Doses de radiations ionisantes délivrées par la tomodensitométrie

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Forum Med Suisse 2008;8(16):291–293
Doses de radiations ionisantes délivrées par
la tomodensitométrie computérisée et risque de cancer
secondaire
Hatem Alkadhi
Institut für Diagnostische Radiologie, Universitätsspital Zürich
La question de la relation entre les doses de radiations subies lors d’examens par scanner (CT)
et le risque théorique de développer un cancer
ultérieur est un sujet d’importance, reconnu par
certains médias et par plusieurs publications
scientifiques [1]. L’ambition de cet article est de
rappeler quelques faits importants concernant
les doses de rayonnement auxquelles exposent
les examens par CT et leurs conséquences éventuelles et de proposer quelques stratégies susceptibles de minimiser ces risques théoriques.
Radiations ionisantes
et risque de cancer
La très grande majorité des données sur le risque
carcinogène dû au rayonnement chez l’homme
provient de travaux sur les survivants des bombes
atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945.
Ces études ont mis en évidence une augmentation significative de l’incidence des cancers dans
la population des rescapés exposés à une irradiation de l’ordre de 5 à 150 mSv [2]. Des données
comparables ont également été obtenues sur les
risques de cancers parmi le personnel travaillant
dans l’industrie atomique et soumis à des radiations constantes de faible intensité. Le risque de
cancer est encore plus significatif dans la population pédiatrique particulièrement sensible aux
radiations ionisantes et dont le risque est majoré en raison d’une espérance de vie élevée. S’il
n’y a aucun doute sur la probabilité dose-dépendante des effets stochastiques du rayonnement,
la linéarité de la relation doses–effets est difficile
à démontrer dans le domaine des expositions à
doses très faibles (autres que celles délivrées par
les examens radiologiques) [3]. On admet pourtant, en dépit du fait qu’aucune étude n’ait démontré jusqu’ici l’existence d’un risque accru de
cancer après exposition aux rayons issus de CT,
qu’une dose effective de l’ordre de 30 à 90 mSv
augmente bel et bien le risque de cancer secondaire [1]. Le risque estimé (décrit dans les pays
anglo-saxons par l’expression estimated lifetime
percent risk of death from cancer attributable to
radiation) dépend de la région du corps examinée et de l’âge du patient. Ce risque est donc plus
élevé chez les individus jeunes par rapport à une
population âgée.
Doses utilisées dans la tomographie
computérisée
Au cours de la dernière décennie, la technique
des examens CT a fait des progrès remarquables
en comparaison des autres méthodes d’imagerie
diagnostique. Malgré ces progrès, le CT délivre
tout de même la plus forte dose de radiation effective parmi toutes les techniques radiologiques
utilisées [4].
De nombreuses sociétés nationales et internationales, dont certaines en collaboration avec
l’OMS, ont défini un standard exigeant que les
examens radiologiques ne doivent être effectués
que sur la base d’indications cliniques strictes
et que la dose appliquée soit, le cas échéant, la
plus faible possible pour permettre de répondre
à la question clinique posée. Comme le montre
la figure 1 x, la dose effective utilisée dans
la majorité des examens CT standards a diminué
depuis quelques années [5]. On a en effet réalisé
que la qualité des images de nombreux examens
CT va bien au-delà de ce qui est réellement nécessaire pour assurer un diagnostic fiable. Différentes méthodes ont donc été développées dans
le but de réduire la dose d’irradiation due aux
CT. On évoquera par exemple la modulation par
atténuation automatique du courant dans les
tubes, qui permet une réduction de la dose sans
perte d’efficacité diagnostique et qui est par
conséquent couramment utilisée aujourd’hui dans
pratiquement tous les examens CT. Un autre aspect important pour minimiser les doses de
rayonnement a trait à la stricte délimitation de
la zone radiographiée sur l’axe crâniocaudal
(axe z). En se bornant à un examen précis de la
région du corps concernée par la question clinique, on évitera ainsi toute irradiation inutile.
Si cette stratégie paraît évidente pour le radiologue, elle se heurte malheureusement souvent à
des désirs contradictoires chez les médecins prescripteurs (pour ne citer qu’un exemple: «Pendant
que tu y es, ne pourrais-tu pas encore jeter un
coup d’œil à l’abdomen supérieur?»). Une autre
opportunité de réduire l’exposition au rayonnement est en cours d’implantation. Il s’agit de la
diminution de la tension appliquée au tube (des
120 kV habituels à par ex. 100 kV). Elle permet
de diminuer considérablement les doses chez
les patients normalement constitués ou de fai-
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chez des adultes symptomatiques – a considérablement augmenté au cours des dernières années
[1]. Des chiffres de croissance atteignant 20% par
année ne sont pas exceptionnels pour les examens CT. Le nombre absolu de CT a également
augmenté en pédiatrie [6], de même que dans les
dépistages [7].
En résumé, on retiendra que, malgré la réduction
obtenue ces dernières années dans les doses individuelles délivrées par les CT, la dose collective
à laquelle la population est exposée a augmenté
en raison de l’accroissement du nombre des
phases utilisées lors des examens et du nombre
des examens effectués [1].
Stratégies visant à réduire les doses
Figure 1
Tomographie computérisée à faible dose du cœur chez une femme de 40 ans souffrant de douleurs
thoraciques atypiques. Recherche de maladie coronarienne avec une dose effective de 0,9 mSv.
Cet examen a été réalisé en mode dit de step-and-shoot, caractérisé par une dose de rayonnement
très faible. Par rapport aux valeurs standard des doses d’irradiation des CT cardiaques, qui atteignaient il y a encore quelques années jusqu’à 21 mSv, les examens actuels se font avec des doses
nettement plus faibles, grâce à l’implémentation d’un certain nombre d’algorithmes appropriés.
ble poids, sans perte du pouvoir de discrimination diagnostique. A titre d’exemple, la dose
efficace requise pour un examen CT standard
de l’abdomen est aujourd’hui de 7 à 10 mSv. Si
on se réfère à ce qui a été évoqué ci-dessus, un
examen CT de l’abdomen expose un patient de
40 ans à un risque théorique augmenté de néoplasie secondaire d’environ 0,015% [1].
Un autre facteur important contribuant de manière décisive à la dose délivrée est le nombre de
phases (par ex. natif, artériel ou veineux) utilisées
chez le patient lors d’un examen donné et qu’il
s’agit donc de réduire au minimum en fonction de
l’indication. Cependant, on ne prête pas toujours
une attention suffisante à cet aspect dans la pratique quotidienne. Plusieurs études ont trouvé que
près de 30% des CT réalisés comportent plus
d’une phase, ce qui augmente notablement la dose
administrée. Cela illustre parfaitement le fait que
le développement moderne du CT autorise une
répétition rapide et facile des examens mais représente également un risque accru d’exposition
inutile à des radiations ionisantes,
Il s’avère donc que le nombre absolu des examens
CT représente un facteur non négligeable d’irradiation de la population générale. Les CT peuvent être catégorisés en fonction de la population étudiée (par ex. adulte ou pédiatrique) et
de l’indication (c’est-à-dire à but diagnostique
chez des patients symptomatiques ou dans le
cadre d’un dépistage chez des patients asymptomatiques). La catégorie représentant la grande
majorité des examens CT – servant au diagnostic
Les recommandations suivantes visent à réduire
la dose d’irradiation de la population exposée aux
CT:
– Le clinicien vérifiera de manière critique
l’indication au CT, en tenant compte des
conséquences de l’information issue de cet
examen pour établir un diagnostic, un pronostic et un traitement approprié. Une meilleure formation des non-radiologues sur les
aspects relatifs aux doses délivrées par les
examens radiologiques prescrits et donc aux
risques associés à l’irradiation est de mise
[8].
– Les radiologues poursuivront avec les fabricants d’équipements radiologiques leurs efforts pour le développement de nouveaux
algorithmes en vue de la réduction des doses
de rayonnement. Les algorithmes existants,
tels que l’atténuation automatique du courant
passant dans les tubes, devraient d’autre part
être mis en application de manière systématique. Les possibilités probablement sousestimées de réduction des doses par diminution de la tension appliquée aux tubes en
fonction de la constitution individuelle des
patients devraient d’autre part être davantage utilisées. Le radiologue cherchera aussi
à réduire au maximum le nombre de phases,
c’est-à-dire de répétitions des scans, chez un
même patient. Enfin, les radiologues essaieront chaque fois qu’ils l’estiment nécessaire
de faire part de leurs doutes quant à l’indication à tel ou tel examen CT posée par le clinicien (cette démarche est cependant souvent
considérée comme inappropriée, si ce n’est
arrogante) (on se consolera en se souvenant
que Sisyphe était, paraît-il, un homme heureux). Ceci implique aussi une réflexion
constante sur la possibilité de remplacer cet
examen par une autre méthode d’imagerie
sans risque d’exposition aux rayons X (par
ex. par ultrasons ou résonance magnétique
nucléaire) et qui permettrait de poser le diagnostic avec sécurité.
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– Les responsables du système de santé feraient
bien de revoir leur obstination à vouloir appliquer aux hôpitaux publics le souci d’une
constante recherche d’augmentation du chiffre d’affaires (par analogie avec les impératifs
appliqués dans le secteur privé). Il existe en ef-
Références
Correspondance:
PD Dr Hatem Alkadhi
Institut für
Diagnostische Radiologie
UniversitätsSpital Zürich
Rämistrasse 100
CH-8091 Zürich
[email protected]
1 Brenner DJ, Hall EJ. Computed tomography – an increasing
source of radiation exposure. N Engl J Med. 2007;357:2277–84.
2 Preston DL, Ron E, Tokuoka S, et al. Solid cancer incidence in
atomic bomb survivors: 1958–1998. Radiat Res. 2007;168:1–64.
3 Vock P, Valley J-F. Medizinische Strahlenexposition in der
Schweiz – Teil 1: Frequenzen, Dosen, Konsequenzen. Schweiz
Med Forum. 2004;4(34):845–50.
4 Vock P, Müller-Brand J, Valley J-F. Medizinische Strahlenexposition in der Schweiz – Teil 2: Die Rolle dosisintensiver Untersuchungen, insbesondere der Computertomographe (CT).
Schweiz Med Forum. 2004;4(34):865–72.
5 Tsapaki V, Aldrich JE, Sharma R, et al. Dose reduction in CT
while maintaining diagnostic confidence: diagnostic reference levels at routine head, chest, and abdominal CT—IAEAcoordinated research project. Radiology. 2006;240:828–34.
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fet un paradoxe entre le besoin économique
de rentabilité en augmentant le nombre d’examens radiologiques et l’apparente négligence
de la dose globale de radiations ionisantes
auxquelles la population est exposée.
6 Linton OW, Mettler FA, Jr. National conference on dose reduction in CT, with an emphasis on pediatric patients. AJR
Am J Roentgenol. 2003;181:321–9.
7 Brenner DJ. Radiation risks potentially associated with lowdose CT screening of adult smokers for lung cancer. Radiology.
2004;231:440–5.
8 Lee CI, Haims AH, Monico EP, Brink JA, Forman HP. Diagnostic CT scans: assessment of patient, physician, and radiologist awareness of radiation dose and possible risks. Radiology. 2004;231:393–8.

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