La profession de sage-femme et ses enjeux actuels

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La profession de sage-femme et ses enjeux actuels
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La profession de sage-femme et ses enjeux actuels
Marie-Hélène Bruyère
Étudiante au baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement primaire, UQAM
Le 25 janvier dernier, Stéphanie St-Amant, consultante en périnatalité – droits, santé et
pratique, et codirectrice de l’ouvrage Au cœur de la naissance publié en 2004 aux éditions du
Remue-ménage, a discuté des enjeux entourant la profession de sage-femme en compagnie
d’une vingtaine de femmes. Animée par Julie Lavigne, professeure au Département de
sexologie de l’UQAM et membre de l’IREF, cette rencontre midi a permis de présenter
l’historique de la profession de sage-femme au Québec, le modèle québécois des maisons de
naissance et les enjeux actuels concernant l’accouchement.
Il y a plus d’un siècle, les médecins ont pris le contrôle des accouchements au détriment des
sages-femmes de l’époque. Le lieu de naissance des enfants a été alors transféré de la maison
à l’hôpital. Ce choix d’un nouveau lieu était tributaire de l’idée que l’accouchement est
dangereux et risqué. Dans les faits, l’accouchement à l’hôpital s’est révélé plus mortel pour les
femmes de cette période. Au début du XXe siècle, des femmes ont revendiqué l’utilisation
d’anesthésiques lors des accouchements. À ce moment, on a aussi commencé à utiliser
l’ocytocine de synthèse, hormone toujours utilisée et que l’on sait aujourd’hui être liée à des
hémorragies après la naissance. La péridurale s’est ensuite ajoutée à la liste des interventions
médicales pratiquées. Par ailleurs, le traitement médical de l’accouchement a entrainé
l’émergence d’une vision productiviste de ce phénomène naturel. On peut ainsi noter que la
« durée normale » d’un accouchement est passée de 36 heures en 1950 à 8 heures en 2004.
C’est dans ce contexte que la profession de sage-femme a fait un retour dans les années 1970
afin de replacer l’accouchement dans une perspective physiologique plutôt que médicale.
Elles pratiquaient alors de façon autodidacte, s’accompagnant les unes les autres
informellement. Leur message s’est répandu dans la société et a permis la tenue du colloque
Accoucher ou se faire accoucher tenu en 1980 et auquel 10 000 personnes ont assisté. Ce
moment a marqué le début du mouvement pour la légalisation de la pratique sage-femme. À la
même époque, les listes de discussion sur Internet ont permis au mouvement citoyen de
prendre forme. Le groupe MAMAN s’est formé en 1995 pour mettre de l’avant une vision
autonome de l’accouchement dans les maisons de naissance faisant partie du projet-pilote.
Leurs revendications se sont heurtées au discours médical qui présentait l’accouchement avec
une sage-femme comme étant extrêmement dangereux.
Néanmoins, en 1999, à la suite du succès du projet-pilote, la Loi sur les sages-femmes a été
adoptée. Cette loi autorisait les sages-femmes à pratiquer seulement dans les maisons de
naissance, ce qui a amené certaines d’entre elles – qui faisaient des accouchements à
domicile – à pratiquer dans l’illégalité. La fondation de l’Ordre des sages-femmes du Québec
a suivi le 24 septembre 1999. La même année, un baccalauréat en pratique sage-femme a été
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créé à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Les militantes ayant collaboré à la création du
programme se sont mobilisées pour qu’il ne soit pas assujetti à un département de médecine et
qu’il comporte une approche communautaire. Ce programme de quatre ans comporte trois ans
de préceptorat et ressemble beaucoup, dans sa forme, au doctorat de premier cycle en
médecine. Les quelques différences entre les programmes limitent toutefois les sages-femmes
à porter le titre de bachelière. Aujourd’hui, on compte environ 140 sages-femmes membres de
l’ordre. Elles ont, depuis 2004, l’autorisation de pratiquer aussi bien à domicile qu’en maison
de naissance. Beaucoup travaillent à temps partiel et, malheureusement, certaines sont au
chômage. Celles qui pratiquent font chacune une quarantaine de suivis complets par année.
Madame Saint-Amant a pris contact avec le milieu des maisons de naissance en tant
qu’usagère en 1995, lors de l’implantation du projet-pilote. Les premières maisons de
naissance plaçaient la femme, sa famille et la communauté au cœur de celui-ci. Leur
organisation s’est inspirée des pratiques d’accouchement à domicile. Elles se sont développées
afin d’être un lieu tampon qui permettrait de faire accepter l’idée d’accoucher à l’extérieur de
l’hôpital. On y constate un recours plus faible aux actes médicaux comparativement au milieu
hospitalier. Par exemple, il s’y pratique trois fois moins d’hospitalisation en cours de
grossesse, quatre fois moins d’induction et cinq fois moins d’épisiotomie. Les maisons de
naissance constituent aussi un lieu d’enseignement pour les apprenties sages-femmes. À
l’heure actuelle, la fondation de nouvelles maisons de naissance doit provenir d’une demande
des usagères. Cependant, les instigateurs des projets doivent parfois se conformer à des
demandes irréalistes du ministère de la Santé et des Services sociaux. Ainsi, il a été exigé que
des CSSS trouvent la moitié du financement nécessaire à l’établissement d’une maison de
naissance dans leur région. Dans d’autres cas, les obstacles au projet émanaient des médecins,
malgré la légalité du projet. Aujourd’hui, seuls 2 % des femmes enceintes sont accompagnées
d’une sage-femme. La politique de périnatalité pour la décennie 2008-2018 prévoit
l’augmentation de ce nombre à 10 %, en créant treize nouvelles maisons de naissance, mais
pour l’instant, aucune action concrète n’a été entreprise, même si de 24 à 26 % des femmes
veulent accoucher à l’extérieur de l’hôpital.
Outre l’accès aux services des sages-femmes, certains enjeux entourant l’accouchement
demeurent d’actualité. Premièrement, l’expérience en maison de naissance s’est transformée
au fil des ans. Ainsi, les femmes font face à une certaine dépersonnalisation et à une nouvelle
médicalisation des soins. Par exemple, certaines d’entre elles se retrouvent orphelines de
service en raison d’une grossesse prolongée et se retrouvent forcées d’accoucher à l’hôpital.
D’autres sont encouragées à utiliser de l’huile de ricin ou des traitements d’acupuncture afin
de déclencher le travail. Deuxièmement, il faut tenir compte de la criminalisation de la
grossesse. Dans cet ordre d’idées, des états américains ont tenté de passer des lois faisant de
l’ovocyte une personne tandis que d’autres veulent juger les femmes soupçonnées d’attenter à
la vie de leur fœtus. Ces tentatives placent l’intérêt du fœtus avant celui des femmes, qui
demeurent même enceintes, des citoyennes à part entière. Par ailleurs, des femmes ont été
emprisonnées pour avoir consommé de la drogue ou refusé des interventions chirurgicales
ordonnées par la cour, comme une césarienne. Au Québec, les AVAC (accouchements
vaginaux après une césarienne) sont systématiquement refusés et les femmes doivent se
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soumettre à une deuxième césarienne. Ce dossier a d’ailleurs été traité récemment par
Amnistie Internationale.
L’évolution des dernières années a permis aux sages-femmes de recommencer à pratiquer en
toute légalité au Québec. Il reste cependant des enjeux importants à résoudre pour assurer à
toute femme enceinte de véritables choix pour son suivi de grossesse et son accouchement.
Récemment, des militantes ont mis en place des campagnes médiatiques pour attirer
l’attention sur ces problèmes et pour lancer un débat de société sur le sujet. Les lectrices qui
souhaitent en apprendre plus sur l’un des thèmes abordés durant la rencontre pourront
consulter les sites indiqués ci-dessous.
Références :
http://www.rsfq.qc.ca/historique.htm (Regroupement les sages-femmes du Québec)
http://www.osfq.org (Ordre des sages-femmes du Québec)
www.uqtr.ca/sage-femme/ (Programme de baccalauréat en pratique sage-femme)
http://www.groupemaman.org/manifeste/index.php (Groupe MAMAN)
http://www.orgasmicbirth.com/birth-by-the- numbers (Vidéo Birth by the Numbers)
http://www.ncsl.org/issues-research/health/fetal-homicide-state- laws.aspx
(Liste des États ayant introduit des « Fetal Homicide Laws »)
http://www.amnistie.ca/site/images/stories/section_documents_archives/listes/agir_en_ligne/a
rchives/Agir_Septembre_2010_lores.pdf (Magazine d’Amnistie internationale)
http://www.whiteribbonalliance.org/index.cfm/act- now/respectful- maternity-care/ (Respectful
Maternity Care: The Universal Rights of Childbearing Women)

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