sa mort choisir
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Choisir sa mort ? Éternelle question… Ces Repères pour les citoyens et ceux qui les soignent balisent avec précision les contours des débats sur la fin de vie, l’euthanasie et le suicide assisté. Pour aider chacun à en comprendre les enjeux de société, Bernard Devalois propose une réflexion éthique, un décryptage de la loi d’avril 2005, et démonte les manipulations médiatiques de certaines affaires retentissantes, de Vincent Humbert à Chantal Sébire. Des cas vécus, bouleversants d’humanité, sont analysés à la lumière du respect des patients et de leur famille, mais aussi de ceux qui les soignent. Dans sa préface, Jean Leonetti souligne que les professionnels de santé « trouveront dans cet ouvrage aux nombreuses facettes une source très utile pour asseoir ou conforter leurs pratiques professionnelles et pour nourrir leurs réflexions sur ce sujet complexe. » Le docteur Bernard DEVALOIS, qui a été le président de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs, est anesthésiste-réanimateur de formation. Il est actuellement responsable de l’unité des soins palliatifs de l’hôpital de Puteaux (92). ISBN 978-284932-022-8 13 € PEUT-ON VRAIMENT CHOISIR SA MORT ? PEUT-ON VRAIMENT CHOISIR SA MORT ? Bernard Devalois Dr Bernard Devalois PEUT-ON VRAIMENT ? CHOISIR SA MORT Repères pour les citoyens et ceux qui les soignent Préface de Jean Leonetti Dans la même collection Superman va mourir Journal d’une infirmière en soins palliatifs par Pascale Boumédiane Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine, Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. Jean de la Fontaine ISBN 978-284932-022-8 © Éditions Solilang 28, rue Camille-Jullian, 87000 Limoges www.solilang.net Préface Pour n’importe lequel d’entre nous, parler de la mort et de la fin de vie requiert beaucoup d’humilité. Parce que par formation et par culture, ils sont souvent plus attachés à une médecine technique conquérante qu’au « prendre soin », l’exercice n’est pas plus facile pour les professionnels de santé. Faire le choix exclusif d’une rhétorique lyrique, loin de la réalité et des gestes quotidiens du soin ne saurait correspondre aux attentes des patients et de leurs proches. S’abriter derrière un discours fondé sur la seule compétence et l’expérience professionnelle, pas davantage. Dans son essai à la fois brillant, synthétique et pédagogique, intitulé Choisir sa mort ?, le docteur Bernard Devalois, responsable de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de Puteaux et président de la Société française de soins palliatifs de 2005 à 2007, sait surmonter ces obstacles. En ayant le ton juste et en nous faisant partager une vision humaniste du soin, il nous invite à la réflexion, face à des situations souvent complexes, toujours personnelles, ne s’accommodant pas de raisonnements simplistes. Qu’il s’agisse de l’obstination déraisonnable, du double effet, de l’arrêt de l’alimentation ou de l’hydratation et du recours à la sédation, il inscrit sa démarche dans le sillon des bonnes pratiques professionnelles, et affronte les questions médicales sans esquiver les interrogations éthiques. Il rappelle qu’au terme d’une longue maturation, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a tenté de trouver une réponse sage et mesurée aux décisions de limitation ou d’arrêt de traitement et a récusé l’ouverture d’un droit à la mort dont on peut mesurer les dérives dans les pays qui ont choisi cette voie. Préface En décryptant avec minutie les questions qui émergent en présence d’une situation potentielle d’obstination déraisonnable, en déclinant des analyses de cas cliniques tirés de sa riche expérience, il plaide avec fermeté pour l’accompagnement des malades, pour la prise en compte de leurs souhaits à travers les directives anticipées et la personne de confiance ainsi que pour la transparence des décisions médicales. Maîtrisant tous les enjeux médicaux, éthiques, sociaux, juridiques et humains de cette problématique, il appelle à l’application des recommandations de la Mission parlementaire d’évaluation de la loi de 2005 qu’il suit avec une extrême vigilance et qu’il a largement inspirés. Nul doute que les professionnels de santé, qui connaissent encore souvent mal ces règles, trouveront dans cet ouvrage aux nombreuses facettes une source très utile pour asseoir ou conforter leurs pratiques professionnelles et pour nourrir leurs réflexions sur ce sujet complexe. Jean LEONETTI Député des Alpes maritimes. Rapporteur de la Mission d’information de l’Assemblée nationale de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Rapporteur de la Mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’accompagnement de la fin de vie. À l’homo sapiens et à l’homo galacticus, à cette chaîne de tous mes frères humains venant du passé ou tendant vers l’avenir, qui nous lie dans le temps comme dans l’espace. À tous ceux dont la sincérité l’emporte sur la croyance en des dogmes, À celles et ceux que j’aime (en référence aux trois amours des Grecs : Eros, Philia et Agapè). Ils/Elles se reconnaîtront ! 1. Prologue Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n’ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis, sans les affaiblir. Marcel Proust 10 1. Prologue Prologue La mort pour parrain Il était une fois un homme pauvre qui avait douze enfants. Pour les nourrir, il lui fallait travailler jour et nuit. Quand le treizième vint au monde, ne sachant plus comment faire, il partit sur la grand-route dans l’intention de demander au premier venu d’en être le parrain. Le premier qu’il rencontra fut le Bon Dieu. Celui-ci savait déjà ce que l’homme avait sur le cœur et il lui dit : « Brave homme, j’ai pitié de toi ; je tiendrai ton fils sur les fonts baptismaux, m’occuperai de lui et le rendrai heureux durant sa vie terrestre. L’homme demanda : — Qui es-tu ? — Je suis le Bon Dieu. — Dans ce cas, je ne te demande pas d’être parrain de mon enfant, dit l’homme. Tu donnes aux riches et tu laisses les pauvres mourir de faim.» L’homme disait cela parce qu’il ne savait pas comment Dieu partage richesse et pauvreté. Il prit donc congé du Seigneur et poursuivit sa route. Le Diable vint à sa rencontre et dit : « Que cherches-tu ? Si tu me prends pour parrain de ton fils, je lui donnerai de l’or en abondance et tous les plaisirs de la terre par-dessus le marché. L’homme demanda : — Qui es-tu ? — Je suis le Diable. Un conte des frères Jacob et Wilhem Grimm, Der Gevatter Tod in Kinderund Hausmärchen, 1812, traducteur inconnu. — Alors, je ne te veux pas pour parrain. Tu trompes les hommes et tu les emportes. Il continua son chemin.» Le Grand faucheur aux ossements desséchés venait vers lui et l’apostropha en ces termes : « Prends-moi pour parrain. L’homme demanda : — Qui es-tu ? — Je suis la Mort qui rend les uns égaux aux autres. Alors l’homme dit : — Tu es ce qu’il me faut. Sans faire de différence, tu prends le riche comme le pauvre. Tu seras le parrain. Le Grand faucheur répondit : — Je ferai de ton fils un homme riche et illustre, car qui m’a pour ami ne peut manquer de rien. L’homme ajouta : — Le baptême aura lieu dimanche prochain ; sois à l’heure.» Le Grand Faucheur vint comme il avait promis et fut parrain. Quand son filleul eut grandi, il l’appela un jour et lui demanda de le suivre. Il le conduisit dans la forêt et lui montra une herbe qui poussait en disant : « Je vais maintenant te faire ton cadeau de baptême. Je vais faire de toi un médecin célèbre. Quand tu te rendras auprès d’un malade, je t’apparaîtrai. Si tu me vois du côté de sa tête, tu pourras dire sans hésiter que tu le guériras. Tu lui donneras de cette herbe et il retrouvera la santé. Mais si je suis du côté de ses pieds, c’est qu’il m’appartient ; tu diras qu’il n’y a rien à faire, qu’aucun médecin au monde ne pourra le sauver. Et garde-toi de donner l’herbe contre ma volonté, il t’en cuirait ! » 11 12 1. Prologue Prologue Il ne fallut pas longtemps pour que le jeune homme devînt le médecin le plus illustre de la terre. « Il lui suffit de regarder un malade pour savoir ce qu’il en est, s’il guérira ou s’il mourra », disait-on de lui. On venait le chercher de loin pour le conduire auprès de malades et on lui donnait tant d’or qu’il devint bientôt très riche. Il arriva un jour que le roi tomba malade. On appela le médecin et on lui demanda si la guérison était possible. Quand il fut auprès du lit, la Mort se tenait aux pieds du malade, si bien que l’herbe ne pouvait plus rien pour lui. « Et quand même, ne pourrais-je pas un jour gruger la Mort ? Elle le prendra certainement mal, mais comme je suis son filleul, elle ne manquera pas de fermer les yeux. Je vais essayer. » Il saisit le malade à bras-le-corps, et le retourna de façon que maintenant, la Mort se trouvait à sa tête. Il lui donna alors de son herbe, le roi guérit et retrouva toute sa santé. La Mort vint trouver le médecin et lui fit sombre figure ; elle le menaça du doigt et dit : « Tu m’as trompée ! Pour cette fois, je ne t’en tiendrai pas rigueur parce que tu es mon filleul, mais si tu recommences, il t’en cuira et c’est toi que j’emporterai ! » Peu de temps après, la fille du roi tomba gravement malade. Elle était le seul enfant du souverain et celui-ci pleurait jour et nuit, à en devenir aveugle. Il fit savoir que celui qui la sauverait deviendrait son époux et hériterait de la couronne. Quand le médecin arriva auprès de la patiente, il vit que la Mort était à ses pieds. Il aurait dû se souvenir de l’avertissement de son parrain, mais la grande beauté de la princesse et l’espoir de devenir son époux l’égarèrent tellement qu’il perdit toute raison. Il ne vit pas que la Mort le regardait avec des yeux pleins de colère et le menaçait de son poing squelettique. Il souleva la malade et lui mit la tête, où elle avait les pieds. Puis il lui fit avaler l’herbe et, aussitôt, elle retrouva ses couleurs et en même temps la vie. Quand la Mort vit que, pour la seconde fois, on l’avait privée de son bien, elle marcha à grandes enjambées vers le médecin et lui dit : « C’en est fini de toi ! Ton tour est venu ! » Elle le saisit de sa main, froide comme de la glace, si fort qu’il ne put lui résister, et le conduisit dans une grotte souterraine. Il y vit, à l’infini, des milliers et des milliers de cierges qui brûlaient, les uns longs, les autres consumés à demi, les derniers tout petits. À chaque instant, il s’en éteignait et s’en rallumait, si bien que les petites flammes semblaient bondir de-ci de-là, en un perpétuel mouvement. « Tu vois, dit la Mort, ce sont les cierges de la vie humaine. Les grands appartiennent aux enfants ; les moyens aux adultes dans leurs meilleures années, les troisièmes aux vieillards. Mais, souvent, des enfants et des jeunes gens n’ont également que de petits cierges. — Montre-moi mon cierge, dit le médecin, s’imaginant qu’il était encore bien long.» La Mort lui indiqua un petit bout de bougie qui menaçait de s’éteindre et dit : « Regarde, le voici ! — Ah ! Cher parrain, dit le médecin effrayé, allumemoi en un nouveau, fais-le par amour pour moi, pour que je puisse profiter de la vie, devenir roi et épouser la jolie princesse. — Je ne le puis, répondit la Mort. Il faut d’abord qu’il s’en éteigne un pour que je puisse en allumer un nouveau. — Dans ce cas, place mon vieux cierge sur un nouveau de sorte qu’il s’allume aussitôt, lorsque le premier s’arrêtera de brûler, supplia le médecin.» 13 14 15 Prologue Le Grand Faucheur fit comme s’il voulait exaucer son vœu. Il prit un grand cierge, se méprit volontairement en procédant à l’installation demandée et le petit bout de bougie tomba et s’éteignit. Au même moment, le médecin s’effondra sur le sol et la Mort l’emporta. 2. Des problématiques aussi vieilles que l’homme La mort est dans la vie, la vie aidant la mort. La vie est dans la mort, la mort aidant la vie. Jacques Prévert 16 Des problématiques aussi vieilles que l’homme Une parabole prémonitoire de la tentation médicale de toute puissance ? Le décryptage des contes, outils essentiels de la transmission des croyances populaires, intéresse tous ceux qui se préoccupent du fonctionnement humain et tentent d’en comprendre les mécanismes. François Flahault, dans « Be Yourself », attire l’attention sur le conte des frères Grimm, « la Mort pour parrain », prologue de cet ouvrage. L’histoire est un thème classique des contes populaires. Il comporte trois parties, chacune porteuse d’un signifiant différent : • Le choix, par le père, de la mort comme parrain de son fils, plutôt que le Bon Dieu ou le Diable, puisque c’est celle qui respecte le mieux l’équité. • Le don conféré au médecin de prévoir la mort, et la tentation qu’il lui inspire de chercher à tromper un destin fatal au profit de certains (désir de lutter contre l’inéluctabilité de la mort, rupture de l’équité devant la mort). • La nécessité qu’une mort rachète une vie (retour à l’équité). Si les trois thématiques proposées sont également intéressantes, c’est la seconde qui va retenir ici notre attention. Le médecin du conte pourrait ainsi être présenté comme le premier médecin réanimateur. Et on peut lire le conte comme une métaphore de la tentation de toute-puissance médicale. La médecine peutelle, doit-elle et à quel prix, empêcher la survenue d’une mort inéluctable ? C’est avec la découverte des techniques de réanimation qu’ont commencé à émerger ces questionnements, Voir Belmont Nicole, Fonction de la croyance, L’Homme, 1973, n° 3, pp. 72- 81. Flahaut François, Be Yourself, Mille et Une Nuits, 2006. Conte-type 0332 de la classification d’Aarne-Thomson. 2. Des problématiques aussi vieilles que l’homme parallèlement au développement de la médecine triomphante des trente glorieuses de cette fin de XXe siècle. La signification étymologique du mot ré-animation est bien l’action de redonner la vie, de faire revenir à la vie. Anima désigne en latin le souffle vital, l’âme. Les AngloSaxons utilisent d’ailleurs volontiers des termes encore plus signifiants ; « resuscitation », « to resuscitate ». Que fait donc d’autre le médecin du conte, quand il retourne le patient pour empêcher la mort de survenir ? Si la première fois, cela se passe bien, par contre la seconde, il va le payer de sa propre vie. Il trahit l’équité devant la mort inévitable en faveur du pouvoir (le roi) et l’amour (de la princesse) mais pas pour le « commun des mortels » (pas assez beau, pas assez puissant ?). N’est-ce pas également une représentation symbolique de la tentation d’une forme d’acharnement thérapeutique, dans une dimension faustienne du médecin qui se croit tout permis, puisqu’il a su déjouer une première fois la mort. Une autre fable très classique consiste d’ailleurs à s’interroger sur la différence qu’il y a entre Dieu et un médecin ? La réponse est bien sûr que Dieu ne s’est jamais pris pour un médecin… La capacité donnée au médecin de repousser une issue fatale ne lui donne pas nécessairement un droit (voire une obligation) à exercer cette capacité, au risque sinon de graves périls (sa propre mort dans notre conte, une mort symbolique dans la réalité ?). Comment tracer la limite entre ce qui est du juste soin (ce que l’on attend du médecin) et ce qui est une obstination Grosclaude Michèle, Réanimation et coma : soin psychique et vécu du patient, Elsevier Masson, 2002. Il faut bien sûr entendre ici, comme dans la première partie du conte des frères Grimm, le mot Dieu non pas dans une acceptation directement théiste, mais dans un sens métaphorique, dans lequel chacun reste libre d’y associer ses croyances personnelles … ou son absence de croyances. 17 18 Des problématiques aussi vieilles que l’homme déraisonnable (ce que l’on redoute du médecin). Souvent la frontière est terriblement floue. Mais n’est-ce pas ce que l’on attend d’un « bon » médecin que d’aller jusqu’à la limite, sans jamais la franchir ? La question du refus de l’obstination déraisonnable, terme désignant plus précisément le concept grand public d’acharnement thérapeutique, est au cœur de cet ouvrage, et surtout au cœur de la loi d’avril 2005, dite relative aux droits des malades et à la fin de vie. Elle est en relation directe avec la tentation de la toute-puissance qui guette tous les professionnels de santé, surtout quand ils prennent en charge des êtres humains affaiblis par la maladie et rendus vulnérables par l’approche de la mort. C’est bien à la loi de la République de protéger les citoyens de ce risque. Et c’est justement ce que fait la loi d’avril 2005. Nous allons nous efforcer de le démontrer. Mais encore faut-il rappeler que si nul n’est censé ignorer la loi, beaucoup ne connaissent pas suffisamment celle-ci. Un des objectifs de cet ouvrage est de mieux informer les citoyens, et ceux qui les soignent, des avancées que cette loi représente. Un autre objectif est de leur permettre de mieux comprendre les enjeux qui se cachent derrière les revendications d’un droit à la mort. De tout temps les hommes se sont débattus avec la complexité de certaines situations liées à la fin de vie. Déjà, dans Les Trachiniennes de Sophocle, presque 500 ans avant notre Ère, la question aporétique de la demande d’aide à mourir est évoquée clairement. Hercule ordonne à son fils Hyllos, de le tuer afin de soulager ses souffrances. Hercule est en effet atteint par d’horribles douleurs, provoquées par la tunique que lui a offerte son épouse. Celle-ci, jalouse de la nouvelle favorite de son mari, voulait le reconquérir en lui faisant porter ce vêtement magique, soi-disant enduit d’un philtre d’amour par le défunt centaure Nessus (tué justement par Hercule). Mais en fait, Cf. Geoffroy Marc, Un bon médecin, La Table Ronde, 2007. 2. Des problématiques aussi vieilles que l’homme c’est un poison mortel qui imprègne la tunique (réalisant ainsi la prophétie prédisant que c’est par la main d’un mort que périrait le héros des célèbres douze travaux !). Le poison dévore ses chairs et finit par avoir raison de son courage légendaire, l’amenant donc à préférer la mort à ces horribles douleurs. Et c’est vers son fils qu’il se tourne, pour obtenir sa « délivrance ». Il lui demande de l’immoler sur un bûcher au sommet du mont sacré de l’Œta, puisque seules les flammes de ce bûcher pourront le délivrer de son calvaire. Celui-ci est alors confronté à un dilemme éthique (aporétique) : doit-il obéir à son père et se rendre ainsi coupable de parricide ou refuser de commettre ce geste tabou, mais ne pas répondre au devoir sacré d’obéissance filiale. En voici un extrait significatif, dans la traduction française de R. Pignarre. HYLLOS. — Tu m’invites, ô mon père, à me faire ton meurtrier, à teindre mes mains de ton sang ! HÉRACLÈS. — Au contraire, j’attends de toi l’apaisement de mes souffrances : tu es mon seul médecin. HYLLOS. — Et comment te guérirais-je en te livrant aux flammes ? HÉRACLÈS. — Si cette idée te fait horreur, exécute au moins le reste. HYLLOS. — Je ne me refuserai pas à te porter là-haut. HÉRACLÈS. — Ni à dresser le bûcher, ainsi qu’il a été dit ? HYLLOS. — Excepté d’y mettre la main, je veillerai à tout, et tu n’auras rien à me reprocher. Déjà donc, dans la tragédie de Sophocle, Héraclès interpelle Hyllos comme son seul médecin (ἰατρός) tandis que Hyllos, s’il finit par céder aux demandes http://remacle.org/bloodwolf/tragediens/sophocle/Trachiniennes2. htm 19 20 Des problématiques aussi vieilles que l’homme de son père à le laisser mourir, ne peut se résoudre à souiller symboliquement ses mains du sang de son père. Il n’allumera pas le bûcher : c’est la limite qu’il ne peut franchir. Hyllos avait bien compris que laisser mourir, ce n’est pas pareil que faire mourir… Le souhait que meurt vite un être cher, soumis aux affres de l’agonie, n’est pas non plus une problématique récente. Ainsi on en retrouve la trace dans le récit de la mort d’un grand talmudiste, Rabbi Yehouda Hanassi. Le jour de la mort de Rabbi, les Sages décrétèrent un jeûne public afin de prier et d’empêcher la mort de Rabbi. Sa femme de ménage monta sur le toit et s’écria : « Ceux d’en haut réclament Rabbi et ceux d’en bas le réclament aussi, que ce soit Ta volonté que ceux d’en bas l’emportent ». Toutefois, quand elle vit la souffrance qu’endurait Rabbi à cause de ses épreuves, elle monta à nouveau sur le toit et dit : « Que ce soit Ta volonté que ceux d’en-haut l’emportent ». Cependant, les Sages n’arrêtaient pas de prier, empêchant l’âme de Rabbi de quitter le corps du Tsadik. La servante remonta sur le toit, prit une cruche en argile et la jeta du toit. En tombant, elle fit un bruit tel que les Sages, surpris, s’arrêtèrent de prier. À ce moment précis, l’âme de Rabbi retourna à son Créateur. 10 David Le Breton11, à propos de cet épisode, rapporte l’avis du rabbin Ernest Gugenheim : « Il est tout à fait licite de souhaiter la fin d’un malade qui souffre beaucoup, sans espoir de guérison, et on peut prier en ce sens. Témoin l’épisode de la mort de Rabbi. Cette prière euthanasique est licite car dans ce cas on ne s’arroge pas un droit réservé à Dieu, mais on lui adresse une requête. » Cet épisode peu connu de la tradition hébraïque apporte un éclairage très intéressant. Il permet de comprendre combien il est parfaitement « humain » qu’émerge le désir que la mort vienne délivrer un mourant. Le mot hébreu tsadik ( )קידצdésigne un homme juste. 10 www.hessedvedavid.com 11 Le Breton David, Anthropologie de la douleur, Éditions Métailié, 2006. 2. Des problématiques aussi vieilles que l’homme Mais, le désir euthanasique, à l’identique de la prière de la servante de Rabbi, s’il est donc profondément humain, ne justifie en rien, bien au contraire le passage à l’acte euthanasique et encore moins la banalisation de ce passage à l’acte transgressif par une autorisation explicite donnée par la loi. C’est bien le choix fait par le législateur français lors du vote de la loi d’avril 2005. 21 23 3. Ce qui a déclenché la procédure législative : la mort de Vincent Humbert Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. Guy Debord 24 Ce qui a déclenché la procédure législative Une tragédie en trois actes La loi d’avril 2005 a été conçue dans un contexte bien particulier : celui de « l’affaire Humbert » comme on a coutume de la nommer. Avant de se pencher sur le contenu de la loi, un rappel de ce contexte apparaît nécessaire. En fait, il existe plusieurs « affaires Humbert » dont l’imbrication, voire la confusion, a contribué à bien des approximations. Acte I : Vincent Humbert : « Je demande le droit de mourir. » Vincent Humbert était un jeune homme, vivant seul avec sa mère Marie Humbert, séparée de son mari depuis plusieurs années. Victime d’un très grave accident de la route en septembre 2000, il est secouru par ses collègues pompiers et admis en réanimation dans un contexte très péjoratif de poly traumatisme, dont un traumatisme cérébral très sévère. Il est plongé dans un coma qui va durer plusieurs mois. Suivant la filière classique de ce type de pathologie, il va finalement se retrouver au Centre Héliomarin de Berck-sur-Mer, dans un service spécialisé dans la psychoréhabilitation des patients comateux. C’est, selon l’histoire abondamment racontée dans les médias, sa mère qui va finalement mettre en évidence la capacité retrouvée de Vincent Humbert à communiquer par une pression de la main. En utilisant des techniques connues de communication avec des personnes dans ce type de situation (choix dune lettre après l’autre pour former des mots), Marie Humbert rétablit une communication avec son fils. La première exposition médiatique nationale de la situation tragique de Vincent Humbert remonte en fait au 16 décembre 2002, et à l’article paru dans France Soir. Il s’agit de la lettre écrite « sous la dictée » par une des membres de l’équipe (et « en cachette de sa mère ») par Vincent Humbert. Cette lettre est adressée au président 3. Ce qui a déclenché la procédure législative de la République d’alors, Jacques Chirac. Vincent Humbert lui réclame, au nom de son droit de grâce présidentielle, le « droit de mourir12 ». Rapidement c’est le quotidien Le Monde qui répercute et amplifie l’info, suivi par toute la presse. La « France profonde » est émue par la tragédie que vit ce jeune pompier, sauveteur et victime à son tour de la terrible violence routière. Paralysé, sans espoir, il est présenté comme une victime des médecins qui le maintiennent en vie contre son gré et lui refuse « le droit de mourir ». Mais comme pour toutes les « affaires » montées en épingle par notre société du spectacle, bien dépeinte par Guy Debord, les médias vont oublier rapidement l’histoire terrible de Vincent Humbert, et focaliser nos émotions sur d’autres spectacles tragiques. Ce n’est que quelques mois plus tard que va réapparaître, à la une, ce qui va maintenant constituer le second acte de la tragédie : l’affaire Marie Humbert. Acte II : Marie Humbert : « Je lui ai donné la vie, c’est à moi de la lui ôter. » Les premières apparitions médiatiques de Marie Humbert, remontent à la première poussée de fièvre médiatique, lors de l’envoi de la lettre à Jacques Chirac, fin 2002. Elle expose sa détresse face à la demande de son fils. Elle déclare alors à l’AFP : « En tant que maman, ne me demandez pas d’approuver. » Elle confie : « Je fais ce qu’il veut parce que je l’aime », puis elle ajoute : « il en a marre, il est très déterminé. Si cela ne se fait pas, on ira en Suisse ou en Belgique. » Après ce premier épisode, de nombreuses tentatives pour aider à une meilleure prise en charge de la situation de Vincent et Marie Humbert ont été mises en œuvre. 12 Cf. le texte complet de cette lettre sur www.collection-omega.fr 25 26 Ce qui a déclenché la procédure législative Le président Chirac et son épouse ont été touchés par le drame. Ils délèguent différents intervenants qui proposent d’organiser un retour à domicile, de traiter d’éventuels éléments dépressifs. L’équipe du Centre d’éthique clinique de Cochin (dirigé par Véronique Fournier, très soutenue par le médiatique Bernard Kouchner) est intervenue pour une « évaluation de la situation ». Rien n’y fait. Seule modification notable : Marie Humbert semble avoir totalement basculé du côté du désir « exprimé » par son fils : obtenir qu’il soit mis fin à ses jours. C’est son nouveau combat et elle va y mettre une détermination sans faille. Un journaliste, collaborateur occasionnel du Nouvel Observateur, Frédéric Veille, a pu pénétrer dans l’intimité du couple fusionnel mère-fils. À l’origine de la médiatisation nationale de la lettre de Vincent Humbert (initialement seulement reprise dans un quotidien local) c’est lui qui va « recueillir sous la dictée » les éléments du livre signé par Vincent Humbert. L’éditeur décide que sa sortie officielle aura lieu pour la date anniversaire de l’accident de Vincent Humbert et annonce par avance sur son site internet que l’auteur sera peut-être mort à cette date. Marie Humbert est devenue le principal sujet du drame. Une mère qui veut obtenir pour son enfant le soulagement de ses souffrances. Elle annonce, dans Le Parisien, l’euthanasie prochaine de son fils. Un acte mûrement réfléchi et préparé « depuis des mois », indique-t-elle. « La mort de Vincent est programmée maintenant. C’est moi qui vais l’aider à mourir. Je vais l’aider parce que personne n’a le courage de le faire et parce que c’est sa demande ». Elle dénonce l’acharnement thérapeutique qui a empêché son fils d’aller « au ciel » et précise « j’ai la mission d’aider à changer la loi, peut-être pour permettre l’euthanasie dans des cas identiques ». Elle témoigne dans le même sens dans une émission sur TF1 (Sept à Huit, le 21 septembre 2003). Comme elle l’a raconté à plusieurs reprises, elle va recevoir, mystérieusement, un colis postal contenant de quoi « donner satisfaction » à son fils. Il s’agit d’un flacon de penthiobarbital, barbiturique d’action rapide qui, ingéré, 3. Ce qui a déclenché la procédure législative provoque une mort rapide, précédée d’un coma profond.13 Suivant de toutes aussi mystérieuses instructions, elle va administrer ce produit dans la sonde de gastrostomie de son fils. La gastrostomie est l’introduction d’un tube dans l’estomac des patients incapables de s’alimenter et qui permet d’assurer leur nutrition artificielle. Après un délai qu’elle juge (à tort) suffisant – et peut être par une réaction paradoxale de sursaut de culpabilité – elle prévient ensuite l’équipe soignante du geste qu’elle vient de commettre. Aussitôt, et comme cela est parfaitement logique, la machine médicale va se déclencher. Le réanimateur de garde intervient et fait ce qu’il doit faire en pareil cas : il réanime. Et il fait bien son travail puisqu’il permet d’éviter la mort promise. Vincent Humbert est transféré dans le service de réanimation de celui qui va accéder à une célébrité éphémère en raison de cette affaire : le Dr Chaussoy. Le procureur de la République est saisi et engage des poursuites immédiates contre Marie Humbert, tandis que démarre le troisième acte du drame : l’affaire Chaussoy. Acte III : Le Docteur Chaussoy : « Je ne suis pas un assassin. » Confronté à une situation assez inhabituelle du fait de la surexposition médiatique (les journalistes campent devant l’hôpital) le Dr Chaussoy, responsable du service de réanimation s’occupe de Vincent Humbert. Il va réagir dans un premier temps d’une manière parfaitement adaptée. Il décide de prendre le temps de la réflexion pour savoir s’il convient ou non de mettre en œuvre ce qu’en réanimation on appelle une limitation ou arrêt des traitements actifs. Autrement dit : « Faut-il se battre à tout prix pour sauver la vie de Vincent Humbert ou doiton laisser la mort survenir sans acharnement inutile ou déraisonnable ? » En effet, celui-ci est dans une situation très précaire du fait de l’intoxication barbiturique provoquée par sa mère. L’hypotension sévère a provoqué 13 Il s’agit du même produit qui a servi à Chantal Sébire pour se suicider, produit utilisé par les associations d’aide au suicide en Suisse. 27 28 Ce qui a déclenché la procédure législative une mauvaise irrigation du cerveau et par voie de conséquence une altération des cellules cérébrale (alors qu’on se rappelle que le cerveau du patient était déjà très altéré par le traumatisme initial). La détresse respiratoire (liée à l’inhibition des centres de commande par les barbituriques) a nécessité une intubation (un tuyau a été introduit dans la trachée) et une ventilation assistée (une machine assure artificiellement la respiration). Dans ces conditions, faut-il donc continuer à réanimer ? Notons dès à présent que ce sera justement un des points clefs de la loi d’avril 2005 que d’organiser la procédure permettant de répondre à ce type de questions (comme on le verra plus loin). Suivant en cela les recommandations de la Société de Réanimation de Langue Française (SRLF) le Dr Chaussoy évoque la question lors d’une réunion d’équipe pluridisciplinaire. Pour le Dr Chaussoy, le patient a suffisamment fait savoir, par médias interposés, qu’il souhaitait mourir. Par contre la question de la culpabilité, tant morale que judiciaire, de Marie Humbert se pose. Si on laisse mourir son fils, quel sera son sort ? D’autre part le patient est jeune, il peut s’en sortir, mais avec quelles nouvelles séquelles neurologiques ? Finalement la décision est prise : on va procéder à une limitation des traitements. Cela signifie que tous les moyens actifs de maintien en vie vont être stoppés. La décision, rendue publique, est approuvée par un communiqué commun de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs) et de la SRLF (Société de Réanimation de Langue Française)14. Concrètement le respirateur (machine qui provoque la respiration artificielle) est stoppé. En l’absence d’une respiration naturelle cela implique normalement le décès rapide du patient qui ne sera plus alors maintenu artificiellement en vie. Lors de ces procédures, toujours particulièrement difficiles pour les équipes sur le plan émotionnel, les recommandations sont très claires : il faut administrer un traitement sédatif afin d’éviter toute souffrance ou signes pouvant être interprété 14 Cf. le texte sur www.collection-omega.fr 3. Ce qui a déclenché la procédure législative comme témoignant d’une telle souffrance. Le produit recommandé est une benzodiazépine (le midazolam) qui en raison de ces propriétés pharmacologiques est parfaitement adapté à ces situations. Le Dr Chaussoy connaît ces recommandations, comme il en témoigne explicitement dans son livre15. Cependant, de manière assez inexplicable, ce n’est pas la procédure qu’il va suivre. Il pratique d’abord une injection de thiopental, barbiturique utilisé en anesthésie, très voisin du produit administré à doses massives par sa mère. Dans ce contexte, c’est un choix étonnant. Comme cela était parfaitement prévisible, et probablement du fait d’une hyperactivation du catabolisme hépatique (destruction accélérée du médicament par le foie), le produit s’avère inefficace. Après l’arrêt du respirateur le patient se met à avoir des mouvements respiratoires spontanés désordonnés. C’est alors que le Dr Chaussoy commet ce qu’il faut bien appeler une faute professionnelle incompréhensible. Au lieu de recourir au midazolam (comme il aurait pu et dû le faire dès le début) il va injecter une quantité massive de chlorure de potassium afin de provoquer un arrêt cardiaque immédiat. Cette pratique est formellement prohibée par la loi et le code de déontologie (puisqu’il s’agit bien alors de provoquer délibérément la mort) et également de matière très explicite par les recommandations professionnelles des réanimateurs16. Le Dr Chaussoy le reconnaît d’ailleurs dans son livre. Pour sa défense il explique que lui reprocher cette injection létale est une hypocrisie et que peu importe la façon dont est finalement mort Vincent Humbert, puisque la décision de le laisser mourir était légitime. On reviendra plus loin sur ce raisonnement qui pose des questions morales importantes. Au total, ce qui sera reproché par la justice au Dr Chaussoy est bien d’avoir provoqué artificiellement la mort de son patient par l’administration du potassium. 15 Chaussoy Frédéric, Je ne suis pas un assassin, Éditions Oh !, 2004. 16 Les limitations et arrêts de thérapeutique(s) active(s) en réanimation adulte, SRLF., 2002. 29 30 Ce qui a déclenché la procédure législative Il a finalement fait l’objet d’une ordannance de non-lieu pour ce chef d’inculpation. La justice a donc tranché et on ne saurait revenir sur une décision de justice. Rappelons simplement que personne n’a reproché au Dr Chaussoy la décision de ne pas poursuivre la réanimation de ce patient. La défense du Dr Chaussoy a su très habilement occulter le véritable chef d’inculpation pour mettre en avant le geste courageux d’un médecin osant ne pas poursuivre un épouvantable acharnement thérapeutique. Ainsi accusé d’une faute, il s’est défendu d’une autre, que nul ne lui reprochait. Il a ensuite adopté une posture « héroïque » devenant un des chevaliers de la cause de la légalisation des injections létales en France. Souhaitons-lui en tout cas que le retour à l’anonymat, que rien ne le prédestinait à quitter, lui ait apporté la sérénité nécessaire à un réexamen de ce qui s’est passé et une réflexion approfondie sur les enjeux éthiques mobilisés par la pratique de la réanimation. Les moindres de ces enjeux ne sont ni la tentation de la toutepuissance et le sentiment de pouvoir exercer un droit de vie et de mort, ni celle de vouloir à tout prix justifier a posteriori ce qui apparaît à l’évidence comme une erreur pour continuer à faire croire aux autres et à soi-même que l’on est infaillible. De nombreuses interrogations sur la réalité des faits rapportés Dans cette affaire, de nombreux points restent à éclaircir ou à préciser. Vincent Humbert était paralysé, non pas en raison d’une tétraplégie, comme cela a souvent été rapporté, mais par une double hémiplégie. La différence est plus importante qu’il n’y paraît. Dans le cas de la tétraplégie, le cerveau est intact, c’est la moelle épinière qui est atteinte. Il existe à son niveau une interruption des voies nerveuses qui empêche aussi bien de sentir (atteinte des voies sensitives) que de bouger (atteinte des voies motrices) les parties du corps sous jacentes au traumatisme médullaire. Si l’atteinte est au niveau dorsal on constate une paralysie des membres inférieurs (paraplégie) ; si l’atteinte est au niveau cervical ce 3. Ce qui a déclenché la procédure législative sont les quatre membres qui sont paralysés (tétraplégie). Au contraire dans le cas de l’hémiplégie, c’est bien le cerveau qui est atteint : précisément une partie du cerveau (l’aire corticale motrice). Et la moitié du corps correspondant (la partie opposée à la lésion : l’hémicorps droit en cas d’atteinte dans la partie gauche du cerveau) ne peut plus bouger. Dans le cas de Vincent Humbert ce sont donc les parties droites et gauches du cerveau commandant la motricité avaient été touchées par le traumatisme. Cette double atteinte cérébrale explique donc une double hémiplégie séquellaire. Rien à voir avec un cas de tétraplégie, ni avec une autre atteinte neurologique très particulière, le lockin syndrom (comme par exemple pour l’auteur du livre Le Scaphandre et le Papillon17) dans laquelle le cerveau est également intact. Vincent Humbert présentait des atteintes majeures du tissu cérébral, en lien avec la violence du traumatisme initial. Les spécialistes de ce type de pathologies savent bien qu’avec de tels dégâts cérébraux il est particulièrement difficile d’imaginer que Vincent Humbert ait réellement pu écrire (dicter lettre après lettre selon l’histoire racontée) les deux cents pages du livre Je vous demande le droit de mourir. À défaut de vouloir enquêter sur qui avait réellement rédigé le livre, et dans quelle intention, il était bien plus facile de reprendre avec le chœur médiatique le terme de « tétraplégie » et de laisser se faire des comparaisons indues (avec l’écriture du livre de Jean-Dominique Bauby). Il aurait fallu sinon se poser la question bien dérangeante de savoir comment un jeune homme de vingt-cinq ans, gravement cérébrolésé, a pu reprendre pratiquement mot à mot des argumentaires très élaborés d’associations favorables à la légalisation de l’euthanasie. Alors qu’il est peu probable qu’il ait porté un intérêt quelconque à ces questions avant son accident. 17 Bauby Jean‑Dominique, Le Scaphandre et le Papillon, Éditions Robert Laffont, 1997. 31 32 Ce qui a déclenché la procédure législative Le témoignage d’un de ses kinésithérapeutes est ainsi passé totalement inaperçu dans un premier temps avant d’être médiatisée plusieurs années plus tard, par l’intermédiaire d’une association pro-vie de catholiques fondamentalistes (ce qui en a largement brouillé le message) 18 . Un mois après la mort de Vincent Humbert, dans une tribune libre publiée dans un hebdomadaire local (Le Réveil de Berck du 26 octobre 2003), Hervé Messager adressait « un hommage à Vincent » aussi troublant que touchant (reproduit in extenso ci-dessous). On comprend à sa lecture que n’allant pas dans le sens du roman abondamment raconté à longueur de colonnes et d’antennes, il est passé totalement inaperçu19. Vincent, Tu accepteras, j’en suis sûr, que je te parle aujourd’hui, même si tu ne peux plus me répondre ; on a tant parlé… avant. Tu ne m’en voudras pas, non plus, de dire que tu étais devenu exigeant, tant pour la place millimétrée de ta têtière et de ton pied gauche que pour l’horaire précis de ta séance de rééducation ! Tu m’accorderas de préciser, j’en suis certain, que ton handicap avait une origine cérébrale te rendant doublement hémiplégique (et non tétraplégique) et que tes décisions, si réfléchies soient-elles, étaient empreintes de persévérations dont tu n’étais pas maître à cause justement de ton atteinte cérébrale. 18 SOS Fin de vie, présidée par le Dr Mirabel, animateur de mouvements anti IVG, association membre de l’Alliance pour les Droits de la Vie, très marquée sur le plan idéologique. 19 L’ensemble de son témoignage, rédigé en 2007 est disponible par l’intermédiaire du site www.collection-omega.fr dans la partie consacrée au présent ouvrage. 3. Ce qui a déclenché la procédure législative Tu reconnaîtras sans nul doute que nous en avons ri ensemble et que tu m’avais promis une dédicace de ton livre en reconnaissant ne l’avoir que suggéré mais non écrit, et dont tu ne connaissais, le 23 septembre dernier, que les quelques lignes que l’on a bien voulu te lire. Et tu m’autoriseras probablement à dire que ton choix de mourir n’était qu’un appel à l’aide et le simple désir réel d’un avenir différent dont tu avais si peur que tu n’en voulais connaître aucune alternative. De tout cela, tu n’es pas responsable mais la médiatisation fut si forte que même ta maman s’y est noyée en oubliant ta vie et en te faisant culpabiliser de celle qu’elle menait. Je ne sais où tu es maintenant mais je ne peux oublier le son de tes rires quand ensemble on blaguait et que je te traitais de « tâtasse » à chacune de tes exigences, même si je les comprenais. Je t’aimais bien, tu sais ; mais ce qui me rend triste et révolté aujourd’hui, c’est de savoir que beaucoup de monde s’est servi de ta souffrance morale pour faire de ta mort un hymne à l’euthanasie alors que ta seule demande était, à défaut d’un suicide assisté, la simple aspiration à une vie différente, voire meilleure. Mais l’inconnu, aussi, te faisait peur et tu le refusais. Je ne supporte pas ces médias et associations qui ne t’ont pas connu mais ont provoqué ton destin fatal parce qu’il leur ferait vendre leur soupe. Aujourd’hui, ils t’ont oublié ; seul le classement des meilleures ventes de la semaine nous a rappelé ce matin la deuxième place du livre qui porte ton nom. Encore un peu plus d’argent dans l’escarcelle de ton éditeur et des futurs profiteurs potentiels… Mais ta vérité, je la connais… On en a parlé, si souvent. Malheureusement, la seule vérité qui soit bonne est celle qui arrange tout le monde… 33 34 Ce qui a déclenché la procédure législative 3. Ce qui a déclenché la procédure législative Celle qui t’est attribuée ne m’arrange pas… Si mon opinion et ma certitude sont aujourd’hui publiées, c’est qu’au moins quelqu’un a cru au respect que j’ai de ta mémoire et à la tristesse que je ressens. Étant donné l’impact qu’a eu cette affaire sur nos concitoyens, il serait souhaitable qu’un jour, un véritable travail d’investigation soit mené pour tenter d’éclairer les nombreuses zones d’ombre qui demeurent. Paix à ton âme, si cela existe, et excuse-moi de n’avoir su faire mieux. Un nécessaire décryptage en trois dimensions D’autres témoignages de membres de l’équipe qui prenait Vincent Humbert en charge à Berck (parus notamment dans Le Quotidien du Médecin20) n’ont pas davantage attiré l’attention, car d’évidence trop à contrecourant de la thèse « officielle » racontée aux médias. « Les gens ont tous adhéré à la présentation des médias sans bien comprendre nos problèmes et notre travail. Alors on est tous en rébellion contre certaines choses qui sont dites. On se demande jusqu’où ils vont aller ? » (Mme Guillemotto, cadre infirmier du service). Le Dr Rigaux, chef de service, témoigne également dans cet article : Les derniers jours la médiatisation galopante a fini par faire baisser les bras à l’équipe. Le plan média était tellement énorme et bien orchestré que les médecins ont eu très vite l’intime conviction qu’un mouvement militant très expérimenté dirigeait de l’extérieur les opérations. (…) C’est le règne de la pensée unique. Et tant pis si, en s’alignant comme un seul homme les télévisions passent par pertes et profits notre métier, sans jamais se demander si Vincent ou sa maman n’avaient pas pu être eux-mêmes les victimes d’une instrumentalisation. Étaient-ils réellement libres de leur choix ou victimes de manipulateurs profitant de leurs fragilités respectives ? Quel dommage que ces propos, tenus moins d’une semaine après la mort de Vincent Humbert, comme ceux d’Hervé Messager, soient restés totalement sans échos. 20 Mort de Vincent Humbert : ce qui n’a pas été dit, Article du 1er octobre 2003. Un décryptage des questions soulevées par ces trois affaires intriquées apparaît indispensable. En effet c’est bien dans l’émoi de l’opinion publique que se trouvent les racines de la loi de 2005. Loin de la rigueur rationnelle nécessaire, l’opinion a été entraînée dans une mélasse émotionnelle la conduisant à des conclusions forcément erronées. Choquée par le sort tragique de ce jeune homme, émue par l’opiniâtreté d’une mère à tout sacrifier pour son enfant fauché par un sort funeste, convaincue par le choix d’un médecin « à visage humain » décidant de ne pas s’acharner à faire vivre « un légume », cette opinion publique (conduite par les médias comme le peuple par le coryphée dans la tragédie grecque) ne pouvait que dire son adhésion aux thèses sous jacentes. Oui décidément – leur faisait-on penser - il faut que la France se dote d’un arsenal législatif permettant que des telles situations ne puissent plus exister. Certains prétendaient rendre le chômage illégal, ici c’est la souffrance, la tragédie, et pourquoi pas l’agonie, qu’il convenait d’interdire par la loi ! Avec le recul des années, tentons donc une première esquisse de ce nécessaire décryptage, en essayant notamment de voir en quoi l’influence de ces trois affaires a été si importante dans l’élaboration de la loi de 2005. Vincent Humbert et les questions de l’acharnement thérapeutique et d’un « droit au suicide » L’affaire « Vincent Humbert » proprement dite pose essentiellement deux questions. La première est celle de l’obstination déraisonnable : l’acharnement thérapeutique, selon le langage courant. Maintenu en vie artificiellement, contre sa volonté, 35 36 Ce qui a déclenché la procédure législative Vincent Humbert a incarné pour l’opinion une forme archétypale de cet acharnement thérapeutique. Celuici est une des craintes majeures entretenues vis-à-vis du pouvoir médical depuis que la médecine a cessé d’être impuissante face à la maladie. Caractéristique d’une dérive scientiste, l’obstination déraisonnable consiste à oublier le sujet derrière l’objet de soins. Le maintien en vie « coûte que coûte » (le coût est ici humain et non économique) est la crainte justifiant la plupart des opinions favorables à la « légalisation de l’euthanasie ». Il représente la dérive du pouvoir médical absolu – longtemps incarné par le paternalisme médical. Le médecin sait mieux que le malade ce qui est bon pour lui. Et il vaut mieux, pour le médecin, que le malade soit vivant que mort. On le verra, la loi de 2005 représente à cet égard un tournant fondamental : elle va rendre l’obstination déraisonnable illégale et obliger les médecins à ne pas s’en rendre coupables. La seconde question posée par Vincent Humbert est celle d’un « droit au suicide » que pourraient réclamer certains citoyens incapables physiquement de mettre en œuvre cette liberté individuelle fondamentale que chacun d’entre nous peut normalement mettre en œuvre : le suicide. Incapable, du fait de son handicap physique majeur de mettre fin et ses jours, et désireux d’en finir avec ce qu’il considérait être un calvaire, Vincent Humbert réclamait donc « le droit de mourir ». En s’adressant au Président de la République pour lui demander d’exercer son « droit de grâce » (comme on parle du « coup de grâce ») il interpellait effectivement la société sur une question complexe. Dans la confusion entre ce « droit au suicide » et la demande d’une légalisation des injections létales en fin de vie, l’affaire Humbert n’a pas réellement permis de clarifier ce débat. Il faudra attendre d’autres « affaires » (Maia Simon, et surtout Chantal Sébire) pour que la distinction entre ces problématiques ne commence à apparaître dans les médias21. 21 Lire à ce sujet en annexe, l’article écrit avec Louis Puybasset : L’histoire tragique de Mme Sébire ne doit pas ouvrir un droit au suicide, paru dans Le Figaro, le 19 mars 2008. 3. Ce qui a déclenché la procédure législative Le Dr Chaussoy : comment doivent être mises en œuvre les décisions de limitation ou d’arrêt des traitements de réanimation ? La première question soulevée par l’affaire Chaussoy est celle de la façon de décider la limitation ou l’arrêt de traitements actifs de maintien artificiel en vie. On l’a vu, la réanimation est une discipline médicale récente (milieu du XXe siècle). Confrontés directement au pouvoir faustien et aux limites à ne pas franchir impunément, les réanimateurs se sont rapidement penchés sur les enjeux éthiques de leurs pratiques. Le devoir du réanimateur est de réanimer (en laissant la priorité au maintien en vie en cas de doute sur la situation). Mais il doit prendre en considération les éventuelles conséquences de ce maintien artificiel en vie pouvant conduire à un maintien en vie artificielle, dans des conditions ni souhaitées, ni souhaitables. La réanimation « dans le doute », loin de bénéficier au patient chez qui « tout a été tenté », peut parfois entraîner une situation particulièrement difficile, à l’image par exemple des états végétatifs chroniques. Bien avant le vote de la loi, les réanimateurs avaient compris que malheureusement (ou heureusement ?) nulle formule mathématique ne permettait de résoudre à coup sûr ce type d’équation complexe, cet équilibre fragile à trouver au cas par cas entre tout ce qui est possible et ce qui est réellement souhaitable. Il est clair que la décision la plus sage n’est pas celle prise par un seul individu, fut-il le plus grand savant du monde, mais bien celle prise collectivement en écoutant l’avis de chacun et en tentant de trouver un consensus. C’est le sens des recommandations élaborées par la SRLF22 en 2002. C’est bien ce que le Dr Chaussoy a très justement mis en œuvre pour savoir si, oui ou non, il fallait « s’acharner à réanimer » Vincent Humbert, alors que sa situation était critique. Cette façon de prendre une décision après une discussion à plusieurs (la décision collégiale) est celle qu’imposera la loi de 2005, lorsque le patient ne peut décider de ce qu’il souhaite pour lui-même. La seconde question posée par l’affaire Chaussoy est 22 S.RLF. ou Société de Réanimation de Langue Française. 37 38 Ce qui a déclenché la procédure législative la façon dont doivent être mises en œuvre les limitations ou arrêt de traitement de maintien artificiel en vie quand elles sont décidées. Le raisonnement du Dr Chaussoy est très simple (voire simpliste). À partir du moment où la décision est prise de ne pas tout mettre en œuvre pour maintenir artificiellement en vie, la mort étant inéluctable, autant alors qu’elle survienne le plus vite possible, et par tout moyen à disposition du médecin. Il l’explique dans son livre23 et le reprécise dans une interview à Libération parue le 3 janvier 2006 : « Le produit ne change rien. En débranchant le respirateur, on a arrêté la vie. Bien sûr, on aurait pu injecter de la morphine24. Mais il ne souffrait pas. Il était dans le coma . La prochaine fois, je prendrai une seringue électrique de je-ne-sais-quoi. Avec l’électrique ce n’est même pas moi qui pousse. (…) On s’en fout. Ce qui compte, c’est la décision, difficile à prendre. Après, la fin de vie doit être le plus digne possible. » J’avais déjà pointé les effets paradoxaux d’une telle analyse lors d’une interview avec Sandrine Blanchard pour le quotidien Le Monde du 12 juillet 2006. « Dans l’affaire Vincent Humbert, on nous dit que provoquer la mort avec du chlorure de potassium (qui provoque un arrêt cardiaque), c’est la même chose que laisser mourir le patient, puisque le résultat est le même… Mais imaginez que le docteur Chaussoy ait étranglé Vincent Humbert pour mettre fin à ses souffrances : aurait-on fait la même analyse ? » Je n’ai jamais eu de réponse, ni du Dr Chaussoy, ni des autres partisans de ces méthodes radicales pour l’accompagnement de fin de vie « dans la dignité ». Dans la loi d’avril 2005, le législateur va apporter d’autres 23 Opus cité, pp. 126-128. 24 Ce n’est pas un antalgique comme la morphine qu’il aurait fallu utiliser mais bien un sédatif anxiolytique, le midazolam. À la lecture de cet entretien on peut se demander, si comme il l’affirme ici, « il ne souffrait pas, il était dans le coma », quelle était l’urgence à arrêter d’un coup de revolver chimique – le chlorure de potassium – la vie de Vincent Humbert, jugé incapable de respirer par lui-même et dont la mort allait donc survenir à brève échéance. À moins d’avoir voulu à tout prix endosser sa mort, pour éviter que la charge n’en pèse sur les épaules de sa mère. 3. Ce qui a déclenché la procédure législative réponses, plus complexes, certes, mais plus satisfaisantes, tant pour le patient et son entourage que pour les équipes soignantes en charge de leur mise en œuvre. Les médecins vont ainsi avoir l’obligation d’accompagner les malades et leurs familles durant le temps de « laisser mourir » qui ne devra jamais être celui du « faire mourir ». Marie Humbert : les ressorts classiques de la tragédie Quand aux mécanismes qui sous-tendent l’affaire « Marie Humbert », ils sont d’une nature encore différente. Il s’agit, comme dans la tragédie grecque, de mettre en scène les drames de la destinée humaine, en faisant appel à l’émotion du spectateur, plus qu’à sa raison. Ainsi, comment ne pas évoquer à son propos, le mythe de Médée, poussée par les circonstances à sacrifier ses enfants. Ce n’est pas tant la Médée du latin Sénèque qui nous intéresse ici, mais la version plus ancienne du grec Euripide. En effet, dans la tragédie latine, elle est dépeinte comme principalement animée par sa blessure narcissique de femme bafouée. Jason, le père de ses enfants, héros de l’épopée des Argonautes, la répudie pour une autre femme plus jeune, et d’un rang social plus favorable à ses intérêts. Elle va alors choisir de tuer, en un sanglant sacrifice, les enfants qu’elle a eus avec Jason, pour se venger et faire souffrir le mari volage. Mais la Médée d’Euripide s’inquiète également pour le sort de ses enfants. Elle craint que ceuxci ne se retrouvent parias, exilés, après le remariage de leur père qui leur préférera sans doute les enfants nés de sa nouvelle couche. Cette mère, possessive et fusionnelle, ne peut accepter la déchéance sociale de ses enfants (la perte de leurs dignités au sens grec), du fait des aléas de la vie. Prise par sa folie passionnelle, épuisée par le tourbillon des événements qu’elle ne contrôle pas, c’est donc au motif de « sauvegarder leur dignité » qu’elle va choisir de les sacrifier. On laisse le lecteur voir en quoi cette version grecque nous interpelle dans ce contexte particulier25. 25 Les psychanalystes ont beaucoup travaillé sur des situations similaires à ce thème mythologique. Voir par exemple : Depaulis Alain, Le complexe de Médée - Quand une mère prive le père de ses enfants, Boeck, 2008. 39 40 Ce qui a déclenché la procédure législative Marie Humbert nous a bien été présentée, dans cette dramaturgie moderne, dans la situation d’avoir à choisir de provoquer la mort de son fils plutôt qu’accepter sa déchéance. Elle aurait agi pour défendre ce qui représentait pour elle les intérêts de celui-ci. « Puisque Vincent réclamait la mort, c’était bien à moi, qui lui ait donné la vie de la lui retirer » a-t-elle expliqué à tous ceux qui voulaient l’entendre. Applaudissant à ce sophisme, le grand public entame alors, sous la houlette du coryphée moderne que sont les mass-médias, les louanges de son courage ! Elle s’impose comme un personnage emblématique d’une moderne (mais éternelle) tragédie mobilisant l’émotion de toutes les mères, légitimement bouleversées par sa tragique destinée. Fragile et émouvante, Marie Humbert a ainsi incarné la Mater Dolorosa moderne d’une Pietà revisitée. Elle utilise les médias comme une forme de résilience et elle est utilisée par eux pour produire de l’émotion à bon compte. Mais, revers de la médaille, son statut d’icône médiatique la transforme, pour l’opinion publique, en une référence morale. Elle devient une sorte d’oracle, dont les sentences concernant les situations dramatiques dont elle était une des victimes, s’imposent sans discussion possible26. C’est ce qu’avaient bien pressenti les partisans d’une légalisation de l’euthanasie qui ont trouvé en elle un porte-parole aussi idéal qu’inespéré27. Il aurait été sacrilège alors (et peut-être l’est-ce encore aujourd’hui ) d’oser s’attaquer à la totale vacuité de son discours et à ses incohérences itératives. Ainsi elle a déclaré être opposée à toute euthanasie tout en réclamant qu’une loi (portant le nom de son fils, évidemment) autorise le « geste d’exception » qu’elle avait commis. Invoquant régulièrement cette notion d’exception d’euthanasie, elle semble n’avoir jamais pris réellement connaissance 26 Elle sera ainsi très présente dans les médias lors du procès de Périgueux en 2007, ou à propos de l’affaire Sébire en 2008, cf. plus loin. 27 Une première tentative avec Christine Malèvre, l’infirmière de Mantes‑la‑Jolie, qui achevait ses malades sans leur demander leur avis, ne s’étant pas avérée efficace. 3. Ce qui a déclenché la procédure législative des subtilités de l’avis 63 du Comité consultatif national d’éthique, qui a mis en avant ce concept. Elle n’en a visiblement retenu qu’une exégèse simplificatrice. Si elle a confié avoir eu le sentiment d’être manipulée par les partisans d’une légalisation de l’euthanasie28, elle a ensuite démenti ses propos. Elle a servi de caution et de symbole à l’association Faut qu’on s’active dont le rôle exact au profit de la carrière politique de son principal animateur reste à étudier. Prise dans la frénésie émotionnelle générée par ses interventions, plusieurs centaines de milliers de citoyens ont signé une pétition en faveur d’une loi Vincent Humbert29. L’enquête judiciaire s’est terminée en février 2006, pour Marie Humbert comme pour le Dr Chaussoy, par une ordonnance de non-lieu. Mais les termes exacts de l’ordonnance de la juge d’instruction Anne Morvan n’ont pas fait l’objet d’explications complètes pour le grand public. Aurait-il donc été gênant de faire savoir ce qu’elle concluait à propos de l’égérie de la légalisation de l’euthanasie ? Aurait-il été contre-productif à la cause qu’elle incarnait qu’elle y soit, par exemple, décrite comme « atteinte d’une dépression majeure mélancoliforme confirmée par le médecin psychiatre » et sous l’emprise, contrairement à ses dénégations « d’un traitement médical lourd composé d’un anti épileptique, d’anxiolytiques, d’antidépresseurs et d’un somnifère » et qu’ainsi « elle se trouvait au moment des faits privée de son libre arbitre » ? Dans son article du 1er mars 2006, le journal Le Monde donne bien de courts extraits de cette ordonnance, mais ceux-ci semblent renforcer l’idée que la juge d’instruction comprend, si ce n’est approuve, la décision de cette mère ne faisant qu’obéir à son fils. 28 Entretien accordé au journal Le Parisien, le 6 mars 2007 : « Je me suis rendu compte que j’avais été manipulée, pour défendre une cause qui me dépassait. L’impact médiatique était tel que j’étais dépassée par la situation. » 29 Présentée à l’occasion du premier anniversaire de la tentative d’empoisonnement de Vincent Humbert par sa mère, le 24 septembre 2004. La première signataire de la proposition de loi fut évidemment … Marie Humbert. Analyse de cette « Loi V. Humbert », dans le dernier chapitre. 41 42 Ce qui a déclenché la procédure législative Ce n’est qu’à la lecture du texte exhaustif de l’ordonnance de non-lieu, qui a circulé « sous le manteau »30 que l’on comprend la colère de Marie Humbert face à cette décision de justice. Officiellement elle explique que cela la prive de l’acquittement médiatique qui lui était promis, devant le jury populaire d’une cour d’assises forcément acquis à sa cause (curieuse conception de la justice). Elle fait cette étonnante déclaration : « J’avais fait une chose qui était hors-la-loi, je devais être punie. Et maintenant voilà : ils disent non-lieu. Ils veulent se débarrasser de la chose. » En fait, il semble que si les motifs explicites de ce non-lieu étaient portés à la connaissance du public, cela constituerait une atteinte inacceptable pour l’icône qu’elle a décidé d’incarner. Loin d’une mère-courage, c’est une femme seule, épuisée, dépressive, dépassée par les événements et la volonté tyrannique d’un fils lui imposant cette terrible épreuve, que la justice décide de ne pas poursuivre pour ne pas l’accabler davantage. Comme le souligne fort justement le communiqué de l’ADMD31 « cette ordonnance de non-lieu, avec ses motivations scandaleuses, jette le plus total discrédit sur le combat mené par Vincent Humbert et relayé par sa mère ». C’est parfaitement vrai, et on ne saurait mieux dire. Mais, heureusement pour Marie Humbert et l’ADMD, malheureusement pour les amateurs de vérités, ce texte n’est donc pas public. Il est intéressant de revenir sur les mécanismes médiatiques qui sous-tendent cette affaire. On y retrouve des ingrédients similaires à ceux mis en œuvre dans les émissions dites de téléréalité. D’une part des velléités individuelles expiatoires mettent en jeu des phénomènes de résilience. D’autre part, une récupération de ces situations permet de délivrer un « prêt à penser » via des solutions simplistes. Ce qui compte ici, n’est pas la 30 Protégée par le respect de la vie privée, elle n’est pas officiellement disponible. 31 Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, indéfectible soutien de tout ce qui concourt à une légalisation de l’euthanasie et du droit au suicide. Communiqué publié à propos du non-lieu dans l’affaire Humbert-Chaussoy. 3. Ce qui a déclenché la procédure législative profondeur du raisonnement ou sa valeur, mais sa capacité à être immédiatement adopté comme une évidence par la « ménagère de moins de cinquante ans », chère aux fils de pub. À ce propos, il est intéressant de rappeler ce que déclarait en 2004 Patrick Le Lay, P.D.G. de TF132 : Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (...). Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise. Là encore, on ne peut qu’évoquer la similitude entre le rôle du coryphée, chef du chœur dans la tragédie grecque, et celui des médias dans ces tragédies modernes du quotidien que nous racontent les grand- messes du JT. C’est donc fort logiquement que la société de production de Christophe Dechavanne a acheté les droits de cette histoire pour en tirer un téléfilm hagiographique appartenant au genre dit docu-fiction, mêlant habilement réalité et réécriture des faits. Il s’agit bien de boucler la boucle. « Marie Humbert, l’amour d’une mère », diffusé à une heure de grande écoute sur TF1, va permettre d’inscrire dans notre mémoire collective une histoire débarrassée de tout ce qui pourrait jeter un trouble dans la démonstration. Ainsi le mythe viendra se substituer définitivement à la réalité qui en est à l’origine. L’analyse sans concession de l’affaire Marie Humbert n’enlève rien, bien au contraire, au respect dû à sa souffrance, encore sûrement bien vive aujourd’hui. Il n’est pas sacrilège, cependant, de rappeler que cette souffrance 32 Interrogé parmi d’autres patrons dans le livre Les dirigeants face au changement, Éditions du Huitième jour, 2004. 43 44 45 Ce qui a déclenché la procédure législative n’est ni plus ni moins respectable que celle de tant de femmes et d’hommes, touchés eux aussi par d’horribles tragédies de la vie quotidienne. Chacun à leur façon, les trois acteurs principaux de la tragédie ont donc contribué à l’émergence des questions auxquelles la loi d’avril 2005 va répondre. Le personnage de Vincent Humbert a permis de poser celle de la nécessaire prééminence de l’avis du patient sur ce qui constitue une obstination déraisonnable, par rapport à l’avis des médecins. Celui du Dr Chaussoy a conduit à une réflexion sur la complexité des procédures à mettre en œuvre pour prendre une décision d’arrêt de l’obstination déraisonnable quand le patient n’est plus en situation d’en juger par lui-même, ainsi que sur les conditions de mise en œuvre pratique de telles décisions, dans le respect de la dignité ontologique du patient. Enfin, il est probable que, sans le personnage de Marie Humbert, ces questions n’auraient pas suscité des approches législatives aussi précises (en tout cas sûrement pas dans un délai aussi rapproché). 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 Penser est facile, agir est difficile, mais agir selon sa pensée est ce qu’il y a au monde de plus difficile. Léonard de Vinci 46 Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 C’est dans le contexte si particulier des affaires Humbert, qu’a été constituée en 2003 la mission d’information parlementaire sur l’accompagnement de fin de vie. La présidence en est confiée à Jean Leonetti, médecin cardiologue et député-maire d’Antibes. Entre 2003 et 2004, cette commission, qui rassemble une trentaine de députés de tous horizons politiques, va travailler, auditionner et finalement faire une proposition de loi. Celle-ci va être adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, puis par le Sénat, pour être promulguée le 22 avril 2005. Comme nous le verrons, la loi a tenté de trouver des réponses sages aux questions cruciales posées par l’acharnement thérapeutique et les modalités de décision et de mise en œuvre des limitations ou arrêts de réanimation. Elle a, par défaut, répondu négativement à la demande de reconnaissance d’un droit au suicide, posée par Vincent Humbert. Par ailleurs, et malgré la pression médiatique, elle a su éviter l’écueil de vouloir répondre à une situation particulière pour poser le cadre d’une approche originale, celle du double refus du « faire mourir » et du « laisser crever »33. La loi rend l’acharnement thérapeutique illégal Face à l’émoi médiatique, les parlementaires se sont attachés à traiter ce qui apparaît en fait comme la principale raison de la crise de confiance couvant entre les citoyens et le monde médical : la crainte de subir un acharnement thérapeutique. Ce qui dans les enquêtes d’opinion semble principalement justifier la volonté d’une loi permettant « de choisir sa mort » est bien la crainte de devenir un cobaye sans défense, victime de médecins préoccupés par d’autres motivations que l’intérêt du malade : celui de la Science par exemple. C’est peut-être une séquelle inattendue des horreurs pratiquées par les médecins nazis 33 Cf. Leonetti J., Laisser mourir, ce n’est pas laisser crever, paru dans Libération, les 6 et 7 septembre 2008. 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 utilisant sans vergogne le « matériel humain » mis à leur disposition pour faire « avancer la science »34. Chacun sent confusément que ce risque de dérives existe. C’est bien à la loi de protéger le citoyen d’éventuels dérapages de médecins se prenant pour des apprentis sorciers (repensons au conte du prologue). Sans aucun doute ce sont là des dérives injustifiables qui ont conduit nos concitoyens à un sentiment de méfiance vis-à-vis de ceux qui, pourtant, sont chargés de veiller sur leur santé. Certes, le Code de déontologie médicale prohibe depuis longtemps ce qu’il nomme obstination déraisonnable. Ce terme est d’ailleurs plus exact que celui d’acharnement thérapeutique, retenu par le langage courant. Stricto sensu c’est bien ce qu’on attend du médecin, que de s’acharner à traiter, et de ne pas abandonner trop vite le combat contre la maladie et ses symptômes, si elle peut-être guérie ou s’ils peuvent être soulagés. Par contre s’obstiner au-delà du raisonnable, ne plus utiliser l’outil de la raison pour fixer les bornes de ce qu’il faut faire et de ce qu’il ne faut pas faire, oublier l’intérêt du patient au profit d’autres intérêts (fussent-ils en apparence aussi nobles que l’avancée de la science) voilà ce que chacun ne veut pas voir mis en œuvre, ni pour lui-même, ni pour ses proches. C’est à propos de cette obstination déraisonnable que la loi va créer, de fait, un droit et un devoir. Il s’agit pour les patients du droit à ne pas subir d’obstination déraisonnable et pour tous les professionnels de santé du devoir de ne pas faire subir d’obstination déraisonnable aux patients dont ils ont la charge. C’est bien autour de ce double concept, de droit de ne pas subir et de devoir de ne pas faire subir, que doit se faire la lecture de l’esprit de cette loi. Les différents dispositifs mis en place ne vont faire qu’en permettre l’application pratique. En effet, une fois énoncé le principe, il reste à déterminer, concrètement, ce qui est du domaine de l’obstination déraisonnable (et donc interdit) et ce qui n’en 34 Lire par exemple : Bonah C., Danion-Grillat A., Off-Nathan J., Schappacher N., Nazisme, Science et Médecine, Éditions Glyphe, 2006. 47 48 Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 est pas (et donc non seulement autorisé mais attendu). La loi crée35 par ailleurs un autre droit pour celui qui meurt, et donc un autre devoir pour les professionnels de santé, celui de la sauvegarde de la dignité et de l’accès à un accompagnement. Article L 1110-5 du Code de Santé Publique : la loi de 2005 y introduit le droit à ne pas subir d’obstination déraisonnable et à la sauvegarde de la dignité du mourant. Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L 1110-1036. La fin définitive du paternalisme médical : c’est le malade qui décide. La loi donne un principe général en précisant que sont visés par le terme d’obstination déraisonnable les actes de soins qui « apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». 35 Ou plus exactement réaffirme, puisqu’il a été, de fait, créé par l’article 1 de la loi de 1999 sur les soins palliatifs. 36 Définissant les soins palliatifs, cf. plus loin. 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 L’obstination déraisonnable concerne donc les soins dont l’utilité n’est pas démontrée37. Sa définition fait également référence à une notion fondamentale : la proportionnalité. Il s’agit de la proportion entre le bénéfice attendu et le risque encouru par l’utilisation d’un traitement. Ainsi, si la possibilité de guérison est infime mais que les risques générés sont majeurs, alors le traitement est disproportionné. Enfin cette définition englobe la complexe question du maintien artificiel de la vie, posant ainsi la question des limites entre le « naturel » et « l’artificiel », faisant une référence à la distinction faite notamment par de nombreux théologiens catholiques entre les moyens thérapeutiques ordinaires (naturels ?) et les moyens extra-ordinaires (artificiels ?). S’en tenant à des grands principes, le législateur a fort sagement évité l’écueil d’un impossible inventaire de l’ensemble des gestes, actes, traitements pouvant constituer en fonction de la situation, une obstination déraisonnable. Un tel catalogue aurait été bien entendu aussi inopérant que vain et obsolète, avant même sa validation ! C’est un autre choix qui a donc été fait : celui de ne confier ni aux législateurs, ni aux médecins, le soin de tracer la frontière entre raisonnable et déraisonnable. C’est en dernier recours au patient de décider ce qui est, pour lui-même, une obstination déraisonnable. Ce choix s’inscrit dans la suite logique de la Loi de juin 1999, confirmée par la Loi de mars 2002 sur les droits des patients. Il s’agit en fait de la mise en œuvre d’un principe éthique fondamental : le principe d’autonomie. Le mieux placé pour décider de ce qu’il convient de décider à son propos, c’est le patient lui-même. Cette évidence fut longtemps contestée par le paternalisme médical. Le médecin considérait le malade comme un père 37 Les Anglo-Saxons utilisent le terme de « futilities » pour désigner les traitements déraisonnables. 49 50 Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 considère son jeune enfant : incapable de discerner ce qui est bon pour lui en raison de son immaturité. Inutile donc de l’informer, ni de lui demander son avis. Le médecin, garant de la défense de son intérêt, était bien mieux placé pour prendre les « bonnes décisions ». La méthode retenue par la loi pour décider ce qui est ou pas de l’obstination déraisonnable signe donc la fin définitive, en droit, de ce paternalisme médical. Ce n’est pas le moindre de ses mérites, même si ce fait est passé relativement inaperçu. Ainsi sont reconnues les singularités de chaque patient, et de chaque situation. Deux patients, atteints d’une pathologie grave mettant en jeu identiquement leur pronostic vital, et confrontés à la même proposition thérapeutique par leur médecin, peuvent faire deux choix opposés. L’un peut accepter le traitement qui va peut-être le sauver, au prix d’un risque auquel il consent (et dont il doit donc être parfaitement informé). L’autre, considérant qu’il s’agit pour lui d’une obstination déraisonnable, peut demander à son médecin de l’arrêter ou de ne pas le mettre en œuvre. L’application du principe d’autonomie, retenu pour décider ce qui est de l’obstination déraisonnable dans une situation donnée, est facile à mettre en œuvre lorsque le patient est capable d’exprimer son avis. Il suffit de le lui demander ! Ainsi la loi va élargir le droit de la personne malade, qui pouvait déjà s’opposer à toute investigation ou thérapeutique38, au droit de refuser ou d’interrompre tout traitement même si cela met sa vie en danger39. Le corollaire évident à ce droit au refus de tout traitement est, bien sûr, que le malade soit clairement informé de ce qu’on va lui faire. Finies donc (en théorie du moins) les pratiques scandaleuses (et pourtant pas si exceptionnelles) où l’équipe médicale camouflait les traitements entrepris ; soit par défaut ( Ne vous inquiétez pas je vous fais un petit 38 Depuis la loi de 99, article 1er . 39 Article 3 de la loi de 2005, modifiant le paragraphe 2 de l’article L 1111- 4. 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 traitement préventif pour éviter que votre maladie ne dégénère en cancer ), afin d’éviter d’annoncer une chimiothérapie musclée ; soit par excès (utilisation de placebo à la place de morphine) 40. En bref, si la question se pose d’une situation potentiellement apparentée à une obstination déraisonnable pour un patient capable d’exprimer son avis, il convient simplement de lui poser la question directement. Après les explications nécessaires, soit il consent à ce qui lui est proposé, soit il s’y oppose, considérant qu’il s’agit pour lui d’un « acharnement thérapeutique ». Que faire quand un patient n’est pas capable de décider pour lui-même ? Par contre la question devient particulièrement complexe lorsque le patient n’est pas, ou plus, en capacité de déterminer ce qui est, pour lui et dans le contexte donné, une obstination déraisonnable. La loi détaille donc les procédures à suivre pour recueillir cet « avis putatif ». Plusieurs possibilités s’offraient au législateur pour tenter de régler ces délicates situations. Il aurait été possible de considérer – comme le font souvent à tort les équipes médicales – que, par délégation implicite, c’est « à la famille » que revient la décision si le malade ne peut pas s’exprimer (voire lorsque l’on ne veut pas lui demander son avis !). Il faut d’abord réaffirmer avec force qu’il n’est pas acceptable de faire peser une telle décision sur l’entourage au risque grave de générer une culpabilité ultérieure insurmontable pour des proches que l’on aurait ainsi investi d’un véritable droit de vie ou de mort41. Dans quel ordre de prééminence classer les avis contradictoires d’enfants entre eux, celui de parents contre 40 Ou pratiques de fausses chimiothérapies : perfusion de sérum glucosé en faisant croire à un patient qu’il s’agit d’un produit anticancéreux pour éviter d’avoir à lui annoncer que, sa maladie étant trop évoluée, il n’est pas possible de lui faire subir le traitement initialement prévu. 41 Rappelons-nous la tragédie de Hyllos, dont son père lui annonce : « tu es mon seul médecin » le chargeant ainsi d’une trop lourde responsabilité. 51 52 Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 celui d’un conjoint, celui d’une femme légitime, mais délaissée depuis dix ans contre celui d’une compagne, partageant elle la vie du malade depuis la même durée ? L’exemple de l’affaire Terri Schiavo aux USA a montré la profondeur possible des discordes entre un mari et des parents42. Même la question de savoir qui constitue la « famille » pose des problèmes aussi complexes qu’insurmontables. La notion de « famille » est devenue suffisamment floue dans notre société actuelle pour ne plus permettre efficacement l’identification de personnes ressources capables de représenter « à coup sûr » l’avis d’un patient incapable de l’exprimer directement. L’impasse de la délégation implicite, s’avérant évidente, restait donc l’hypothèse de la délégation explicite. Il s’agit pour un patient de désigner par avance celui qu’il charge de représenter ses intérêts en matière de décision sur sa santé s’il en est empêché. Cette procédure permet d’être certain de la volonté du patient de confier à la personne désignée une forme de délégation de décision. C’est la piste retenue par la loi d’avril 2005, tout en pondérant la portée de cette délégation. Le législateur a souhaité que ce soit un simple avis qui soit demandé à la personne de confiance désignée43 par le patient et non pas une décision, à la différence de certains états des États‑Unis 42 Terri Schiavo a été victime d’un arrêt cardiaque prolongé, en raison de troubles métaboliques liés à des troubles alimentaires (boulimie/ anorexie). Cet arrêt cardiaque a engendré une atteinte cérébrale qualifiée d’état irréversible. Son mari demandait que l’on cesse de l’alimenter artificiellement alors que ses parents, catholiques fondamentalistes, s’y opposaient. À l’issue d’un conflit très largement médiatisé et de différentes péripéties juridico-politiques, elle est finalement décédée en 2005, après l’arrêt de la nutrition médicalement assistée. Voir le site www.collection-omega.fr 43 La loi de mars 2002 sur les droits des patients avait créé cette notion de personne de confiance désignée par le patient, par exemple pour l’accompagner lors des consultations. 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 où le « surrogate44 » prend une décision qui s’impose aux médecins (au même titre que la décision que peut prendre le patient lui-même). Comme on va le voir, l’avis exprimé par la personne de confiance va être important, mais n’aura pas le même poids que l’avis du patient lui-même. En effet, l’esprit de la loi est de renvoyer à la seule personne directement concernée, et au moment où elle est concernée, l’avis sur le caractère déraisonnable ou non de la procédure proposée. Si elle en est empêchée, il faudra tenter de constituer un faisceau de présomptions afin de s’approcher au mieux de ce qu’aurait été sa décision si elle n’en était empêchée au moment opportun. Ce faisceau de présomptions va s’appuyer (par ordre croissant d’importance) : • Sur l’avis de la famille et des proches ; • Sur l’avis de la personne de confiance éventuellement désignée ; • Sur d’éventuelles consignes concernant les conditions de limitation ou d’arrêt de traitements, rédigées avant que son état actuel ne le rende incapable d’exprimer sa décision. C’est à l’issue de cette procédure que le médecin traitant (c’est-à-dire le médecin en charge du patient lorsque se pose la question d’un éventuel acharnement thérapeutique) est chargé de respecter deux impératifs complémentaires : • L’interdiction de poursuivre une situation d’obstination déraisonnable ; • Le respect de ce qu’aurait été la décision du patient s’il avait été en capacité d’exprimer sa décision telle qu’elle a pu être approchée par l’ensemble des éléments de présomptions recueillis. Pour prendre sa décision il devra recueillir l’opinion de tous les autres professionnels de santé impliqués dans la prise en charge : c’est l’étape de concertation. Puis il 44 Issu du latin surrogatus, participe passé de surrogare, choisir à la place d’un autre. 53 54 Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 disposera de l’avis motivé d’au moins un (et si besoin deux) collègues médecins : c’est la procédure collégiale proprement dite.45 Deux questions préalables à poser face à une situation potentielle d’obstination déraisonnable. Face à une situation éventuelle d’obstination déraisonnable, il convient de se poser deux questions préalables, à la fois pour déterminer si cette situation entre bien dans le champ d’application de la loi de 2005 et pour choisir les modalités adéquates de prise de décisions. 1. Le patient concerné est-il dans une problématique de maintien artificiel en vie ou dans une phase avancée ou terminale d’une pathologie grave et incurable ? 2. Le patient est-il en capacité de donner son avis sur le caractère déraisonnable ou non de la procédure thérapeutique en question ? En effet le champ d’application de la loi, porte, non pas sur l’ensemble du champ de la décision médicale, mais uniquement sur une des deux situations concernées par la première question. Par ailleurs, comme nous l’avons vu, les procédures sont différentes selon que la malade est, ou non, hors d’état d’exprimer sa volonté. Si le patient est en état d’exprimer sa décision sur le caractère déraisonnable du traitement proposé, cette décision doit être respectée. 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 Phase avancée ou terminale ou maintien artificiel en vie ? La notion de phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable n’est pas forcément aussi facile à caractériser qu’il y paraît. S’il est clair que le rhume n’en fait pas partie, et que la phase agonique d’un cancer en fait évidemment partie, il reste des zones d’application discutables. Il est raisonnable d’utiliser comme repère pour définir la possibilité de survenue du décès à moyen terme (quelques semaines) ou à court terme (quelques jours et a fortiori quelques heures). Un délai de plusieurs mois, voire de plusieurs années, ne correspond pas à cette définition. Toutes les études entreprises ont montré l’incapacité des médecins à prédire exactement ce délai46. Cette échelle de grandeur – heures, jours, semaines, mois, années – a le mérite d’être la moins irréaliste quand à sa fiabilité. La notion de maintien artificiel en vie peut également faire l’objet de questionnements complexes. Il est raisonnable de considérer qu’il s’agit de patients qui, en raison de la défaillance d’une (au moins) de leurs fonctions vitales ne pourraient survivre si des techniques médicales de suppléance de cette fonction vitale défaillante ne leur étaient pas assurées. Ces techniques de « réanimation » portent par exemple sur la fonction respiratoire (le malade ne peut plus respirer seul), la fonction alimentaire (le malade ne peut plus ingérer des aliments), etc. Le maintien de la technique de suppléance assure le maintien artificiel en vie. L’arrêt de la technique de suppléance conduit à ne plus maintenir artificiellement en vie (et donc à laisser le malade mourir « naturellement »). En état d’exprimer sa volonté ? Si le malade est jugé « hors d’état d’exprimer sa volonté », une procédure spécifique devra être entreprise pour tenter de déterminer ce qu’aurait été sa décision s’il avait été en état de l’exprimer. La notion de patient « hors d’état d’exprimer sa volonté » mérite également une attention particulière. Entre le patient parfaitement conscient (capable donc d’exprimer sa volonté) et le patient dans un coma végétatif (et donc parfaitement incapable d’exprimer sa volonté) il 45 Cf. plus loin la mise en œuvre pratique de ces dispositions. 46 Ce que les Anglo-Saxons formulent ainsi : withholding or withdrawing. 55 56 Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 existe une multitude de situations intermédiaires. Ainsi, s’il est raisonnable de considérer le patient totalement dément comme incapable d’exprimer sa volonté, comment considérer l’avis exprimé par un patient psychiatrique, pour lequel il est possible d’avancer que son jugement est altéré par sa pathologie mentale ? Comment considérer si le patient en phase précoce d’une pathologie neurodégénérative de type Alzheimer est hors d’état d’exprimer sa volonté ? La notion de capacité à exprimer sa volonté ne fait pas seulement appel à une capacité physique mais surtout à une capacité cognitive, intellectuelle. Cette marge d’appréciation est à la fois salutaire (il serait inquiétant que la loi renvoie à une définition précise de ce qu’est l’état d’exprimer sa volonté) mais aussi problématique. À l’évidence il s’agit d’une possibilité (d’un pouvoir ?) laissée aux médecins de ne pas mettre en œuvre une décision de limitation ou d’arrêt de traitements réclamée par le patient. Il suffirait de considérer que celui-ci étant « hors d’état d’exprimer sa volonté », l’obligation de respecter sa décision ne s’applique pas. Il est donc sage d’examiner avec une grande prudence, et dans le cadre de discussions pluridisciplinaires, les situations limites de ce type, pour éviter toute dérive permettant au « pouvoir médical » de reprendre le dessus sur la volonté du patient. Des modalités de décisions qui varient selon les réponses Les modalités à suivre pour envisager la limitation ou l’arrêt de telles procédures d’obstination déraisonnable dépendent donc surtout de la capacité du patient à exprimer son avis. Elles sont par contre relativement similaires en fonction du contexte (maintien artificiel en vie, ou phase terminale d’autre part), mais répondent à des articles différents de la loi. L’article L 1111-4 concerne l’ensemble des patients (donc non spécifiquement en fin de vie). Ce sont les paragraphes 1 (patient capable d’exprimer sa volonté) et 4 (personne hors d’état d’exprimer sa volonté) qui nous 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 intéressent ici tout particulièrement. Le texte intégral des paragraphes de cet article concernant la problématique de l’obstination déraisonnable est reproduit ci-dessous. Les articles L 1111-10 et L 1111-13 traitent spécifiquement de l’expression de la volonté des malades en fin de vie en ce qui concerne les situations d’obstination déraisonnable. Ils détaillent la procédure selon que le patient est capable de décider pour lui-même (L 1111-10) ou non (L 1111-13). Paragraphes de l’article L 1111-4 du Code de Santé Publique concernant la problématique générale de l’obstination déraisonnable § 1 Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Il peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. Celle-ci est inscrite dans son dossier médical. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L 1110-10. § 2 Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. § 3 Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. § 4 Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de 57 58 Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale47 et sans que la personne de confiance48 prévue à l’article L 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées49 de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. § 5 Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables. Article L1111-10 du Code de Santé Publique Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté après l’avoir informée des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L 1110-10150. Article L1111-13 du Code de Santé Publique Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l’ar47 Cf. plus loin le chapitre sur ce sujet. 48 Idem 49 Idem 50 Cf. note 26 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 ticle L 1111-6151, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L 1110-10152. Les quatre situations envisagées par la loi Situation 1 : Patient en situation de maintien artificiel en vie par un traitement et en capacité de le refuser C’était le cas par exemple de Vincent Humbert, présenté comme parfaitement conscient53 et qui devait son maintien en vie à différentes méthodes thérapeutiques que l’on peut qualifier sans aucun doute d’artificielles. C’est le cas de certains patients atteints de maladies neurodégénératives en phase avancée (au premier rang desquelles la maladie de Charcot54 ou SLA - Sclérose Latérale Amyotrophique). Certains de ces patients sont, ou peuvent devenir, dépendants d’un appareil respiratoire pour survivre, du fait de leur incapacité à respirer seuls. D’autres sont, ou peuvent devenir, dépendants de techniques de nutrition médicalement assistée du fait de leur incapacité à déglutir seuls les aliments. Mais leurs capacités cognitives sont parfaitement conservées et ils restent en capacité d’émettre un avis sur ce qu’ils considèrent pour eux-mêmes comme une obstination déraisonnable. Dans toutes ces situations où le maintien en vie dépend d’une méthode artificielle de maintien en vie 51 Cf. plus loin le chapitre sur la personne de confiance. 52 Cf. note 26. 53 Tout en considérant la possibilité évoquée par ceux qui le prenait en charge de l’existence d’un syndrome frontal, susceptible d’altérer en partie son discernement. 54 Les Américains l’appellent la maladie de Lou Gehring du nom d’un célèbre joueur américain de base-ball décédé en 1941 et qui en fut victime. 59 60 Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 par la substitution thérapeutique d’une fonction vitale défaillante, ce n’est pas la technique qui constitue l’obstination déraisonnable mais le refus du patient de poursuivre sa vie dans ces conditions. Ainsi, pour deux patients atteints de SLA et dans la même situation de dépendance d’un appareil d’assistance respiratoire, l’un se jugera dans une situation d’obstination déraisonnable (et demandera qu’elle cesse) tandis que l’autre souhaitera poursuivre sa vie le plus longtemps possible grâce aux progrès de la technique médicale. La loi ne tranche en aucun cas sur le bien fondé de ces deux positions, et se contente d’affirmer le droit de chacun des deux à voir sa volonté respectée. Situation 2 : Patient en situation de maintien artificiel en vie par un traitement et incapable d’exprimer son opinion C’était la situation d’Hervé Pierra, sur laquelle on reviendra plus loin. Il a été maintenu en vie dans un coma végétatif durant plusieurs années après que son cerveau a été privé d’oxygène suite à une tentative de suicide par pendaison. C’était aussi la situation de Terry Schiavo ou celles d’Eluana Englaro en Italie55. C’est une situation malheureusement non exceptionnelle qui peut concerner par exemple des patients en état végétatif ou pauci relationnels, après un traumatisme crânien, une anoxie cérébrale, un accident vasculaire, etc. La plupart de ces patients se retrouvent dans cet état à la suite de soins qui ont permis leur maintien en vie. Pour rester en vie ils doivent donc notamment bénéficier d’une nutrition médicalement assistée. Pour certains de ces patients (mais c’est loin d’être le cas pour tous) peut alors se poser la question de savoir si cette nutrition médicalement assistée permettant le maintien artificiel en vie, représente ou non une obstination déraisonnable. En réalité il s’agit de savoir quelle aurait été leur décision concernant le maintien ou non de cette technique artificielle s’ils avaient été en capacité d’exprimer leur volonté. On a vu que la loi pose les 55 Cf. article en annexe à son sujet. 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 conditions d’une éventuelle suspension de ce traitement de maintien artificiel en vie. Mais il s’agit probablement de la question la plus complexe posée par la problématique de l’obstination déraisonnable. Cette question appelle des réponses différenciées et à apprécier au cas par cas, dans le respect des cultures, des croyances (ou des non-croyances) de chacun. Nous y reviendrons au chapitre 9. Situation 3 : Patient en phase avancée ou terminale en capacité de refuser un traitement vécu comme une obstination déraisonnable C’est une situation classique par exemple en cancérologie lorsque l’on propose à un patient en phase avancée de la maladie, une procédure « de la dernière chance », sans qu’on puisse garantir une guérison (opération chirurgicale très délabrante, nouvelle chimiothérapie agressive ou nouveau traitement expérimental). Ici encore ce ne sont ni la loi ni les médecins qui peuvent dire ce qui est ou non de l’obstination déraisonnable, mais chaque patient pour ce qui le concerne. Telle procédure récusée comme déraisonnable par l’un, sera considérée par l’autre comme parfaitement légitime pour lui. Par contre, il est évident qu’en cas d’obstination déraisonnable d’un médecin, faisant subir contre son gré à un patient telle ou telle procédure que celui-ci aurait explicitement refusé, la justice pourrait être saisie et sanctionner le coupable. Situation 4 : Patient en phase avancée ou terminale incapable d’exprimer son opinion Il s’agit ici probablement des situations les plus couramment rencontrées, mais qui ne font l’objet d’aucune surexposition médiatique. Ce sont des patients dont la mort est inéluctable à cour terme, souvent en phase agonique et qui font parfois l’objet de manœuvres thérapeutiques dont la seule finalité est de prolonger de quelques heures ou de quelques jours une existence qui prend fin. C’est par exemple cette personne âgée victime 61 62 Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 d’une aggravation de son état de santé précaire et pour qui doit être discuté l’intérêt ou non d’un transfert aux urgences du grand hôpital voisin, qui vraisemblablement ne pourra la sauver, mais qui, à coup sûr, ne lui offrira pas les conditions d’une mort digne et apaisée. C’est ce patient cancéreux en phase agonique qui ne peut plus s’alimenter suffisamment pour se nourrir, ni boire suffisamment pour s’hydrater, et pour qui on met en place une nutrition/ hydratation médicalement assistée. Pourtant celle-ci, n’a pas d’autre objectif que de tenter de le maintenir peutêtre en vie un temps supplémentaire. Elle ne lui apportera aucun confort, bien au contraire. Parfois, on y ira jusqu’à une contention mécanique (attacher ses mains !) pour l’empêcher d’arracher la perfusion. Cette situation inadmissible est encore, hélas, loin d’être exceptionnelle en ce début de XXIe siècle. Elle provoque chez les proches une colère légitime vis-àvis de ce pouvoir médical si irrespectueux de la dignité humaine. Deux impératifs pour les professionnels de santé : l’accompagnement et la transparence « Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de la fin de vie en dispensant les soins visés à l’alinéa L 110-10. ». Cette phrase revient comme un leitmotiv dans la loi d’avril 2005 (articles 1, 4, 6, 9). Dans chaque des 4 situations envisagées, ce devoir est rappelé comme une obligation légale faite aux médecins. Rappelons ce que dit cet article L11110-10 ; « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage ». La portée de cette obligation forte est souvent mal connue par certains professionnels qui n’en ont pas perçu l’importance. De nombreuses équipes médicales devraient 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 davantage avoir conscience du risque de poursuites judiciaires qu’elles prennent en ne respectant pas cette obligation. Ne pas mettre en œuvre les traitements visant à soulager la douleur, ne pas entreprendre les mesures visant à soulager la souffrance psychique, ne pas porter une attention particulière au respect de la dignité due à tout être humain (y compris dans les circonstances entourant la fin de sa vie), ne pas faire ce qui est nécessaire pour soutenir un entourage éploré par la perte d’un être cher, représente non seulement une conduite éthiquement inadmissible et déontologiquement prohibée : elle constitue désormais une conduite réprimée par la loi. Il faudra donc probablement attendre que surviennent des jurisprudences condamnant des équipes médicales n’ayant pas rempli ces obligations, pour que chacun prenne enfin conscience de l’importance de ce devoir fondamental d’accompagner le mourant et son entourage. Ainsi peut-on légitimement s’interroger (en tout cas à la lecture des récits qui en ont été faits56) sur la façon dont ont été « accompagnés » les membres de la famille d’Hervé Pierra, dans le cadre de l’application de la procédure d’arrêt de sa nutrition médicalement assistée. À voir la colère et la révolte du père de ce jeune homme au soir de sa mort, devant les caméras du JT de 20 heures de France 2, il n’est probablement pas illégitime de considérer que l’accompagnement réalisé n’a pas permis de « soutenir l’entourage » de la manière la plus adaptée. Se réfugiant avec une certaine rigidité derrière de pseudo arguments médicaux ou légaux, les équipes soignantes cachent mal une grande ignorance des réalités juridiques et une grande détresse à affronter des situations complexes et délicates. Bien sûr, ces situations, remettant en cause leurs certitudes ou leurs convictions personnelles, génèrent chez les 56 Antonowicz Gilles, Moi, Hervé Pierra, ayant mis six jours à mourir, Éditeur B. Pascuito, 2008. Voir également le témoignage bouleversant de ses deux parents en 2008 devant la commission parlementaire d’évaluation. Lien disponible sur www.collection-palliatif.fr 63 64 Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 professionnels de santé une lourde charge émotionnelle. Néanmoins, il ne paraît pas acceptable de reporter cette charge, de manière plus ou moins inconsciente, sur l’entourage, pas plus évidemment que sur le malade luimême. On reviendra plus loin sur des exemples concrets de la difficulté engendrée par certaines situations de demandes d’arrêt de traitement de maintien artificiel en vie. La nécessité d’inscription des procédures suivies et des décisions prises est l’autre constante des dispositions de la loi d’avril 2005 (citée dans les articles 2, 4, 5, 6 et 9). Il s’agit d’une mesure permettant la totale transparence des décisions prises (conforme au principe kantien de publicité). C’est aussi une façon de permettre un contrôle a posteriori du respect des procédures légales. En cas de doute, l’ouverture d’une instruction judiciaire doit permettre au juge de vérifier non pas la justesse de la décision prise, mais le respect des procédures telles que définies par la loi. Dans les situations où le malade est en état d’exprimer sa volonté : Comment celle-ci a été recueillie ? Quel délai raisonnable a été fixé pour qu’il réitère sa volonté ? etc. Dans les situations ou le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté : Quelles sont les motivations justifiant la décision prise ? Comment la procédure collégiale a été mise en œuvre ? Comment sont motivés les avis médicaux ? Comment s’est déroulée la concertation pluridisciplinaire, et avec qui ? Comment s’est effectuée la recherche des indications sur ce qu’aurait été la volonté du patient (directives anticipées, personne de confiance, famille et proches) ? Quelles mesures ont été prises pour soulager la douleur, apaiser la souffrance psychique, sauvegarder la dignité, soutenir l’entourage ?57 57 Cf. par exemple en annexe la proposition d’un rapport-type lors d’une telle procédure, permettant une traçabilité exhaustive des éléments requis. 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 C’est bien sûr l’ensemble des traces écrites contenues dans le dossier du patient que le juge pourra vérifier la conformité ou la non-conformité de la procédure suivie. Il convient donc de sensibiliser tout particulièrement les professionnels de santé au respect de cette traçabilité. 65 67 5. La mise en œuvre pratique des dispositions prévues par la loi On a divers sujets de mépriser la vie, mais on n’a jamais raison de mépriser la mort. François de la Rochefoucauld 68 La mise en œuvre pratique La loi de 2005 met en œuvre trois procédures sur lesquelles il convient de revenir, pour en préciser clairement la nature. Ces trois procédures interviennent seulement pour permettre au médecin de répondre à la question S’agit-il d’une obstination déraisonnable ? 58 dans les situations 2 et 4 (c’est-à-dire dans les cas où le malade n’est pas en capacité de donner son avis59). Dans ces situations (les plus complexes à résoudre) le médecin devra suivre une procédure précise pour prendre sa décision qui s’appuiera sur les directives anticipées (élaborées par le patient avant son état d’incapacité) et sur l’avis de la personne de confiance (désigné par le patient avant son incapacité). Si le malade n’a pas utilisé l’un ou l’autre moyen (ou les deux) mis à sa disposition par la loi, cela n’empêchera pas le médecin de devoir quand même répondre à la question. Mais ce sont des éléments importants qui permettent au malade de faire connaître de manière anticipée ses souhaits en matière de limitation ou d’arrêt de traitements. Écrire des directives anticipées Les directives anticipées sont encadrées par les modifications apportées par la loi de 2005 au Code de Santé Publique (article L 1111-11) et par des textes réglementaires issus des décrets d’application de février 2006 (R1111-17 à 20). Ils sont reproduits ci-dessous. Les points importants à souligner sont les suivants : Les directives anticipées portent exclusivement sur « les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement ». Certains cantons helvétiques ont adopté la même terminologie, mais les directives anticipées suisses portent sur un champ beaucoup plus large (parfois qualifié très improprement de « testament de vie » ou 58 Et donc doit-on ne pas l’entreprendre ou l’arrêter (cf. supra) ? 59 On se rappelle que si le malade peut donner son avis, le médecin est tenu de suivre cet avis. 5. La mise en œuvre pratique « testament biologique »). Elles sont par exemple élargies aux volontés post-mortem et ont une portée juridique plus forte (à l’image de la législation de certains états des USA concernant les « advance directives60 ») Il s’agit d’une déclaration sur papier libre, datée et signée. Elle comporte, outre le nom et prénom, la date et le lieu de naissance de celui qui les rédige. Pour les patients physiquement empêchés de signer, il existe une procédure de validation par témoins. Par contre les mineurs et les majeurs protégés ne peuvent pas écrire des directives anticipées « officielles ». Rien ne les empêche toutefois d’en écrire, et rien n’empêche les médecins d’en tenir compte. Elles doivent être réactualisées tous les trois ans (mais sont bien sûr modifiables ou révocables à tout moment). Si, dans cette période de validité de trois ans, l’auteur des directives anticipées se retrouve dans l’incapacité de les renouveler, la notion de délai de validité de trois ans n’est plus opposable. Imaginons par exemple un patient ayant rédigé des directives anticipées il y a deux ans et demi. À la suite d’un accident, il tombe dans le coma et n’est donc plus capable de les revalider au bout des six mois de validité restants. Dans ce cas, ses directives resteront valables même après le délai de six mois, tout le temps qu’il restera incapable de les modifier. Le mode de conservation et de communication de ces directives anticipées est très ouvert. Il est bien sûr fortement recommandé d’en faire part au médecin qui prend en charge le patient. Si elles sont conservées dans un coffre dont personne ne connaît l’existence, la probabilité qu’elles soient consultées reste faible. Il est fortement recommandable que les établissements de santé se renseignent systématiquement à l’admission d’un 60 Pour plus de renseignements sur les procédures américaines, consulter le site www.uslivingwillregistry.com 69 70 La mise en œuvre pratique patient sur l’existence de directives anticipées61 afin de les noter dans la partie du dossier spécifiquement prévue à cet effet. Lors de la procédure collégiale, le médecin doit s’enquérir de l’existence de directives anticipées « auprès de la personne de confiance, si elle est désignée, de la famille ou, à défaut, des proches ou, le cas échéant, auprès du médecin traitant de la personne malade ou du médecin qui la lui a adressée ». Article L1111-11 du Code de Santé Publique Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment. À condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement la concernant. Un décret en Conseil d’État définit les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées. Article R 1111-17 du Code de Santé Publique Les directives anticipées mentionnées à l’article L 111111 s’entendent d’un document écrit, daté et signé par leur auteur dûment identifié par l’indication de ses nom, prénom, date et lieu de naissance. Toutefois lorsque l’auteur de ces directives, bien qu’en état d’exprimer sa volonté, est dans l’impossibilité d’écrire et de signer lui-même le document, il peut demander à deux témoins, dont la personne de confiance lorsqu’elle est désignée en application de l’article L 1111-6, d’attester que le document qu’il n’a pu rédiger lui-même est l’expression de sa volonté libre et éclairée. Ces témoins indiquent leur nom et qualité et leur attestation est jointe aux directives anticipées. Le médecin 61 En même temps, par exemple, qu’ils remplissent cette obligation légale pour la désignation d’une personne de confiance. Cf. chapitre suivant. 5. La mise en œuvre pratique peut, à la demande du patient, faire figurer en annexe de ces directives, au moment de leur insertion dans le dossier de ce dernier, une attestation constatant qu’il est en état d’exprimer librement sa volonté et qu’il lui a délivré toutes informations appropriées. Article R 1111-18 du Code de Santé Publique issu du décret d’application de la loi publié en février 2006 Les directives anticipées peuvent, à tout moment, être soit modifiées, partiellement ou totalement, dans les conditions prévues à l’article R 1111-17, soit révoquées sans formalité. Leur durée de validité de trois ans est renouvelable par simple décision de confirmation signée par leur auteur sur le document ou, en cas d’impossibilité d’écrire et de signer, établie dans les conditions prévues au second alinéa de l’article R 1111-17. Toute modification intervenue dans le respect de ces conditions vaut confirmation et fait courir une nouvelle période de trois ans. Dès lors qu’elles ont été établies dans le délai de trois ans, précédant soit l’état d’inconscience de la personne, soit le jour où elle s’est avérée hors d’état d’en effectuer le renouvellement, ces directives demeurent valides quel que soit le moment où elles sont ultérieurement prises en compte. Article R 1111-19 du Code de Santé Publique issu du décret d’application de la loi publié en février 2006 Les directives anticipées doivent être conservées selon des modalités les rendant aisément accessibles pour le médecin appelé à prendre une décision de limitation ou d’arrêt de traitement dans le cadre de la procédure collégiale définie à l’article R 4127-37. À cette fin, elles sont conservées dans le dossier de la personne constitué par un médecin de ville, qu’il s’agisse du médecin traitant ou d’un autre médecin choisi par elle, ou, en cas d’hospitalisation, dans le dossier médical défini à l’article R 1112-2. Toutefois, les directives anticipées peuvent être conservées par leur auteur ou confiées par celui-ci à la personne de confiance mentionnée à l’article L 1111-6 ou, à défaut, à un membre de sa famille ou à un proche. Dans ce cas, leur existence et les coordonnées de la personne qui en est 71 72 La mise en œuvre pratique détentrice sont mentionnées, sur indication de leur auteur, dans le dossier constitué par le médecin de ville ou dans le dossier médical défini à l’article R 1112-2. Toute personne admise dans un établissement de santé ou dans un établissement médico-social peut signaler l’existence de directives anticipées ; cette mention ainsi que les coordonnées de la personne qui en est détentrice sont portées dans le dossier médical défini à l’article R 1111-2. Article R 1111-20 du Code de Santé Publique issu du Décret d’Application de la loi publié en février 2006 Lorsqu’il envisage de prendre une décision de limitation ou d’arrêt de traitement en application des articles L 1111-4 ou L 1111-13, et à moins que les directives anticipées ne figurent déjà dans le dossier en sa possession, le médecin s’enquiert de l’existence éventuelle de celles-ci auprès de la personne de confiance, si elle est désignée, de la famille ou, à défaut, des proches ou, le cas échéant, auprès du médecin traitant de la personne malade ou du médecin qui la lui a adressée. Le médecin s’assure que les conditions prévues aux articles R 1111-17 et R 1111-18 sont réunies. Désigner une personne de confiance La désignation d’une personne de confiance, chargée de représenter le patient est encadrée par deux articles de loi, l’un issu de la loi de mars 2002 (article L1111-6) et l’autre de la loi d’avril 2005 (L1111-12). Ils sont reproduits pp. 78-79. Les points à souligner : Le patient peut désigner la personne de son choix. Il convient toutefois de bien réfléchir à cette désignation. Ainsi la désignation d’un conjoint peut mettre celui-ci dans une situation complexe. C’est le cas, par exemple, si les volontés exprimées par le patient sont la limitation des traitements actifs, alors que la personne de confiance, émotionnellement très impliquée, l’épouse par 5. La mise en œuvre pratique exemple, souhaite éviter à tout prix le décès62. Parfois la désignation d’un autre proche, avec qui on a pu aborder plus sereinement la question de l’éventualité de la mort prochaine, est préférable. De la même façon, même si la loi le permet explicitement, la place du médecin traitant (entendu au sens de médecin généraliste ?) n’est peut-être pas assimilable au rôle dévolu à la personne de confiance. Il est par contre évident que le médecin « de famille » doit être associé à la décision dans le cadre de la procédure collégiale (par exemple comme un des consultants sollicités63). Tous les établissements hospitaliers ont l’obligation (depuis 2002) de proposer au malade de désigner une personne de confiance lors de toute admission. Évidemment les malades n’ont pas l’obligation d’en désigner une. C’est bien le malade, et personne d’autre qui désigne par écrit la personne de confiance. Assimiler la personne « à prévenir en cas de problème » avec la personne de confiance est une erreur encore trop fréquente dans les établissements hospitaliers. Aucune obligation légale n’impose à la personne de confiance de manifester son acceptation. Un patient peut donc désigner une personne de confiance sans l’en informer, voire même sans la connaître. Il est parfaitement évident que cela n’a, en pratique, aucun sens. Pour représenter les volontés du patient, notamment en matière de limitation ou d’arrêt de traitements actifs, la personne de confiance doit être informée de ces volontés. Les patients doivent donc discuter de ce sujet avec la personne de confiance qu’ils désignent. Cela peut se faire par exemple à l’occasion de la remise d’une information sur ces procédures64. La durée de validité de la désignation de la personne de confiance est limitée par défaut à la durée de l’hospitalisation. L’attention des patients doit être attirée 62 Elle pourrait alors témoigner davantage de ses propres souhaits que de ceux du malade. 63 Cf. au chapitre suivant la procédure collégiale. 64 Cf. un exemple en annexe de documents d’information. 73 74 5. La mise en œuvre pratique La mise en œuvre pratique sur ce point afin que ce délai puisse être explicitement allongé. Une durée illimitée peut même être clairement mentionnée. Les mineurs et les majeurs protégés n’ont pas la possibilité légale de désigner une personne de confiance. Rien n’empêche cependant qu’elles indiquent au médecin qui elles souhaitent investir d’un rôle semblable et personne n’empêche le médecin d’en tenir compte. Toutefois le rôle du tuteur légal, ou du détenteur de l’autorité parentale, reste la référence juridique pour ces patients à statut protégé. Un flou persiste sur le rôle respectif de la personne de confiance (désignée antérieurement à la mesure de protection) et du mandataire dans le cadre du mandat de protection future, si le mandat de protection inclut les questions de santé. La question se pose souvent de la possibilité de désigner plusieurs personnes de confiance. Dans une acceptation purement juridique du terme, ce n’est pas possible. Désigner plus d’une personne de confiance revient à n’en désigner aucune en stricte application des termes de la loi. Ce point est parfois un élément bloquant pour un patient se refusant à choisir entre deux personnes de confiance possibles. Il est toutefois assez facile de résoudre très pratiquement cette question. Il suffit de demander qu’une seule personne soit inscrite sur le papier « officiel » mais que le médecin s’engage auprès du patient à consulter de manière équivalente les deux personnes désignées. Si la seconde n’a pas le statut juridique de personne de confiance, elle en aura ainsi, pour le patient et pour le médecin, le rôle qui est, de toute façon, consultatif et non décisionnel. Le rôle de la personne de confiance est important dans le cadre de la prise de décisions concernant des situations possibles d’obstination déraisonnable lorsque le patient n’est pas en capacité de donner son point de vue (situation 2 et 4). Cet avis doit avoir pour le médecin (à qui, dans ces deux cas seulement, revient la décision) une importance supérieure à celui exprimé par la famille et les proches. Cela peut entraîner des situations désagréables, surtout quand la famille (un conjoint par exemple) ignore cette désignation et qu’il faut lui expliquer que c’est l’avis de cette personne (explicitement désignée par le malade) qui sera considéré comme plus important que le sien. On voit l’embarras qu’une telle situation peut générer si les avis sont contradictoires. Il faut donc retenir : • Que ce n’est pas la personne de confiance qui s’autodésigne en remplissant elle-même le papier, c’est le patient (sa signature n’est pas explicitement requise par la loi mais semble implicitement indispensable), • Que la désignation de la personne de confiance n’a pas à être contresignée par la personne de confiance ellemême, • Qu’une notice explicative sur le rôle, le mode de désignation, la durée de validité de la désignation de la personne de confiance devrait être systématiquement remise lors d’une hospitalisation, • Que la personne de confiance sera obligatoirement consultée lors d’une procédure de détermination du caractère déraisonnable ou non de traitements de maintien artificiel en vie, • Que son avis, sans qu’il s’impose au médecin, influencera de manière forte la décision finale de celui-ci. Article L1111-6 du Code de Santé Publique issu de la loi de mars 2002 Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions. Lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé, 75 76 La mise en œuvre pratique il est proposé au malade de désigner une personne de confiance dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Cette désignation est valable pour la durée de l’hospitalisation, à moins que le malade n’en dispose autrement. Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas lorsqu’une mesure de tutelle est ordonnée. Toutefois, le juge des tutelles peut, dans cette hypothèse, soit confirmer la mission de la personne de confiance antérieurement désignée, soit révoquer la désignation de celle-ci. Article L1111-12 du Code de Santé Publique issu de la loi d’avril 2005 Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause et hors d’état d’exprimer sa volonté, a désigné une personne de confiance en application de l’article L 11116, l’avis de cette dernière, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, à l’exclusion des directives anticipées, dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin. Mettre en œuvre une procédure collégiale Elle est encadrée par la loi (article L 111-4 § 4 et article L 1111-13) issu de la loi d’avril 2005 et par le Code de Déontologie Médicale (modification de l’article 37 par le décret de février 2006). Ils sont reproduits à la fin du présent chapitre. Par ailleurs des précisions utiles sont apportées dans les commentaires du Code déontologie, rédigés par le Conseil National de l’Ordre des Médecins65. La loi précise bien que c’est seulement pour des patients dans les situations 2 et 4 qu’intervient cette procédure collégiale. Dans la situation 2, il s’agit donc de patients non en état d’exprimer leur volonté pour lesquels se pose la question de la limitation ou de l’arrêt d’un traitement susceptible de 65 Accessibles sur le site du CNOM, lien disponible sur le site Internet www.collection-omega.fr 5. La mise en œuvre pratique mettre leur vie en danger. Dans la situation 4, il s’agit de personne non en état d’exprimer leur volonté, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, pour lesquels se pose la question de la limitation ou l’arrêt d’un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie. Outre la traçabilité de la procédure et de la mise en œuvre obligatoire de soins de confort respectant la dignité du mourant66, la loi insiste sur l’importance de la motivation de la décision prise67. Le déroulement précis de la procédure collégiale est détaillé par l’article 37 du Code de déontologie médicale. Il convient de bien différencier le rôle de chacun dans cette procédure en fonction des différentes étapes : 1. Le rôle des membres de la famille et, à défaut, des proches qui doivent être consultés afin de recueillir leur avis. Notons que, dans la rédaction de la loi, l’avis des membres de la famille semble prévaloir sur l’avis d’un proche. Nous vivons pourtant dans une société où il est fréquent de rencontrer des situations dans lesquels certains non-membres de la famille stricto sensu sont bien plus proches du patient que sa « famille » (ce terme englobe-t-il un conjoint, marié, pacsé, concubin notoire ou non, un collatéral, un ascendant, un descendant, etc. ?). Il est également fréquent de rencontrer des familles très divisées sur un tel sujet. Parfois le parent le plus proche… est géographiquement éloigné. Vaste question que la loi ne règle pas, mais qui devrait inciter chacun à désigner explicitement une personne de confiance. 2. Le rôle particulier de la personne de confiance, dont la consultation est obligatoire (si elle a été désignée) pour recueillir son avis (qui prévaut sur celui de la famille et des 66 Cf. plus haut le chapitre sur les principes de la loi. 67 Ce point, probablement insuffisamment pris en compte est renforcé par les propositions du rapport parlementaire de décembre 2008. Cf. plus loin. 77 78 La mise en œuvre pratique proches), et s’enquérir auprès d’elle d’éventuelles directives anticipées rédigées par le patient. 3. L’importance des directives anticipées qui, si elles ont été rédigées, sont réputées refléter le plus fidèle témoignage des volontés qu’aurait exprimé le patient s’il n’avait pas été dans l’incapacité de le faire, en matière de limitation ou d’arrêt de soins. 4. Le rôle de l’équipe soignante qui doit être réunie pour une concertation (se concerter, c’est s’entendre pour agir ensemble68). D’une part les membres de cette équipe soignante peuvent être, de par leurs fonctions, plus proches des malades que le médecin et avoir recueilli des indications sur ses volontés. D’autre part, il est très important que chacun puisse exprimer son opinion sur un sujet aussi complexe, afin de garantir le maintien de la cohésion de l’équipe. On évite ainsi que ne s’installent des malentendus ou des incompréhensions préjudiciables aux prises en charge ultérieures. Cette interdisciplinarité est une garantie indispensable à la qualité des soins apportés aux patients concernés. 5. Le rôle du, ou des, médecin(s) appelé(s) en tant que consultants. L’avis motivé d’au moins un autre médecin appelé à titre de consultant est imposé par la procédure. Le consultant (terme défini dans le Code de déontologie, article 60), est un médecin qui dispose des connaissances, et de l’expérience requise. Il est souhaitable qu’il soit étranger à l’équipe en charge du patient69. Aucun lien hiérarchique ne doit exister entre les deux médecins70. Le consultant joue un rôle important auprès du médecin référent du patient, à qui il apporte son recul et son impartialité. Il intervient également auprès de l’entourage, qu’il doit rencontrer dans la mesure du possible. Comme le précisent les commentaires du Conseil National de l’Ordre 68 Petit Larousse 2009. 69 Cf. les recommandations des commentaires du Code de Déontologie par le CNOM. 70 On ne saurait imaginer un chef de service appeler comme second médecin d’une procédure collégiale son jeune interne… 5. La mise en œuvre pratique des Médecins, « ni la loi ni le code de déontologie n’exigent le consensus entre les deux médecins, mais il est difficile d’imaginer qu’une telle décision soit prise par le praticien en charge du patient en cas de désaccord. Aussi l’article 37 prévoit-il la consultation d’un troisième praticien si l’un des deux médecins le juge utile. Dans les cas difficiles, même si l’appréciation de la situation du patient est dans l’ensemble partagée entre les deux premiers praticiens, il peut persister des incertitudes justifiant de faire appel à un avis complémentaire. » 6. Le rôle (décisif ) du médecin qui a en charge le patient. Au final c’est bien lui qui après avoir respecté l’ensemble de la procédure prescrite par la loi, va prendre la décision de limitation ou d’arrêt des traitements jugés déraisonnables, en fonction de ce qu’aurait été la décision du patient s’il avait été en capacité de l’exprimer. Il doit forger son opinion sur la base de l’ensemble des indices recueillis lors de la procédure collégiale. Il doit inscrire clairement dans le dossier les motivations de sa décision. Il est fortement recommandé de colliger dans le dossier un rapport précis de l’ensemble de la procédure suivie71. Enfin c’est bien à lui qu’il revient de vérifier que conformément à la loi, sont assurés au patient les soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire visant à soulager la douleur, apaiser la souffrance psychique, sauvegarder la dignité de la personne malade et que son entourage est correctement accompagné durant le temps nécessaire. La solitude apparente du médecin en charge du patient (c’est bien en définitive sur lui que repose la décision, étape 6), doit être totalement compensée par la pratique de la concertation (étape 4) et le partage avec des collègues médecins (collégialité de l’étape 5). Plus qu’un exercice simplement multidisciplinaire (somme des avis de plusieurs disciplines soignantes) il faut ici comme ailleurs, privilégier l’interdisciplinarité (dialogue et interactions de plusieurs disciplines soignantes). C’est de la richesse des échanges que l’on peut espérer la sagesse de la décision qui sera finalement prise. 71 Cf. en annexe VI un modèle de rédaction d’un tel rapport. 79 80 La mise en œuvre pratique Un autre point important à souligner : cette procédure collégiale n’est pas requise lorsqu’il s’agit pour un médecin de décider qu’il n’y a pas lieu de mettre en œuvre un traitement jugé inutile ou dépourvu de sens. Les recommandations contenues dans les commentaires du Conseil de l’Ordre des Médecins concernant l’article 37 sont très claires : « chez un malade hors d’état de communiquer, lorsqu’il s’agit d’entreprendre un traitement, particulièrement dans l’urgence, le médecin décide de son opportunité et peut s’abstenir de toute thérapeutique ou investigation qu’il juge inutile. L’absence d’indication d’un traitement dans ces conditions ne relève pas de la procédure collégiale. » Dans ce type de situations, il convient donc de rappeler le schéma que devrait suivre la décision médicale : • Interrogation autour de la pertinence ou non de tel ou tel traitement, • Décision médicale (dans la mesure du possible suite à un échange collégial et/ou une concertation pour en assurer au mieux la sagesse) : – En cas de décision d’abstention, il est hautement souhaitable d’expliciter dans le dossier les motivations de cette décision , – En cas de décision de mise en œuvre, si le patient est capable de donner son avis : nécessité qu’il consente à cette décision. Article L1111-4 : § 4 du Code de Santé Publique Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l’article L1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. 5. La mise en œuvre pratique Article L1111-13 du Code de Santé Publique Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne de confiance visée à l’article L 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le dossier médical. Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L 1110-10 Article R4127-37 (paragraphe II) du Code de Santé Publique : Code Déontologie Médicale72 Dans les cas prévus aux articles L 1111-4 et L 1111-13, lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut décider de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés sans avoir préalablement mis en œuvre une procédure collégiale dans les conditions suivantes : La décision est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile. La décision prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigé, l’avis de la personne de confiance qu’il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses proches. Lorsque la décision concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre, selon les cas, l’avis 72 Cet article 37 du Code déontologie médicale est en cours de révision suite aux propositions du rapport de la commission d’évaluation parlementaire de la Loi de 2005. Cf. plus loin. 81 82 83 La mise en œuvre pratique des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation. La décision est motivée. Les avis recueillis, la nature et le sens des concertations qui ont eu lieu au sein de l’équipe de soins ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. Article R 1111-20 du Code de Santé Publique issu du Décret d’Application de la loi publié en février 2006 Lorsqu’il envisage de prendre une décision de limitation ou d’arrêt de traitement en application des articles L 1111-4 ou L 1111-13, et à moins que les directives anticipées ne figurent déjà dans le dossier en sa possession, le médecin s’enquiert de l’existence éventuelle de celles-ci auprès de la personne de confiance, si elle est désignée, de la famille ou, à défaut, des proches ou, le cas échéant, auprès du médecin traitant de la personne malade ou du médecin qui la lui a adressée. Le médecin s’assure que les conditions prévues aux articles R 1111-17 et R 1111-18 sont réunies. 6. Les situations à double effet La peur de la mort, la crainte du néant, la sidération face au vide qui suit le trépas, génèrent des fables consolatrices, des fictions qui permettent au déni de disposer des pleins pouvoirs. Michel Onfray 84 Les situations à double effet La loi d’avril 2005 contient un article qui n’était pas proposé initialement dans le rapport de la commission parlementaire. Il s’agit de l’article 2 souvent désigné (à tort on va le voir) comme une mise en œuvre de la théorie du double effet. 6. Les situations à double effet cheval de Troie par lequel pourra se glisser la légalisation du faire mourir, sous couvert du laisser mourir. « Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, la personne de confiance, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. » Il s’agit sans aucun doute de la partie la plus originale et la plus discutable du texte de loi, bien qu’il ait fait l’objet de peu de commentaires. Relevons cependant celui d’une juriste qui s’est penchée sur l’impact en droit pénal de la loi de 2005 : « la loi a été bien imprudente en autorisant, sans contrôle, l’usage des médicaments à double effet. Elle donne ainsi la possibilité de contourner les principes qu’elle voulait réaffirmer avec force »75. On verra que cette vision pessimiste est probablement erronée et que les gardefous existent pour que ce double effet ne se traduise pas par une légalisation des injections létales. Un article de la loi non prévu initialement Le principe thomiste du double effet L’ajout de cet article73 semble avoir eu deux objectifs : 1. Inscrire la question de la sédation dans la loi, devant les réticences du Conseil de l’Ordre à l’inscrire dans le Code de déontologie. Rappelons que si le Code de déontologie résulte d’un décret en Conseil d’État, il doit obligatoire émaner d’un texte proposé par le Conseil National de l’Ordre des Médecins. 2. Obtenir l’unanimité du vote de l’Assemblée nationale. Il permet en effet de rallier à la proposition de loi les députés les plus favorables à une ouverture permettant des pratiques d’euthanasie, tout en permettant par sa formulation ambivalente et ses références thomistes74 de préserver le vote de ceux qui sont résolument hostiles à toute ouverture de ce type. Selon l’interprétation qui en est, ou en sera faite, notamment via des jurisprudences encore à venir, soit cet article est la clef de voûte de l’ensemble du dispositif original que constitue la loi de 2005, soit il est un véritable 73 En commission spéciale du 17 novembre 2004. 74 Le principe du double effet est un principe mis en exergue par Saint Thomas d’Aquin in Summa theologica II,II,64, Éditions du Cerf (1985). Le principe du double effet est issu de la pensée théologique de Thomas d’Aquin. Il s’agissait de trouver une solution pour juger de la moralité chrétienne des actes qui peuvent à la fois avoir une conséquence bonne ou une conséquence mauvaise. Ainsi on peut examiner la question de l’autodéfense : « Est-il moralement acceptable de se servir d’une arme contre celui qui cherche à vous tuer ? ». L’utilisation d’une arme peut avoir un effet « bon » (sauver votre vie) et/ou un effet « mauvais » (tuer quelqu’un). L’approche thomiste, reprise ensuite par la plupart des moralistes catholiques, consiste à « disséquer » très finement l’acte en cause et son intentionnalité afin de déterminer si un certain nombre de conditions (qui en assurent ou non l’acceptabilité morale) sont présentes : • L’acte en lui-même ne doit pas être un acte interdit ; • L’effet positif ne doit pas résulter de la réalisation de l’effet négatif pour se produire ; • L’effet négatif ne doit pas être intentionnel mais simplement potentiel ; 75 Alt Maes Françoise, La loi sur la fin de vie devant le droit pénal, La Semaine Juridique, N° 10-11, le 8 mars 2006. 85 86 Les situations à double effet • L’effet positif doit avoir une probabilité de survenue raisonnable par rapport à la survenue de l’effet négatif et il ne doit pas y avoir d’autres moyens d’y parvenir que l’acte en cause. L’acte de l’exemple choisi (utiliser une arme pour se défendre ; effet positif : sauver sa vie ; effet négatif : tuer un autre être humain), est moralement acceptable si (et seulement si) : • Utiliser une arme n’est pas interdit ; • Sauver sa vie ne nécessite pas obligatoirement d’avoir à tuer l’autre ; • Tuer l’autre n’est pas le but recherché mais seulement le risque encouru en se défendant et il n’existe pas d’autres solutions pour sauver sa vie ; • Il existe une probabilité raisonnable de sauver sa vie en se servant de son arme sans pour autant tuer son agresseur. On voit que cette théorie est particulièrement complexe à mettre en œuvre. Elle fait appel à une vision religieuse de la moralité et fait une part essentielle à l’examen de l’intentionnalité d’un acte plutôt qu’à ses conséquences. Ainsi un acte peut avoir les mêmes conséquences mais avoir une valeur morale différente en fonction des intentions différentes des auteurs. L’application à la fin de vie Dans la problématique de la loi d’avril 2005, l’application du principe du double effet pourrait être ainsi résumée : dans quelles conditions peut-on accepter l’administration de certains médicaments (acte en cause) qui peuvent entraîner un soulagement (effet positif ) au risque de provoquer la mort du patient (effet négatif ) ? Selon une approche thomiste, pour que cette administration soit moralement acceptable, il faut que les quatre conditions suivantes soient remplies simultanément : 6. Les situations à double effet 1. L’administration de ce médicament n’est pas interdite ; 2. La mort du patient n’est pas le seul moyen de le soulager ; 3. La mort du patient n’est pas le but recherché ; 4. La probabilité de soulager le malade sans le tuer est significative. Ainsi il est clair que l’utilisation du chlorure de potassium (KCl) à doses massives76 ne résiste pas un instant au crible de la doctrine du double effet. L’utilisation de ce produit à ces doses est interdite, elle ne soulage le patient qu’en provoquant sa mort, et la probabilité de soulager le malade sans le tuer est nulle. Même si l’auteur affirme que son but n’est pas de tuer le malade mais de le soulager (condition 3) les trois autres conditions ne sont pas remplies77. Par contre l’utilisation de traitements à visée sédative pour soulager les symptômes inconfortables d’un patient en fin de vie, est, elle, rendue moralement acceptable, même s’il existe un risque de raccourcir la vie. • L’administration de ces traitements (midazolam) n’est pas interdite78; • L’accélération éventuelle de la survenue du décès n’est pas le moyen du soulagement ; • L’accélération de la survenue du décès n’est pas le but recherché ; • La probabilité de soulager le malade sans pour autant provoquer sa mort est très importante. Une situation peut poser un sérieux problème d’interprétation : l’utilisation de morphine pour soulager la douleur d’un patient, mais à des doses manifestement très 76 Comme l’ont fait par exemple le Dr Chaussoy dans l’affaire Vincent Humbert ou le Dr Tramois dans l’affaire de Saint Astier. 77 Il est très surprenant de constater que c’est pourtant principalement sur cet argument de l’intentionnalité que se base la juge d’instruction dans son ordonnance de non-lieu en faveur du Dr Chaussoy. Cf. le texte disponible sur www.collection-omega.fr 78 Elle fait au contraire l’objet de recommandations professionnelles. 87 88 Les situations à double effet supérieures aux doses nécessaires à soulager (sciemment ou par une ignorance coupable). • Certes, l’administration de morphine n’est pas interdite, l’accélération éventuelle de la survenue du décès n’est pas le moyen du soulagement, et il est toujours possible d’affirmer que l’accélération de la survenue du décès n’est pas le but recherché ; • Mais la probabilité de soulager le malade sans pour autant provoquer sa mort est infime puisque les surdoses utilisées vont justement provoquer la mort par arrêt respiratoire. Si l’on voulait utiliser la règle thomiste du double effet pour juger de la moralité de l’administration de morphine dans une situation donnée, il conviendrait donc de savoir si réellement les doses de morphine utilisées représentaient les doses nécessaires et suffisantes pour soulager le malade (recherche de la dose minimale efficace) ou si elles constituaient un surdosage manifeste dont l’intention cachée (ou l’erreur manifeste d’appréciation) conduisait bien à provoquer la mort du patient. Au final, et malgré sa réhabilitation dans le domaine de l’éthique soignante par certains bioéthiciens nordaméricains, le principe du double effet reste un principe certes intéressant sur un plan pédagogique et didactique, mais lourd, complexe et finalement assez inopérant dans la pratique soignante quotidienne. Il est par trop dépendant de l’examen des intentions et pas assez des conséquences des actes examinés. Enfin, il reste très imprégné de la morale catholique dont il est un des piliers. De la théologie à la loi, puis de la loi aux bonnes pratiques On l’a vu, l’introduction inopinée de l’article 2 de la loi par la commission spéciale chargée de l’examen de la proposition de loi déposée par les parlementaires membres de la commission Leonetti, s’est largement appuyée sur les références thomistes du principe du double effet. 6. Les situations à double effet Pourtant en pratique la traduction par la loi en est fort éloignée, n’en conservant que les prémisses. Si elle reprend bien l’examen de situations « à double effet » les conditions posées pour que l’acte à double effet soit légal sont très différentes des conditions thomistes pour qu’il soit moralement acceptable. Pour que son acte soit légal, il suffit que le médecin qui administre un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie d’un patient en fin de vie, dans le but de le soulager, en informe le malade, la personne de confiance, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie doit être inscrite dans le dossier médical. On est donc bien loin des conditions complexes de Thomas d’Aquin. Il suffit donc d’informer et d’écrire dans le dossier. La loi ne dit d’ailleurs pas clairement quand il faut informer le patient et quand on peut se contenter d’informer la personne de confiance, la famille ou les proches. On peut supposer (au vu du reste de la loi) que le malade doit être informé lorsqu’il est capable de refuser (donc capable de prendre une décision pour lui-même). Néanmoins, il convient de prendre garde que faute de vouloir affronter une conversation difficile avec un patient en fin de vie, certaines équipes ne croient pouvoir se dédouaner de leur devoir d’information, en s’adressant à d’autres que le malade lui-même, pourtant directement concerné. On le voit les conditions pour mettre en œuvre un traitement « pouvant avoir comme effet secondaire d’abréger la vie du patient » sont assez minimalistes : une lecture superficielle pourrait même y voir une autorisation des pratiques d’euthanasie. Ainsi, certains ont pu plaider que, conformément à l’article 2, il était possible d’utiliser une substance létale si le patient était d’accord (a fortiori s’il le réclamait !) et si la procédure était inscrite dans le dossier. L’avocat du Dr Chaussoy a un temps évoqué cet argument juridique pour expliquer que son client n’avait fait qu’appliquer cet article avant l’heure en injectant du potassium à Vincent Humbert « pour le soulager » alors qu’il présentait des symptômes 89 90 Les situations à double effet d’asphyxie aiguë après l’arrêt du respirateur (cf. plus haut). L’avocat de Chantal Sébire, Maître Gilles Antonowicz, s’est aussi largement appuyé sur cet article 2 pour réclamer au Tribunal le droit pour un médecin désigné par Mme Sébire d’obtenir puis de lui administrer un poison capable de provoquer sa mort « afin de soulager ses souffrances ». Il convient cependant de relire très attentivement les alinéas 4 et 5 de l’article L1110-5 du Code de Santé Publique, intégrant l’article 2 de la loi d’avril 2005. 4. Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. 5. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l’article L 1111-2, la personne de confiance visée à l’article L 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. 6. Les situations à double effet D’une part, il ne s’agit pas de soulager la douleur (question traitée à l’alinéa 4), mais de soulager la souffrance. Or, la souffrance n’est pas la douleur, pour reprendre le titre d’un texte remarquable de Paul Ricœur79. Pour aller (trop) vite on pourrait dire que la douleur c’est avoir mal, quand la souffrance c’est être mal. Le législateur, dès la loi de 99 sur les soins palliatifs, fait bien la différence entre douleur et souffrance. En définissant le champ d’action des soins palliatifs (actuel article L 1110-10 du Code de Santé Publique), il précise qu’ils visent notamment « à soulager la douleur » et « à apaiser la souffrance psychique » qui ne sont à l’évidence pas équivalentes. D’autre part l’utilisation de la morphine (et de ses dérivés) en fin de vie pour soulager la douleur ne renvoie pas à des situations à double effet. Le maniement correct des morphiniques consiste précisément à trouver la dose qui soulage, sans entraîner d’effets secondaires notables, tant sur le niveau de vigilance que sur la respiration. Dans l’immense majorité des cas, chez un patient en fin de vie, la prescription d’une surdose de morphine qui risque s’avérer mortelle, témoigne soit de l’incompétence grave de celui qui la prescrit, soit de sa volonté de provoquer délibérément la mort. Il faut réaffirmer haut et fort que bien utilisée la morphine ne provoque jamais une « mort fine » et que si elle est utilisée correctement la morphine ne peut (et ne doit) pas « avoir pour effet secondaire d’abréger la vie ». Les conditions dans lesquelles il s’applique sont donc celles où « le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie ». En fait, les situations de fin de vie à double effet possible (soulagement ou accélération du décès) sont essentiellement celles pour lesquelles se pose la question de l’utilisation de traitements à visée sédative. Il s’agit ici de soulager une souffrance (être mal), lié à un symptôme réfractaire et impossible à soulager autrement. On a souvent réduit le champ de cet article 2 (traduit dans le Code de Santé Publique par l’alinéa 5 du L11105) à l’utilisation de doses importantes de morphine. Cette interprétation ne résiste pas à un examen attentif. Cette pratique de la sédation (terme imprécis auquel on préférera donc celui d’utilisation de traitements à visée sédative) est bien le véritable sujet de l’article 2. Il est 79 Ricoeur Paul, La souffrance n’est pas la douleur, revue Autrement, n° 142, février 1994. 91 92 Les situations à double effet nécessaire que soient déterminées précisément les limites qui doivent encadrer ces pratiques afin d’éviter qu’elles ne se transforment en pratiques « d’euthanasie lente » ou soient perçues comme telles. Il existe en effet une tendance récurrente à assimiler dans l’opinion publique la pratique d’une sédation à une pratique « d’euthanasie déguisée ». Depuis l’adoption de la loi légalisant l’euthanasie la question est régulièrement posée aux PaysBas80. On constate en effet une augmentation significative du pourcentage de décès liés à cette pratique entre 2001 et 2005 (5.6 % vs 7.1 %) alors que dans le même temps le nombre d’euthanasies déclarées était en baisse (2.6 % vs 1.7 %)81. De même, en France, à l’occasion des débats médiatiques récurrents, la confusion est fréquente entre deux pratiques pouvant apparaître comme similaires. Il est donc très important, comme s’y attachent les nouvelles recommandations sur la sédation en fin de vie, conduites sous l’égide de la SFAP et sous le patronage de la HAS82, de bien préciser la limite entre des pratiques visant à soulager le patient et/ou améliorer son confort, et des techniques de sédation utilisées dans un but euthanasique. Afin d’exclure des visées euthanasiques les produits sédatifs utilisés permettent à la fois une titration (recherche du niveau minimum de sédation permettant d’assurer le confort du patient) et une réversibilité (retour à une conscience normale rapide après l’arrêt de l’administration). Il ne s’agit jamais de provoquer la mort par le moyen de la sédation, par exemple en empêchant les fonctions naturelles d’alimentation et de boisson chez un patient qui en serait capable s’il n’était pas endormi artificiellement. La mise en œuvre d’une sédation permanente sans nourrir 80 Van Delden J.J.M., Terminal sedation. Source of a restless ethical debate. J Med Ethics 2007:33 ;187-188. 81 Sheldon T., Incidence of euthanasia in the Nederland falls, British Medical Journal, 2007:334 ; 1075. 82 Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs et Haute Autorité de Santé. À consulter via le site www.collection-omega.fr dès qu’elles seront officiellement validées. 6. Les situations à double effet et hydrater artificiellement, comme solution technique au désir de mort d’un patient qui, n’étant pas en situation de maintien en vie artificielle, ne peut pas mettre en œuvre une procédure volontaire d’arrêt d’un tel traitement, ne constituerait rien d’autre qu’une méthode d’aide médicalisée au suicide. La reconnaissance de ce type de pratiques constituerait sans aucun doute l’ouverture d’un droit au suicide médicalement assisté. Il convient donc de réserver l’utilisation de traitements à visée sédative : • À l’initiative des professionnels de santé et non à l’initiative du malade ou de son entourage réclamant une sorte de « droit à la sédation » ; • Dans le cadre précis du traitement médical de situations extrêmes envisagées dans les recommandations de bonnes pratiques ; • Après discussion dans un cadre interdisciplinaire ; • En excluant toute visée euthanasique «déguisée» ; • Après avoir obtenu l’accord du patient et/ou de son entourage selon les circonstances (conformément aux préconisations légales). Il est important de pouvoir expliciter au patient et/ ou à son entourage la possibilité de mise en œuvre de traitements à visée sédative en tant que de besoin dans les conditions décrites ci-dessus. C’est souvent une vraie réponse aux questions amenant à la demande de suicide assisté et/ou d’euthanasie. D’une part, il est rassurant pour tous de savoir qu’on ne laissera pas le patient vivre une situation insupportable. L’utilisation de traitements à visée sédative, aux doses nécessaires et suffisantes, entraînera une diminution de sa conscience, proportionnelle à cette sensation « d’insupportable ». D’autre part, cela permet de respecter les valeurs du soin concernant le refus de provoquer artificiellement la mort, tout en faisant tout ce qui est nécessaire pour soulager le patient et son entourage de leurs souffrances. C’est une des réponses possibles pour certaines situations extrêmes. 93 95 7. Des décisions parfois bien complexes pour des patients en capacité de décider pour eux-mêmes Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges Comme un mort raisonnable qui a su mourir Un mort non couronné sinon de son néant Paul Éluard 96 7. Des décisions parfois bien complexes… Des décisions parfois bien complexes… M. S. : « Arrêtez ce respirateur qui me maintient en vie contre ma volonté. » M. S.83 est un homme de cinquante ans, atteint depuis vingt-cinq ans d’une SLA (sclérose latérale amyotrophique). Il y a treize ans, alors que la maladie progressait et faisait craindre une détresse respiratoire, M. S. avait formellement exprimé son désir que, dans une telle éventualité, on le laissât mourir, sans pratiquer la trachéotomie et une respiration artificielle qui, seules, pourraient permettre de le maintenir en vie. Malgré tout, lorsque survint l’épisode asphyxique, les médecins qui le prirent en charge, pratiquèrent une trachéotomie et mirent en œuvre une assistance respiratoire. Il continua donc à vivre. Du fait de l’évolution de sa terrible maladie, il était incapable de bouger une quelconque partie de son corps, à l’exception de sa tête (et d’une minuscule contraction au niveau de la paume). Sa vie était maintenue artificiellement par une machine, qui respirait à sa place, et un tube dans l’estomac qui lui apportait les nutriments qu’il ne pouvait ingérer. Tout maintien à domicile s’avérant impossible dans sa situation, il fut transféré dans une maison de retraite où il vécut pendant ces treize dernières années. Grâce à l’extraordinaire mobilisation de toute l’équipe qui le prit en charge, sa qualité de vie était aussi bonne que possible dans une telle situation. Très entouré par sa famille, il put voir sa fille grandir, et s’orienter vers des études d’infirmière. Néanmoins pendant toutes ces années il demanda à intervalles réguliers l’arrêt du respirateur ou une aide pour mettre fin à ces jours. L’équipe, mobilisée pour lui assurer la meilleure qualité de vie possible, vivait très mal ses demandes répétées, ne pouvant, évidemment, envisager d’y répondre concrètement. Devant une majoration de ses demandes qu’on le laissa mourir et en raison du malaise grandissant qu’elles engendraient au sein de l’équipe, le médecin responsable 83 Les initiales ont été modifiées comme toutes celles des autres patients dont le cas est évoqué dans cet ouvrage. fit appel à un réseau de soins palliatifs. Deux membres de ce réseau intervinrent pour tenter de trouver une solution. Informé du vote de la loi d’avril 2005, M. S. demandait explicitement à ce qu’elle lui fut appliquée. Les membres du réseau proposèrent alors un transfert dans une unité de soins palliatifs (USP), pour que soient étudiées les conditions de mise en œuvre de la loi. Après l’accord du patient, de sa famille, et de l’équipe de la maison de retraite, le principe du transfert fut retenu et notre prise en charge commença. Une première rencontre entre le patient et le médecin de l’USP est organisée à la maison de retraite. La communication passe par la formulation progressive de mots, à partir du choix de lettres sur un alphabet84. Elle est donc longue et laborieuse, même si, parfois, on arrive à lire sur ses lèvres quelques mots. Les termes exacts de la loi et les conditions d’évaluation de son éventuelle application lui sont réexpliqués. Il est précisé que l’objectif du séjour est d’évaluer la réalité de la volonté que soit arrêté le respirateur. Les conséquences de cet éventuel arrêt sont clairement explicitées : le décès vraisemblable dans les heures qui suivront. Il est, dès ce premier entretien, expliqué que, conformément à la loi, tout ce qui est possible de faire pour le soulager après l’arrêt de la machine sera entrepris. La possibilité du recours à des traitements à visée sédative est notamment évoquée, La question de la poursuite ou non de la nutrition assistée est posée. Un mois plus tard, après confirmation par le malade de son souhait d’y être transféré, il est accueilli dans l’USP, accompagné par les deux membres du réseau qui le suivent depuis maintenant plusieurs mois, et qui font le lien entre les deux équipes. Le séjour de M. S. dure trois semaines. Durant cette période il lui est à de nombreuses reprises, expliqué que si, conformément à la procédure prévue par la loi, il demande le retrait de la machine d’assistance respiratoire, celle-ci sera arrêtée. Mais que rien ne l’oblige, bien au contraire, 84 Comme pour Vincent Humbert. 97 98 Des décisions parfois bien complexes… à persévérer dans cette demande. Il lui est rappelé que conformément aux engagements pris, sa chambre l’attend à la maison de retraite. Qu’il peut donc – maintenant qu’il sait qu’on accédera à sa demande quand il le souhaitera – décider d’y surseoir. Il lui suffira le moment venu de la reformuler pour retrouver des conditions similaires dans le service. Pendant quelques jours, les membres de l’équipe pensent qu’ils l’ont convaincu de surseoir à sa demande. Mais, finalement, le patient énonce clairement sa demande d’arrêt du traitement de maintien artificiel en vie que constitue pour lui l’assistance respiratoire. Parfaitement en état d’exprimer sa volonté, celle-ci doit donc être respectée après son renouvellement dans un délai raisonnable, fixé à une semaine d’un commun accord avec le médecin. Conformément aux résultats de longues discussions, aussi bien avec lui, qu’avec l’équipe soignante et sa famille, la procédure suivante est mise en œuvre, et inscrite dans le dossier. Une « prémédication » est réalisée par voie sous-cutanée (utilisation d’un traitement à visée sédative, du midazolam). La famille de M. S., reste à ses côtés jusqu’à son endormissement paisible. Ils cèdent ensuite la place à l’équipe (médecin et infirmière) qui s’assure d’un niveau de sédation suffisant pour éviter toute sensation consciente d’étouffement. C’est le médecin qui procède au débranchement de la machine. L’autonomie respiratoire de M. S. (le temps durant lequel il peut respirer seul, sans l’aide de la machine) est habituellement d’environ une demi-heure. C’est le temps (lors de la toilette par exemple) au bout duquel il demande à ce que l’on rebranche la machine car il manque d’air. Mais après plus d’une heure sans la machine, M. S. respire toujours paisiblement. Aucun signe d’inconfort ne se manifeste, le niveau de sédation est maintenu au niveau minimum nécessaire. Malgré la demande initialement formulée par M. S., il lui a clairement été expliqué qu’en aucun cas ne serait administrée une substance provoquant ou accélérant la survenue de la mort. C’est la ligne infranchissable qui permet à l’équipe de s’inscrire dans le cadre à la fois éthique et légal. 7. Des décisions parfois bien complexes… Garantissant à M. S. tous les soins nécessaires à son confort après l’arrêt à sa demande de ce qui le maintient artificiellement en vie, l’équipe soignante remplit pleinement son rôle. Elle accompagne jusqu’au bout ce patient ayant revendiqué son droit au « laisser mourir » que la loi d’avril 2005 lui a conféré. Finalement c’est au bout de presque cinq heures de sevrage de la machine que la respiration de M. S. va s’amenuiser, son rythme cardiaque se ralentir, et que la mort va survenir, paisible délivrance. Quelques jours après le décès, une séance spécifique avec le superviseur85 de l’équipe rassemble celles et ceux qui ont participé à cette prise en charge assez inhabituelle dans un service dont l’activité principale est l’accompagnement de patients en fin de vie. C’est l’occasion pour chacune et chacun de raconter son vécu, ses questions, ses doutes. Chacun s’accorde sur le fait que nous nous sommes bien conformés à la vocation du service, qui est de prendre en charge les situations complexes de fin de vie. En arrêtant le respirateur, conformément à la loi et à la demande du patient, l’équipe n’a fait que réparer l’erreur commise il y a treize ans, lorsque des manœuvres de réanimation ont été entreprises contre la volonté préalablement exprimée par le patient. Une discussion s’engage autour des dernières « paroles » que M. S. a adressées à l’équipe avant de s’endormir : « Vous êtes des gens formidables ». Ce n’était pas forcément l’impression qu’ils avaient d’eux-mêmes alors qu’ils allaient laisser mourir un homme, certes dramatiquement atteint par sa maladie, mais qui, s’il avait accepté de continuer à subir son assistance respiratoire, pouvait rester en vie de nombreuses années. N’était-ce donc pas là une sorte d’assistance au suicide, entendu comme mort désirée, pour un patient incapable de mettre en œuvre lui-même cette ultime atteinte à son intégrité ? Le point le plus important qui se dégage de 85 Psychologue qui anime régulièrement un groupe de parole ou d’analyse de pratiques au sein d’équipes soignantes confrontées à des situations difficiles. 99 100 Des décisions parfois bien complexes… cette discussion est le fait que rien d’actif n’a été fait pour provoquer la mort. C’est ce qui rend l’attitude adoptée compatible avec la conception de l’éthique soignante que se fait le groupe. La maladie de M. S. ne lui permettait pas de rester en vie sans le recours à un moyen artificiel qu’il refusait (alors qu’il lui avait été imposé contre son gré). Face à cette situation, deux postures auraient semblé à l’équipe tout aussi inacceptables l’une que l’autre. La première aurait été de lui dire que l’on avait bien compris son refus du moyen technique qui le maintenait en vie, mais qu’il n’était pas possible de réparer ce qu’il considérait comme une erreur médicale. Et donc qu’en quelque sorte, il était condamné à vivre comme un héros (enfermé conscient dans son corps paralysé) suite à une décision médicale prise contre son gré. Pour tous ceux qui participaient à la discussion, c’était bien à lui de choisir si, comme d’autres, tout aussi respectables dans leur décision, il voulait bénéficier des progrès de la médecine ou si, au contraire, il souhaitait qu’on le laisse mourir en paix. La seconde posture aurait été de considérer trop vite comme acquis son désir d’en finir, de passer à l’acte sans entamer le travail complexe d’accompagnement du patient et de sa famille. De même accéder à sa demande d’assistance à un suicide rendu impossible par la maladie, en lui administrant une substance létale, est apparu à tous tout aussi contraire à nos valeurs de soignants, quelles que soient nos positions philosophiques ou religieuses, d’ailleurs très hétéroclites. Les acteurs directs des derniers instants ont pu dire combien, finalement, il leur avait paru important que la mort ne survienne qu’au bout de cinq heures (et non cinq minutes) après l’arrêt de la machine. Cela leur a permis ainsi de bien faire la part entre ce qui était du respect de la volonté du patient (l’arrêt de la machine), et ce qui était de leur nécessaire travail d’accompagnement de celui qui doit pouvoir mourir en paix. 7. Des décisions parfois bien complexes… 101 La limite infranchissable, autant pour des raisons éthiques que pour des raisons légales, aurait été de vouloir accélérer la survenue de la mort. Cette demande avait bien sûr été formulée. La réponse faite était sans ambiguïté. « Nous ferons tout ce que nous savons faire pour vous soulager jusqu’au bout. Mais nous ne ferons rien pour vous tuer car nous vous respectons trop ». Cette réponse avait été comprise : « Je sais bien qu’il faut que vous puissiez continuer, après » avait répondu M. S. avec son inimitable sourire. Heureusement, il s’agissait là d’une situation très exceptionnelle. Grâce à la prise en charge par une équipe parfaitement entraînée à gérer de manière interdisciplinaire la complexité et la singularité des fins de vie et dotée des outils nécessaires à cette gestion, des solutions acceptables ont pu être trouvées. Cela a nécessité beaucoup de temps de discussion avec le patient lui-même, sa famille, et l’équipe qui avait assuré sa prise en charge pendant des années. À situation exceptionnelle, moyens exceptionnels. C’est bien là un des rôles des unités de soins palliatifs. Tous les membres impliqués se sont néanmoins accordés sur le fait qu’il n’était pas envisageable « de faire ça tous les jours ». Laissez mourir un patient par l’arrêt d’un moyen de maintien artificiel en vie est – et doit rester – un geste grave, dont la proximité avec un geste transgressif doit conduire à un encadrement rigoureux. En ce sens les dispositifs de la loi de 2005 sont particulièrement aidants à condition de les connaître… et de les appliquer correctement. M. N. : « Je ne veux pas qu’on arrête ma nutrition artificielle. » Le cas de M. N. est tout aussi exemplaire, même s’il semble opposé à celui de M. S. Ce patient est atteint d’une maladie très rare, voisine de la SLA. Le corps, qui ne répond plus ou mal à la commande de l’esprit, est en plus agité de tremblements identiques à ceux de la maladie de Parkinson. Cela fait 102 Des décisions parfois bien complexes… plusieurs années qu’il ne peut s’exprimer qu’en désignant en tremblant sur un alphabet les lettres constituant les mots qu’il veut prononcer. Il est hospitalisé dans notre USP pour un second séjour dit « de répit familial ». Grâce à une organisation complexe, il vit habituellement à son domicile, ce qui est son souhait. Mais sa femme a besoin de repos et il est donc convenu qu’il passe trois semaines dans notre structure qu’il connaît déjà, pour y avoir séjourné, six mois auparavant. À son arrivée, il est clair que la situation n’est pas bonne. Incapable de s’alimenter naturellement il est nourri depuis plusieurs mois par gastrostomie (sonde introduite directement dans l’estomac à travers la paroi abdominale). C’est lui qui en a fait la demande lorsqu’il a été clair que les troubles de déglutition qu’il présentait, allaient entraîner sa mort par dénutrition. Depuis, il est maintenu artificiellement en vie par les substances nutritives administrées, par l’intermédiaire d’une pompe, dans son estomac. Malgré tout, il est très dénutri. En effet, il est de plus en plus difficile de lui apporter les quantités nécessaires car le liquide nutritif remonte dans son œsophage et pénètre dans ses poumons, provoquant des épisodes d’asphyxie. Cela provoque des infections pulmonaires nécessitant des hospitalisations itératives et des traitements antibiotiques lourds. Dans le service, il fait plusieurs crises de ce type qui mettent clairement en jeu son pronostic vital à court terme et qui apparaissent à tous (famille, équipe soignante) comme aussi éprouvantes qu’inconfortables. Un dilemme se pose. Soit on continue ainsi à le nourrir artificiellement par la gastrotomie et ses crises asphyxiques font courir le risque probable qu’il en meure dans des conditions dramatiques. Soit on diminue encore les apports, mais on laisse s’aggraver la dénutrition, avec ses conséquences potentiellement inconfortables, et la certitude d’une mort inéluctable en quelques semaines86. 86 Voir le chapitre sur les questions liées à l’arrêt de la nutrition. 7. Des décisions parfois bien complexes… 103 Comment faire en sorte de ne pas franchir la limite du raisonnable ? La loi de 2005 est claire : si le malade est en état d’exprimer sa volonté, c’est à lui de décider de ce qui est, pour lui, une obstination déraisonnable. Mais, avec M. N. la communication est complexe, voire incertaine. La maladie dont il est atteint peut entraîner une altération des fonctions cognitives, et il présente, comme Vincent Humbert, un syndrome frontal87. La question à résoudre est donc : « Est-il en état d’exprimer sa volonté ? ». En cas de réponse positive, ce sera à lui de nous dire ce que nous devons faire. Sinon, nous aurons à déclencher, dans le cadre prévu par la loi de 2005, une procédure collégiale permettant de décider si, oui ou non, il y a lieu de considérer la nutrition artificielle comme une obstination déraisonnable (et donc s’il y a lieu ou non de procéder à une limitation ou un arrêt de ce traitement de maintien artificiel en vie). Autrement dit est-ce que nous sommes dans la situation 1 ou la situation 2, telles qu’envisagées par la loi88 ? La réponse à la question du délai de l’espérance de vie (quelques semaines plutôt que quelques mois ?) n’est pas évidente non plus. Mais cela ne change pas vraiment les choses quand à la procédure (situations 3 ou 4 ?). Le médecin, qui le suit depuis de nombreuses années, grand spécialiste de cette maladie, est consulté. Il confirme que, selon lui, malgré certaines altérations cognitives et les grandes difficultés de communication, il faut considérer M. N. comme en état de décider pour lui-même. Nous sommes donc face à un patient correspondant à la situation 1 (comme M. S. du chapitre précédent) ou éventuellement 3 (ce qui ne change rien à la procédure) : c’est à lui de décider. Il faut lui exposer clairement le dilemme posé par la situation actuelle et les trois solutions possibles pour y faire face, afin d’obtenir son avis. Bien entendu sa famille 87 Le syndrome frontal est l’association de plusieurs symptômes observés lors d’atteinte du lobe frontal du cerveau : il associe souvent des troubles comportementaux et cognitifs. 88 Cf.le chapitre ci-dessus sur les principes de la loi d’avril 2005. 104 Des décisions parfois bien complexes… (femme, enfants) est tenue informés de cette démarche. Une première solution, s’il souhaite poursuivre la nutrition médicalement assistée, consiste à lui mettre en place une nutrition intraveineuse. Cela nécessite l’implantation d’un cathéter dans sa veine sous-clavière. Une seconde solution, s’il ne souhaite pas poursuivre le maintien artificiel en vie par une nutrition médicalement assistée, est l’arrêt de tout apport (hydrique et nutritionnel), ce qui conduira à ce que la mort survienne dans un délai d’environ une semaine dans des conditions de confort qu’il est possible de lui garantir89. Enfin la troisième solution est le statu quo actuel, qui nous apparaît comme la plus discutable. À la plus grande surprise, à la fois de l’équipe soignante, et de son entourage, M. N. va, sans aucune ambiguïté, refuser la première solution (pose d’un cathéter veineux et mise en route d’une nutrition parentérale) et la seconde (arrêt de la nutrition/hydratation médicalement assistée). Il exprime clairement le souhait que les apports par la gastrotomie ne soient pas suspendus, malgré les risques de survenue des épisodes d’inhalations bronchiques. Dans ses conditions, la première solution est impossible (pas de consentement au traitement proposé). La seconde serait inacceptable (arrêt d’un traitement de maintien artificiel en vie contre la volonté d’un patient capable de décider pour lui-même). Seule la troisième solution est donc possible. Reste l’obligation d’assurer au patient le meilleur confort possible (ou le moins mauvais). C’est pourquoi il lui est proposé que soient utilisés, lors de ces épisodes asphyxiques, désagréables et angoissants, des traitements à visée sédative, dont l’action est rapidement réversible après la fin de la crise. Il accepte cette proposition. C’est donc ce qui est fait à chaque épisode asphyxique. Le traitement à visée sédative administré provoque une perte de conscience. Puis au bout d’une heure environ, M. N. se réveille, sans garder de souvenirs de l’épisode qui 89 Notamment l‘absence de toute sensation de faim ou de soif, grâce à une prise en charge appropriée. 7. Des décisions parfois bien complexes… 105 vient de se dérouler en raison du pouvoir amnésiant du produit utilisé. Mais quelques jours plus tard, au cours de l’administration de la nutrition dans l’estomac, un nouvel épisode de détresse respiratoire particulièrement sévère survient. Cette fois, au bout de plusieurs heures, M. N. ne se réveille pas. Il est dans le coma. Sa famille est prévenue de l’aggravation et du pronostic très réservé. Douze heures plus tard, après avoir repris conscience et passé un long moment seul avec son fils, M. N. meurt paisiblement et sereinement, comme s’éteint une bougie, entouré des siens. Cela faisait huit ans qu’il avait été rendu partiellement puis complètement dépendant par une maladie horrible qui avait totalement bouleversé la quiétude familiale. Cela faisait presqu’un an qu’il était maintenu, à sa demande, artificiellement en vie. L’histoire de M. N. rappelle que la première question à se poser est « Le patient est-il ou non en état de décider pour lui-même ? » Il est plus que probable que, dans cette situation très particulière, si la décision avait dû être prise par le médecin (dans le cadre de la procédure collégiale), ce n’est pas celle que le patient a finalement choisie qui aurait été mise en œuvre. Cela illustre la difficulté incombant au médecin de tenter de prendre la décision la plus en adéquation possible avec ce qu’aurait été celle du patient, sans évidemment aucune certitude d’y parvenir. M. A. : « Je veux qu’on me laisse mettre fin à mes jours. » L’histoire de M. A. va nous amener à nous interroger sur les limites entre l’application de la loi et une certaine forme d’assistance au suicide. M. A. est un homme d’une quarantaine d’années, lui aussi atteint d’une sclérose latérale amyotrophique. Révolté par la maladie qui le frappait et par l’inacceptable atteinte à son autonomie qu’elle lui imposait, il avait envisagé différents moyens de mettre fin à ses jours. Il s’était même rendu en Belgique, afin de « bénéficier » de la loi autorisant la pratique des injections létales. Il y avait 106 Des décisions parfois bien complexes… renoncé, notamment en raison de l’impact psychologique probable que cela aurait eu sur sa femme et ses jeunes enfants. Parfaitement informé, lors d’un de ces précédents séjours dans notre unité de soirs palliatifs, des dispositions de la loi d’avril 2005, il avait écrit des directives anticipées, et désigné une personne de confiance. L’évolution de sa maladie, si elle le laissait totalement dépendant pour tout acte de la vie quotidienne, ne le plaçait pas dans une situation de maintien artificiel en vie. S’il ne pouvait plus mobiliser son corps, ni même parler90, il était capable de respirer de manière autonome, et de s’alimenter en ingérant les aliments qu’on lui portait à la bouche. Il ne pouvait donc invoquer les dispositions légales pour obtenir qu’on le laisse mourir. Il exprimait une grande colère, face à ce qui lui semblait une injustice scandaleuse. Notre propos n’est pas de revenir ici sur la profonde – mais légitime, respectable et compréhensible – ambivalence de sa demande « d’en finir »91. Ce qui est intéressant à ce moment de notre réflexion, est la décision qu’il prend en début d’année 2008, probablement après plusieurs mois de réflexion. Il décide d’organiser une grande fête avec tous ces amis92, puis de cesser de s’alimenter (et de boire). Il s’agit pour lui de la seule façon de mettre fin à ses jours. Il est toutefois inquiet sur l’inconfort que pourrait lui entraîner cette décision. Il émet le souhait d’être accompagné – et soulagé – dans ses derniers jours en étant hospitalisé dans notre unité de soins palliatifs où il a déjà séjourné à plusieurs reprises. Nous donnons un accord de principe. 90 Pendant un temps capable de taper sur un clavier d’ordinateur il avait fallu l’équiper d’un capteur frontal lui permettant de taper les mots sur un écran pour lui permettre de poursuivre sa vie relationnelle. Jusqu’à ses tout derniers jours il communiqua par mail et tint à jour son blog. 91 Sur cette question la lecture de son blog est édifiante. Il était toujours en ligne au moment de la rédaction de cet ouvrage. Un lien est disponible sur le site www.collection-omega.fr 92 Le remarquable ouvrage (Retour en Terre, 2007) que Jim Harrison a consacré a un de ses héros atteint de cette même terrible maladie, évoque des circonstances similaires, même si les moyens utilisés diffèrent. 7. Des décisions parfois bien complexes… 107 Pour des raisons connexes, ce n’est finalement pas dans notre unité qu’il est hospitalisé, lorsqu’après avoir mis en œuvre sa décision d’arrêter de boire et de manger (i.e. son suicide), son état devient incompatible avec le maintien à domicile. Confrontés à une situation très inhabituelle et à un patient qu’ils ne connaissent pas directement, les médecins de ce service prennent la décision de perfuser M. A., afin de le maintenir en vie. Il tente désespérément de faire valoir son droit à refuser la perfusion. L’équipe médicale évoque, elle, son devoir de ne pas le laisser mourir ainsi. Finalement, après quelques heures, c’est son épouse, qui arguant de son statut de personne de confiance, et des directives anticipées de son mari, débranche la perfusion et organise dans la journée le transfert vers notre USP tel que prévu initialement. C’est là que M. A., apaisé, décède moins de quarante-huit heures après son arrivée, en présence de son épouse, et après avoir pu dire au revoir à ses enfants. Au cours de cette ultime hospitalisation, M. A. a reçu, aux doses nécessaires et suffisantes, les médicaments permettant le soulagement de son angoisse et de la douleur entraînée par les mobilisations. II a également reçu les soins nécessaires à la prise en charge de sa sécheresse de bouche. Ainsi, la situation médicale de M. A. ne lui permettait pas d’obtenir, contrairement à M. S., un moyen via la loi d’avril 2005, de faire cesser une vie dont il ne voulait plus. Il a néanmoins bénéficié des droits ouverts par cette loi en refusant la perfusion qu’on a voulu lui imposer (avec difficulté en raison d’une méconnaissance certaine de la part des professionnels de santé qui l’avait pris en charge) et en obtenant le droit à être soulagé des symptômes gênant la qualité de sa fin de vie (traitements antalgiques et anxiolytiques, soins de confort). Si cela avait été nécessaire, il aurait également reçu des traitements à visée sédative (provoquant une diminution de son état de conscience pour contrôler des symptômes gênants incontrôlables par un autre moyen), conformément à ce que permet l’article 2 de la loi93. 93 Cf. plus haut : le principe du double effet. 109 108 Des décisions parfois bien complexes… Nous en sommes arrivés, avec le cas de M. A., à la limite extrême de ce qu’encadre la loi (le laisser-mourir) et de la frontière, tenue mais efficace, qu’elle trace avec le « fairemourir ». Il convient de rester très vigilant sur cette limite. En effet, comme aimait à le rappeler le savant Cosinus, un des protagonistes des épisodes truculents des aventures de la famille Fenouillard94 : « Au-delà des bornes, il n’y a plus de limite ». C’est peut-être un des points fondamentaux d’une éthique soignante responsable : respecter les bornes fixées collectivement. 8. Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques de maintien artificiel en vie pour des patients incapables d’en décider eux-mêmes Vous voudriez connaître le secret de la mort. Mais comment le trouverez-vous sinon en le cherchant dans le cœur de la vie ? Car qu’est-ce que mourir sinon se tenir nu dans le vent et se fondre dans le soleil ? Khalil Gibran 94 Bande dessinée de Christophe parue à la fin du XIXe siècle, La citation exacte est «Quand la borne est franchie, il n’est plus de limites». Pierre Dac et Jacques Lacan ont également utilisé cette maxime définitive. 110 Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… Mme X. : jusqu’où ne pas aller trop loin ? Mme X. était une femme de soixante-dix ans, active retraitée, qui s’adonnait à de nombreuses activités dont le tennis qu’elle continuait à pratiquer avec assiduité. Elle fut brutalement victime d’un accident vasculaire cérébral hémorragique (une « attaque cérébrale ») qui la plongea dans un coma profond pendant plusieurs semaines. Objet de soins attentifs de réanimation, elle survécut à la phase aiguë malgré la gravité de la situation initiale. Mais ne récupéra pas ses fonctions intellectuelles. Si elle respirait toute seule, elle était parfaitement incapable de manger, ni même d’ingérer les aliments qu’on lui glissait dans la bouche. Elle « avalait de travers », inhalant les particules alimentaires dans ses poumons, ce qui provoquait de graves infections pulmonaires. Les médecins afin de permettre sa survie malgré son incapacité de se nourrir, proposèrent alors une technique de nutrition médicalement assistée (l’administration de solutés nutritifs via un tube de gastrostomie, directement dans son estomac). En état quasi végétatif (elle répondait en fait mieux à la définition d’un état pauci-relationnel car elle restait sensible à quelques rares stimulations) elle nécessitait une prise en charge constante rendant tout retour à domicile impossible. Elle échoua dans un EHPAD95 où les jours s’écoulaient, rythmés par les visites de sa fille. Celle-ci était particulièrement éprouvée par l’état de sa maman, avec qui aucune véritable communication n’était possible ni aucune vie relationnelle quelconque. Les mois passèrent sans évolution favorable de l’état neurologique. Par contre des escarres apparurent, notamment au niveau du sacrum, en lien avec son alitement permanent. Ces escarres se creusèrent de plus en plus, malgré des soins adaptés. Une fistule finit même par se créer avec l’intestin. Les matières fécales s’évacuant désormais par l’escarre du sacrum, un chirurgien fut consulté. Il proposa une intervention chirurgicale permettant de dériver le tube digestif sur une colostomie équipée d’une poche, afin d’envisager la fermeture de la fistule et (pourquoi pas ?) la 95 Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes : nouvelle appellation des maisons de retraite médicalisées. 8. Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… 111 guérison de l’escarre. C’est à ce moment que fut posée la question d’une éventuelle obstination déraisonnable, par l’équipe soignante et par la fille de la patiente. Le médecin responsable de la patiente, peu familier de ce type de questionnements et de l’application de la loi Leonetti, préféra, à juste titre, demander un avis complémentaire à notre équipe. Constatant la complexité de la situation, les questions posées sur une éventuelle douleur ressentie par la patiente, sur la souffrance importante de l’entourage, il lui fut alors proposé de transférer la patiente dans notre service afin de procéder à une évaluation plus précise de la situation. Il était convenu qu’à l’issue de cette évaluation (une ou deux semaines) et, le cas échéant, la patiente pourrait réintégrer son équipe soignante habituelle. Cette proposition étant acceptée par toutes les personnes concernées, la patiente fut donc transférée dans l’USP. C’est à ce moment que commença donc notre prise en charge. Il est tout d’abord procédé à un ajustement du traitement antalgique permettant d’assurer l’absence de douleurs (notamment lors des soins). L’état pauci relationnel, stable depuis plus de neuf mois est avéré, ainsi que le maintien artificiel en vie par une nutrition médicalement assisté, sans aucun espoir raisonnable d’amélioration. La patiente est totalement hors d’état de manifester sa volonté de poursuivre ou non cette situation de maintien artificiel en vie. L’équipe, constate que sans aucun doute, on se trouve devant une situation de type 2 ou 4 (maintien artificiel en vie, patient hors d’état d’exprimer sa volonté, avec une espérance de vie possible allant de plusieurs semaines à plusieurs mois). Il va donc falloir, à l’issue d’une procédure collégiale, s’efforcer de reconstituer ce qu’aurait été la volonté de cette dame, si elle avait pu décider pour elle-même, pour prendre la décision la plus proche de ce qu’aurait été la sienne. En l’absence de directives anticipées et de désignation explicite d’une personne de confiance, c’est au travers des avis de la famille et des proches que va se faire cette recherche. La fille de la patiente, par ailleurs prise en charge 112 Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… par la psychologue du service, parle longuement de la vie très active de sa mère, de son désir maintes fois exprimé de ne pas « terminer en chaise roulante » et de son absence de convictions religieuses (qui aurait pu lui faire considérer l’alimentation, même par des voies artificielles, comme un devoir sacré de respect de la vie). Le fils de la patiente, est également impliqué dans la discussion. Une réunion d’équipe pluridisciplinaire ne recueille aucun avis favorable à l’intervention chirurgicale, ni même à la poursuite de la nutrition médicalement assistée. Dans le cadre de la procédure collégiale prévue par la loi, l’avis d’un second médecin, indépendant de tout lien hiérarchique avec le médecin de l’USP en charge de la patiente est requis. C’est le médecin de l’EPHAD qui est sollicité. Il se prononce également en faveur d’un arrêt de toutes les mesures de maintien artificiel en vie, mais souhaite que l’accompagnement de ce « laisser mourir en paix » soit réalisé dans l’USP, en continuité de la prise en charge actuelle. L’ensemble de la procédure est inscrit dans le dossier. Les deux enfants sont informés de la décision prise d’arrêter le maintien artificiel en vie de leur maman, tout en lui assurant l’ensemble des soins de confort nécessaires au maintien de sa qualité de vie. Plusieurs entretiens permettent à sa fille d’exprimer son inquiétude sur le fait que sa mère allait « mourir de faim et de soif » et que la phase d’agonie précédant la mort risquait d’être pénible et douloureuse. Conformément à la décision prise suite à la procédure collégiale, les apports hydriques et nutritionnels par la sonde de gastrostomie sont stoppés. Évidemment il n’est pas procédé à l’ablation de cette sonde ce qui constituerait une double erreur. D’une part, il s’agirait d’un geste parfaitement inutile et très stigmatisant (évoquant à tort un abandon et/ou un arrêt de tous les soins). D’autre part, ce serait se priver d’une voie d’administration d’éventuels médicaments permettant de soulager tels ou tels symptômes au cours des jours précédents la survenue naturelle de la mort. 8. Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… 113 Tout au long des jours qui vont suivre, la patiente va bénéficier de soins attentifs (notamment des soins de bouche, permettant d’éviter toute sécheresse de la bouche, auxquels est associée sa fille, massages de la peau, toilette après prévention de tout inconfort par administration préventive de traitements à visée anxiolytique, sédative et antalgique, etc.). La mort va survenir huit jours après l’arrêt de la nutrition/hydratation médicalement assistées. Durant cette période sa fille est très présente. Elle exprime souvent des sentiments de culpabilité. Elle trouve chaque fois qu’elle le désire une oreille disponible et attentive à sa souffrance. Elle évoque les souvenirs de sa mère quand elle était « vivante ». Elle nous fait part vers le cinquième jour de son impression d’avoir pu rétablir une certaine communication avec sa mère (qu’elle n’avait jamais constatée depuis le début de la maladie) et parle des larmes qui se seraient écoulées des yeux de la patiente lorsqu’elle évoquait – dans un énième monologue avec sa mère – la décision prise de laisser s’arrêter cette vie qui semblait n’avoir plus de sens. Elle dit avoir interprété ses larmes comme un acquiescement, voire un soulagement de la part de sa mère. Elle exprime aussi combien elle trouve ce temps long et combien elle se dit parfois qu’il aurait mieux valu « que ça aille vite » puisque la décision était prise. Disposant de la possibilité de dormir auprès de sa mère, elle reste auprès d’elle vingt-quatre heures sur vingt-quatre durant les deux derniers jours et est présente au moment où sa mère s’éteint tranquille et apaisée, sans aucun symptôme gênant. Loin d’une vision angélique, cette histoire vraie illustre ce qu’il est possible (et impératif ) de faire (apaiser la douleur et les différents symptômes gênant la qualité de vie restante, accompagner une famille…) et ce qu’il n’est pas possible de faire (empêcher la souffrance liée à la perte d’un être cher, accéder à une demande d’accélérer la survenue d’une mort inéluctable,...) S’il est parfaitement compréhensible que l’on puisse ressentir au moment de la mort d’un proche le 114 Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… 8. Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… 115 désir que « cela finisse vite »96, il est par contre du rôle des professionnels de santé de ne pas entendre cette demande comme une demande de passage à l’acte . C’est le témoignage de l’orage émotionnel que provoque le fait d’assister impuissant à une agonie. Il doit contribuer au début du travail de deuil, indispensable à la poursuite de la vie. Ce qui est inacceptable et inadmissible, c’est la survenue d’épisodes interprêtés (à tort ou à raison) comme inconfortables par l’entourage sans que cela n’entraîne de la part de l’équipe soignante le déploiement de tous les moyens nécessaires pour les faire cesser. Les équipes qui laissent perdurer sans réagir de telles situations doivent comprendre que c’est une conduite fautive vis-à-vis du patient et de ses proches. Par contre il ne s’était pas réveillé du coma profond dans lequel il était plongé depuis l’accident. Il était nourri artificiellement par une sonde de gastrostomie. En accréditant ainsi l’idée que l’agonie n’est pas compatible avec le « laisser mourir en paix », ils renforcent ceux qui voudraient autoriser (voire obliger) la médecine à provoquer artificiellement la mort rapide des patients en fin de vie. C’est bien un certain désintérêt et une certaine incompétence du monde médical pour l’accompagnement de la toute fin de vie qui a nourri le mouvement de société favorable à la mise en œuvre d’une loi autorisant les injections létales en phase agonique. Il serait pourtant dramatique que notre société fixe « des délais réglementaires » pour le temps du mourir et impose aux médecins de les faire respecter. Devant cette situation l’équipe mobile de soins palliatifs de l’hôpital où il était hospitalisé fut appelée. Elle proposa un transfert pour évaluation vers notre unité de soins palliatifs. Cette proposition fut acceptée aussi bien par l’épouse pensant qu’on accédait ainsi à sa demande de cesser tout acharnement, que par l’équipe qui ne comprenait pas que ne soit pas reconnue par l’épouse l’excellence des soins prodigués, qui avait permis d’éviter la mort du patient, malgré la gravité initiale du traumatisme. Le contre-exemple de M. B. M. B. était un homme de soixante-cinq ans, victime six mois aupravant d’un traumatisme crânien suite à une chute. Il avait été hospitalisé pendant plusieurs mois en réanimation en raison des graves dégâts neurologiques provoqués. Il avait été trachéotomisé pour permettre une assistance respiratoire. Ayant finalement récupéré son autonomie respiratoire, il ventilait spontanément au travers de sa canule de trachéostomie. 96 Voir en début d’ouvrage la « prière euthanasique » de la tradition talmudique. Il était resté hospitalisé depuis son accident dans un service non spécialisé dans la prise en charge des cérébrolésés. Son épouse était très présente depuis l’accident. Elle était épuisée et faisait part régulièrement à l’équipe qui prenait en charge son mari de son impression d’acharnement thérapeutique. Elle ne comprenait pas qu’on veuille maintenir en vie à tout prix celui en qui elle ne reconnaît plus, selon ses dires, « qu’un légume ». À plusieurs reprises elle avait demandé à ce qu’on arrête ce qu’elle appelait son « gavage ». À son arrivée dans notre service, la situation est évaluée de manière pluridisciplinaire. À nos yeux, l’état de conscience du patient s’avère moins critique qu’annoncé initialement. M. B. réagit nettement à des stimulations auditives comme la télévision et la musique qu’il apprécie. La prévention de la douleur et de l’anxiété générées par les mobilisations, un bain dans la baignoire à ultrasons du service, permettent de noter une diminution de la crispation qui caractérisait son visage. L’analyse du dossier révèle que l’état de vigilance s’est significativement amélioré depuis quelques semaines. L’épouse est prise en charge par la psychologue du service. Elle exprime son épuisement face à une situation qu’elle ne comprend pas. Elle se plaint d’un manque de communication avec l’équipe médicale. Elle a longtemps 116 Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… cru que son mari allait se réveiller un jour et reprendre sa vie comme avant. Devant l’absence d’amélioration évidente, elle craint que l’on ne renvoie son mari à la maison dans cet état. Elle exprime son refus de devoir passer le reste de son existence à s’en occuper ainsi, seule. Ses enfants vivent à l’étranger et ne peuvent lui être d’aucun secours. Son mari était hyperactif et représentait pour elle un soutien indispensable pour tous les actes de la vie quotidienne. Elle se sent totalement désemparée par la situation. Elle va également longuement discuter avec un médecin du service. Cela va lui permettre de mieux comprendre la démarche thérapeutique qui a conduit son mari dans la situation présente, qu’elle n’avait pas compris. Les dispositifs de la loi Leonetti lui sont détaillés. Elle comprend que ce n’est pas à elle qu’il revient de prendre une décision de limitation d’arrêt de traitement. Il lui est expliqué que son avis est important mais que ce qui compte surtout pour nous c’est d’essayer de savoir quelle aurait été la décision de son mari. Elle explique qu’il était un battant. C’est ce qui explique pour elle qu’il s’en soit sorti. Elle pense qu’il aurait sûrement voulu continuer à se battre, et que d’ailleurs c’est ce qu’il fait. Alors qu’elle, au contraire, ne s’en serait pas senti la force et aurait préféré qu’on la laisse mourir. Un contact téléphonique est établi avec les enfants, établis chacun à un bout du monde. Ils disent leur désarroi, leur manque d’information. Ils ont bien compris cependant la situation de détresse de leur mère. Ils n’ont pas connaissance de souhaits particuliers exprimés par leur père dans de telles circonstances, mais confirment son caractère opiniâtre. À l’issue de cette évaluation, qui a duré une dizaine de jours, une réunion pluridisciplinaire est organisée pour définir le projet de soins pour ce patient. Étant donné les différents renseignements obtenus, et l’amélioration, même modeste, de l’état neurologique, il est proposé d’orienter le patient vers une filière spécialisée dans la psycho réhabilitation des cérébrolésés. Aucun argument 8. Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques… 117 ne conduit à proposer une limitation ou un arrêt de certains traitements. Il paraît légitime de poursuivre la nutrition médicalement assistée. Cet avis est présenté à l’épouse du patient, tout en lui expliquant que cela ne signifie pas que son mari va se réveiller de son coma à brève échéance. L’intérêt d’une prise en charge spécialisée et d’une stimulation sensorielle lui est détaillé. Sans être totalement convaincue, elle dit sa confiance dans une équipe qui a pris le temps de l’écouter. Le patient quitte donc l’USP pour retourner dans son service d’origine qui va se charger d’organiser la suite de la prise en charge. Cette histoire illustre la nécessité d’un encadrement scrupuleux des procédures de décisions d’éventuelle limitation ou arrêt de soins. Face au double épuisement d’une épouse et d’une équipe soignante, il s’en est probablement fallu d’un rien que ne soit procédé à l’arrêt du maintien en vie de M. B. Or, selon notre propre évaluation, évidemment sujette à caution, il ne semble pas que l’on ait pu parler dans ce cas d’une obstination déraisonnable qu’il convenait de faire cesser. Nous n’avons plus eu de nouvelles de M. B, qui est peut-être mort, ou qui a peutêtre récupéré suffisamment de capacités neurologiques pour rentrer chez lui. Son cas reste en tout cas, pour nous, un garde-fou, une balise qui nous permet de garder en mémoire l’importance extrême qu’il faut apporter à ces décisions. Et l’incertitude qui s’y rattache… 119 9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? Dire que mes jours sont comptés ne signifie rien ; il en fut toujours ainsi ; il en est ainsi pour nous tous. Mais l’incertitude du lieu, du temps et du mode, qui nous empêche de bien distinguer ce but vers lequel nous avançons sans trêve, diminue pour moi à mesure que progresse ma maladie. Marguerite Yourcenar 120 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? Le contexte : l’activisme pro-légalisation (2007- 2008) La campagne présidentielle de 2007 donne lieu à une intense médiatisation sur la question de l’euthanasie. En mars se déroule le procès de Périgueux : deux professionnelles de santé (un médecin et une infirmière) sont accusées97 d’avoir l’une prescrit, et l’autre injecté un produit mortel à une patiente en fin de vie, « pour abréger ses souffrances ». Les partisans d’une légalisation pensent tenir leur procès de Bobigny.98 Reprenant le parallèle avec le combat des années soixante-dix en faveur d’une légalisation de l’IVG, ils organisent la publication dans Le Nouvel Observateur du Manifeste des deux mille. On retrouve à l’initiative de ce texte, signé par deux mille professionnels affirmant avoir pratiqué des euthanasies99, par solidarité avec les accusées de Périgueux, le Dr Denis Labayle. Il avait déjà activement soutenu en 1998 l’infirmière de Mantes, Christine Malèvre et deviendra une des cautions médicales de l’ADMD qui fera la promotion de son livre100. Ce manifeste se veut le reflet de la parution, dans le même journal, en avril 1971, du Manifeste des trois cent quarante-trois salopes, pétition signée par trois cent quarante-trois femmes affirmant avoir subi un avortement, et s’exposant ainsi à des poursuites pénales. Le message subliminal est clair. Euthanasie, IVG : même combat. Comme du côté des catholiques intégristes 97 Finalement seul le médecin sera condamné à une peine symbolique (un an avec sursis), tandis que, de manière surprenante, l’infirmière, supposée dégagée de sa responsabilité par la prescription médicale est acquittée. 98 Procès d’une mère et de sa fille accusée d’avortement après un viol et qui en 1972 avait ému la France et permis de faire basculer la cause de la légalisation de l’IVG. 99 «Nous, soignants, avons, en conscience, aidé médicalement des patients à mourir…» Le Nouvel Observateur, Nº2209, le 8 mars 2007. 100 Labayle Denis, Pitié pour les hommes. L’Euthanasie : le droit ultime, Stock, 2009. 9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 121 pro-vie, mais pour des raisons évidemment opposées, le message est le même, il passe facilement dans l’opinion publique et rentre dans les poncifs de café du commerce. Dans le cadre d’un redoutable plan média, un livre blanc Fin de vie : une nouvelle loi indispensable est diffusé très largement à tous les responsables politiques, Gérard Payen, alors président de l’ADMD, est clair : il s’agit de « faire du tam-tam et imposer le sujet aux présidentiables101. » Et cet activisme parfaitement organisé des partisans de la légalisation va échouer d’un rien102 à faire basculer de leur côté celui qui sera finalement élu à la fonction suprême, Nicolas Sarkozy. Dans un de ses discours de campagne, à la Mutualité, le 11 février 2007, il improvise, sortant de son texte préparé : Quand j’entends les débats sur l’euthanasie, je veux me dire : les principes, je les respecte ; les convictions, je les respecte, mais je me dis quand même au fond de moi : il y a des limites à la souffrance qu’on impose à un être humain. On ne peut pas rester les bras ballants face à la souffrance d’un de nos compatriotes qui appelle à ce que ça se termine, tout simplement parce qu’il n’en peut plus103. Une réunion entre pro et anti légalisation est prévue au QG de campagne du candidat. Il semble qu’il devait à ce moment-là, sous l’influence de certains membres de son entourage, se prononcer clairement en faveur d’une légalisation. J’étais un des invités de cette réunion, en tant que président de la SFAP. J’ai été décommandé une heure avant le rendez-vous prévu. Après un intense lobbying téléphonique, la réunion, qui devait se poursuivre par la visite d’un hôpital de l’Ouest parisien, a été finalement 101 Lobbying - les vraies raisons des militants de l’euthanasie, Le Point, le 19 avril 2007. 102 Voir sur cette question l’excellent papier du site rue89 : Sarkozy est-il favorable à l’euthanasie ? ou celui sur le blog d’Eric Favereau : Euthanasie : quel Sarkozy choisir ? Voir les liens sur www.collection-omega.fr 103 Une partie de cette déclaration sera reprise dans l’avis d’obsèques de Maia Simon, publié par Le Monde. Cf. plus bas le cas de M. Simon. 122 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 123 annulée. Ensuite, tant le candidat, que le Président, se positionneront très clairement contre toute évolution législative en faveur des injections létales. média bien étudié, tombe à pic. La station RTL, forte de son interview exclusive, matraque les ondes, vite relayée par les autres médias. En septembre 2007, quelques mois plus tard, une nouvelle affaire « relance le débat sur l’euthanasie ». L’actrice Maia Simon monte une dernière fois en scène pour médiatiser son suicide assisté. Elle part en Suisse, avec l’actif soutien du nouveau président de l’ADMD. Il faut dire qu’il s’agit aussi pour J.‑L. Romero d’une opération interne à l’ADMD. Dans son communiqué du 19 septembre 2007, le président de l’ADMD affiche donc une position sans ambiguïté en faveur du suicide assisté : « Maïa Simon est morte, l’exil était sa seule solution ! La France doit respecter les libertés individuelles ». Saluant « celle qui a choisi, pour abréger ses souffrances et vivre sa fin de vie selon sa propre acceptation de la dignité, de s’exiler dans un pays de liberté », il rappelle que « son témoignage bouleversant et fort sera diffusé sur RTL ce jeudi 20 à 6h, 7h, 8h15, 8h35, et 12h30 » et conclut en estimant « qu’il est temps de légiférer pour que des situations qui existeront toujours soient traitées en France, avec les garanties de la France et de ses institutions, dans le cadre familier et familial des candidats au départ ». La rhétorique est bien rodée. L’amalgame entre les pratiques d’injections létales pour des patients en fin de vie, et l’instauration d’un droit au suicide est en place. L’acte suivant peut s’ouvrir. Peu de temps auparavant Henri Caillavet, fondateur historique de l’association, a claqué la porte avec des mots très durs104. Il l’accuse pêle-mêle de dépenses somptuaires, de vouloir récupérer l’association à des fins politiques personnelles (J.‑L Romero est conseiller régional UMP d’Île -de-France et s’efforce de poursuivre une carrière politique aux marges de la droite105) et de trahir les combats fondamentaux de l’association. Il évoque le virage qu’aurait effectué l’ADMD en abandonnant la revendication d’un droit au suicide. Il interdit d’ailleurs que son nom ne soit désormais utilisé par l’association, notamment sur le site Internet. Il est vrai que J.‑L Romero s’est livré à une véritable OPA sur l’ADMD. Venant du monde associatif très remuant des militants contre le SIDA, il bouscule certaines habitudes dans la vieille maison. Le départ d’Henri Caillavet, s’accompagne d’un certain nombre d’autres départs, dont l’importance est minimisée par le nouveau président. Le bateau tangue, il faut vite reprendre la barre. Et le voyage sans retour de Maia Simon, comédienne ayant un certain renom, jusqu’à Zurich106, guidé par l’ADMD, et avec un plan 104 Les courriers de démission adressés aux délégués de l’ADMD par Henri Caillavet sont disponibles sur le site www.collection-omega.fr 105 Après avoir soutenu le candidat Sarkozy, il change de cheval au milieu du gué et se prononce pour F. Bayrou (Romero votera Bayrou, communiqué de presse de J.-L Romero – Aujourd’hui, Autrement – le 9 avril 2007). Un an plus tard, c’est Bertrand Delanoë qu’il soutiendra pour les élections municipales à Paris. 106 Un voyage à l’étranger du fait d’une législation liberticide … c’est bien la scène du vote de la loi sur l’IVG que nous rejoue encore l’excellent Fin février 2008, éclate une nouvelle affaire destinée « à relancer le débat sur l’euthanasie » (air connu). Chantal Sébire est atteinte d’une tumeur déformant son visage. Elle va, assez complaisamment et non sans un exhibitionnisme aux limites de l’obscène107, exposer celui-ci à ceux qui communicateur J.‑L Romero. 107 Le reportage, diffusé après sa mort sur M6, dans l’émission Zone Interdite qui lui était spécialement consacrée, est à ce titre particulièrement édifiant. Il permet à ceux qui veulent entendre de capter sa détresse au milieu de ses étonnantes desinhibitions, liées là encore – comme dans le cas de Vincent Humbert – à un évident syndrome frontal. À l’occasion d’une séquence étonnante où son médecin traitant montre à l’écran une image d’IRM cérébral de sa patiente, au mépris de tout respect du secret professionnel, on distingue nettement l’envahissement du lobe frontal. Son comportement, filmé par les caméras qui l’ont accompagnée dans sa vie quotidienne, confirme ce diagnostic, presque jamais évoqué. Pas plus que pour Vincent Humbert, ou pour M. B. – dont le cas est exposé plus haut - ce diagnostic n’est infamant. Il permet simplement de mieux comprendre certaines choses. 124 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? veulent le voir (et même à ceux qui ne demandaient rien de ce genre). Impossible d’y échapper, même si certains journalistes ont le courage de refuser de l’exposer. Je garde en mémoire, lors d’un débat sur I>Télé auquel je participai, la courageuse attitude de l’animateur, JeanJérôme Bertolus, presque obligé de se mettre en colère en régie pour obtenir la garantie qu’à aucun moment de son émission, on ne projetterait cette image atroce. Sans revenir en détail sur le fond de cette affaire, pourtant intéressante à bien des égards, il est tout de même fascinant de noter que très peu de gens ont relevé l’énormité oxymorique de sa requête. Alors qu’elle répète à l’envi qu’elle est opposée au suicide (et non empêchée physiquement comme Vincent Humbert ou M. A.108), elle demande à la justice d’autoriser un médecin à lui appliquer la procédure suisse d’assistance au suicide. Elle finira d’ailleurs par mettre fin à ses jours, un mois et demi après la diffusion du premier reportage la concernant sur France 3. Son avocat, Gilles Antonowicz, affirmera lui aussi maintes fois son opposition (que je crois sincère109) au suicide assisté. C’est même la raison qu’il mettra en avant pour quitter l’ADMD avec fracas, alors qu’il en était le viceprésident, en juin 2008, quelques mois seulement après la mort de Chantal Sébire. « Je ne veux plus cautionner le suicide assisté » affirme-t-il dans son interview dans Le Figaro, le 26 juin 2008 : « Jean‑Luc Romero, il est là ou le vent tourne. Ce qui l’intéresse, c’est de ratisser large. Pour avoir le plus d’adhérents possibles, il maintient l’ambiguïté. Dans les discours publics, il ne parle pas de suicide assisté. Mais en interne, le discours est ambigu.» Interrogé sur le droit revendiqué par certaines personnes de mettre fin à leurs jours, il répond : «Je leur reconnais parfaitement le droit de sauter par la fenêtre, ou de trouver des moyens plus agréables s’il en existe. Mais je 108 Cf. plus haut. 109 Nous en avons parlé ensemble plusieurs fois, et nous avons même signé une tribune commune dans Le Monde. Cf. en annexe II. 9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 125 ne reconnais pas à la société le devoir de porter assistance à ces gens-là pour qu’ils meurent proprement.» Et il conclut en proposant que coexistent deux associations, « une qui serait très clairement pour la légalisation de l’euthanasie sur des critères médicaux, avec le développement des soins palliatifs. De l’autre côté, ces gens qui rêvent à cette espèce de monde imaginaire, où, quand on serait vieux et un peu malade on irait chercher une pilule pour mourir tranquillement.» Au total on peut donc se demander si les deux principaux acteurs de ce nouveau drame médiatique (Chantal Sébire et son avocat) ont été des manipulateurs de l’opinion, prétendant dire blanc, alors qu’ils pensaient noir ? Ou bien s’ils n’ont pas été les victimes manipulées « à l’insu de leur plein gré » des partisans d’une cause qu’ils n’approuvaient pas ? Les récentes déclarations du médecin traitant de Chantal Sébire110 apportent un début de réponse à ces questions. « Chantal Sébire savait que la législation ne serait pas pour elle. Elle a agi par altruisme, pour les autres. Je trouve que les médias ont été très dignes111. Par contre, je me suis senti mal à l’aise avec l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Elle entretient une confusion entre euthanasie et suicide assisté. Ce n’est pas un bon argument pour faire évoluer la législation et c’est sans doute ce qui a entravé l’évolution de la loi. Pour ma part, je défends le droit à une mort digne des personnes souffrant d’une pathologie incurable. Mais je ne suis pas pour le suicide assisté de gens qui en ont assez de la vie. Il ne faut pas mélanger les genres. » 110 Entretien avec le Dr Debost, paru dans Le Bien Public, le 25 mars 2009, à l’occasion du classement sans suite de l’enquête ouverte à l’occasion de la mort de Chantal Sébire. 111 Sic ! NdA 126 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? Les vingt propositions de la commission d’évaluation C’est dans ce contexte, que, conjointement, le Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale, chargent, fin mars 2008, le député UMP Jean Leonetti d’une nouvelle mission. Il s’agit d’évaluer l’application de la loi qu’il a contribué à faire adopter en avril 2005. Cette fois, Jean Leonetti s’entoure seulement de 3 autres députés (1 PS, 1 PC, 1 Nouveau Centre). Ils vont auditionner publiquement une cinquantaine de personnes en privilégiant des témoignages de terrain. C’est ainsi qu’ont été entendus des malades, des proches de malades, des représentants d’associations de patients, de bénévoles et de mouvements militants pour la reconnaissance d’un droit à la mort. Il a aussi été fait appel à l’expérience de médecins et d’infirmières directement concernés dans leurs pratiques quotidiennes. Toutes les auditions ont été filmées, retransmises sur la chaîne parlementaire. Elles sont visionnables112 en ligne sur le site de l’Assemblée nationale, et un DVD devrait être prochainement disponible. Le très long et exhaustif rapport de la mission d’évaluation113 se conclut par vingt propositions destinées à améliorer l’efficacité de la loi d’avril 2005. Tout en recommandant vivement la lecture du rapport dans sa globalité, ce sont ces vingt propositions qui font ici l’objet d’un rappel et de commentaires explicatifs. Cinq propositions visent à mieux faire connaître la loi, tant est évident le constat de la méconnaissance du grand public, mais aussi des professionnels de la santé et même du droit Les trois premières portent sur la création d’un Observatoire des pratiques médicales de la fin de vie. 112 Suivre le lien sur www.collection-omega.fr 113 Rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie n° 1287 déposé le 28 novembre 2008. 9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 127 Étant directement à l’origine de cette idée114 je ne peux que souscrire à cette proposition, tout en restant très attentif à la façon dont elle sera réellement mise en œuvre. C’est finalement une double mission qui lui a été dévolue : mission d’information et d’évaluation. Les deux suivantes (4 et 5) visent à favoriser les échanges entre juges et médecins, en créant des liens entre structures juridiques et structures de réflexions éthiques, et en renforçant l’attention des parquets sur les dispositions de la loi de 2005. Quatre propositions visent à renforcer les droits des malades Le recours à la procédure collégiale devrait être élargi à une volonté anticipée du patient, via ses directives anticipées, et sa personne de confiance (proposition 6). Cette proposition est intégrée dans la nouvelle rédaction de l’article 37 du Code de déontologie, adoptée par le CNOM : rajout au paragraphe II de la phrase : « Cette procédure peut également être initiée dans le respect des directives anticipées du patient ou à la demande de la personne de confiance ». En cas de décisions contraires à l’avis exprimé par les directives anticipées ou la personne de confiance, le rapport insiste sur la motivation qui devrait être renforcée (proposition 7). On se souvient que la loi exige déjà un avis motivé, inscrit dans le dossier. En cas de décisions contraires à celles exprimées par les directives anticipées ou la personne de confiance, la motivation devra expliciter clairement ce qui conduit à ne pas suivre ce qui semble la pente naturelle. Il faudra expliquer ce qui permet de penser que la volonté du patient, s’il avait pu l’exprimer, 114 J’ai émis cette idée pour la première fois en 2005 lors d’une intervention au colloque organisé par la DHOS sur l’accompagnement de fin de vie. J’ai ensuite très régulièrement insisté sur ce concept, mais c’est la tribune parue dans Le Monde en mars 2008, cosignée avec l’avocat de Chantal Sébire, et reproduite en annexe, qui a permis à cette idée de rallier de nombreux suffrages. 128 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? aurait été différente que ce qu’en rapportent ses directives anticipées et la personne de confiance qu’il a désignée. Autant dire qu’il y faudra de très solides arguments, ce qui est une garantie supplémentaire pour les patients que la procédure collégiale ne se basera pas sur les positions personnelles de tel ou tel médecin, mais sera un reflet le plus fidèle possible de ce qu’aurait été la volonté du patient. Des médecins référents en soins palliatifs pourraient être désignés pour intervenir dans les cas litigieux ou les plus complexes (proposition 8). Ils pourraient ainsi apporter leur compétence dans des situations conflictuelles entre une équipe soignante, d’une part, et le patient et ses proches, d’autre part. Il s’agirait de permettre lors de désaccords de rechercher des solutions évitant une exacerbation du conflit, laissant toujours des traces douloureuses115. Dans chaque région serait ainsi désigné un médecin référent sur ces questions, sorte de « médiateur de la loi de 2005 ». Reste à déterminer, à l’heure où est rédigé cet ouvrage, comment et par qui seront désignés ces référents. Il serait souhaitable que le Comité de Suivi, présidé par Régis Aubry, élabore un profil de compétences et lance un appel à candidature, permettant ainsi de proposer, en lien avec le futur Observatoire116, une liste de personnes qui seraient nommées par le/la ministre de la Santé pour une période donnée (trois ans par exemple). Il serait souhaitable qu’un ou plusieurs référents supplémentaires soient identifiés et que tous s’engagent dans le sens d’une démarche interdisciplinaire dans le cadre de leur mission de médiation. Des questions aussi pragmatiques que la prise en charge des frais engendrés par leurs missions devront être clairement envisagées. Le droit à un congé pour accompagner un proche en fin de vie a été créé par la loi de juin 1999. Le rapport propose de prévoir une rémunération à ce congé, actuellement sans solde (proposition 9). Une proposition de loi, signée 115 Cf. par exemple les cas de la famille Pierra ou de la famille K., exposés plus haut. 116 Cf. propositions 1 à 3. 9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 129 par les quatre députés signataires du rapport, a été votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, en février 2009. Elle devrait recueillir un vote conforme du Sénat pour permettre sa promulgation prochaine (avant juin 2009 ?). Cette allocation est destinée à être versée à un ascendant, descendant, frère, sœur ou toute personne partageant le domicile d’une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable. L’allocation serait versée pour une durée maximale de trois semaines et devrait être fixée à 49 € par jour. S’il n’est pas certain que ce dispositif soit encore suffisamment incitatif, il s’agit indéniablement d’une avancée très positive allant dans le sens d’une reconnaissance de la nécessaire solidarité que la société doit consentir, non seulement vis-à-vis de ceux qui meurent, mais aussi vis-à-vis de ceux qui les accompagnent, en perdant un être cher. Trois propositions pour aider les médecins à mieux répondre aux enjeux éthiques du soin Les trois propositions suivantes visent à mieux former les professionnels de santé aux questions posés par la question du « laisser mourir » (proposition 10 : développer l’enseignement de l’éthique) en créant, dans un premier temps une dizaine de chaires de soins palliatifs dans les facultés de médecine (proposition 11). Il s’agit réellement d’un enjeu important, car dans le système médical français (restant imprégné par le système mandarinal) le fait de donner une valence universitaire à une discipline est un facteur déterminant de sa reconnaissance comme une discipline « noble ». L’exemple britannique a montré la pertinence de cette reconnaissance universitaire à la médecine palliative. Afin d’éviter tout mauvais procès, il faut préciser qu’il s’agit bien de reconnaître une spécialité universitaire et sûrement pas de réserver la pratique des soins palliatifs à des spécialistes ! Vu l’importance des enjeux de formation et de recherche dans le domaine de l’accompagnement de fin de vie, il est parfaitement logique que des universitaires, issus du terrain et justifiant d’une bonne pratique, puissent se consacrer spécifiquement 130 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? à cette activité. Reste maintenant à observer la mise en œuvre pratique de cette proposition, et la réaction des membres actuels du Collège National des universités, seuls habilités à organiser le concours de l’agrégation nécessaire pour occuper une chaire dans une faculté. La proposition 12 porte sur des précisions à apporter dans le code de déontologie médicale concernant les modalités des traitements à visée sédative qui doivent accompagner les arrêts de traitement de survie lorsque la douleur du patient n’est pas évaluable. Il s’agit en fait d’une conséquence directe du témoignage des parents d’Hervé Pierra devant la commission sur les conditions du décès de leur fils. Ils ont eu (à tort ou à raison) le sentiment que la douleur de leur fils n’était pas suffisamment prise en charge durant la période pendant laquelle il n’a plus reçu l’hydratation et la nutrition artificielle qui le maintenait jusque-là en vie117. Soulignons que ce sentiment résulte probablement avant tout du conflit les ayant opposés à une équipe opposée à l’arrêt des traitements de maintien artificiel en vie. Néanmoins, il s’agit de situations particulièrement complexes à gérer118. Le principe fondamental de l’utilisation de traitements à visée sédative, est la recherche du niveau minimum nécessaire au soulagement du patient, permettant une adaptation en fonction de la situation. Or, dans le cas de ces patients cérébrolésés, il est très difficile d’apprécier le niveau d’inconfort. Il n’est pas possible d’affirmer avec certitudes (même si c’est probable) qu’étant donné la destruction des tissus cérébraux, il n’existe plus de perception de la douleur, ni des autres symptômes. 9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 131 symptômes liée à l’approche de la fin de vie et qu’une antalgie et une sédation systématiques sont pratiquées, on lui évite l’inconfort y afférant. Si on ne la pratique pas, on laisse survenir cet inconfort. S’il n’existe pas chez le patient cérébrolésé de forme de perception de la douleur ou des autres symptômes, que l’on pratique ou non une antalgie ou une sédation systématique, cela ne change rien, étant bien posé qu’en aucun cas la pratique d’une antalgie ou d’une sédation ne sont des moyens d’accélérer la survenue du décès120. Dans le doute, il apparaît donc très souhaitable (il y a tout à gagner et rien à perdre pour reprendre la métaphore pascalienne) de pratiquer une antalgie et une sédation systématique chez le patient cérébrolésé, lors de la mise en œuvre d’une procédure de limitation ou d’arrêt de traitement (situation 2 de la loi de 2005). Cette disposition en cours de traduction dans le nouveau projet d’article 37 du Code de déontologie doit néanmoins faire l’objet d’une grande attention. Les risques de dérives ne sont pas négligeables de voir s’instaurer une sorte de « droit à la sédation » créant un « devoir de sédation » dans d’autres circonstances que celles évoqués ci-dessus121. La proposition du rapport consiste donc en une sorte de pari pascalien119. S’il existe chez le patient cérébrolésé une forme de perception de la douleur ou d’autres La validité du raisonnement repose sur l’absence totale de possibilité d’évaluation des symptômes ressentis, et ne concerne donc qu’un nombre très restreint de patients. Il serait dangereux qu’une pratique systématique du recours à des traitements sédatifs systématiques, sans consacrer le temps et l’attention nécessaire à un accompagnement de qualité, se trouve légitimée par une rédaction ambiguë du Code de déontologie ou de ses commentaires. La proposition 12 vise à renforcer la nécessité posée par la loi de soulager les patients en respectant les bonnes pratiques. Elle ne saurait servir à en justifier de mauvaises. 117 Cf. plus haut un résumé du cas d’Hervé Pierra. 118 Cf. plus haut l’histoire de Mme X. dans notre USP. 119 Le pari de Pascal est le nom donné à un passage des Pensées de Blaise Pascal où il démontre par le recours aux statistiques du jeu qu’il y a tout à gagner et rien à perdre à croire en Dieu. 120 Cf. le chapitre sur le double effet. 121 C’est-à-dire procédure d’arrêt des traitements de maintien artificiel en vie chez un cérébrolésé. 132 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? Huit propositions pour adapter l’organisation du système de soins aux problèmes de la fin de vie Afin de poursuivre le développement de l’offre de soins palliatifs, le rapport propose de doter chaque département d’au moins une USP d’ici cinq ans (proposition 13), et de développer la prise en charge palliative dans les structures de moyens et longs séjours (proposition 14). C’est une déclinaison de la volonté, affichée par le plan présidentiel de développement des soins palliatifs122, de diffuser la culture palliative partout où se trouvent des patients en fin de vie. Le rapport insiste sur l’urgence de republier le décret relatif aux conditions d’exercice des professionnels de santé délivrant des soins palliatifs à domicile pris pour l’application de l’article L 162-1-10 du code de la sécurité sociale. Une première version qui prévoyait notamment un contrat type fixant les relations entre les professionnels de santé exerçant à titre libéral ou les centres de santé et les organismes d’assurance-maladie pour la délivrance de soins palliatifs à domicile a été cassée par un recours en Conseil d’État en 2004. Par voie de conséquence, actuellement, la délivrance de soins palliatifs à domicile par des médecins et des infirmiers libéraux sans adossement à un réseau de soins palliatifs est très difficile. La proposition 15 demande que le ministère de la Santé accélère la publication de ce texte ayant comme objectif de faciliter la rémunération des activités de soins palliatifs délivrées à domicile, en dehors de réseaux constitués. Afin de soulager les proches qui prennent en charge un malade en fin de vie à domicile, la proposition 16 suggère de développer les structures d’hospitalisation de répit. Ce type de séjour est souvent difficile à organiser, bloquant ainsi la possibilité du maintien à domicile de patients dont l’entourage craint de ne pouvoir trouver d’alternative en cas 122 Programme de développement des soins palliatifs 2008-2012, présenté le 13 juin 2008 à Bourges par Nicolas Sarkozy. 9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 133 d’épuisement. Il faut rappeler que la plupart des unités de soins palliatifs organisent déjà ce type de séjour lorsqu’ils s‘avèrent nécessaires. Le développement d’indicateurs prenant en compte la qualité des soins dispensés dans les établissements de santé et évaluant les pratiques médicales au regard de la proscription de l’obstination déraisonnable (proposition 17) et l’affectation d’une partie significative des tarifs versés au titre des lits identifiés de soins palliatifs, au développement des soins palliatifs (proposition 18) doivent renforcer l’exigence de qualité des indicateurs de soins. Concernant la dernière proposition il s’agit du constat que la rémunération par le système de la tarification à l’activité (T2A) de l’activité au sein des controversés lits identifiés de soins palliatifs123, est l’objet de dérives budgétaires préoccupantes. Très bien rémunérés (presque trois fois la rémunération d’un séjour moyen dans un service de médecine) les séjours génèrent des sommes servant rarement à la mise en place de moyens améliorant réellement la prise en charge des patients en fin de vie, mais à bien d’autres dépenses hospitalières. S’il existe des réussites remarquables, il semble que dans la majorité des cas, les séjours tarifés en lits identifiés soient avant tout un des moyens de régulation budgétaire permettant aux établissements hospitaliers publics ou privés d’éviter leur déficit structurel ou améliorer leur rentabilité, selon les cas. C’est bien ce que pointe le rapport, en termes diplomatiques. Les deux dernières propositions portent sur l’aménagement nécessaire du financement par la tarification à l’activité (T2A) afin de mieux prendre en 123 Ce concept, introduit par la circulaire d’organisation des soins palliatifs de février 2002, n’a pas d’équivalent dans d’autres pays. Il n’a jamais fait l’objet d’une quelconque évaluation ou d’une validation par une société savante. Il s’agit en fait d’une sorte d’OANI (Objet Administratif Non Identifié) puisqu’il ne concerne pas des lits (mais des places virtuelles) qui de toute façon ne sont pas identifiés (mais soumis à une vague reconnaissance de la part des agences régionales de l’hospitalisation). 134 Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? compte la durée des séjours (proposition 19) et l’adapter dès 2011 au secteur de moyens et longs séjours. En effet, depuis 2005 un nouveau mode de tarification a été mis en place, le système dit de la T2A. Tous les séjours d’un même type (groupe homogène de séjour) sont rémunérés par un tarif forfaitaire, quelle que soit la durée de ce séjour. Le système a comme avantage théorique d’inciter à une prise en charge par les hôpitaux la plus courte possible. Si pour une même maladie un hôpital garde un patient deux fois moins longtemps il peut théoriquement gagner deux fois plus d’argent puisque dans le même laps de temps il peut prendre en charge deux patients. Censé générer des économies le système a fait l’objet de critiques, notamment de la Cour des Comptes. Mais son application dans le domaine des soins palliatifs apparaît comme une des plus problématiques. 9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 135 Désormais, il existe une proportionnalité logique entre les tarifs payés selon la longueur du séjour de soins palliatifs. Ainsi un séjour de trente jours «rapporte» aujourd’hui trois fois plus qu’un séjour de trois jours. Au total, les vingt propositions du rapport reposent sur le constat concret de dysfonctionnements et apportent des solutions pratiques et efficaces. Encore faudra-t-il qu’elles soient effectivement mises en œuvre. Pour l’instant les choses semblent plutôt bien parties :il serait raisonnable que la note de 10/20 soit atteinte avant la fin de l’année 2009 124. En effet, pour des séjours compris entre au moins deux jours et au plus trente-cinq jours le tarif payé aux établissements de santé était le même. Ainsi une structure multipliant les séjours très courts de soins palliatifs (trois jours) pouvait obtenir un financement dix fois supérieur à celui d’un service accueillant les malades en fin de vie trente jours. Or, si pour une cure d’appendicite, il est possible de tenter de diminuer la durée moyenne de séjour, on imagine assez facilement que les méthodes permettant de raccourcir les séjours des patients en fin de vie ne sont pas simples à mettre en œuvre, en tout cas tant que la légalisation de l’euthanasie ne sera pas effective en France… Face à ce constat, largement développé dans le texte du rapport, c’est donc fort logiquement que la commission d’évaluation a saisi le Comité Consultatif National d’Éthique de cette question et a souhaité que les responsables du système puissent modifier la mécanique perverse qui s’appliquait aux séjours de soins palliatifs. Cette proposition a déjà été entendue puisqu’à l’occasion de la mise en place de la version 11 du système au 1er mars 2009, la mission T2A a totalement modifié le système, intégrant de manière très significative les préconisations de la proposition 19. 124 Cette progression du score de réalisation des vingt propositions sera disponible sur le site www.collection-omega.fr 137 10. Des questions qui dérangent encore Si ton activité consiste à appliquer des règles de conduite générales aux cas particuliers qui se présentent, alors tu te retrouveras paralysé, car aucune règle ne peut soutenir le vent de la pensée. Hannah Arendt 138 Des questions qui dérangent encore Une nécessaire réflexion autour des cérébrolésés L’exposition médiatique de cas de patients cérébrolésés pour lesquels leur entourage souhaitait un arrêt du maintien artificiel en vie par le moyen de la nutrition médicalement assistée a conduit à une prise de conscience du problème. C’était le cas aussi bien de Terri Schiavo aux USA, que d’Hervé Pierra. Plus récemment Eluana Englaro en Italie125 ou M. K. en France126 ont également vu leur cas exposé sur la place publique. Ce sont des patients ayant retrouvé, à l’issu de semaines ou de mois de réanimation, des fonctions végétatives. Ils sont capables de survivre (leur cœur bat, ils respirent seuls) mais ils ont perdu toute capacité de vie relationnelle. Le contact avec les autres n’est plus possible. Les fonctions supérieures du cerveau ont disparu. C’est une épreuve terrible pour l’entourage, d’autant que ces « victimes de la réanimation » peuvent survivre ainsi des années. Les infrastructures pour les accueillir sont en nombre insuffisant, laissant souvent à la charge des familles, et non à la solidarité nationale, le soin de trouver des solutions adaptées. Le retour à domicile est la plupart du temps impossible, en raison de la nécessité de soins importants. Incapables de s’alimenter seuls ils doivent pour survivre être nourris artificiellement (nutrition médicalement assistée) le plus souvent via une sonde de gastrostomie qui permet d’administrer des solutés nutritionnels par l’intermédiaire d’une pompe. C’est ce moyen de maintien artificiel en vie qui est évoqué, dans certaines situations, comme une obstination déraisonnable. La loi d’avril 2005 ouvre sans aucun doute la possibilité d’arrêter la nutrition médicalement assistée chez un patient en état végétatif ou pauci-relationnel chez qui elle est considérée, après une procédure individualisée, comme une obstination déraisonnable. Comme on l’a vu, à travers les exemples de Mme X. et de M. B. ce n’est pas la technique qui représente une obstination déraisonnable, mais sa mise en œuvre 125 Cf. article reproduit en annexe à propos de l’affaire Eluana. 126 Cf. article reproduit en annexe III à propos de M.K. 10. Des questions qui dérangent encore 139 inadaptée dans telle ou telle situation particulière. La loi ne dit heureusement pas que la nutrition médicalement assistée permet un maintien artificiel en vie des patients en état végétatif ou pauci relationnel et qu’il faut donc l’arrêter. Elle dit127 que dans certaines situations, il est possible d’être amené à se poser la question et d’y répondre affirmativement. Elle dit aussi que c’est bien là le rôle du médecin que de prendre la décision se rapprochant le plus de celle qu’aurait prise l’intéressé s’il en était capable. La modification de l’article 37 est en cours, conformément à la proposition 12 de la commission d’évaluation128. Avec ses difficultés inhérentes à une formulation qui ne peut être que vague, mais qui doit empêcher toutes dérives, c’est un bon exemple de la complexité du problème que posent ces victimes du maléfice du doute, parce que réanimées au bénéfice du doute. Victimes dont toutes les familles, loin s’en faut, ne souhaitent la fin de vie, malgré leur situation, mais dont la prise en charge par la société est notoirement problématique. La nutrition médicalement assistée a-t-elle un statut particulier quant à la question de l’obstination déraisonnable ?129 Peut-on ou non discuter d’un éventuel arrêt de la nutrition/hydratation médicalement assistée ? Il convient avant tout de préciser les mots utilisés sous peine d’impossibilité de toute compréhension du débat. L’alimentation est une composante déterminante de la fonction nutritive, indispensable à la vie. Elle désigne 127 Dans ses attendus. 128 Cf. plus haut. 129 Pour plus de détails et des références bibliographiques complètes se référer à l’article publié dans Médecine Palliative : 7 (2008), pp. 222-228 ; Devalois Bernard, Gineston Laurence, Leys Arnaud : Peut-on ou non discuter d’un éventuel arrêt de la nutrition/hydratation médicalement assistée ou doit-on les considérer comme des soins « de base » ? 140 Des questions qui dérangent encore explicitement l’ingestion orale d’aliments. Pour clarifier le débat on préférera donc le terme de nutrition pour désigner ce qui a trait à la fonction physiologique. Une fonction nutritive satisfaisante nécessite un certain nombre de conditions complexes. Il s’agit de la capacité d’avoir à disposition des aliments, de la capacité de les porter à sa bouche, de la capacité de les déglutir pour les diriger vers les voies digestives, de les transformer pour permettre leur absorption vers la circulation sanguine, puis de les métaboliser. Il n’existe donc pas seulement des mécanismes physiologiques mais aussi des mécanismes psychologiques, sociologiques et mêmes anthropologiques. Il faut toujours garder à l’esprit la charge symbolique liée à l’alimentation. Elle est une part déterminante du lien social. Il existe une interaction affective complexe que matérialise « l’obligation alimentaire » dans la plupart des sociétés organisées. C’est l’organisation sociale qui permet à chacun de pouvoir disposer des aliments nécessaires à sa survie. La mère nourrit son enfant (au sein, au biberon, à la cuillère,…). Les enfants ont une obligation morale (et même légale) de nourrir leurs parents empêchés de pouvoir se nourrir par eux-mêmes en raison de leur pathologie ou l’altération de leurs capacités physiques ou cognitives. D’un autre côté, l’avancée de la science médicale permet (depuis une trentaine d’années seulement) d’envisager des techniques de substitution à une fonction nutritive défaillante : on les regroupera sous le terme de nutrition artificielle ou mieux de nutrition médicalement assistée. Lorsqu’un dysfonctionnement conduit à des troubles de déglutition (rendant impossible le passage vers l’estomac d’une quantité suffisante) ou une obstruction œsophagienne (tumorale par exemple) il est possible de proposer une nutrition entérale (passage des nutriments dans le tube digestif, via une sonde). Des techniques de nutrition parentérale permettent même de se substituer à un tube digestif défaillant en administrant directement dans la circulation sanguine des nutriments adaptés. Les soins de confort se préoccupent non pas de la maladie mais du confort du malade et de son entourage. C’est un des acquis du mouvement des soins palliatifs que 10. Des questions qui dérangent encore 141 d’avoir replacé cette composante des soins au cœur de la prise en charge. Il s’agit comme on l’a vu de soins reconnus comme un droit pour le patient via l’article 1-2 de la loi de juin 1999 sur les soins palliatifs qui figure désormais dans le Code de Santé Publique (Art 1110-10). Les médecins ont le devoir de les fournir aux malades qu’ils accompagnent dans leur fin de vie, y compris lors des limitations ou arrêts de traitements, comme le martèle à différentes reprises la loi d’avril 2005. Différentes approches de la question spécifique de la nutrition médicalement assistées sont possibles. L’approche théologique est très prégnante dans le débat. Le point de vue catholique a été réaffirmé avec force par le Vatican en septembre 2007. Et l’affaire d’Eluana Englaro au début 2009 en Italie a montré la force de la mobilisation de l’appareil vatican sur ce point de doctrine. En 2005, aux USA, les évêques américains s’étaient aussi fortement mobilisés dans l’affaire Terri Schiavo. Pour l’Église romaine, certains traitements de maintien d’une fonction vitale peuvent être suspendus, ou non entrepris, s’ils constituent des moyens extraordinaires ainsi que l’affirmait déjà Pie XII dans son discours de 1957. Mais la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (à la demande de l’église nord américaine, d’ailleurs) a rappelé que « l’administration de nourriture et d’eau même par des voies artificielles est en général un moyen ordinaire et proportionné de maintien de la vie130 ». Une déclaration commune du 26 mars 2007 de Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris et David Messas, Grand rabbin de Paris, avait déjà conduit les autorités françaises catholiques et juives à remettre partiellement en cause la loi d’avril 2005 sur ce point précis : Il apparaît clairement, dans nos traditions respectives, que l’apport d’eau et de nutriments destinés à entretenir la vie répond à un besoin élémentaire du malade. L’alimentation et l’hydratation par la voie naturelle doivent donc toujours être 130 Cf. le lien vers le texte complet, en français sur http://www.collectionomega.fr 142 Des questions qui dérangent encore maintenues aussi longtemps que possible. En cas de véritable impossibilité, ou de risques de « fausse route » mettant en danger la vie du malade, il convient de recourir à une voie artificielle. Seules des raisons graves dûment reconnues (non assimilation des nutriments par l’organisme, souffrance disproportionnée entraînée par l’apport de ceux-ci, mise en danger de la vie du malade du fait de risques d’infections ou de régurgitation) peuvent conduire dans certains cas à limiter voire suspendre l’apport de nutriments. Une telle limitation ou abstention ne doit jamais devenir un moyen d’abréger la vie. Juifs et catholiques, nous jugeons donc que, en ce qui concerne l’apport de nutriments, la loi du 22 avril présente une réelle ambiguïté. Il n’y est pas précisé que pour les malades chroniques hors d’état d’exprimer leur volonté l’alimentation et l’hydratation par voie naturelle ou artificielle doivent être maintenues, même lorsque la décision a été prise de limiter les traitements médicaux proprement dits. Il convient que les instances compétentes favorisent et garantissent cette interprétation de la loi. Cette position religieuse entre complètement en contradiction avec les différents avis ou recommandations éthiques internationales. Les structures médicales et/ou les sociétés savantes (à l’exception notable des associations spécifiques de médecins catholiques logiquement alignées sur la position vaticane) sont relativement unanimes. Elles considèrent toutes que la nutrition médicalement assistée doit être considérée comme un traitement de maintien d’une fonction vitale défaillante pouvant donc à ce titre faire l’objet de discussions sur son arrêt ou sa non mise en œuvre. Citons par exemple le point de vue explicite de l’Association Médicale Américaine, qui stipule : Un traitement de maintien artificiel en vie est un traitement médical qui permet de prolonger la vie sans pouvoir rendre réversible l’état médical du patient. Un traitement de maintien artificiel en vie inclut, sans s’y limiter, la ventilation mécanique, la dialyse rénale, la chimiothérapie, les antibiotiques et l’alimentation et l’hydratation artificielles. 10. Des questions qui dérangent encore 143 De même, en Grande Bretagne, suite à l’affaire Tony Bland et aux décisions de la Chambre des Lords, la British Medical Association a pris des positions parfaitement similaires. Enfin, la question de savoir si la nutrition-hydratation artificielle est concernée par le terme « tout traitement » de l’article 3 de la loi de 2005 et peut donc être refusée par le patient (ou concernée par une éventuelle décision de suspension ou de non mise en œuvre) est clairement affirmée dans l’exposé des motifs de la loi. La question a d’ailleurs été abordée par certains parlementaires lors de la discussion. Ils se sont très majoritairement prononcés favorablement à cette interprétation. Des amendements contraires (excluant explicitement la nutrition/hydratation artificielle de la catégorie des traitements pouvant être stoppés) ont été repoussés lors du vote par les sénateurs. Tant du côté des professionnels que de la loi, les choses sont donc claires. Oui, la question de la nutrition/hydratation artificielle peut être concernée par une discussion autour de son caractère éventuellement déraisonnable. Pourquoi la question de l’hydratation est-elle indissociable de celle de la nutrition ? Un point capital est d’insister sur la nécessité de traiter conjointement la question de l’hydratation et la question de la nutrition médicalement assistée. Les ingestions alimentaires incluent de facto un apport hydrique indispensable à la vie. Si ces apports hydriques ne sont pas suffisants, leur déficit va entraîner la mort beaucoup plus rapidement (une semaine environ sans aucun apport hydrique) que le déficit nutritionnel (quatre à cinq semaines sans aucun apport nutritionnel). Ainsi lorsque la maladie rend les ingestions insuffisantes, c’est bien la question de l’hydratation qui va d’abord menacer le maintien en vie, bien avant que ce ne soit la question nutritionnelle. Afin d’éviter tout malentendu on utilisera donc le terme d’hydratation artificielle pour désigner des 144 Des questions qui dérangent encore apports thérapeutiques, en perfusion131, essentiellement liquidiens (sans composante nutritionnelle significative) alors que le terme boisson sera réservé aux apports liquidiens oraux. Il convient de rappeler très clairement que la mise en œuvre de moyens d’hydratation artificielle sans une nutrition artificielle satisfaisante (c’est-à-dire répondant à l’ensemble des besoins de l’organisme), alors que par ailleurs les apports alimentaires sont insuffisants ou nuls, revient dans les faits à empêcher le patient de mourir en quelques jours de déshydratation, pour le laisser mourir de dénutrition en quelques semaines. Ces situations, loin d’être exceptionnelles, sont pourtant éminemment discutables sur le plan éthique. Le faux prétexte du confort du patient souvent utilisé est basé sur le mythe de la « mort de soif » liée à la déshydratation terminale en fin de vie. On sait, depuis de nombreuses années, l’ineptie de ce concept en fin de vie. Bien au contraire une certaine déshydratation, à condition d’être accompagnée par des soins de bouche et une humidification correcte des muqueuses buccales, est un facteur de confort chez le mourant. Il convient d’intégrer ce paramètre dans les décisions sur ce sujet. Il faut se rappeler que la dénutrition est de loin plus inconfortable que la déshydratation. Faut-il entreprendre systématiquement une nutrition et/ou une hydratation artificielle pour un malade en phase terminale qui ne boit et ne mange pas suffisamment ? La réponse est clairement non. Pour ces patients, comme pour tout autre, des soins appropriés doivent être utilisés de façon raisonnable et proportionnée, sans obstination déraisonnable qui n’aurait comme seul but que le maintien artificiel de la vie. L’hydratation/nutrition artificielle systématique (par sonde gastrique ou par perfusion intraveineuse) s’apparente clairement dans cette situation particulière à une obstination déraisonnable, de la même façon d’ailleurs qu’une nutrition artificielle. 131 Le « goutte-à-goutte » intraveineux ou éventuellement sous-cutané. 10. Des questions qui dérangent encore 145 Il convient plutôt d’accompagner le patient dans le passage d’une alimentation à visée nutritionnelle à une dimension visant seulement au plaisir et à la sociabilité. Il vaut mieux qu’un patient en toute fin de vie mange avec plaisir une bouchée de son plat favori, préparé par un être cher avec amour, que de lui faire couler à toute force un liquide vaguement laiteux dans ses pauvres veines fatiguées. Si besoin, pour combattre les effets d’apports hydriques rendus insuffisants par la maladie, il est légitime de recourir à des moyens efficaces comme l’eau gélifiée en cas de difficulté de déglutition, de soins de bouche et de brumisation (gestes auxquels peuvent être associés les membres de l’entourage qui le souhaitent). Le recours à un « goutte-à-goutte » pour hydrater un patient en toute fin de vie ne répond la plupart du temps qu’à une réflexion insuffisante, et/ou à une pression familiale exigeant (à tort) cette mesure « de confort pour éviter qu’il meure de soif », sans qu’il n’ait été pris le temps d’expliquer que cette mesure n’améliore pas le confort et qu’elle n’empêche pas la sécheresse de bouche132. Pourquoi la nutrition entérale médicalement assistée n’est pas un soin « ordinaire » contrairement à l’alimentation ? Lorsque des troubles du carrefour oro-pharyngé rendent impossible un apport suffisant d’aliments (et d’eau) dans l’estomac afin d’assurer les besoins nutritionnels et hydriques, il est possible de recourir à une nutrition entérale. Elle consiste à introduire un tube dans l’estomac (sonde naso gastrique ou de gastrostomie) et à utiliser ce tube pour introduire des substances nutritives directement dans le système digestif. Ces substances sont des produits pharmaceutiques, élaborés dans le respect de normes précises afin d’éviter des complications iatrogènes133. Elles 132 Qui, lorsqu’elle est présente, doit être traitée par d’autres moyens beaucoup plus efficaces, cf. ci-dessus. 133 L’alimentation artisanale (nourriture quotidienne mixée puis injectée sur sonde) est fortement déconseillée. En effet, les nutriments, trop épais, bouchent facilement les sondes. De plus, le risque de diarrhée infectieuse 146 Des questions qui dérangent encore sont administrées via une pompe mécanique pour assurer une administration régulière. Comparons les moyens nécessaires pour cette nutrition médicalement assistée par voie entérale à ceux mobilisés lors d’une ventilation non invasive134 (VNI). Pour la VNI, contrairement à la nutrition entérale, il n’y a pas de tube dans l’organisme, pas de produits vendus en pharmacie administrés quotidiennement mais un simple appareil, poussant mécaniquement de l’air ambiant, via un masque facial, vers les poumons du patient. Les moyens mobilisés pour la VNI apparaissent clairement moins « extraordinaires » que ceux mobilisés pour la nutrition entérale. Or le retrait (ou la non mise en œuvre) de la VNI semble poser beaucoup moins de questions que le retrait (ou la non mise en œuvre) de la nutrition entérale. Il n’y a personne pour affirmer que la VNI est un soin ordinaire de base qui devrait être maintenu jusqu’au décès. On voit bien là l’importance de la dimension symbolique de l’obligation alimentaire. Est-il scandaleux de faire cesser une nutrition entérale chez un patient maintenu en vie artificiellement par ce traitement médical ? Dans certaines situations c’est un patient conscient, dépendant de cette technique de nutrition artificielle qui juge que c’est pour lui une obstination déraisonnable et qui demande l’arrêt (ou la non mise en œuvre) de la technique (exemple fréquent dans les SLA). Dans cette situation (de type 1) pas de doute possible, conformément à la loi de 2005, le médecin n’a pas le droit de poursuivre (ou d’entreprendre) la nutrition entérale. D’autres, encore plus complexes sont celles où, pour un patient en état végétatif chronique (ou pauci relationnel), totalement incapable d’ingérer des aliments et maintenu en vie par une nutrition artificielle entérale, par l’intermédiaire d’une sonde gastrique. La question posée (dans une lié à un défaut d’hygiène lors de la préparation, de la conservation ou de la mise en poche est important. 134 Méthode utilisée pour assister la fonction respiratoire de patients ne pouvant plus suffisamment respirer par eux-mêmes. 10. Des questions qui dérangent encore 147 proportion de situation de ce type inconnue à ce jour) est celle d’un éventuel arrêt de ce qui est alors qualifié de traitement de maintien artificiel en vie. Pour la loi française, c’est possible, sans aucun doute. Mais possible ne veut pas forcément dire souhaitable. La seule obligation faite au médecin est de ne pas se retrouver dans une situation d’obstination déraisonnable qu’aurait refusée le patient s’il avait pu s’exprimer. C’est donc le déclenchement de la procédure collégiale qui devra permettre de prendre (ou de ne pas prendre) cette décision, qui, on l’a vu à travers les exemples de Mme X. et de M. B., est complexe et unique. Quid du patient qui veut obtenir la garantie d’être maintenu artificiellement en vie même s’il n’est plus conscient ? L’histoire d’Oliver Leslie Burke, amenant ce postier anglais devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), n’est pas ordinaire. Cet homme de quarante-six ans se savait atteint d’une maladie neurodégénérative qui le conduirait inexorablement à une situation de perte de conscience suffisante pour l’empêcher de s’alimenter naturellement. Il aurait donc besoin, pour rester en vie, d’une nutrition médicalement assistée. Les règles en vigueur au Royaume-Uni permettent dans une situation d’altération irrémédiable des fonctions cognitives, l’arrêt de la nutrition médicalement assistée. La crainte de Mr Burke, fervent catholique, était donc de ne pas bénéficier, comme il le souhaitait, et conformément à la doctrine catholique, d’une nutrition médicalement assistée après qu’il aurait perdu ses capacités cognitives. N’ayant pu obtenir cette garantie de la justice britannique, il s’est tourné vers la CEDH à Strasbourg. Il a été finalement débouté, la Cour européenne considérant qu’elle n’avait pas à s’immiscer dans des décisions d’ordre médical. Cette affaire pose une question intéressante : si un patient a le droit de refuser par avance un traitement qu’il juge déraisonnable, cela crée-t-il le droit pour un patient d’exiger un traitement, qui plus est par anticipation, et même s’il est jugé déraisonnable par les médecins ? 149 148 Des questions qui dérangent encore La loi française ne permet pas plus que la loi britannique de répondre à la situation de Mr Burke. En effet, malgré une erreur d’interprétation assez fréquente, la loi ne confère pas au malade le droit de choisir son traitement, et donc exiger tel ou tel traitement contre l’avis de son médecin. Ce n’est donc pas dans la loi qu’il faut trouver des solutions à ce type de problèmes, mais dans la qualité de la relation médecin – malade. C’est ce dialogue qui doit permettre de régler au mieux d’éventuelles différences d’appréciation. D’évidence, ce n’est pas devant les tribunaux qu’un patient pourra exiger tel soin plutôt que tel autre. C’est à chaque médecin de s’enquérir par avance des souhaits de son patient sur des sujets aussi cruciaux. C’est aux malades d’exprimer clairement, à leur médecin, à leur personne de confiance et via leurs directives anticipées, ce qu’ils souhaitent. Les souhaits doivent être discutés et faire l’objet, dans toute la mesure du possible, d’engagements clairs de la part du médecin. Ainsi ceux qui comme Mr Burke, souhaitent un maintien en vie par l’intermédiaire d’une nutrition médicalement assistée maintenue jusqu’au bout, doivent pouvoir obtenir satisfaction. Et ceux, qui au contraire, ne le souhaitent pas, doivent également pouvoir obtenir satisfaction. Et dans les deux cas, indépendamment des options philosophiques ou religieuses de ceux qui les soignent. 11. Un droit à choisir sa mort ? Faut-il distinguer entre une mort hideuse et une mort préparée par la main des génies ? Entre une mort à visage de bête et une mort à visage de mort ? René Char 150 11. Un droit à choisir sa mort ? 151 Un droit à choisir sa mort ? Un échange intéressant, consultable sur Internet135, a opposé l’avocat de Chantal Sébire, Gilles Antonowicz, qui venait de démissionner de la vice-présidence de l’ADMD, et un délégué départemental de cette association, autour des concepts d’euthanasie et de suicide assisté. Cet échange éclaire significativement certains éléments du débat interne aux adeptes d’un droit à la mort, sous ses différentes formes. Le militant « canal historique » rappelle tout d’abord à Gilles Antonowicz : « Le suicide assisté, plus précisément la dépénalisation de l’assistance à un suicide humain préalablement légitimé, ce que vous avez demandé pour Chantal Sébire au Tribunal de Dijon, d’ailleurs, sera le premier pas, le moins difficile à franchir si on parvient à le démarquer du « droit de tuer ». Il poursuit en inversant le postulat de l’avocat : N’est-ce pas parce que le droit à l’euthanasie nuit au suicide assisté que nous tournons en rond depuis vingt-cinq ans et non l’inverse ? En conclusion de leurs échanges, il précise : Je distingue l’euthanasie du suicide de la façon suivante : dans le suicide, l’acte qui aboutit à la mort est décidé, organisé et déclenché par l’intéressé, tandis que dans l’euthanasie il est décidé, organisé et déclenché par un tiers, en l’occurrence un médecin. Je soutiens que l’assistance au suicide, lorsque l’état de l’intéressé ne lui permet pas de procéder à un geste essentiel de l’acte (porter le verre à sa bouche par exemple) ne requalifie pas le suicide en euthanasie. C’est l’intention qui qualifie l’acte. Cette position est révélatrice de la rhétorique des partisans de la cause du droit au suicide, comme « ultime liberté ». Afin de clarifier le débat, il paraît effectivement intéressant de réfléchir à une véritable classification des différents droits envisageables autour des questions de la maîtrise de la fin de vie, et de faire préciser à chacun 135 Lien disponible sur www.collection-omega.fr où se situe le souhaitable, l’acceptable, l’interdit. Ainsi chaque citoyen pourrait, en connaissance de cause, et sans être victime de manipulations d’aucune sorte, prendre position en comprenant les tenants et les aboutissants des nombreux textes proposant « de relancer le débat sur l’euthanasie » ou de nous accorder « le dernier des droits de l’homme ». Il pourrait comprendre les enjeux par une analyse rationnelle et non émotionnelle, passionnelle, s’appuyant sur des dogmes ou des idées reçues. Cette classification pourrait aussi contribuer à l’élaboration d’une cartographie européenne ou mondiale des droits à choisir sa mort. Examinons quels pourraient en être les contours. Droit à une mort apaisée (A) Il s’agit de conférer à chacun le droit à des soins palliatifs, entendus comme l’obligation de déployer tous les moyens existants nécessaires à contrôler la douleur, et les autres symptômes gênant la qualité d’une vie qui prend fin, à apaiser les souffrances du patient et de son entourage, conformément aux recommandations de bonne pratiques professionnelles. C’est l’esprit de la loi française de juin 1999. Droit au laisser-mourir (B) Il impose un devoir aux professionnels de santé de ne pas faire subir un acharnement thérapeutique. C’est la voie choisie par la loi de 2005. Droit pour un patient conscient de refuser ce qu’il considère pour lui-même comme un acharnement thérapeutique (B1) C’est le sujet seul qui intervient. Le médecin, moyennant l’observation de précautions procédurales fixées par la loi, a l’obligation de respecter la décision. Le contrôle passe par le juge qui peut intervenir si le droit du patient ou si la procédure n’est pas respectée. 152 Un droit à choisir sa mort ? Élargissement de ce droit au patient qui n’est plus capable de décider pour lui-même (B2) • Le sujet intervient de manière anticipée ou via un mandataire (B21) Par le biais de directives anticipées, qui prévoient explicitement les conditions d’un refus de tel ou tel traitement susceptible de représenter un moyen de maintien artificiel en vie, le sujet intervient seul. Il est également envisageable de prévoir la désignation d’un mandataire, dont la décision, représentant celle que le malade aurait prise, s’impose. Dans les deux cas, la décision s’impose au médecin qui ne peut aller contre. Le contrôle passe par le juge qui intervient si le droit du malade n’est pas respecté voire éventuellement pour imposer une décision (de poursuite ou d’arrêt) aux médecins. C’est plutôt la voie suivie par certains des états des USA. • Appréciation de ce droit par le médecin pour le patient qui n’est pas capable de décider pour lui-même (B22) C’est le médecin qui est chargé de prendre la meilleure décision possible, dans l’intérêt du patient, en recherchant tous les éléments lui permettant d’essayer d’apprécier quelle aurait été la décision du malade. Le médecin a donc dans ce cas un pouvoir de décision, à l’image d’un juge qui fait appel à son intime conviction, après une procédure définie. C’est précisément ce que fait la loi française d’avril 2005. Le contrôle par le juge porte uniquement sur le respect de la procédure prévue, pas sur la décision prise. Droit à un raccourcissement de la phase agonique (C) Droit pour un patient en phase agonique à recevoir une injection létale (C1) Il s’agit de conférer aux malades le droit de voir leur phase agonique abrégée par une intervention médicale 11. Un droit à choisir sa mort ? 153 provoquant une mort rapide. Il impose aux médecins136, pour les patients concernés, de pratiquer cette injection. C’est la forme la plus communément désignée sous le terme d’euthanasie. C’est la direction initialement suivie par les pays du Benelux. La phase agonique peut être définie comme une situation dans laquelle le patient a perdu ses capacités cognitives et relationnelles et pour qui la mort est susceptible de survenir dans les heures ou plus tard dans les jours qui suivent. Le patient ne peut pas, par définition (perte de ses capacités cognitives liée à la phase agonique), en faire directement la demande. Ce droit peut être (ou pas) limité exclusivement à ceux qui en ont fait la demande anticipée. On peut aussi élargir cette décision à une personne mandataire désignée à cet effet par le malade137. Certains envisagent que le geste euthanasique puisse être fait à la demande d’un proche ou même de l’équipe soignante, considérant l’intérêt supposé du patient138. Un exemple poignant de cette problématique est donné par le texte C’est fini, Debbie139 paru en 1988 qui a donné lieu à de nombreux commentaires dans la littérature médicale. Cet éditorial anonyme relate l’euthanasie d’une jeune fille en phase agonique, par un jeune interne se basant sur les propos laconiques de la patiente : « Finissons-en avec ça » et sur l’acquiescement implicite de sa mère, épuisée de voir sa fille mourir. Dans cette hypothèse, loin de limiter le pouvoir médical, on le renforce considérablement. C’est le médecin qui juge seul si le patient est bien en phase agonique irrémédiable140, ouvrant ainsi le droit à l’injection 136 Sous réserve d’une clause de conscience leur imposant de confier le patient à un autre collègue qui ne fera pas jouer cette clause de conscience. 137 C’est le choix fait dans la législation belge par exemple. 138 C’est ce que revendiquaient par exemple les soignants soutenant les accusées de Périgueux en 2007 ou C. Malèvre, l’infirmière de Mantes en 1998. 139 It’s over Debbie, JAMA 1988 ; 259:272. Cf. le site www.collectionomega.fr pour une traduction française de ce texte. 140 Comme le médecin dans le prologue, prédisant à coup sûr l’issue fatale. 154 Un droit à choisir sa mort ? létale. C’est ensuite à lui141 de pratiquer cette injection, pour provoquer une mort « douce et rapide » (selon le vocabulaire généralement employé par les partisans de cette solution). Outre que cette hypothèse repose donc sur le pouvoir du médecin à savoir déterminer que la mort est inéluctable à court terme, elle considère de facto que « l’agonie ne sert à rien142 » et qu’il n’est pas délétère pour les proches de la raccourcir artificiellement143. Droit pour un patient pour qui les moyens artificiels de maintien en vie sont arrêtés à recevoir une injection létale pour raccourcir le temps du mourir (C2) C’est par exemple, ce que revendiquent, plus ou moins explicitement, la famille Pierra ou la famille K.144, ou même le Dr Chaussoy dans l’affaire Humbert : Puisque la décision du laisser-mourir est prise, autant que les choses aillent vite. Ce droit imposerait donc le devoir pour les médecins de faire mourir dans des délais prescrits : cinq minutes, deux heures, trois jours ? Droit au suicide médicalement assisté (D) Droit au suicide médicalement assisté pour des patients incapables physiquement de se suicider (D1) Il s’agit de considérer que le suicide étant un droit fondamental de l’individu, la société doit rétablir l’équité pour ceux qui en sont matériellement empêchés par leur atteinte physique. C’était la revendication de Vincent Humbert, réclamant à Jacques Chirac le droit de mourir. C’est le sujet conscient qui réclame ce droit. Le médecin 141 Il n’existe pas à ce jour de propositions visant à confier le geste luimême à un autre professionnel. 142 Sur ce thème voir l’incontournable article L’agonie ne sert à rien de Isabelle Marin dans la revue Esprit (N° 6, 243, pp. 27-36,1998). 143 Alors que de nombreux éléments de preuves indiquent l’inverse. 144 Voir plus haut ces « affaires ». 11. Un droit à choisir sa mort ? 155 serait alors obligé de procéder à l’injection létale145. Certains ont imaginé qu’un contrôle pourrait intervenir a priori pour valider (ou non) la demande (exemple de la proposition de Gaëtan Gorce146, de créer une Haute Autorité Morale jugeant notamment de telles demandes). Droit au suicide médicalement assisté pour des patients en phase terminale de leur maladie (D2) C’est l’esprit des lois hollandaises et belges, réservant le droit à une injection létale aux malades dans cette situation d’une mort probable dans les semaines ou les mois à venir. C’est bien ce que réclamait Chantal Sébire, dans sa requête, rejetée par le tribunal de Dijon, ou Maia Simon dans son interview posthume. Le rôle du médecin, ici encore, est très important puisque c’est lui qui juge si le pronostic ouvre ou non le droit à l’injection létale. Cet avis est extrêmement discutable, puisque de nombreuses études montrent que, contrairement au filleul de la Mort du conte des frères Grimm, les médecins se trompent de manière très significative lorsqu’ils se risquent à un pronostic à un délai supérieur à quelques jours. Par ailleurs l’interprétation de cette clause varie d’un médecin à l’autre. Ainsi en mars 2009 une nonagénaire belge a été jugée par un médecin comme ne correspondant pas aux critères requis pour obtenir le droit à l’injection létale car elle n’était pas atteinte d’une maladie grave. Une semaine plus tard un autre médecin, militant actif de la cause pro-euthanasie, en jugeait différemment et procédait lui à l’injection létale147. En Hollande et en Belgique, la conformité du respect de la procédure est confiée à une commission qui examine a posteriori les dossiers. En Belgique, cette commission n’a jamais émis le moindre doute sur la conformité à la loi de l’ensemble des euthanasies déclarées. La proposition de 145 Sous les réserves exprimées plus haut de la clause de conscience. 146 Député PS, membre des deux commissions Leonetti. 147 Cf. sur www.collection-omega.fr les liens concernant Amelie Van Esbeen, finalement décédée par euthanasie, le 1er avril 2009. 156 Un droit à choisir sa mort ? Gaëtan Gorce148 consistait à créer une commission chargée de l’examen a priori de ces demandes, et dont seul l’avis favorable permettrait d’ouvrir le droit à l’injection létale. Droit au suicide médicalement assisté pour des patients atteints d’une maladie incurable ou présentant une souffrance insupportable (D3) Dans les mêmes conditions, certaines propositions ouvrent le droit à un suicide médicalement assisté à « toute personne majeure en mesure d’apprécier les conséquences de ses choix et de ses actes (…) lorsqu’elle fait état d’une souffrance ou d’une détresse constante, insupportable, non maîtrisable, consécutive à un accident ou à une affection pathologique, ou alors lorsqu’elle est atteinte d’une maladie neurodégénérative incurable149 ». C’est évidemment la tendance naturelle de l’évolution de la position précédente. Ainsi on a vu apparaître en Hollande des discussions concernant l’élargissement du droit au suicide médicalement assisté aux grands mélancoliques. En Belgique, l’euthanasie médiatique de Hugo Claus en mars 2008 est une illustration de la limite très floue entre ceux qui « ont le droit » et les autres. Il était atteint, selon ses dires, d’une maladie d’Alzheimer à un stade pour le moins précoce. Le célèbre écrivain, militant du droit à mourir, a demandé et obtenu le droit de pouvoir bénéficier d‘une injection létale, dans la crainte d’une détérioration mentale ultérieure. Son geste fut quasiment salué à l’instar du suicide de Socrate. Droit à un suicide médicalement assisté pour tous ceux qui le souhaitent (D4) C’est la forme ultime des positions précédentes. Il s’agit par exemple de la revendication sous entendue par Benoit Groult dans son roman La touche étoile paru en 2006. Il s’agit du rêve que fait Tereza, dans le roman de Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être150, lorsque par 148 Cf. plus haut. 149 Extrait de l’article 1 de la proposition de « Loi Vincent Humbert ». 150 Cf. extraits sur le site www.collection-omega.fr 11. Un droit à choisir sa mort ? 157 désespoir amoureux elle s’imagine avoir recours au service de fonctionnaires chargés d’exécuter « proprement » ceux qui veulent mourir (ce qui est important à vérifier chez les candidats, c’est leur volonté, pas leurs raisons). Il s’agit également d’une demande régulièrement exprimée par le président de l’ADMD, Jean‑Luc Romero, qui affirme que ce droit, s’il était reconnu aux personnes âgées, permettrait de leur éviter le drame des suicides par pendaisons151. On peut ainsi imaginer que ce droit soit restreint à certaines catégories : seniors de plus de soixante-dix ans (soixante-cinq, soixante-quinze ?), déprimés disposant d’un certificat médical, arthritiques, cacochymes, égrotants, etc. Il faut noter que pour les adeptes les plus farouches du « droit au suicide », toute limitation apportée à l’exercice de ce droit serait liberticide. Les médecins n’interviendraient ici que pour certifier le respect des conditions (plus ou moins restrictives on l’a vu). Il leur faudrait ensuite passer à l’acte. Le contrôle pourrait se faire a priori (position jugée inacceptable par l’ADMD par exemple, car trop restrictive) ou a posteriori comme c’était la proposition de la « Loi Vincent Humbert ». Ce contrôle a posteriori est celui qui est régulièrement retenu par les propositions de loi déposées par des parlementaires de tous bords (cf. les trois textes soumis ces derniers mois à l’Assemblée nationale). Droit à une sédation à la demande, permettant un suicide indirect (D5) Face à la demande d’assistance médicalisée pour mourir, une sorte de « droit à la sédation » a pu être évoquée. Ainsi, dans le cas de Chantal Sébire, la réalisation d’une sédation a été proposée par certains responsables politiques, probablement mal informés. Il s’agirait de provoquer un 151 Audition devant la commission parlementaire d’évaluation en juin 2008. Cf. lien sur www.collection-oméga.fr 158 Un droit à choisir sa mort ? coma artificiel, rendant ainsi impossible l’alimentation et la boisson, ce qui conduirait inéluctablement à la mort, dans un délai de quelques jours. C’est une pratique qui se répand en Hollande. Elle est là-bas qualifiée à juste titre de slow-euthanasia. Elle présente comme seul intérêt pour les médecins qui y recourent d’éviter d’avoir à remplir le fastidieux dossier de déclaration des cas d’euthanasie. Il ne s’agit de rien d’autre que d’un détournement abusif de l’utilisation de traitements à visée sédative, parfois rendus nécessaires dans des circonstances spécifiques152. Droit à obtenir les moyens d’un suicide « propre » (D6) Il s’agit de créer un devoir pour la société de fournir à ceux à qui on accorde ce droit, les moyens d’un suicide dans des conditions apparaissant acceptable (médicaments dans la plupart des cas153). • Droit réservé aux patients en phase avancée ou terminale d’une maladie grave et incurable (D61) C’est ce droit que confère en Oregon le Death with Dignity Act depuis octobre 1997 aux patients répondant à une quinzaine de critères très restrictifs. On peut citer par exemple : espérance de vie limitée (certificat médical), absence de dépression (certificat d’un psychiatre), demande écrite certifiée par des témoins, etc.154 • Droit ouvert à tous ceux qui souhaitent mettre fin à leurs jours (D62) Certains imaginent et proposent que ce droit à obtenir les produits destinés à leur suicide ne soit pas aussi restreint qu’en Oregon et que tous ceux qui font preuve de détermination dans leur désir de mettre fin à leurs jours puissent en bénéficier afin d’éviter d’avoir à subir les affres 152 Cf. sur ce sujet le chapitre sur le double effet. 153 Si l’on excepte les propositions de sacs en plastique proposés par certains extrémistes australiens par exemple. 154 Cf. liens vers les documents sur cette législation ( site www.collectionomega.fr). 11. Un droit à choisir sa mort ? 159 d’un suicide raté et/ou de faire subir à l’entourage des circonstances dramatiques (pendaisons, défenestration, gaz, etc.). Droit à une dépénalisation de l’assistance au suicide (E) Certains réclament l’instauration du droit à aider un proche à se suicider, éventuellement limité au cas où le sujet n’en est pas capable lui-même. C’est la revendication du militant historique de l’ADMD cité en préambule du présent chapitre. C’était également la requête de Diane Pretty en avril 2002 devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) que celle-ci a refusée155. Elle demandait en fait que son mari soit autorisé à la faire mourir. Ce droit créerait de fait le devoir pour la justice de ne pas poursuivre ceux qui s’en rendraient coupables. En France si l’incitation au suicide est pénalisée (loi Gayssot de 1986) le flou persiste sur le caractère répréhensible ou non de l’assistance matérielle au suicide156. En Suisse, du fait de l’ambiguïté de la rédaction, au début du XXe siècle de l’article 115 du code pénal, une dépénalisation de fait existe pour ceux qui ne sont pas animés « par un mobile égoïste ». Ainsi ce sont développées plusieurs associations qui organisent le suicide de celles et ceux qui le souhaitent. Chaque structure s’est fixé ses propres règles, plus ou moins encadrées par une jurisprudence marquant les limites à cette tolérance157. 155 Dans son arrêt, la CEDH estime que le « droit à la vie » ne peut être interprété « sans distorsion de langage » comme un « droit de mourir », et qu’au contraire il appartient à l’État de « protéger la vie ». 156 Cf. sur cette question l’audition d’Alain Prothais, professeur de droit pénal, le 23 septembre 2008 devant la commission parlementaire (lien sur www.collection-omega.fr). 157 Cf. les pages consacrées à la Suisse dans le rapport de la mission d’évaluation de 2008. 160 Un droit à choisir sa mort ? Un outil de décodage précieux Nous avons ainsi tracé l’esquisse de ce qui serait une classification des différentes possibilités de légiférer sur le droit à choisir sa mort. Ce travail d’approfondissement des questions complexes en lien avec ce qui ressemble à un droit du mourir devra être poursuivi dans les prochaines années pour éclairer le nécessaire débat citoyen qui ne saurait se cantonner à une discussion de café du commerce. À titre d’exemple de l’intérêt d’une telle grille, il est édifiant de se pencher sur la « proposition de loi d’initiative populaire pour une loi Vincent Humbert », évoquée ici à plusieurs reprises. Elle a été signée par plusieurs centaines de milliers de personnes, convaincues par les propos lénifiants de Marie Humbert. L’exposé des motifs affirme « qu’il ne s’agit pas de légaliser l’euthanasie mais d’introduire une exception dans le code pénal » (sic !). Les dirigeants de l’association ont à maintes reprises expliqué qu’ils étaient (contrairement à l’ADMD selon eux) parfaitement opposés à l’instauration d’un droit au suicide. Mais le titre premier de leur proposition de loi affirme « le droit au respect de tout être humain d’exprimer sa volonté de fin de vie » (et pas « en fin de vie »). L’article 1er explicite ce droit qui est bien un droit au suicide médicalement assisté en l’ouvrant pratiquement à tous ceux qui souhaitent mourir. Il ne prévoit pas d’autre limitation que « la volonté de la personne de mettre fin à ses jours en raison d’une souffrance ou d’une détresse à mettre en lien avec un accident, une affection pathologique158 ou une maladie neurodégénérative incurable ». Cette proposition est donc sans aucun doute à classer dans la catégorie des textes les plus « ouverts » en matière de suicide assisté (D3 voire D4). Il n’est pas certain que tous les signataires du texte aient réellement pris conscience des conséquences sociétales de ce qui était ainsi proposé. Mais aucun sondage n’est jamais 158 Sic ! Doit-on y classer ou non la maladie d’amour ? la psychose maniaco-dépressive ? 11. Un droit à choisir sa mort ? 161 fait pour répondre à la question : « Êtes-vous favorable à l’instauration d’un droit au suicide, créant le devoir pour la société de suicider tous ceux qui le souhaitent ? » Les résultats en seraient pourtant bien intéressants. 163 12. Conclusions : persévérer dans la voie de la sagesse Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer. André Gide 164 Conclusions : persévérer dans la voie de la sagesse Une dépêche de l’AFP de mars 2009 révèle que vingtsix mineurs ont été activement euthanasiés au cours des deux dernières années en Belgique, par l’administration de drogues létales. Il s’agit d’une enquête publiée dans l’American Journal of Critical Care, portant sur les pratiques professionnelles de cent quarante et une infirmières et infirmiers affectés dans cinq des sept unités des soins intensifs pédiatriques du pays. C’est une violation flagrante des dispositifs légaux belges sur l’euthanasie. Pourtant, en France, les partisans d’une légalisation « à la belge » avaient longuement disserté sur la performance et la fiabilité du dispositif belge, s’insurgeant des réserves émises par exemple par la commission d’évaluation de 2008159. Nous voyons là une parfaite illustration de la théorie dite de la pente glissante. C’est probablement le meilleur argument contre toute tentation d’autoriser une aide active à mourir. Selon cette théorie, même si on permet celle-ci seulement dans des cas exceptionnels, on ouvre à tout coup la porte à des abus et on glisse vers une situation qui n’était pas prévue. Aucune barrière ne peut résister durablement et empêcher la glissade le long de la pente. Hans Jonas, nous a mis en garde, avec son principe responsabilité160, sur le fait que l’homme a désormais les capacités de s’autodétruire en peu de temps. Une des principales déclinaisons de sa théorie est le principe de précaution (devenu constitutionnel en France depuis 2005). C’est au nom de ce principe que l’on s’interroge sur les conséquences d’un développement de l’industrie nucléaire ou celles de la dissémination des Organismes Génétiquement Modifiés. C’est au nom de cette éthique du futur (pour reprendre un autre concept adjacent de Hans Jonas) et en pensant aux 159 Cf. par exemple l’encart publicitaire acheté par l’ADMD dans le journal Le Monde en décembre 2008 (à consulter sur www.collection-omega.fr). 160 Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique (1979) traduction française Édition du Cerf (1990). 12. Conclusions : persévérer dans la voie de la sagesse 165 générations qui nous suivrons, que nous nous interrogeons sur les « féeries anatomiques » que nous promettent certains, amateurs de pactes faustiens (notamment dans le cadre de la révision des lois de bioéthique). C’est au nom de ces mêmes principes, et par crainte de cette funeste pente glissante, que nous devons récuser l’idée d’organiser un « droit à mourir ».161 Affirmer qu’il n’y aura jamais de dérives, c’est se tromper avec une certitude absolue. Il existe suffisamment d’indications de l’existence de ces dérives, aussi bien pour l’euthanasie légalisée en Belgique, que pour la dépénalisation du suicide assisté en Suisse, pour se convaincre de la justesse de la voie française. C’est celle de la prudence, de la sagesse, de la phronèsis aristotélicienne. C’est celle de la détermination politique à faire valoir le droit des malades sur la toute puissance des médecins. C’est celle de la défense des principes de la République et de l’intérêt collectif des citoyens sur des impératifs individualistes, dogmatiques ou religieux. Faisons le pari que dans dix ans, les pays qui n’ont pas choisi cette voie, nous y rejoindrons, jurant, mais un peu tard, qu’on ne les y reprendrait plus. 161 Jonas Hans, Le Droit de mourir, Payot, 1996, est souvent cité par les partisans de la légalisation, se fiant à son titre. Ils devraient le lire ! Jonas se prononce très clairement contre toute idée d’aide active à mourir (euthanasie ou suicide assisté). Il revendique par contre pour tout malade le droit de refuser un traitement de maintien en vie C’est très exactement le sens de la loi de 2005. 167 13. ANNEXES Quand à la mort, la mort de mam. me donnait la certitude (jusque-là abstraite) que tous les hommes sont mortels – qu’il n’y aurait jamais de discrimination – et la certitude de devoir mourir par cette logique-là m’apaisait. Roland Barthes 13. ANNEXES 169 168 ANNEXES Annexe i : L’histoire tragique de Mme Sébire ne doit pas ouvrir un droit au suicide Article paru dans Le Figaro du 19 mars 2008. Au lendemain du décès de Mme Sébire et au-delà de l’émotion suscitée par cet événement tragique il convient de revenir sur un certain nombre d’approximations faites à cette occasion. Une grande confusion est généralement entretenue autour des « affaires » qui sont destinées « à relancer le débat sur l’euthanasie ». Or il convient de bien distinguer trois problématiques différentes. La première est celle de l’acharnement thérapeutique (les affaires V. Humbert ou H. Pierra par exemple). Nous approuvons pleinement la volonté de faire reconnaître le droit des patients à refuser des soins qu’ils considèrent comme inutiles ou disproportionnés. La loi du 22 avril 2005 – dite loi Leonetti – est une réponse législative à ces questions. Elle impose aux médecins de respecter la volonté des malades en ce domaine. Elle institue des outils permettant de mettre en œuvre ce principe lorsque le patient n’est plus en état de décider pour lui-même (procédure collégiale, concertation d’équipe, directives anticipées, désignation d’une personne de confiance, avis de la famille et des proches). C’est le système juridique le plus avancé au monde dans ce domaine. Un problème demeure : cette loi n’est ni assez connue, ni bien appliquée. Notons toutefois que dans l’affaire Sébire, aucune obstination déraisonnable n’est évoquée. Une autre problématique est celle de la phase ultime, agonique, de la vie. Ainsi dans l’affaire de Saint-Astier, un médecin a été reconnu coupable d’avoir abrégé la vie d’une malade moribonde. La phase agonique, qui peut durer plusieurs jours, est d’autant plus difficile à supporter pour le patient et ses proches que les symptômes ne sont pas correctement pris en charge (douleur, essoufflement, angoisse, etc.) et qu’un accompagnement adapté n’est pas mis en œuvre. Certains proposent de mettre en place des procédures légales qui permettraient aux médecins de raccourcir cette phase ultime par la pratique d’injections létales. Sans revenir ici sur l’ensemble des arguments qui plaident contre cette solution, mais plutôt pour une meilleure formation des médecins et une augmentation des moyens pour les soins palliatifs, il faut souligner que dans l’affaire Sébire, nous ne sommes pas non plus dans cette situation. Mme Sébire réclamait le droit pour son médecin de mettre fin à ses jours, car elle ne souhaitait ni se suicider elle-même, ni accepter les traitements susceptibles de lui procurer un soulagement. Elle exigeait de la société (via la justice qu’elle a saisie) le droit au suicide, pour elle et ceux qui auraient la même volonté. Une légitime émotion est suscitée par sa situation tragique (mais ni plus ni moins que celle de milliers d’autres : la souffrance et la mort sont toujours tragiques). Mais, en écartant un moment le rideau de l’émotion, que découvre-t-on ? Que la demande ainsi adressée à la société est inopérante au regard des problèmes soulevés. Si notre société mettait en place un tel « droit au suicide » chaque citoyen pourrait exiger « d’être suicidé à sa demande ». Autrement dit : faites ce que je n’ose pas me faire à moi-même, me rayer de la vie. Comment ne pas voir le caractère contradictoire d’un tel transfert sur autrui de la responsabilité première de chacun sur luimême ? Les partisans de cette mesure évoquent certes un encadrement, des limites précises. Et c’est là que les choses se compliquent. Quelle position adopter pour des patients qui refusent les traitements que la médecine peut leur apporter ? Quel encadrement juridique faudra-t-il mettre en place pour s’assurer qu’aucun intérêt ne se cache derrière la demande ? Le suicide doit rester la quintessence de la liberté individuelle. Ce serait dévoyer toute notre philosophie politique et juridique, héritée des Lumières, que d’en faire un nouveau « droit à » opposable. L’incitation au suicide d’autrui est d’ailleurs prohibée dans notre pays. C’est donc 13. ANNEXES 171 170 ANNEXES bien à un débat beaucoup plus dérangeant encore qu’il n’y parait auquel nous sommes conviés. Il convient d’y faire bien réfléchir nos concitoyens et leurs responsables politiques afin d’éviter des chantages compassionnels du type : « si le cas de Mme Sébire vous a touché, alors vous approuvez la cause qu’elle avait décidé de défendre ». Un second point touchant directement à la situation de Mme Sébire devra être éclairci. Au plan médical, des doutes sérieux pèsent sur le caractère « impossible à contrôler » de la douleur de Mme Sébire. Il semble bien qu’elle ait en réalité systématiquement refusé toutes les possibilités qui lui étaient offertes pour tenter de contrôler les phénomènes douloureux qu’elle présentait. Il faut rappeler que si des effets secondaires peuvent accompagner la mise en œuvre d’un traitement par la morphine, nous disposons fort heureusement de moyens pour les traiter. En cas d’échec, une technique (dite de rotation des opioïdes) permet de choisir parmi différents autres morphiniques un produit entraînant moins d’effets secondaires. D’autres voies d’administration que la voie orale permettent de diminuer ces effets secondaires gênants. Des solutions plus sophistiquées peuvent aussi être mises en œuvre (Pompes d’Analgésie Contrôlée par le Patient, par exemple). Seule une expertise pluridisciplinaire de son dossier, indispensable du fait des conséquences sociétales que cette histoire tragique pourrait avoir, permettra de vérifier si oui ou non ces alternatives ont bien été proposées à Mme Sébire et si oui ou non, c’est elle qui les a refusées, ce qui était son droit le plus strict, mais qui modifierait significativement les conséquences à tirer de cette situation extrême. Vouloir à tout prix mettre en avant des drames humains afin de faire croire à la nécessité de substituer un nouveau droit au suicide à l’actuelle liberté de se suicider, est pour nous une erreur. Cela créerait de graves problèmes, aux impacts transgénérationnels sans régler pour autant ceux qui se posent aujourd’hui. Notre société doit être capable de trouver des solutions raisonnables, tant par la loi qui pose des limites, que par la réflexion collégiale pour affronter les situations exceptionnelles. À la dictature des passions, nous préférons le règne de la raison. Dr Bernard DEVALOIS, Médecin d’Unité de Soins Palliatifs Pr Louis PUYBASSET, Anesthésiste-Réanimateur 172 ANNEXES Annexe ii : Tribune concernant la création d’un Observatoire des fins de vie Texte paru dans Le Monde du 22 mars 2008. Le rapprochement de nos deux signatures au bas d’un texte commun était a priori hautement improbable. En effet, nous avons, sur les questions de fin de vie, des conceptions très opposées. L’un est médecin dans une unité de soins palliatifs et ancien président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP). Il est opposé à une légalisation de l’euthanasie et, ou à l’instauration d’un droit au suicide médicalement assisté. L’autre est avocat de Chantal Sébire et le vice-président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Cette association milite en faveur de la légalisation d’une aide active à mourir, sous contrôle médical, à la demande expresse de patients « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable». Nous avons notamment une analyse très opposée concernant la situation de Mme Sébire. L’un dénonce l’hypocrisie du code de la santé publique et considère, au nom du respect de la dignité du malade, qu’elle aurait dû pouvoir bénéficier de l’aide du médecin acceptant de mettre définitivement fin à ses souffrances selon un protocole autre que celui dit de la « sédation terminale ». L’autre soutient que, comme pour des milliers de situations toutes aussi tragiques, il convient de déployer les moyens nécessaires au contrôle de la douleur physique, d’entendre et d’accompagner la souffrance psychologique de la patiente et de ses proches, pour leur apporter une réponse adaptée. Pour lui, un « droit au suicide assisté » ne saurait se substituer à la liberté de se suicider, et la société ne peut pas confier cette mission aux médecins. Néanmoins, nous pensons tous les deux que la loi d’avril 2005 dite loi Leonetti est une avancée considérable en faveur du respect des droits des patients. Elle met la question du sens des actes médicaux au cœur de son dispositif. Elle reconnaît à chaque patient le droit de refuser 13. ANNEXES 173 toute forme de traitement. Elle permet aux médecins de ne pas prolonger sans raison la vie artificielle de certains patients en coma végétatif. Pour soulager les souffrances, elle autorise l’utilisation de traitements pouvant avoir pour effet secondaire d’abréger la vie. Le problème majeur que pose aujourd’hui cette loi est qu’elle est très mal connue par nos concitoyens et même par une partie importante des professionnels de santé. Combien de personnes à ce jour ont désigné une personne de confiance ? Combien de personnes ont rédigé des directives anticipées permettant, en cas d’inconscience, de faire connaître leurs souhaits en matière de limitation ou d’arrêt des traitements ? Combien de patients se heurtent aujourd’hui au refus de certains médecins d’appliquer la loi ? Combien de familles, de proches, ne peuvent obtenir une délibération collégiale pour examiner la question d’une éventuelle situation d’obstination déraisonnable pour un patient en état végétatif chronique ? Combien de patients cancéreux acquiescent à une énième ligne de chimiothérapie « palliative » par crainte d’un abandon en cas de refus ? Malgré nos opinions fort divergentes sur la nécessité de faire ou non évoluer la loi, nous nous accordons sur un point fondamental : la nécessité – urgente - d’une évaluation rigoureuse des conditions dans lesquelles se déroulent les fins de vie en France. À quelques exceptions près, comme celle d’Edouard Ferrand (anesthésisteréanimateur à l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil), les études en ce domaine sont trop rares pour ne pas laisser la place à des convictions assénées avec passion plutôt qu’à l’analyse rationnelle de la réalité. Nous insistons donc sur la place d’un observatoire national des pratiques médicales en fin de vie. Sa mission pourrait être un outil de médiation et de recours pour tous ceux qui se sentent éventuellement concernés par une situation d’obstination déraisonnable, voire, si nécessaire, exercer des missions d’expertise de manière à éviter tout risque de judiciarisation de ces questions. 13. ANNEXES 175 174 ANNEXES Si la loi venait à être modifiée (ce que l’un souhaite et l’autre pas), cet observatoire pourrait éventuellement préfigurer la haute autorité qui, en Belgique comme aux Pays-Bas, contrôle et évalue les actes d’euthanasie. Il permettrait de recueillir les paramètres nécessaires à une véritable politique d’évaluation des pratiques médicales en fin de vie afin d’offrir des outils validés pour alimenter la réflexion des citoyens et de leurs représentants. Seule une évaluation précise de la situation nous semble pouvoir permettre d’éclairer le nécessaire débat citoyen et politique qui s’impose à nous. Bernard DEVALOIS et Gilles ANTONOWICZ Annexe iii : À propos de la mort de M. K. Article envoyé au Monde et non accepté, paru dans Le Courrier de l’éthique médicale. Dans son édition datée du 14 mars 2009, Le Monde revient sur la fin de vie d’un patient cérébrolésé, pour qui, en application de la loi d’avril 2005, un arrêt des traitements de maintien artificiel en vie a été mis en œuvre. Cette situation est tout à fait similaire à celle d’Eluana Englaro qui a secoué l’Italie en février. Contrairement à ce qu’affirme l’article, nous pensons que la fin de vie de M. K. ne repose pas la question des limites de la loi d’avril 2005, mais pointe une nouvelle fois combien sa connaissance, son application et son appropriation par les professionnels de santé restent insatisfaisantes presque quatre ans après sa promulgation. Ces difficultés ne sont sans doute pas sans relation avec la difficulté et la complexité du sujet abordé, c’est-à-dire celui de la fin de vie, tant pour les malades et leurs proches que pour les soignants. Les obstacles opposés à la demande de mise en œuvre des dispositifs légaux, tels que rapportés par l’épouse du patient, apparaissent anormaux. Cela montre bien la justesse de la préconisation du rapport de la commission parlementaire d’évaluation de la loi de 2005, consistant à faciliter l’organisation de la procédure collégiale et à exiger une motivation des décisions prises (proposition 6 et 7 du rapport). Il s’agit de ne pas laisser les convictions personnelles d’un professionnel de santé l’emporter sur l’application de la loi. Avec la modification en cours de la rédaction de l’article 37 du code de déontologie, la personne de confiance ou les directives anticipées du patient, pourront désormais permettre de lancer la procédure. De même, pour éviter que ne soit opposé à l’entourage, un refus de traitement à visée sédative, le rapport préconise (proposition 12) une modification du même article 37 du code de déontologie, recommandant dans ce type de situation (arrêt d’un traitement de maintien artificiel en 13. ANNEXES 177 176 ANNEXES vie, alors que l’évaluation de la douleur physique et de la souffrance psychique est rendue impossible par les lésions cérébrales) l’administration de traitements à visée sédative et antalgique, aux doses nécessaires et suffisantes pour garantir le confort du patient. pour répondre aux besoins de confort du patient et d’autre part l’ouverture d’un droit à la mort, opposable à notre structure sociale qui serait alors tenue « de faire mourir dans des délais réglementaires ». En aucun cas ces traitements n’interviennent dans le but d’accélérer le délai de survenue du décès. Ils ne peuvent se substituer ni aux soins dus au patient luimême, ni à l’accompagnement, complexe et nécessitant une grande expertise, de son entourage, conformément aux préconisations de la loi d’avril 2005. Bernard DEVALOIS, médecin, Unité de Soins Palliatifs, CH Puteaux En ce sens, la fin de vie de M. K. ne fait que renforcer l’urgence de l’application de plusieurs propositions déterminantes du rapport parlementaire de décembre 2008 (outre celles déjà citées plus haut). La création annoncée d’un Observatoire des pratiques médicales en fin de vie (propositions 1 à 3 du rapport), permettra de répertorier afin de les analyser, les difficultés rencontrées dans l’application de la loi afin d’en tirer des préconisations pratiques et un rapport annuel significatif. Emmanuel HIRSCH, Professeur des universités, Directeur de l’Espace éthique Assistance Publique-Hôpitaux de Paris La désignation de correspondants régionaux (proposition 8) en lien avec l’Observatoire permettra si nécessaire de solliciter leur intervention en cas d’obstacles constatés dans la mise en œuvre des procédures conformes à la loi. Structures spécialisées, les Unités de Soins Palliatifs plus nombreuses et dotées de davantage de places (proposition 13), disposeront des compétences indispensables afin d’accompagner au mieux les situations complexes de fin de vie. Le transfert de M. K. dans une telle structure, qui avait été proposé mais refusé en raison de l’éloignement familial qu’il aurait imposé, aurait sans doute permis d’atténuer la souffrance de sa femme et de ses enfants, en permettant un suivi adapté au tragique d’une telle situation. Il apparaît discutable que soit entretenue volontairement une confusion entre d’une part la pratique médicale de traitements à visée sédative ou antalgique Louis PUYBASSET, Professeur d’Anesthésie-Réanimation, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière 178 ANNEXES Annexe iv : Les vraies questions posées par la mort d’Eluana en Italie Cet article, initialement proposé dans les grands quotidiens ou hebdomadaires nationaux, mais jamais publié, a été repris sous forme d’éditorial dans la revue Médecine Palliative 2009. Une traduction en Italien a été déposée sur le site internet de La Repubblica. La mort d’Eluana Englaro, en février 2009 en Italie, après dix-sept ans de maintien artificiel en vie, a déclenché une tempête médiatique et politique162. Les autorités vaticanes ont pesé de tout leur poids dans cette affaire, cherchant à imposer à l’Etat et à la justice italienne leur point de vue. Silvio Berlusconi a décidé de faire de cette affaire un casus belli avec son opposition. De nombreux observateurs ont conclu hâtivement que « le débat sur l’euthanasie était relancé en Italie ». Ce raccourci ne fait qu’entretenir la confusion sur les sujets complexes de la fin de vie. La mort de cette jeune femme ne pose pas la question de l’euthanasie mais celle de l’obstination déraisonnable. Elle ne concerne pas non plus ni le droit au suicide légalement assisté ni celui d’une éventuelle autorisation donnée aux médecins de raccourcir la durée d’une agonie. Le terme d’euthanasie désigne, dans son acceptation actuelle, l’administration d’une substance létale dans le but de provoquer la mort, le plus souvent par une injection létale, administrée par un médecin, dans un but dit compassionnel. Dans le cas d’Eluana, rien de tel. La question posée était celle de l’éventuel arrêt de la nutrition médicalement assistée qui la maintenait en vie, conformément à la demande de son père, se faisant l’interprète de ses volontés antérieurement exprimées. Mais il est intéressant de noter que face à un tel dilemme, les partisans de la légalisation des injections létales (inspirée des Pays-Bas ou de la Belgique) et les tenants des théories « pro-vie» (s’appuyant sur le caractère sacré de la 162 Blanchard Sandrine, Eluana et le « laisser mourir », Le Monde, le 11 février 2009 13. ANNEXES 179 vie pour s’y opposer) se sont entendus sur un seul point : brandir l’étendard du mot « euthanasie ». Ils n’ont réussi ainsi, les uns et les autres, qu’à apporter une réponse plus dogmatique que rationnelle aux situations complexes du type de celle d’Eluana. Les uns ont une nouvelle fois voulu faire croire que l’euthanasie (l’injection létale) serait la solution à l’acharnement thérapeutique visant au seul maintien artificiel de la vie. C’est évidemment faux. Et être opposé à un tel maintien, ce n’est pas nécessairement être favorable à l’injection létale. Les autres ont voulu imposer leurs croyances (respectables mais relevant de la sphère intime) à une société sécularisée rassemblant des citoyens ayant sur ces questions des positions différentes. Et être opposé aux injections létales, ce n’est pas nécessairement être favorable au maintien en vie « à tout prix ». Quand à nous, comme une grande majorité de professionnels de santé et du grand public, nous ne nous reconnaissons dans aucun de ces deux camps. Opposés à une légalisation des injections létales, nous sommes favorables à ce que dans des situations comme celle d’Eluana, il soit possible d’envisager, pour laisser mourir, la limitation ou l’arrêt de traitements comme la nutrition médicalement assistée. Ces situations, loin d’appeler des réponses simplistes, conduisent à se poser des questions aussi essentielles que complexes. Quand est-il possible de considérer que le maintien dans un état végétatif chronique n’a pas d’autre objet que le maintien artificiel en vie ? Le maintien artificiel en vie est-il l’équivalent du maintien en vie artificielle ? Comment intégrer la volonté (et les valeurs) de la personne concernée quand elle ne peut plus l’exprimer directement ? Comment faire en sorte que le médecin puisse respecter la volonté d’un catholique désirant se conformer aux positions de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en recevant une nutrition médicalement assistée pour le maintenir en vie s’il est en coma végétatif ? 180 ANNEXES Et comment pourra-t-il pour un autre, placé dans la même situation mais porteur d’autres valeurs morales, suspendre cette même nutrition médicalement assistée si elle n’a d’autre objet que le maintien artificiel de sa vie ? Comment garantir, dans les deux situations, l’accompagnement du patient et de son entourage ? C’est bien à une telle approche plus dépassionnée de ces questions que nous invite, en France, la loi d’avril 2005. Face à une situation similaire à celle d’Eluana, la procédure appliquée par les médecins en charge de la patiente aurait été clairement. Il s’agit en effet d’un des quatre cas différenciés par la loi : situation de maintien artificiel en vie d’un patient non capable d’exprimer sa volonté. « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l’article L 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical » (article L1111-4 § 4 du Code de la Santé Publique). Ainsi, en France, après avoir pris connaissance des éléments susceptibles d’approcher ce qu’aurait pu être l’avis d’Eluana sur la question (notamment à travers les témoignages de son père et de son entourage), après une concertation avec l’équipe soignante, et sur l’avis motivé d’au moins un autre médecin sans lien hiérarchique avec lui, le médecin responsable de la patiente aurait pu s’il avait jugé que la situation était celle d’une obstination déraisonnable, décider de mettre fin à la nutrition médicalement assistée. Il aurait ainsi respecté eu à décider de ce qui était le meilleur intérêt de sa patiente, dans le contexte précis d’une situation forcément unique. Ce « laisser-mourir » ne saurait en aucun cas être confondu avec le « faire-mourir » par injection létale des partisans de l’euthanasie. 13. ANNEXES 181 Il ne s’agit pas non plus d’affirmer que la nutrition médicalement assistée est toujours une obstination déraisonnable qu’il faudrait faire cesser chez les patients en état végétatif ou pauci relationnel, mais seulement que, dans certains cas, il peut en être jugé ainsi. Malgré le vote de cette loi en 2005, il reste beaucoup à faire pour améliorer les conditions de la fin de vie dans notre pays. L’affaire Pierra et d’autres affaires non médiatisées, ont permis de bien prendre conscience que la loi ne faisait pas tout, et qu’il convenait de la faire connaître, de la faire appliquer et de faire évoluer certaines pratiques professionnelles inadaptées. C’est ce qu’a montré en décembre dernier le rapport de la commission d’évaluation de la loi d’Avril 2005. Plusieurs propositions de ce rapport sont en cours de mise en œuvre et doivent attirer notre attention. La rémunération du congé d’accompagnement est un progrès indéniable, même s’il ne concerne que l’entourage d’un patient à domicile (et pas celui d’un patient hospitalisé), si la durée en est limitée à trois semaines et si sa rémunération (inférieure au SMIC) n’est probablement pas très incitative. La modification de l’article 37 du code de déontologie proposée au gouvernement par le Conseil National de l’Ordre des Médecins devrait inciter à une meilleure pratique de l’utilisation de traitements à visée sédative lors des limitations et arrêt de traitements de maintien artificiel en vie en réanimation. Il conviendra d’être attentifs à ce qu’il ne banalise pas la pratique de la sédation en fin de vie ou qu’il ne constitue pas les prémisses d’un « droit à la sédation ». Les prochaines recommandations de la SFAP, validées par la HAS, viendront utilement préciser les recommandations de bonnes pratiques sur ce sujet difficile. Un point important de la nouvelle rédaction de l’article 37, proposé par le CNOM, est qu’une telle procédure peut également être initiée dans le respect des directives anticipées du patient ou à la demande de la personne de confiance (et non plus seulement laissée à l’initiative du médecin). 13. ANNEXES 183 182 ANNEXES D’autres propositions de ce rapport (5) mériteraient également d’être très rapidement mises en chantier : Observatoire des pratiques médicales en fin de vie, mise en place de correspondants départementaux, réflexion sur l’incidence de la tarification à l’activité (T2A) sur l’obstination déraisonnable, etc. C’est de la mise en ouvre pratique de l’ensemble des recommandations du remarquable travail de la commission d’évaluation que dépend la crédibilité qu’il faudra accorder à la volonté politique affichée au plus niveau de l’Etat concernant l’accompagnement de la fin de la vie. La leçon à tirer de l’affaire d’Eluana est bien que le cadre législatif doit permettre que de telles situations trouvent des solutions humainement acceptables et respectueuses des valeurs de tous et de chacun sans donner lieu à des affrontements politiques et idéologiques. C’est la voie qu’a choisie la France. Espérons qu’elle saura faire école en Europe, et dans le monde, tout en poursuivant sa réflexion pour améliorer les conditions de l’accompagnement de la fin de la vie. Bernard DEVALOIS*, Anne Marie DICKELÉ**, Michèle SALAMAGNE* * Médecins de soins palliatifs, Ancien-ne-s Président-e-s de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs) **Psychologue travaillant en soins palliatifs, Membre du CCNE (Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santé) Annexe v : Modèles de désignation d’une personne de confiance et d’une information sur la rédaction de directives anticipées163 Désigner une personne de confiance : Vous venez d’être admis en hospitalisation au centre hospitalier de XXX. Nous vous informons que la loi du 4 mars 2002 sur les droits des patients offre la possibilité à tout patient de désigner une personne de confiance. Son rôle est de vous aider dans les démarches à accomplir et assister à vos entretiens afin de vous conseiller dans les meilleurs choix thérapeutiques à adopter. Sa présence pourra également s’avérer indispensable si vous ne deviez plus être en mesure de recevoir les informations médicales, ni consentir à des actes thérapeutiques. Elle deviendrait alors un interlocuteur privilégié et serait la personne consultée en priorité par l’équipe médicale afin d’adapter au mieux le traitement pour vous garantir tout à la fois les meilleurs soins possibles et vous éviter par ailleurs toute obstination déraisonnable, conformément à la loi d’avril 2005. C’est pourquoi nous vous conseillons d’aborder ces questions avec la personne que vous désignez afin qu’elle puisse, au mieux, vous représenter en cas de besoin. Si vous le souhaitez vous pouvez utiliser le formulaire ci-dessous pour cette désignation. Nous vous rappelons par ailleurs que vous pouvez également écrire des directives anticipées afin de faire connaître vos souhaits au cas où vous ne pourriez plus les exprimer directement en raison d’une altération de vos capacités cognitives. Nous tenons à votre disposition une fiche d’information sur ces directives anticipées et la manière de les rédiger. 163 Ces modèles peuvent être réutilisés sous réserve d’en citer la provenance. 184 ANNEXES Modèle de formulaire M. / Mme : ……………………………………………., né(e) le : …………, déclare, à l’occasion de son hospitalisation dans le centre hospitalier XXX désigner comme personne de confiance M./ Mme ……………………………… J’ai bien noté que cette désignation est révocable (oralement ou par écrit) à tout moment et que faute de révocation elle est valable pendant toute mon hospitalisation. Si je le souhaite, je peux indiquer une prolongation de cette désignation au-delà de cette période d’hospitalisation sur la période de mon choix. Si c’est le cas je l’indique ici : • Je souhaite que la désignation de la personne de confiance que j’ai choisie soit valable durant ………….. mois / années ou pour une durée illimitée (rayer la mention inutile) et que cette durée soit consignée dans mon dossier médical. • Je signale par ailleurs que j’ai rédigé des directives anticipées Le patient, Fait à , le 13. ANNEXES 185 Comment et pourquoi rédiger des directives anticipées (modèle de texte pouvant être remis à chaque personne hospitalisée) En application de la loi d’avril 2005, vous avez la possibilité de rédiger si vous le souhaitez, des directives anticipées. Il s’agit d’instructions que donne par avance une personne consciente, sur la conduite à tenir au cas où elle serait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté. Elles lui permettent de garder un contrôle sur les décisions qui le concernent. Ces directives anticipées sont prises en considération pour toute décision concernant un patient hors d’état d’exprimer sa volonté chez qui est envisagé l’arrêt ou la limitation d’un traitement inutile ou le maintien artificiel de la vie. Rappel : la loi d’avril 2005 donne à un patient conscient le droit de refuser tout traitement ou investigation qu’il considère représenter pour lui une obstination déraisonnable. C’est seulement au cas où le patient est devenu incapable d’exprimer sa volonté que les directives anticipées sont prises en compte par l’équipe médicale. Les directives anticipées sont valables pour une durée de trois ans. Elles doivent avoir été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne concernée (ou avant le jour où la personne s’est avérée hors d’état d’exprimer sa volonté). Les directives anticipées doivent donc être renouvelées tous les trois ans (confirmation signée de l’auteur sur le document). Ces directives anticipées sont modifiables et révocables librement à tout moment. Toute modification fait courir une nouvelle période de trois ans. Pour être valides les directives anticipées doivent être rédigées en respectant les règles suivantes : • Si la personne peut rédiger elle-même ses directives anticipées : elles sont écrites, datées et signées par leur auteur, qui doit s’identifier en indiquant ses prénom, nom, 13. ANNEXES 187 186 ANNEXES date et lieu de naissance. L’auteur peut demander au médecin auquel il confie ses directives anticipées d’établir une attestation certifiant qu’il est en état d’exprimer sa volonté lors de la remise de ces directives. • Si la personne ne peut pas rédiger elle-même ses directives anticipées : la personne de confiance ou une autre personne peut rédiger les directives pour l’auteur. Deux témoins (la personne de confiance si elle est désignée et/ou d’autres personnes librement choisies) doivent attester que les directives sont l’expression de la volonté de l’auteur. Ces deux témoins indiquent leur nom et qualité. L’attestation est jointe aux directives. L’auteur des directives doit être identifié par ses prénom, nom, date et lieu de naissance. Les directives anticipées doivent être facilement accessibles pour le médecin qui devra en tenir compte. Elles peuvent être conservées en plusieurs exemplaires à différents endroits : par l’auteur lui-même, dans le dossier médical du médecin libéral (médecin traitant ou autre médecin), dans le dossier médical de l’hôpital, par la personne de confiance, par un membre de la famille ou par un proche. Si les directives anticipées ne sont pas conservées dans un dossier médical, le médecin doit indiquer dans ce dossier leur existence et les coordonnées de la personne qui les détient. Lorsqu’une personne est hospitalisée, elle peut signaler qu’elle a écrit des directives anticipées et faire inscrire les coordonnées de la personne qui les détient dans son dossier médical. Annexe vi : Modèle de rapport de procédure collégiale à inclure dans le dossier médical 1. Exposé de la situation justifiant le cadre du déclenchement de la procédure collégiale (situation 2 ou situation 4). Dans la situation 2, il s’agit de patients non en capacité d’exprimer leur volonté pour lesquels se pose la question de la limitation ou de l’arrêt d’un traitement susceptible de mettre leur vie en danger. Dans la situation 4, il s’agit de personne non en capacité d’exprimer leur volonté, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, pour lesquels se pose la question de la limitation ou l’arrêt d’un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne. 2. Consultation des membres de la famille (nom, place dans le génogramme familial, date de l’entretien, avis recueilli,…). 3. Consultation de la personne de confiance (si elle a été désignée) : date de désignation par le patient, conformité de la désignation, date de consultation et résultats de celle-ci. 4. Consultation des directives anticipées si elles existent : date et conformité de leur rédaction. En cas d’absence de directives anticipées, rappel des démarches faites pour tenter d’en retrouver une trace éventuelle (auprès de la personne de confiance, si elle est désignée, de la famille ou, à défaut, des proches ou, le cas échéant, auprès du médecin traitant de la personne malade ou du médecin qui la lui a adressée conformément à l’article R 1111-20 du CSP). 5. Concertation avec l’équipe soignante : date de la concertation, personnes présentes, résumé de la discussion. 188 ANNEXES 6. Intervention du second médecin (et le cas échéant du troisième ) : choix conforme du consultant, date et compte rendu de son intervention, avis motivé sur la question de la limitation ou de l’arrêt des traitements actifs. 7. Décision motivée du médecin en charge du patient. Condition de sa mise en œuvre. Mesures prises pour assurer les soins conformes à l’article L11110-10 : « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage.» Table des matières Préface de Jean Leonetti 5 1. Prologue 9 2. Des problématiques aussi vieilles que l’homme 15 Une parabole prémonitoire de la tentation médicale de toute puissance ? 16 De tout temps les hommes se sont débattus avec la complexité de certaines situations liées à la fin de vie 18 3. Ce qui a déclenché la procédure législative : la mort de Vincent Humbert Une tragédie en trois actes Acte I : Vincent Humbert mourir. » 23 24 : « Je demande le droit de 24 Acte II : Marie Humbert : « Je lui ai donné la vie, c’est à moi de la lui ôter. » 25 Acte III : Le Docteur Chaussoy : « Je ne suis pas un assassin.» 27 De nombreuses interrogations sur la réalité des faits rapportés 30 Un nécessaire décryptage en trois dimensions 35 Vincent Humbert et les questions de l’acharnement thérapeutique et d’un « droit au suicide » 35 Situation 4 : Patient en phase avancée ou terminale incapable d’exprimer son opinion 61 Le Dr Chaussoy : comment doivent être mises en œuvre les décisions de limitation ou d’arrêt des traitements de réanimation ? 37 Deux impératifs pour les professionnels de santé : l’accompagnement et la transparence 62 Marie Humbert : les ressorts classiques de la tragédie 39 4. Comprendre les principes de la loi d’avril 2005 45 La loi rend l’acharnement thérapeutique illégal 46 La fin définitive du paternalisme médical : c’est le malade qui décide 48 Que faire quand un patient n’est pas capable de décider pour lui-même ? 51 5. La mise en œuvre pratique des dispositions prévues par la loi67 Écrire des directives anticipées 68 Désigner une personne de confiance 72 Mettre en œuvre une procédure collégiale 76 6. Les situations à double effet 83 Un article de la loi non prévu initialement 84 Le principe thomiste du double effet 85 Phase avancée ou terminale ou maintien artificiel en vie ? 55 L’application à la fin de vie 86 En état d’exprimer sa volonté ? De la théologie à la loi, puis de la loi aux bonnes pratiques 88 7. Des décisions parfois bien complexes pour des patients en capacité de décider pour eux-mêmes 95 Deux questions préalables à poser face à une situation potentielle d’obstination déraisonnable 54 55 Des modalités de décisions qui varient selon les réponses 56 Les quatre situations envisagées par la loi 59 Situation 1 : Patient en situation de maintien artificiel en vie par un traitement et en capacité de le refuser 59 Situation 2 : Patient en situation de maintien artificiel en vie par un traitement et incapable d’exprimer son opinion 60 Situation 3 : Patient en phase avancée ou terminale en capacité de refuser un traitement vécu comme une obstination déraisonnable 61 M. S. : « Arrêtez ce respirateur qui me maintient en vie contre ma volonté. » 96 M. N. : « Je ne veux pas qu’on arrête ma nutrition artificielle. » 101 M. A. : « Je veux qu’on me laisse mettre fin à mes jours. » 105 8. Répondre à la question d’un éventuel arrêt des techniques de maintien artificiel en vie pour des patients incapables d’en décider eux-mêmes 109 M X : jusqu’où ne pas aller trop loin ? 110 Le contre-exemple de M. B. 114 me 9. Quelles évolutions pour la loi depuis 2005 ? 119 Le contexte : l’activisme pro-légalisation (2007- 2008) 120 Les vingt propositions de la commission d’évaluation 126 Cinq propositions visent à mieux faire connaître la loi, tant est évident le constat de la méconnaissance du grand public, mais aussi des professionnels de la santé et même du droit 126 Quatre propositions visent à renforcer les droits des malades 127 Trois propositions pour aider les médecins à mieux répondre aux enjeux éthiques du soin 129 Huit propositions pour adapter l’organisation du système de soins aux problèmes de la fin de vie 132 10. Des questions qui dérangent encore 137 Une nécessaire réflexion autour des cérébrolésés 138 La nutrition médicalement assistée a-t-elle un statut particulier quand à la question de l’obstination déraisonnable ? 139 Peut-on ou non discuter d’un éventuel arrêt de la nutrition/ hydratation médicalement assistée ? 139 Pourquoi la question de l’hydratation est-elle indissociable de celle de la nutrition ? 143 Faut-il entreprendre systématiquement une nutrition et/ou une hydratation artificielle pour un malade en phase terminale qui ne boit et ne mange pas suffisamment ? 144 Pourquoi la nutrition entérale médicalement assistée n’est pas un soin « ordinaire » contrairement à l’alimentation ? 145 Est-il scandaleux de faire cesser une nutrition entérale chez un patient maintenu en vie artificiellement par ce traitement médical ? 146 Quid du patient qui veut obtenir la garantie d’être maintenu artificiellement en vie même s’il n’est plus conscient ? 147 11. Un droit à choisir sa mort ? 149 Droit à une mort apaisée (A) 151 Droit au laisser-mourir (B) 151 Droit pour un patient conscient de refuser ce qu’il considère pour lui-même comme un acharnement thérapeutique (B1) 151 Élargissement de ce droit au patient qui n’est plus capable de décider pour lui-même (B2) 152 Droit à un raccourcissement de la phase agonique (C) 152 Droit pour un patient en phase agonique à recevoir une injection létale (C1) 152 Droit pour un patient pour qui les moyens artificiels de maintien en vie sont arrêtés à recevoir une injection létale pour raccourcir le temps du mourir (C2) 154 Droit au suicide médicalement assisté (D) 154 Droit au suicide médicalement assisté pour des patients incapables physiquement de se suicider (D1) 154 Droit au suicide médicalement assisté pour des patients en phase terminale de leur maladie (D2) 155 Droit au suicide médicalement assisté pour des patients atteints d’une maladie incurable ou présentant une souffrance insupportable (D3) 156 Droit à un suicide médicalement assisté pour tous ceux qui le souhaitent (D4) 156 Droit à une sédation à la demande, permettant un suicide indirect (D5) 157 Droit à obtenir les moyens d’un suicide « propre » (D6) 158 Droit à une dépénalisation de l’assistance au suicide (E) 159 Un outil de décodage précieux 160 12. Conclusions : persévérer dans la voie de la sagesse 163 13. ANNEXES 167 Annexe i : L’histoire tragique de Mme Sébire ne doit pas ouvrir un droit au suicide 168 Annexe ii : Tribune concernant la création d’un Observatoire des fins de vie 172 Annexe iii : À propos de la mort de M. K. 175 Annexe iv : Les vraies questions posées par la mort d’Eluana en Italie 178 Annexe v : Modèles de désignation d’une personne de confiance et d’une information sur la rédaction de directives anticipées 183 Annexe vi : Modèle de rapport de procédure collégiale à inclure dans le dossier médical 187