La maison de naissance
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La maison de naissance
La maison de naissance : un terrain propice pour donner le jour La recherche du progrès par la systématisation, par la rationalisation nous a progressivement détachés de la Terre-Mère. Mais ce qui est flagrant en termes d'agriculture - nous ne savons plus ce qui compose notre assiette - l'est également pour d'autres jalons primordiaux de nos existences. Ainsi en va-t-il de la naissance où l'obsession du moindre risque et de la moindre souffrance génère une déshumanisation croissante. Sans nier ce que peut aujourd'hui apporter la médecine, la maison de naissance se pose en tissu vivant, très respectueux de la mère, du père, de l'enfant, mais aussi de la sage-femme et de l'ensemble des acteurs de ce moment sans pareil… Par Dominique Parizel et Béatrice Barbay Ainsi commence Le fermier et l'accoucheur (1), livre de Michel Odent, chirurgien et obstétricien français très renommé : " En 1977, Roland Chevriot m'invita à participer au congrès annuel de Nature & Progrès, dans la banlieue parisienne. Mon rôle était de parler de "naissance naturelle". Les autres participants parlaient d'agriculture biologique. J'ai alors réalisé que pour Roland il ne s'agissait que d'un seul et même sujet. Nous étions tous là pour analyser les dangers de jouer aux apprentis-sorciers, c'est-à-dire d'ignorer les seuils à ne pas dépasser dans notre domination des lois de la nature. Les fermiers présents à ce congrès m'ont semblé très différents de ceux que j'avais l'habitude de côtoyer dans la région rurale où j'exerçais. Ils étaient de toute évidence doués d'un profond respect pour la Terre-Mère. Depuis ce jour, je me sens constamment renvoyé à cette question fondamentale : « Comment se développe le respect pour la Terre-Mère ? » Pour Roland et sa femme Monica, l'agriculture biologique ne représentait qu'un des multiples aspects de tout un mode de vie. En 1976, ils me demandèrent de les assister pour la naissance à la maison de leur dernier enfant. En tant que praticien hospitalier à plein temps, j'aurais normalement dû refuser. En fait, rien ne m'empêchait d'aller chez eux en ami. Voilà comment j'ai été le témoin de la naissance d'Anne, le 24 juin, peu après minuit, au clair de lune, fenêtres grandes ouvertes, alors que les paons hurlaient dans le parc. C'est ainsi que j'ai découvert la naissance à la maison. " Comment trouver meilleures occasion de rendre hommage à Roland Chevriot, cheville ouvrière de Nature & Progrès en France, trop tôt disparu un jour de 1988 ? Namur, vingt ans plus tard… L'Arche de Noé (2) est une petite maison toute simple, nichée dans un coin tranquille de Salzinnes, à Namur, à quelques pas de la clinique Sainte-Elisabeth. Bénédicte de Thysebaert nous accueille dans la petite cuisine où elle coupe quelques légumes pour la soupe, ainsi que le ferait n'importe quelle ménagère soucieuse de sa petite tribu… Rien de très surprenant jusque là. Et pourtant, cette jolie demeure n'est pas exactement une maison comme toutes les autres. A l'Arche de Noé, on vient juste pour y naître. Pour y naître ou pour y donner le jour, c'est juste une question de point de vue… " Il y a seulement trente ans, nous dit Bénédicte, le besoin de maisons de naissance ne se faisait pas sentir car les sages-femmes faisaient encore beaucoup d'accouchements. Les péridurales en étaient à leurs débuts et les accouchements étaient très peu médicalisés : les femmes voyaient leur gynécologue ou leur médecin généraliste trois ou quatre fois sur le temps de leur grossesse et, une fois le moment venu, on les laissait déambuler, se lever, marcher, manger… Puis, vers la fin, c’étaient elles qui montraient l’évolution des choses, notamment quand elles ressentaient soudain l'envie de pousser…" Les gynécologues, qui avaient une charge de travail énorme, ont alors voulu des horaires un peu plus corrects et se sont organisés, avec l'aide des anesthésistes qui commençaient à faire des péridurales, pour programmer les accouchements en semaine, à des heures qu'on pourrait qualifier d'ouvrables… " De là date la généralisation des accouchements provoqués, explique Bénédicte, dès trentesept ou trente-huit semaines de grossesse, c'est-à-dire beaucoup trop tôt ! Partout sur la planète, une grossesse dure quarante-et-une semaines, même si en Belgique on parle plutôt de quarante. Ceci signifie qu'on empiète souvent de trois semaines, et parfois même d'un mois entier, sur le moment que le bébé a naturellement choisi pour naître ! Tout cela fut évidemment présenté sous un jour idyllique - on fait cela en semaine, sans douleur sous péridurale, en surveillant le cœur de bébé en continu… -, complètement banalisé et même pensé comme un progrès généralisable, comme un mieux indiscutable pour tout le monde. " La révolte des sages-femmes Mais c'était compter sans les sages-femmes qui, en salles d'accouchement, ont clairement vu à quel point ce qui passait pour un mieux n'en était pas vraiment un… A l'image sans doute de l'agriculteur sur son champ, elles assistèrent impuissantes à une forme sournoise d'intensification productiviste. " Davantage de césariennes, dit Bénédicte, ce qui est toujours un choc pour la maman comme pour le bébé, même dans les cas où finalement tout va bien. Aucune souffrance fœtale n'est jamais souhaitable, qu'il s'agisse de naissance par césarienne ou par forceps... Les guidelines mondiaux montrent clairement qu'on dérive lentement, depuis vingt ou vingt-cinq ans au moins… La position gynécologique, par exemple, pose nettement problème. Elle était très pratique, c'est vrai, il y a un siècle, quand les médecins arrivaient dare-dare poser un forceps ou une ventouse quand la sage-femme ne pouvait plus s'en sortir… Pourtant, en Angleterre par exemple, la position sur le dos n'a jamais été généralisée car le bébé ne la supporte pas bien. Le poids de l'utérus comprime, en effet, l'arrivage de sang et donc l'oxygénation. La position physiologique - accroupie, debout, sur le côté, bref tout ce que la femme veut - n'est pas du tout celle-là ! En Belgique pourtant, aucune remise en question n'a eu lieu pendant de longues années..." Le déclic salutaire serait ainsi venu… d'Internet ! Ses forums professionnels, ses sites de sages-femmes, ses sites de réflexion - auxquels on a accès la nuit quand on ne dort pas, ce qui est parfait pendant une grossesse - amenèrent un grand vent d'idées neuves. " Quelques clics suffisent maintenant pour trouver la maison de naissance et pour entrer en contact avec nous, explique Bénédicte. Je reçois, chaque jour, trois ou quatre demandes de renseignements sur www.maison-de-naissance.be. Et les projets se multiplient : La Louvière, Liège, Welkenraedt, Bruxelles, Ixelles… Un médecin de Wiltz, au Grand-Duché, m'a récemment contactée afin de rassembler quelques personnes désireuses d'initier un projet dans le Luxembourg…" Ce qu'apporte une maison de naissance La Belgique est un pays de frontières ! Et le mélange culturel où nous baignons entre influences latines et anglo-saxonnes a fait que l'apparition de maisons de naissance a été, non pas facile, mais quand même possible… " Quand nous avons cherché à concrétiser notre projet, se souvient Bénédicte, nous avons reçu beaucoup de soutien de sages-femmes de pays anglo-saxons. Nous nous sommes alors rendu compte à quel point une vision féminine de la naissance était difficile dans les pays de culture latine, où le machisme reste dominant et où enfanter ne peut se faire que dans une vision mécaniste, contrôlée et surveillée hors du corps… En maison de naissance, nous intervenons très peu dans le processus naturel, nous ne le stimulons pas de manière médicamenteuse. Nous respectons le rythme de chacun, y compris des papas…" Ceci ne veut cependant pas dire que la maison de naissance laisse de côté l'aspect médical des choses. Les sages-femmes posent elles-mêmes l'ensemble des actes médicaux et suivent, du début à la fin, les femmes dont la santé est bonne et dont la grossesse est normale. " Exception faite, dit Bénédicte, des trois échographies qui sont toujours recommandées, à trois, cinq et sept mois… Les futures mères rencontrent, à cette occasion, leur gynécologue de référence qui sera le médecin à qui nous ferons appel si d'aventure un problème se pose et nous inquiète. Il lui appartiendra de confirmer qu'il est possible de maintenir le projet d'accouchement en maison de naissance, ou de nous dire si cela paraît au contraire contreindiqué. Nous ne pouvons également accueillir que les femmes en bonne santé, ce qui constitue évidemment un facteur important de limitation des problèmes éventuels…" Chaque maison de naissance définit ses propres protocoles en se basant sur Evidence Based Medicine, les recommandations scientifiques, chez nous le KCE. A Namur, l'activité de L'Arche de Noé repose sur trois premières sages-femmes, ce qui signifie qu'elles surveillent la grossesse et sont responsables de l'accouchement. L'originalité réside dans le fait qu'elles sont de garde à tour de rôle ; il n'est donc pas possible de choisir sa sage-femme et d'avoir ainsi la certitude que ce sera bien celle-là qui s'occupera de l'accouchement. Par contre, la possibilité qui leur est laissée de pouvoir toujours se faire remplacer apparaît comme une garantie supplémentaire de pouvoir compter sur une sage-femme bien reposée, un gage de sécurité tant pour la maman que pour le bébé. Pour cette raison, chacune des futures mamans doit rencontrer chaque sage-femme à trois reprises au moins, deux fois au minimum en consultation médicale et une troisième fois lors de soirées à thèmes, par exemple… " C'est vraiment nécessaire pour l'installation d'une confiance mutuelle entre les futurs parents et les sages-femmes, insiste Bénédicte." Installer la confiance Mais, précisément, en quoi la confiance installée entre les futurs parents et la sage-femme, au sein de la maison de naissance, peut-elle être différente de celle qui existe avec le gynécologue de l'hôpital ? " La sage-femme, dit Bénédicte, ne prétend jamais pouvoir tout résoudre ; ce type de prise de pouvoir sur la personne est totalement étranger à notre métier. Nous expliquons d'emblée que si un problème survient, qui n'est pas de notre compétence, eh bien il faudra nécessairement aller à l'hôpital. Donc, nous disons clairement aux femmes, aux parents que nous pouvons les accompagner tout au long du déroulement de ce phénomène physiologique qu'est la grossesse. Malheureusement si, à un moment donné, quelque chose se passe qui sort du champ d'action que nous avons préalablement défini, nous ferons appel à d'autres. Et, dans cet esprit-là, nous nous mettons à l'abri de toute forme d'abus de pouvoir sur la personne qui vient vers nous… Dans l'optique inverse, nous sommes souvent en contact avec des personnes qui affichent un refus presque caricatural de l'hôpital, et qui vont, par exemple, jusqu'à refuser la moindre échographie. Un tel refus, une telle attitude radicale ne nous convient évidemment pas du tout et est, à nos yeux, clairement rédhibitoire car c'est justement le genre de risque que nous refusons de prendre, tant pour la personne qui vient accoucher chez nous que pour nousmêmes et pour le projet que nous portons. Nous devons évidemment confirmer comment se présente le bébé, où est placé le placenta et si rien n’a été repéré aux échographies comme risques pour le bébé d'ordre cardiaques, neurologiques, etc. " Comme pour tout accouchement dans notre pays, une deuxième sage-femme est toujours présente. L'ensemble du dispositif de la maison de naissance vise à être rassurant tant pour les parents que pour les sages-femmes. Quand arrive le moment fatidique, on sait toujours qu'on est attendu… Et on sait par qui ! La réaction du corps médical " Quand nous avons ouvert la maison de naissance de Namur, au printemps 2005, se souvient Bénédicte, l'ONE a écrit à tous les professionnels de la naissance pour dire que nous étions une secte ! Tout cela parce qu'une sage-femme libérale avait, un jour, donné une conférence pour une association, il est vrai, très marginale… C'est dire combien notre apparition n'était pas vue d'un très bon œil. Nous n'avons pourtant jamais prétendu que les médecins travaillent mal. Mais le seul fait d'exprimer que le système hospitalier ne nous paraît plus convenir à la réalité de la naissance est une chose qui atteint toujours très profondément un grand nombre d'entre eux. Et c'est bien plus qu'une simple question de pouvoir ; qu'on mette le doigt sur une faille du système hospitalier leur est probablement insupportable." Bénédicte nous décrit alors les appréciations - très diverses ! - que les maisons de naissance ont éveillées au sein du corps médical. Mais elle convient aussi que beaucoup de repères ont très vite évolué positivement, tant chez les médecins que chez leurs patients. " Les femmes savent très bien aujourd'hui, dit-elle, que si leur gynécologue marque, sans raison valable, son désaccord avec leur projet de naissance, elles peuvent tout simplement choisir d'en consulter un autre! D'autre part, les gens se méfient de plus en plus de l'anonymat du milieu hospitalier lui-même et des maladies nosocomiales qui s'y développent. Alors qu'ici, tout est extrêmement personnalisé, d'une part, et qu'il n'y a pas de gens malades, d'autre part, puisque nous n'acceptons que les femmes en bonne santé. Nous avons aussi tout le temps qu'il faut pour bien expliquer les choses et pour prodiguer les soins d'une manière très appliquée. Il est vrai qu'il n'y a pas une femme qui arrive toutes les heures pour accoucher…" Précisons, à toutes fins utiles, que les actes posés en maisons de naissance sont intégralement remboursés par les différentes mutuelles. Trois cents euros supplémentaires sont également demandés pour "faire tourner" la maison : loyer, chauffage, entretien, petit matériel… Certaines mutuelles les remboursent également, et certaines d'entre elles offrent même un forfait beaucoup plus élevé pour une naissance en milieu extrahospitalier… Avis aux amateurs ! Et le grand jour enfin venu… Eh bien, en général, ce jour-là, tout se passe très bien… Sage-femme et futurs parents font le point par téléphone et conviennent ensemble du moment où ils se retrouveront à la maison de naissance. Bien sûr, l'accouchement sous péridurale n'est pas possible puisqu'aucun gynécologue et a fortiori aucun anesthésiste n'est présent. Un transfert vers l'hôpital reste, bien sûr, toujours possible ; il peut même tout simplement avoir été prévu… Mais, contrairement à l'hôpital, la maison de naissance offre une ambiance personnalisée, chaleureuse et confortable. Disons même intime. On y déambule, se couche, se lève, se baigne et mange à son gré. Et les sages-femmes sont là en permanence… On laisse aussi prendre à bébé tout le temps qu'il lui faut. " Il y a, par exemple, des bébés qui naissent avec une tête très allongée, raconte Bénédicte, mais ils vont parfaitement bien. Ce sont simplement les os du crâne qui offrent encore une malléabilité suffisante pour permettre à la tête de passer. Par conséquent, quand on laisse ces femmes un peu manger, un peu marcher, aller, venir et repartir, le bébé en profite pour modeler sa tête et rechercher lui-même les meilleures conditions pour naître. Pas besoin d'écouter son cœur en permanence comme à l'hôpital, où le monitoring est une garantie de sécurité car les sages-femmes ont plusieurs mamans en même temps. En maison de naissance, on l'écoute toutes les demi-heures, puis tous les quarts d'heure, et cela suffit amplement… Ce sont toutes choses qu'il faut dire et montrer." Et puis, quand tout est fait, on rentre chez soi après vingt-quatre heures… " La tendance actuelle, dans les maternités, est de renvoyer les mamans chez elles après trois jours, explique Bénédicte. Ce n'est pas une très bonne chose car c'est justement le moment où la fatigue se fait le plus sentir et où il est préférable qu'elles puissent se reposer dans un environnement qu'elles connaissent bien. Il faut donc choisir : rentrer chez soi après vingtquatre heures ou après une semaine. Vu la relative exigüité de notre maison de naissance, nous avons opté pour vingt-quatre heures… Mais nous envisageons déjà de construire des extensions : un car-port et deux chambres en plus. Quand cela sera fait, peut-être pourronsnous répondre encore autrement à la demande ?" Mieux naître ? Bref. Pour être totalement convaincus, les experts en sciences médicales attendront sans doute qu'on leur concocte maintes statistiques prouvant qu'il y a, en maisons de naissances, moins d'accidents et plus de bébés heureux. Mais faut-il vraiment juger une maison de naissance sur ce type de "performances" ? Moins de risques, moins de sang, moins de pleurs, moins de souffrances… Peut-on prétendre quantifier le rapport humain, l'écoute de soi ou la certitude d'agir en phase avec le caractère exceptionnel d'un moment d'exception ? On objectera alors, non sans un brin de mauvaise foi, que la maison de naissance est le nouveau lieu branché pour bobos un peu trop zen? " Sincèrement, je ne crois pas, conclut Bénédicte de Thysebaert, que les gens qui viennent nous voir soient fondamentalement différents de ceux qui vont à l'hôpital. Peut-être sont-ils juste un peu mieux informés, peut-être s'alimentent-ils un peu mieux que la moyenne de la population ? Ce n'est même pas sûr… La seule évolution notable - c'est peut-être un signe des temps - que nous pouvons observer, c'est que les couples sont de plus en plus inquiets ; nous n'accueillons certainement pas uniquement des gens que je qualifierais de sereins. Loin s'en faut. Et peut-être est-ce justement pour cette raison qu'ils viennent vers nous, parce que nous, les sages-femmes, avons choisi de consacrer le temps qu'il faut pour les écouter et pour les rassurer là où ils sont, sur leur chemin de parents…" (1) Michel Odent, Le fermier et l'accoucheur, éditions Médicis, 2004. (2) L'Arche de Noé, rue Loiseau, 39 à 5000 Namur - [email protected] www.maison-de-naissance.be