L`HISTOIRE DU BACLOFÈNE DANS LE SEVRAGE ALCOOLIQUE

Transcription

L`HISTOIRE DU BACLOFÈNE DANS LE SEVRAGE ALCOOLIQUE
L'HISTOIRE DU BACLOFÈNE
DANS LE SEVRAGE ALCOOLIQUE
Autorisé depuis près de quarante ans à des doses de 30-70 mg,
comme anticontracturant
dans la sclérose en plaques et diverses
pathologies
neurologiques
(Liorésal Winthrop donc Sanofi),
cet agoniste des récepteurs cérébraux du GABA (acide gammaaminobutyrique) est au cœur d'un très vif débat international.
En 2004, le docteur Olivier Ameisen, Français, cardiologue à
New York devenu grand alcoolique, découvre sur lui-même, après
avoir tout essayé, l'efficacité du baclofène (B), après avoir entendu
parler de son efficacité sur des modèles animaux d'alcoolisme et
d'un paraplégique cocaïnomane guéri par le Liorésal, donné pour
ses contractures. Guérison totale. Le mal-être persiste, mais le
besoin, le désir d'alcool, le « craving» a disparu avec des doses de
150 à 500 mg (il prend le B. depuis 8 ans, mais n'a plus besoin
que de 40 mg par jour). Il publie cette autoexpérience aux ÉtatsUnis (The End ofmy Addiction; en France, Le Dernier Verre, Denoël).
Controverses, oppositions corporatistes multiples, en particulier
à Paris. Qui est ce cardiologue alcoolique qui croit découvrir
ce qu'aucun psychiatre n'avait remarqué et qui va détourner les
alcooliques de leurs consultations et des médicaments qu'ils proposent, antidépresseurs,
Revia, Aotal, Esperal, tous en échec
patent? D'autant que plusieurs essais donnent des résultats contradictoires (Addolorato à Rome, 71 % de succès contre 29 % pour le
placebo; Garbutt à Chapel Hill, échec), mais tous étudiés avec des
doses trop faibles de 30 mg à 100 mg, alors que le B est souvent
utilisé à l'hôpital dans les contractures, par voie IV, jusqu'à 300 et
500 mg, sans effets secondaires majeurs.
Surgit un milliardaire néerlandais
alcoolique et partisan
convaincu du B qui l'a guéri. Il est prêt à financer un grand essai
clinique, mais les médecins chargés de le mener hésitent à dépasser
100 mg, ce qui risque de conduire à des résultats ambigus. Colère
d'Ameisen (la colère est son état naturel l... un indigné) vertement exprimée dans la presse. En France, plusieurs généralistes
et psychiatres, universitaires ou non (B. Granger, Philippe Iaury,
M. Detilleux, R. de Beaurepaire), eux aussi convaincus, se sont
526
L'HISTOIRE
DU BACLOFËNE
DANS LE SEVRAGE ALCOOLIaUE
mis à l'employer hors AMM sur 100 malades, avec des succès
spectaculaires dans au moins 50% à 60% des cas, avec des doses
de 100 à 200 mg, en créant un état d'«indifférence à l'alcool».
Pourtant, impossible de mettre sur pied des essais comparatifs
contre placebo. Le ministère débloque les crédits, puis les retire,
et l'AFSSAPSpiétine, comme d'habitude, renvoyant le dossier de
commission en commission. Un Mediator à l'envers. Après sept
ans d'atermoiements,
il serait temps d'élargir l'AMM. Les faits
ne laissent guère de place au doute: 5 millions d'alcooliques,
45000 décès par an (9 % de la mortalité) par cirrhoses, neuropathies, cancers, violences. 500 médecins le prescrivent maintenant à
au moins 2000 alcooliques. Triste feuilleton. Et c'est sans compter
les accidents de la route, les victimes d'agression sexuelle ou
non (40% des agressions), les vies et les familles éclatées, la clochardisation, le chômage, les vies détruites, toutes les dérives.
«Le baclofène est le seul traitement actuel d'une maladie mortelle et il n'a jamais tué personne. L'alcool si. 40000/an» (R. de
Beaurepaire, patron du grand centre de psychiatrie de Villejuif).
Mais déjà 100000 personnes l'utilisent en France et Ameisen
est enfin officiellement invité à donner une conférence dans un
grand centre universitaire. Le vent tourne, la société civile s'en
mêle, les «autorités compétentes» sont contraintes de s'engager.
Le Nouvel Observateur en fait un dossier et soutient, sans négliger
ni masquer les effets secondaires potentiels entièrement à préciser, mais qui semblent jusqu'à aujourd'hui modérés ou mineurs
et transitoires, avec un rapport bénéfice/risque très favorable aux
doses inférieures à 200 mg. Contre l'AFSSAPS, on gagne à tous
les coups! Mais P. Lechat veille. On ne peut rien faire. Il faut une
étude comparative et on ne peut attribuer une AMM puisque le
laboratoire du Liorésal, Sanofi, ne la demande pas! Nous proposons avec quelques autres, dont G. Bapt, que l'AFSSAPSdonne une
ATU réservée aux psychiatres. B. Granger, très moteur dans cette
affaire, la négocie. Maraninchi devient plutôt favorable et finalement X. Bertrand décide dans le bon sens, juste avant son départ.
Aussitôt, l'ANSM s'incline et rend un avis «prudemment
favorable» (A. Crignon), autorisant une prescription suivie au cas par
cas. Un essai comparatif contre placebo débute en mai 2012 après
trois ans d'atermoiements, avec 60 médecins sélectionnant chacun
6 ou 7 alcooliques volontaires (essai «Bacloville » de P. jaury, professeur de médecine générale à Necker), et O. Ameisen, commence
527
Pr Philippe EVEN - Pr Bernard DEBRÉ
GUIDE DES 4000 MÉDICAMENTS
enfin à être reconnu, après huit ans de purgatoire. D'autres molécules sont parallèlement à l'étude: naméfen de Lundbeck, voisin
de Revia (naltrexone), oxybate de DB Pharma, dont le baclofène
vient évidemment contrarier le développement, ce qui n'est pas
sans expliquer les réactions de certains «baclophobes». Cette histoire pose la question clé d'aujourd'hui: faut-il toujours des essais
comparatifs lourds et lents, quand une molécule apporte des
preuves incontestables d'efficacité en essai ouvert sur quelques
dizaines de patients et qu'il ne reste plus qu'à en mesurer les effets
indésirables, que les grands essais cliniques n'identifient d'ailleurs
pas mieux?

Documents pareils