Dénonciation du reçu pour solde de tout compte

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Dénonciation du reçu pour solde de tout compte
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Dénonciation du reçu pour solde de tout compte :
non-renvoi de QPC
le 4 octobre 2013
SOCIAL | Rupture du contrat de travail
L’article L. 1234-20 du code du travail qui attribue au salarié la faculté de dénoncer le reçu pour
solde de tout compte ne méconnaît ni le principe de sécurité juridique ni le principe d’égalité
devant la loi.
Soc., QPC, 18 sept. 2013, FS-P+B, n° 13-40.042
La Cour de cassation refuse de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de
constitutionnalité (QPC) relative au reçu pour solde de tout compte. Selon la Cour, les dispositions
de l’article L. 1234-20 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-596 du 25 juin
2008, dont il résulte que la dénonciation par le salarié, dans le délai de six mois suivant sa
signature, du reçu pour solde de tout compte, n’a pas à être motivée et prive le reçu de tout effet
libératoire, ne méconnaissent ni le principe de sécurité juridique ni le prinicipe d’égalité devant la
loi. La question posée ne présente donc pas un caractère sérieux.
L’arrêt est justifié sur les deux chefs de contestation.
Tout d’abord, la contestation de la conformité de l’article L. 1234-20 du code du travail au principe
d’égalité devant la loi manquait en fait. En effet, pour que le grief d’inégalité soit retenu, encore
faut-il que les personnes traitées différemment par la loi se trouvent dans une situation identique.
Or tel n’est pas le cas du salarié et de l’employeur s’agissant de la faculté de dénonciation du reçu
pour solde de tout compte. Cette faculté constitue un droit de rétractation, semblable à celui dont
dispose le consommateur en matière de vente de biens ou de fourniture de prestations de services
à distance (C. consom., art. L. 121-20), qui a pour finalité la protection d’une partie supposée faible
et de permettre à celle-ci de prendre connaissance de la portée de son engagement (N. Molfessis,
De la prétendue rétractation du promettant dans la promesse unilatérale de vente ou pourquoi le
mauvais usage d’un concept inadapté doit être banni, D. 2012. 231 ). Le salarié semble pouvoir
revêtir cette qualité alors que l’employeur non. Le salarié est, au moment de la rupture du contrat
de travail et donc au moment de la signature du reçu pour solde de tout compte, encore sous
l’influence de l’état de subordination dans lequel il était placé en raison de l’exécution du contrat
de travail, ce qui laisse douter de sa capacité à pleinement consentir à l’acte, d’autant qu’il ne
dispose, le plus souvent, ni d’un temps suffisant pour vérifier l’exactitude du montant des sommes
qui lui sont versées ni des connaissances pour ce faire. En outre, l’acte, par lequel le salarié signe
et, par conséquent, donne reçu à l’employeur du solde de tout compte que celui-ci établit, est un
acte abdicatif, qui empêche le salarié de contester en justice le montant des sommes qui y figurent
et, de surcroît, unilatéral (I. Vacarie, La renonciation du salarié, Dr. soc. 1990. 757 ). Le salarié est
ainsi seul à supporter la charge représentée par le reçu qui, contrairement à la transaction, ne
comporte aucune concession de la part de l’employeur. L’attribution exclusive du droit de
dénonciation au salarié est alors totalement justifiée.
Ensuite, la contestation fondée sur la non-conformité au principe de sécurité juridique ne pouvait
valablement aboutir. Ce principe est, en principe, dépourvu de toute valeur constitutionnelle et ne
peut, par conséquent, servir de fondement à une question prioritaire de constitutionnalité. C’est ce
que la chambre sociale a affirmé (Soc. 5 oct. 2011, n° 11-40.053, Bull. civ. V, n° 226 ; Dalloz
actualité, 30 oct. 2011, obs. B. Ines ; Lexbase Hebdo, n° 458, 20 oct. 2011, éd. Soc., obs. C. Radé ;
14 déc. 2011, n° 11-40.073, Bull. civ. V, n° 299 ; Dalloz actualité, 16 janv. 2012, obs. J. Siro ) et ce,
en totale conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, lequel contrôle, notamment,
la conformité de la loi à la garantie des droits proclamés par l’article 16 de la Déclaration de 1789
(Cons. const., 29 déc. 2005, n° 2005-530 DC, AJDA 2006. 13 ; D. 2006. 826 , obs. V.
Ogier-Bernaud et C. Severino ) mais refuse de consacrer le principe de confiance légitime (Cons.
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const., 21 déc. 1999, n° 99-422 DC ; Rec. Cons. const. p. 143 ; AJDA 2000. 48 , note J.-E. Schoettl ;
D. 2000. 426 , obs. D. Ribes ; RFDA 2000. 289, note B. Mathieu ). Il est, d’ailleurs, surprenant que
cette même chambre n’écarte pas la présente question sur ce motif et se contente d’affirmer la
conformité de l’article L. 1234-20 du code du travail au principe de sécurité juridique. La chambre
commercial avait procédé de même (Com., QPC, 14 sept. 2010, n° 10-40.022, RTD com. 2011. 798,
obs. A. Martin-Serf ; JCP E 2011. 1030, obs. P. Pétel ; Act. proc. coll. 2010, alerte 226, obs. P.
Cagnoli). Peut-être une évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation est-elle en train de se
dessiner. Elle nécessiterait cependant une position franche du Conseil constitutionnel, ce à quoi un
renvoi aurait permis d’aboutir.
Il est, surtout, difficile de voir en quoi l’employeur est placé, du fait du droit de dénonciation, dans
une situation contraire à un principe de sécurité juridique. Cela serait paradoxal puisque le
rétablissement de l’effet libératoire du reçu pour solde de tout compte, écarté par la loi n° 2002-73
du 17 janvier 2002, avait principalement pour but de sécuriser la rupture du contrat de travail (G.
Auzero, L’accord du 23 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail : l’ébauche d’une «
flexicurité à la française », Dr. soc. 2008. 152 ; F. Favennec-Héry, Un nouveau droit de la rupture du
contrat de travail, Dr. soc. 2008. 660). Il ne peut, à proprement parler, être question de « sécurité
juridique ». En droit interne comme en droit européen, la sécurité juridique recouvre les objectifs
d’accessibilité, d’intelligibilité et de clarté des lois (Cons. const., 16 déc. 1999, n° 99-421 DC, Rec.
Cons. const. p. 136 ; AJDA 2000. 48 , note J.-E. Schoettl ; D. 2000. 426 , obs. D. Ribes ; RFDA
2000. 289, note B. Mathieu ; CEDH 15 déc. 2005, req. n° 16041/02 ; AJDA 2006. 225, obs. R.
Hostiou ) et assure l’articulation des normes (Cons. const. 18 déc. 1998, n° 98-404 DC), voire des
décisions de justice en présence d’un revirement de jurisprudence (Soc. 22 sept. 2010, Bull. civ. V,
n° 191 ; Dalloz actualité, 12 oct. 2010, obs. J. Siro ; Dr. soc. 2010. 1150, note C. Radé ; 18 janv.
2012, n° 10-16.891, Dalloz jurisprudence). La Cour européenne des droits de l’homme va jusqu’à
contrôler qu’une norme n’aboutisse pas à un résultat imprévisible empêchant celle-ci d’assurer un
degré suffisant de sécurité juridique (CEDH 27 mai 2010, req. n° 11765/05, D. 2011. Pan. 193, obs.
J.-F. Renucci ; RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre ; JCP 2010, 859, § 37, obs. F. Sudre).
L’article L. 1234-20 du code du travail, bien que modifié par la loi du 25 juin 2008 précitée, n’entre
dans aucune de ces hypothèses. En réalité, l’employeur est, du fait de l’absence de motivation de
la dénonciation et du délai de six mois dont dispose le salarié pour ce faire, dans l’incertitude,
durant cette période, de savoir si oui ou non le reçu pour solde de tout compte sera dénoncé et,
après dénonciation, si le salarié contestera en justice le montant des sommes figurant sur le reçu.
La première de ces incertitudes est contrebalancée par le fait que, compte tenu de l’importance de
la renonciation consentie sans contrepartie par le salarié, ce dernier doit disposer de temps pour en
apprécier l’exacte portée. La seconde est celle qui pèse sur tout débiteur sous l’effet des délais de
prescriptions qui, à propos de la rupture du contrat de travail et des salaires, n’excèdent pas
aujourd’hui trois ans (C. trav., art. L. 1471-1 et L. 3245-1), ce qui est inférieur au délai de droit
commun (C. civ., art. 2224). Si atteinte il doit y avoir, qui porte d’ailleurs davantage sur la liberté
d’entreprendre que sur la sécurité juridique, elle parfaitement proportionnée.
par Bertrand Ines
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