égard du
traitement des données à caractère personnel”. Cet aspect n'est
donc pas du ressort du présent projet.
* Unité de Pharmacologie clinique, Hôpital Saint-Antoine, Paris.
** International Federation of the Associations of Pharmaceutical Phy s i c i a n s .
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La base juridique sur laquelle se situe explicitement le projet
est l'article 100A[28] du traité instituant la Communauté européenne, qui est, lui, relatif à l'établissement et au fonctionnement du marché intérieur (spécifiquement ici en matière de
médicaments), et non à la protection des personnes. Il eût été
préférable, si le but effectif du présent projet était cette protection, que soit retenu l'article 129 du Traité de l'Union, lequel
précise que “la Communauté contribue à assurer un niveau
élevé de protection de la santé humaine en encourageant la
coopération entre les États membres, et, si nécessaire, en
appuyant leur action”.
[28]
Traité de Rome : Art. 100 : “Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition
de la Commission, arrête des directives pour le rapprochement des dispositions
législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont une
incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du Marché commun.
Le Parlement européen et le Comité économique et social sont consultés sur les
directives dont l'exécution comporterait, dans un ou plusieurs États membres,
une modification de dispositions législatives.
Article 100 A :
1. Par dérogation à l'article 100 et sauf si le présent traité en dispose autrement,
les dispositions suivantes s'appliquent pour la réalisation des objectifs énoncés
à l'article 8-A. Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la
Commission en coopération avec le Parlement européen et après consultation
du Comité économique et social, arrête les mesures relatives au rapprochement
des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États
membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché
intérieur.
2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas aux dispositions fiscales, aux dispositions
relatives à la libre circulation des personnes et à celles relatives aux droits et
intérêts des travailleurs salariés.
3. La Commission, dans ses propositions prévues au paragraphe 1 en matière
de santé, de sécurité, de protection de l'environnement et de protection des
consommateurs, prend pour base un niveau de protection élevé.
4. Lorsque, après l'adoption d'une mesure d'harmonisation par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, un État membre estime nécessaire d'appliquer des
dispositions nationales justifiées par des exigences importantes visées à l'article 36 ou relatives à la protection du milieu de travail ou de l'environnement,
il les notifie à la Commission.
La Commission confirme les dispositions en cause après avoir vérifié qu'elles
ne sont pas un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée
dans le commerce entre États membres.
Par dérogation à la procédure prévue aux articles 169 et 170, la Commission ou
tout État membre peut saisir directement la Cour de justice s'il estime qu'un
autre État membre fait un usage abusif des pouvoirs prévus au présent article.
5.Les mesures d'harmonisation mentionnées ci-dessus comportent, dans les
cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à
prendre, pour une ou plusieurs des raisons non économiques mentionnées à
l'article 36, des mesures provisoires soumises à une procédure communautaire
de contrôle.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 4 - avril 1998
Mais dans un tel cas de figure, l'action de la Communauté se
traduit “par des actions d'encouragement, à l'exclusion de toute
harmonisation des dispositions législatives et réglementaires
des États membres, ou par des recommandations sur propositions de la commission” (art.129, alinéa 4).
Les dispositions prises pour atteindre le niveau élevé de protection attendu restent donc de la compétence des États
membres, tant qu'il n'est pas démontré que l'intervention de la
Communauté est de nature à apporter une nette plus-value en
matière de santé publique. Cette plus-value est généralement
revendiquée, dans des situations voisines, en alignant toutes les
dispositions prises sur les plus contraignantes mises en place
par tel ou tel des États membres. Mais une directive ainsi
construite irait à l'encontre de la présente démarche dont il est
dit qu'elle doit “accélérer le processus de mise à disposition de
nouveaux médicaments aux patients et alléger le fardeau que
la réglementation fait peser sur les petites et moyennes entreprises”. Pour toutes ces raisons, on peut douter que la protection des personnes soit le but principal visé par le projet de
directive, ce d’autant qu’il y est préconisé une étroite coopération entre la Commission et les États membres “au sein d'un
comité pour l'adaptation au progrès technique des directives
relatives à l'élimination des entraves techniques aux échanges
dans l'industrie pharmaceutique”.
Deux interventions sont à retenir à l'origine du projet, confirmant l'aspect prédominant des préoccupations procédurales :
La constatation par l'Organisation Européenne pour la
Recherche et le Traitement du Cancer (EORTC) de retards dans
le lancement d'essais multicentriques internationaux, constatation manifestée au niveau de la Commission européenne. Ces
retards seraient liés à la disparité des organisations des différents États européens en matière de législation ou de réglementation concernant directement ou indirectement les
recherches biomédicales.
L'EORTC (organisme effectuant parallèlement à ses préoccupations scientifiques des essais cliniques d'oncologie pour le
compte de firmes pharmaceutiques et agissant ainsi en prestataire de service) a remarqué que cette diversité constituait visà-vis des expérimentations similaires engagées aux États-Unis
un handicap pouvant se traduire par des délais préalables à la
mise en œuvre de l'ordre de six mois.
Parallèlement, le Comité consultatif de la recherche et du
développement industriel de la Commission Européenne
(IRDAC) a suggéré l'introduction d'une procédure normalisée
pour faciliter et accélérer le lancement d'essais cliniques en
Europe, rendant ainsi l'activité plus compétitive. Cette procédure doit viser les facteurs de retard, identifiés comme situés :
– Au niveau de l'émission de l'avis d’un comité d'éthique.
Si certains États ont limité cette intervention à un avis unique
par essai entrepris à l'échelon national, on peut rencontrer la
nécessité d'avis rendu à l'échelon de chaque subdivision territoriale (province, région...), voire même au niveau de chaque
institution ou établissement participant à l'essai (comités hospitaliers).
– Au niveau de l'intervention de l'autorité administrative
nationale. Certains États pratiquent le mode de la déclaration
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 4 - avril 1998
d'intention préalable à l'essai, se réservant l'éventualité de
l'interdiction ou de la suspension d'un essai jugé dangereux
pour la santé publique ou la sécurité des personnes, d'autres ont
o rganisé une procédure d'autorisation de mise en place des
expérimentations accordée sur présentation de dossier par le
promoteur ou l'investigateur.
– Lors de la préparation des lots de produits destinés à l'essai. Des différences nationales se manifestent, que ce soit à propos des divers bordereaux de contrôle ou des étiquetages,
conduisant le promoteur, pour un même essai multicentrique
international, à des étiquetages multiples.
D'autres différences peuvent se manifester en cours ou en fin
d'essai :
A ffectant ce qu'il est convenu de dénommer les “serious
adverse events”[29] dont le mode déclaratoire diffère, d'un État
à l'autre, selon qu'ils sont à transmettre à l'administration et/ou
au comité d'éthique, selon leur relation avec la recherche ou le
produit testé, selon le degré de connaissance qu'on peut en avoir
précédemment (déclarations pouvant être limitées aux seuls
“unexpected serious adverse events”), imposant ou n'imposant
pas l'identification du traitement reçu par la rupture du code
d'attribution.
Concernant les missions, le champ d'investigation et le mode
d'expression dévolus aux agents de l'administration pour vérifier la conformité des données de l'essai aux Bonnes Pratiques
Cliniques, ou constater les infractions aux dispositions législatives affectant la protection des personnes.
Tout cela, selon les intervenants, va à l'encontre de la mondialisation de la circulation des spécialités et de l'industrie pharmaceutique et impose une harmonisation des dispositions relatives à la conduite d'essais cliniques de médicaments à usage
humain.
Le dispositif
L'article 3.1 l'annonce : en ce qui concerne la “protection des
participants aux essais”, le projet de directive “s'applique sans
préjudice des dispositions nationales concernant la protection
des participants à des essais cliniques”.
Reste à définir ce qu'on entend par “protection des participants”.
Pour les Bonnes Pratiques Cliniques ICH, il s'agit de “GCP
and the applicable regulatory requirement(s)”. Participent à la
protection des personnes l'existence du comité indépendant, les
obligations faites concernant le “informed consent of trial sub jects”, les différents rapports et déclarations effectués par le
promoteur, à l'autorité administrative compétente, et notamment la déclaration des événements indésirables graves, les
éventuels agréments ou autorisations préalables des
recherches[30] et/ou des lieux où elles se réaliseront.
[29]
Serious adverse avent : any intoward medical occurrence that at any dose
results in death, is life threatening, requires in patient hospitalization, results in
persistent or significant disability.
[30]
À titre d'information, cet extrait de la déclaration d'Helsinki : “Il est souligné
que ces règles ont été rédigées seulement pour éclairer la conscience des médecins du monde entier. Ceux-ci ne sont pas exemptés de leur responsabilité pénale,
civile et déontologique à l'égard des lois et règles internes de leur propre pays”.
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On peut effectivement retenir que les dispositions prises par les
différents États membres dans le but éventuel de permettre l'enregistrement de spécialités d'origine nationale par les autorités
nord-américaines sont actuellement en adéquation avec les
préalables définis par le Federal Register pour la protection des
personnes dans les essais d'origine étrangère réalisés en dehors
d'un IND, cela notamment en ce qui concerne le “consentement
informé” des sujets de recherche.
Il reste à apprécier, à la mesure des différents droits internes,
l ' a ffirmation selon laquelle “préalablement à son inscription
dans un essai clinique, le participant doit recevoir des informations aisément compréhensibles sur la nature de l'essai et
avoir la possibilité de poser des questions et d'obtenir des
réponses. Son intention de participer est ensuite confirmée par
le document appelé consentement éclairé”. Certains États
membres retiennent le consentement manifesté par écrit comme
souhaitable, c'est-à-dire non obligatoire.
Il est établi que “les soins médicaux dispensés aux participants
et les décisions médicales prises en leur nom sont de la responsabilité d'un médecin dûment qualifié (II, 3.3)”, mais que
la présente directive ne préjuge pas de la responsabilité civile
et pénale du promoteur ou de l'investigateur (VII - 14). L’investigateur est-il nécessairement et uniquement un médecin ?
La question reste ouverte. Il est fait un usage habituellement
polysémique du terme “responsable”, soit comme “responsable
juridique”, soit comme “chargé d'une fonction dans une structure”.
Le comité d'éthique (Chap. II, 4.1) retrouve ici la fonction déjà
définie par les GCP-ICH : “to ensure the protection of the
rights, safety and wellbeing of human subjects involved in a
clinical trial”.
Les termes utilisés semblent donner au comité une garantie de
bonne fin, parfaitement illusoire au vu des moyens dont cette
institution dispose généralement, des pouvoirs qui lui sont
conférés ou délégués, des règles juridiques en vigueur.
À ce propos, le projet de directive relève que “les principes
éthiques sont le reflet de la culture, des traditions et des attentes
d'une collectivité, mais traduisent aussi l'esprit du temps et doivent forcément s'adapter à l'évolution des mentalités. Aussi dans
les États membres l'usage n'a-t-il pas été de dresser, dans les
textes législatifs, la liste détaillée des exigences morales à respecter, mais plutôt de fixer, sous une forme juridique, les normes
et principes à suivre”. On peut, par conséquent, remarquer qu'en
dépit de la persistance du terme “éthique” apposé au comité, la
fonction est devenue une régulation administrative. Dès l'origine, la réglementation américaine avait rejeté le modèle du
“comité de pairs” essentiellement composé de médecins,
d'abord pour recommander la participation à côté des scientifiques de personnes d'autres origines et “not required but desi rable” de “other health professionals or laymen”, puis pour
organiser une structure d'autorisation et de contrôle dont les
membres (at least five members) présentent une pluralité d'origine professionnelle culturelle et raciale selon les canons sociologiques propres à la société nord-américaine (26).
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Les GCP-ICH recommandent (aux critères raciaux près), des
dispositions identiques, l'essentiel étant que des non-scientifiques, des non-professionnels de santé et des non-membres de
l'institution où siège le comité puissent casser le risque de connivence ou de consensus que les professionnels pouvaient organiser entre eux et les promoteurs.
La directive s'abstient de proposer une quelconque composition, renvoyant la décision aux États membres (selon II, 3.1).
Elle se borne à préciser que cet organisme est “composé de professionnels de santé et de membres non médecins” [31]. Le but
des rédacteurs est ailleurs. Ils souhaitent limiter à un par État
membre concerné par un essai multicentrique le nombre d'avis
à attendre, et à encadrer dans un délai de deux mois le temps
maximum dans lequel l'avis doit être rendu, demandes d'informations complémentaires comprises.
On pourrait objecter qu'à partir du moment où le Comité “chargé
de préserver les droits, la sécurité et le bien-être des participants à un essai, et de rassurer le public sur ce sujet”... doit se
prononcer sur “l'aptitude des investigateurs et l'adéquation des
installations” dont ils disposent, il serait préférable non de limiter l'intervention à un seul comité à l'échelon national, mais
bien plutôt d'en faire des organismes de proximité intervenant
au niveau de chaque site.
Toutefois, à l'encontre d'une telle objection, le projet prévoit
que les États membres chargent, dans des délais fixés, le comité
d'éthique le plus proche d'un site de se prononcer sur les installations et possibilités du site en question et d'émettre un avis
autorisant ou non la conduite de l'essai sur le site considéré
(art. II, 5.2). S’agit-il d’un avis ou d’une autorisation ? Quelle
est la nature juridique de cette prise de position ?
Le comité émet un avis préalable[32] mais “les États membres
autorisent les promoteurs à commencer les essais cliniques dès
que le comité d'éthique a émis un avis favorable”..., excepté
lorsqu'il leur paraît nécessaire “d'autoriser le promoteur à commencer les essais au terme d'une période de trente jours à compter de la date de réception d'une demande, à moins d'objections
motivées dans ce délai”. Cette autorisation peut-elle être prononcée à l’encontre d’un avis défavorable ?
[31]
“Comité d'éthique composé de médecins autres que ceux participant à l'essai, d'infirmières et/ou d'autres professionnels de santé, ainsi que de représentants des milieux non médicaux tels que des avocats, des administrateurs et des
non-spécialistes”. Exposé des motifs du projet de directive Ch. 4 Comités
d'éthique.
[32]
Art. II, 4.1.2e alinéa : “Pour formuler un avis sur un essai clinique, le comité
d'éthique prend au minimum en considération la pertinence de l'essai et de sa
conception, le protocole, l'aptitude de l'investigateur et de ses collaborateurs,
la qualité des installations, l'adéquation et l'exhaustivité des informations écrites
à communiquer aux personnes, à leurs proches, à leurs tuteurs et, le cas échéant,
à leurs représentants légaux dans le but d'obtenir un consentement éclairé, les
dispositions prévues pour le traitement / l'indemnisation en cas de dommages
ou de décès imputables à l'essai clinique, et toutes assurances ou indemnités
couvrant la responsabilité de l'inv e s t i gateur et du promoteur, ainsi que les modalités de rétribution ou d'indemnisation des investigateurs et des personnes participant à l'essai.”
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 4 - avril 1998
Le comité n'a pas de fonction de contrôle ni de suivi de la réalisation de l'essai[33],mais il reçoit de l'investigateur notification
“des événements indésirables et/ou des résultats anormaux définis dans le protocole comme déterminants pour les évaluations
de sécurité, dans les délais spécifiés dans le protocole”. Sur
demande, il reçoit les renseignements complémentaires à une
notification de décès d'un participant. Le rôle du comité est-il
celui d’un récepteur passif ou a-t-il un pouvoir d’intervention
sur la poursuite de l’essai, au risque d’un conflit de compétence
avec les autorités ?
Ces notifications des événements indésirables appellent plusieurs remarques :
Il appartient aux autorités compétentes des États membres
de suspendre ou d'interdire un essai “faisant naître un doute
quant à la sécurité ou à son bien-fondé scientifique”, ou ne
réunissant plus les conditions de la déclaration préalable d'intention de recherche faite par le promoteur.
Le doute quant à la sécurité peut découler de la survenue
d'événements indésirables dont la notification “en temps réel”
(Chap. VI) est singulièrement multiforme :
– L'investigateur notifie immédiatement au promoteur les événements indésirables graves non recensés dans le protocole ou
dans la brochure d'investigateur.
– Les événements indésirables ou les résultats anormaux d’examens paracliniques décrits dans le protocole comme déterminants pour les évaluations de la sécurité sont notifiés au comité
d'éthique et au promoteur (sans doute par l'investigateur) dans
les conditions et les délais spécifiés par le protocole. Compte
tenu de la pratique des essais comparatifs en double insu, et en
dehors de toute obligation de lever l'insu pour chacun de ces
incidents, ces éléments ne seront, en général, déterminants pour
l'évaluation de la sécurité qu'au moment de l'expression des
résultats, postérieurement à l'essai lui-même.
Le promoteur notifie les effets graves inattendus dans des
délais variant de 7 jours (décès, menace vitale) à 15 jours (les
autres effets indésirables graves inattendus) à l'État membre sur
le territoire duquel l'effet s'est produit et aux autres investigateurs, chaque État pour sa part notifiant à l'Agence européenne
pour l'évaluation du médicament, qui elle-même informe les
autorités compétentes des autres États membres.
Là aussi, il convient de remarquer que l'habituelle distribution
des traitements selon un code de randomisation, si elle n'empêche pas qu'un événement grave inattendu soit recensé et
conservé en relation avec l'observation (et donc la victime) à
laquelle il se rapporte (ce en dehors de toute analyse d’imputabilité à un éventuel produit), ne permet pas en l'état “la surveillance des effets indésirables survenant lors des essais cliniques afin de garantir l'arrêt immédiat de tout essai clinique
comportant un niveau de risque inacceptable”, faute de possibilité de rapporter l'effet à un produit identifié.
À moins que la levée de l’anonymat d’attribution soit à effectuer systématiquement devant tout événement, position qui ne
bénéficie pas de l’adhésion de l’ensemble des professionnels,
et sur laquelle le projet ne se prononce pas.
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Les dispositions[34] concernant les échanges d'informations entre
États membres, la fabrication, importation et étiquetage des
médicaments expérimentaux et les accords relatifs aux inspections de conformité aux Bonnes Pratiques Cliniques n'appellent pas de commentaire particulier.
On peut, cependant, s'interroger sur les compétences données
aux inspecteurs pour, parallèlement aux évaluations destinées
à définir que les résultats d'un essai sont globalement crédibles
et authentiques, enquêter et constater les comportements
déviants influençant peu ou pas la recevabilité des résultats,
qu'il s'agisse d'atteinte aux droits des personnes ou de falsification de données.
“Whether the higher incidence of detected fraudulent beha viour is due to this interest (for clinical drug testing) or because
of the stricter supervisions and control by the authorities is not
yet clear. The problem includes scientific misconduct of all types
and degrees of severity. It is not limited to investigators, and
sponsors can be, and indeed have been involved (27)”.
Mais, ainsi que le remarquent les auteurs du projet de directive, “les textes de loi ne fournissent qu'un cadre de travail...
En définitive, c'est une dimension éthique qui doit prévaloir
dans la façon d'appréhender l'investigation clinique, de la mettre
au point et d'en assurer le suivi”.
Arguments critiques
Il n'est pas illogique qu'une directive européenne soit consacrée à l'amélioration des échanges dans le secteur pharmaceutique. Il est évident que le libéralisme économique a été et
demeure la source du progrès thérapeutique. Il est de l'intérêt
des États membres de permettre l'existence d'une industrie pharmaceutique en Europe de nature à concurrencer les États-Unis,
notamment dans le domaine de l'expérimentation clinique des
médicaments.
Ce, sous deux précautions, dont la maîtrise est confiée par les
autorités réglementaires aux firmes pharmaceutiques : la garantie de l'authenticité et de la crédibilité des données cliniques,
la garantie du respect des droits et de la sécurité des personnes
sur qui sont recueillies ces données cliniques.
Les Bonnes Pratiques Cliniques sont, dans le cadre d'ICH, destinées à formaliser et favoriser les conditions de ces garanties.
La protection des personnes est cependant entendue ici comme
une démarche préventive globale visant à économiser une sorte
de ressource naturelle dont le gaspillage présenterait des inconvénients, notamment du point de vue de l'opinion publique (the
objective of such harmonisation is a more economical use of
human resources) et de l’ordre public au sens juridique du
concept.
[33]
Ce qui est très sensiblement différent des fonctions envisagées, pour les comités, par les GCP-ICH : “3.1.4 The IRB/IEC should conduct continuing review of
each on going trial at intervals appropriate to the degree of risk to human subjects, but at least once per year”.
[34]
Rappelons l’existence d’une “Convention Internationale pour la reconnaissance mutuelle des inspections concernant la fabrication des produits pharmaceutiques”, à laquelle la France a adhéré (loi 925.79 du 1er juillet 1992).
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L'industrie pharmaceutique s'acquitte des tâches qui lui sont
ainsi dévolues selon son mode de fonctionnement classique ;
le manuel opératoire. Ses personnels seront par conséquent formés à la pratique standardisée de différents recueils, le recueil
de l'avis du comité d'éthique précédant le recueil du “consentement informé”, lui-même précédant celui des données cliniques et biologiques prévu et organisé par le protocole.
Cette logique s'est mise en place à partir des dispositions du
Federal Register, l'intérêt économique présenté par le marché
nord-américain ayant notablement incité les firmes à se préoccuper du recueil du consentement éclairé, l'absence de motivation des investigateurs étrangers pour le recueil du consentement à l'essai ayant permis aux autorités nord-américaines de
contingenter pour cette raison d’atteinte aux droits les demandes
d'enregistrement. Le passage de l'appel à la conscience du chercheur aux obligations quasi réglementaires faites aux firmes
s'est, fort opportunément, traduit par une systématisation du
recueil du consentement informé.
La codification sous forme de bonnes pratiques des différentes
procédures à mettre en place va parfaire cette systématisation,
tant dans l'intérêt des firmes (acceptant volontiers ce qui est
susceptible de permettre l'organisation rationnelle des tâches),
que dans celui des autorités (les tâches effectuées étant fondées
partout sur une même procédure, les contrôles et inspections
s’en trouvent facilités).
L'usage intensif du mot “éthique” dans ce secteur de l'activité
humaine qu'est l'expérimentation du médicament masque ici le
caractère insuffisant de l'appel à la conscience comme mode de
régulation sociale. Ceci n'est pas propre à la recherche clinique
et justifie depuis des siècles l'existence des tribunaux. Il apparaît toutefois que la protection des personnes a gagné à passer de
l'éthique au mode opératoire, puis du mode opératoire à la loi.
Il faut, cependant, se garder de considérer que les modalités
opératoires que les Bonnes Pratiques Cliniques entendent
consacrer “à la protection des personnes” (plutôt qu'à la seule
répartition des tâches et fonctions dans la recherche) constituent autre chose qu'un pis-aller. Elles ciblent des groupes et
non l'individu, conduisent à “recueillir un formulaire de consentement” et non à engager un rapport de partenariat entre les
chercheurs et une personne, c'est-à-dire une capacité et une
volonté libre, la personne et non les sujets de recherche.
L'opinion et les assemblées délibérantes considèrent qu'il est
essentiel que soit protégée la personne exposée à la situation
expérimentale. Il est aisé de voir contre qui s'exerce cette protection. Contre les investigateurs, contre les firmes pharmaceutiques, contre la puissance des intérêts économiques, ceuxlà mêmes que le projet de directive entend favoriser, contre les
risques qu'ils font courir à l'intérêt du malade sélectionné pour
une recherche.
L'existence des comités d'éthique, l'obligation légale d'un
consentement écrit, d'une information écrite sont autant de
signes de défiance.
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Certains n'hésitent pas, retournant cinquante ans plus tard au
tribunal de Nuremberg, à dresser des analogies plus qu'évocatrices.
Citons B. Edelman (28) : «Il est exact que la dignité désigne
non pas l'être de l'homme, mais l'humanité de l'homme. Il est
tout aussi exact que le nazisme y a porté atteinte et que la biomédecine la menace. En témoigne la récente convention du
Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la biomédecine dont l'article 1 dispose que “Les parties à la présente
convention protègent l'être humain dans sa dignité et son identité... à l'égard des applications de la biologie et de la médecine”.»
L’activité des chercheurs en biomédecine est ressentie comme
présentant des risques, tant du point de vue des libertés
publiques que de celui de la liberté individuelle, ce d’autant
plus que les intérêts politiques et économiques se manifestent
lourdement.
Les professionnels ne manqueront pas de trouver le point de
vue très excessif. En toute bonne foi, puisque, habitués à travailler sur des populations, ils ne voient pas nécessairement les
différences conceptuelles existant entre “la protection de la personne dans les recherches” et l’exploitation prudente et rationnelle des “ressources humaines disponibles pour les essais”,
gage d’acceptabilité sociale de leur utilisation.
L’existence des Bonnes Pratiques Cliniques, l’hypothèse de
leur accueil dans le droit communautaire consacrent l’existence
de nouvelles “règles du jeu” dans la conduite des essais cliniques et le rôle prépondérant qu’y jouent les professionnels
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l’industrie pharmaceutique.
L’atteinte au corps d’autrui dans le seul but d’acquérir de nouvelles connaissances devient (sous certaines conditions) un acte
licite, l’intérêt collectif pouvant ainsi primer sur l’intérêt individuel en matière de recherches médicales, sous le contrôle et
la garantie des agents du promoteur, et l’avis d’un comité indépendant par surcroît. Les principes éthiques, la déontologie des
professionnels de santé intègrent, tant dans les situations de
recherche que dans l’exercice de la médecine de soins (les deux
activités étant devenues autonomes), des dimensions collectives parallèlement à leur caractère traditionnellement individualiste (29).
L’investigateur peut-il, en situation de recherche, s’estimer
exonéré des principes d’éthique individuelle qui règlent la
situation de soins ?
Il convient ici de rappeler que si l’opinion, le législateur, la
puissance publique et les magistrats acceptent que pour des
motifs de progrès scientifique, le médecin se transforme en
investigateur et transforme ses patients en sujets de recherche,
ils ne manqueront pas de demander, en cas d’accident affectant tel malade, des comptes au médecin au nom de la déontologie, et non à l’investigateur au nom des Bonnes Pratiques
Cliniques. Un bon investigateur pourra être jugé mauvais
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médecin.
R ÉFÉ
Guideline 1.5.96.
R E N C E S
16. Explanatory note and comments to the ICH harmonized tripartite Guideline
B I B L I O G R A P H I Q U E S
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À découper ou à photocopier
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BB
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Tarif 1998 / L P / M e n s u e l
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1 an / 290 F étudiants joindre la photocopie de la carte
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 4 - avril 1998