GENRE et CONFLIT ARMÉ Synthèse - Bridge
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GENRE et CONFLIT ARMÉ Synthèse - Bridge
GENRE et CONFLIT ARMÉ Synthèse Amani El Jack Amani El Jack (auteure) prépare un doctorat d'études sur la condition féminine à l'université de York, à Toronto, au Canada. Elle a travaillé, entre autres sur le thème " genre et armes légères et de petit calibre " (A.L.P.C). Elle a participé au projet SALIGAD, coordonné par le Bonn International Center for Conversion (BICC) [Centre International de Bonn pour la conversion] qui contrôle le stock et la circulation des A.L.P.C dans les pays de la corne d'Afrique regroupés au sein de l'Autorité intergouvernementale pour la lutte contre la sécheresse et pour le développement (IGAD). Dans le cadre de ce projet, elle a mené un travail de terrain auprès de femmes soudanaises pour déterminer de quelle manière les idéologies de genre avaient pu affecté la prolifération des armes légères et de petit calibre au Soudan. Elle est également spécialiste des implications sexospécifiques des déplacements induits par le développement (DID), et de la sécurité humaine. Judy El-Bushra (consultante externe) a travaillé pendant vingt ans dans le domaine du développement local en Afrique et s'est spécialisée plus récemment dans la recherche en genre, conflit et développement. Elle s'intéresse au rôle de la culture, comme le théâtre, dans le développement et la transformation des conflits. Ancienne directrice du programme de recherche et d'action au sein de l'agence pour l'Agence de Coopération et de recherche pour le Développement (ACORD), on lui doit de nombreux écrits sur le thème " genre et conflit " pour ACORD, Oxfam et International Alert, entre autres organisations. Lata Narayanaswamy (rédactrice) est chargée de recherche au sein de l'équipe de BRIDGE. Elle se consacre plus spécialement aux problèmes de l'inégalité des genres et de la pauvreté, aux stratégies des organisations de citoyens ordinaires contre les racines de l'inégalité et de la pauvreté ainsi qu'au rôle des hommes au sein du paradigme genre et développement. Emma Bell (rédactrice) est agent de recherche et de communication au sein de BRIDGE. Elle a signé et révisé de nombreuses publications sur différents thèmes, parmi lesquels : " genre et globalisation ", " genre et participation ", les stratégies de réduction de la pauvreté, le virus HIV/SIDA et les violences contre les femmes. Laurence Nectoux (traductrice) est traductrice de l'anglais au français, sa langue maternelle, et travaille à Paris avec diverses maisons d'édition et l'Unesco, pour qui elle a traduit plusieurs documents sur les femmes et le genre. Merci aux membres de l'équipe de Bridge, Susie Jolly, Hazel Reeves et Charlie Sever pour leur aide éditoriale et leur contribution substantielle à ce rapport. © Photos réalisées par Jenny Matthews. Jenny est photographe documentaire et travaille avec Network Photographers. Depuis 1982, elle a travaillé au sein d’un vaste projet à travers le monde, concernant les femmes et la guerre. Nombre de ces photos publiées dans son livre Femmes et guerre, édité par Pluto Press en 2003, faisaient également partie d’une exposition photographique organisée à Londres, au Royaume-Uni sous le co-parrainage d’ActionAid, sur le même thème. Bridge remercie les organisations suivantes de leur soutien financier : le gouvernement canadien par le biais de l'Agence Canadienne de Développement International (ACDI-CIDA), le Ministère du Développement International au Royaume-Uni (DFID), le Ministère allemand du Développement et de la Coopération économique (BMZ) par l'intermédiaire de l'Agence de Coopération Technique Allemande (GTZ), l'Agence Néo-zélandaise pour le Développement International (Nzaid), l'Agence Norvégienne de Coopération au Développement (NORAD), le Ministère Royal des Affaires Étrangères du Danemark (Danida), l'Agence Suédoise de Coopération Internationale au Développement (Asdi) et la Direction du Développement et de la Coopération (DDC), en Suisse. Fondé en 1992 au sein de l'Institute of Development Studies (IDS) au Royaume-Uni, BRIDGE est un service de recherche et d'information spécialisé en genre et développement. BRIDGE soutient les efforts déployés dans la sphère politique et sur le terrain en faveur de la prise en compte du genre, en comblant le fossé entre théorie, politique et pratique par l'apport d'informations accessibles et variées sur la problématique du genre. Autres titres disponibles dans la série des Kit Actu' • Genre et budgets, 2003 • Genre et sida, 2002 • Genre et évolution culturelle, 2002 • Genre et participation, 2001 Ces Kit actu', de même que d'autres publications de BRIDGE, y compris En Bref, peuvent être téléchargés gratuitement sur le site de BRIDGE à www.ids.ac.uk/bridge. Des exemplaires papier sont en vente sur le portail de la librairie virtuelle de l'IDS à : www.ids.ac.uk/ids/bookshop/index.html, ou auprés de l'ITDG, 103-105 Southampton Row, London WC1B 4HH, UK (tel: +44 20 7436 9761; fax: +44 20 7436 2013; email: [email protected]). Un nombre limité d'exemplaires pourra être gracieusement mis à la disposition des organisations basée dans le Sud, sur demande (contactez BRIDGE pour de plus amples informations : [email protected]) © Institute of Development Studies août 2003 ISBN 1 85864 465 8 ii Table des matières Acronymes ..................................................................................................................................................2 Résumé ........................................................................................................................................................3 1. Introduction.............................................................................................................................................7 1.1 Pourquoi étudier le rapport des genres et des conflits armés ? .........................................................7 2. Comprendre le conflit armé .................................................................................................................10 2.1 Causes du conflit armé .....................................................................................................................10 2.2 Types de conflits armés ....................................................................................................................11 2.3 Les étapes des conflits......................................................................................................................11 3. Dynamique des conflits armés en terme de genre ...........................................................................13 3.1 Relations de genre et conflit .............................................................................................................13 3.2 Femmes et conflit..............................................................................................................................13 3.3 Les hommes et la guerre ..................................................................................................................14 4. Répercussions des conflits armés en terme de genre .....................................................................16 4.1 Déplacement forcé ............................................................................................................................16 4.2 Les violences liées au sexe de la victime .........................................................................................18 5. Protéger les droits humains et promouvoir l'égalité des sexes ......................................................25 5.1 Droit humains ou sécurité humaine : que privilégier ?......................................................................25 5.2 Lois, résolutions et conventions internationales ...............................................................................27 5.3 D'où proviennent ces difficultés d'application et de mise en œuvre ? ..............................................29 6. Le genre dans les interventions au sein des conflits .......................................................................31 6.1 L'assistance humanitaire...................................................................................................................31 6.2 Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) .......................................................................34 6.3 Maintien et construction de la paix....................................................................................................37 7. Intégration du genre et organisation des femmes ............................................................................39 7.1 Qu'est-ce que l'intégration systématique du genre ?........................................................................39 7.2 Comment systématiser la prise en compte du genre dans les interventions au cours et à l'issue des conflits ? ..................................................................................................................................................39 7.3 Exemples d'intégration du genre dans les structures de l'après-guerre...........................................41 7.4 L'organisation des femmes ...............................................................................................................43 8. Conclusions et recommandations......................................................................................................49 8.1 Recommandations ............................................................................................................................49 Références ................................................................................................................................................54 1 Acronymes ACDI Agence Canadienne de Développement International ACORD Agence de Coopération et de Recherche pour le Développement A.L.P.C Armes légères et de petit calibre AWAG Abused Women And Girls [Femmes et filles victimes d'abus sexuels] AWCPD African Women Committee on Peace and Development [Comité des Femmes Africaines pour la Paix et le Développement] AWID Association for Women's Rights in Development [Association pour les Droits des Femmes en développement] BICC Bonn International Center for Conversion [Centre International de Bonn pour la Conversion] CAD Comité d'Aide au Développement CEDAW Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes CSNU Conseil de Sécurité des Nations Unies CPI Cour Pénale Internationale DDR Désarmement, Démobilisation et Réinsertion DEVAW Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes DFID Ministère du Développement International au Royaume-Uni DID Déplacement Induit par le Développement ECOSOC Conseil Économique et Social des Nations Unies GTZ Agence de Coopération Technique Allemande IST Infections sexuellement transmises MINUK Mission Intérimaire des Nations Unies au Kosovo NAWOCOL Commission Nationale des Femmes du Libéria NRA Armée de Résistance nationale NURC Commission pour l'Unité Nationale et la Réconciliation OCDE Organisation pour la Coopération Économique et le Développement OIT Organisation Internationale du Travail OMS Organisation Mondiale de la Santé ONG Organisation Non-gouvernementale ONU Organisation des Nations unies PNUD Programme des Nations Unies pour le développement RAWA Association Révolutionnaire des Femmes d'Afghanistan SFOR Force de Stabilisation UE Union Européenne UNHCR Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés UNIFEM Fond de développement des Nations Unis pour les femmes UNTAET Administration provisoire des Nations Unies au Timor Oriental USAID Agence des États-Unis pour le Développement International 2 Résumé La guerre produit un impact négatif sur les hommes et les femmes et génère des handicaps liés à l'appartenance à un sexe social qui ne sont pas toujours reconnus ou pris en compte dans les réflexions traditionnelles, hermétiques à la notion de genre, traitant du conflit et de la reconstruction. L'inégalité des sexes reflète un déséquilibre du pouvoir préexistant dans les structures sociales, que le conflit armé et ses prolongements exacerbent. L'acceptation des stéréotypes sexuels est l'une des principales causes de la persistance de cet autisme à l'égard des genres. Perceptions stéréotypées des rôles Les interprétations stéréotypées modèlent et sont elles-mêmes modelées par le contexte social, politique, économique, culturel et religieux. L'existence d'un conflit armé renforce les présupposés selon lesquels les hommes iront bien évidemment se battre tandis que les femmes les soutiendront " à l'arrière ". La perception courante veut que les hommes soient des soldats ou des agresseurs et les femmes des épouses, des mères, des infirmières, des assistantes sociales et des travailleuses du sexe. Il est vrai que les conscrits et les personnes tuées au combat sont majoritairement des hommes, tandis que les femmes forment la plupart des victimes civiles et sont touchées dans leur rôle de pourvoyeuses de soins, du fait de la dislocation des structures sociales (Byrne, 1996). Néanmoins, les femmes sont aussi des combattantes, comme l'ont montré le Sri Lanka et le Libéria, et les hommes aussi comptent au nombre des victimes. Ces réalités objectives ont des conséquences sur les relations de genre, qui passent souvent inaperçues et restent sans réponse. Répercussions du conflit armé sur les relations entre les sexes. Les conséquences de la guerre sur les relations entre les sexes sont loin d'être négligeables. Les déplacements forcés et les violences liées au sexe de la victime sont deux exemples de répercussions qui ne sont en rien des retombées inévitables du conflit, mais bien plutôt des stratégies de guerre délibérées, qui déstabilisent les familles et les communautés. Les violences physiques et sexuelles, en particulier à l'égard des femmes et des enfants, se produisent avec une plus grande régularité pendant et au lendemain d'un conflit armé. Les femmes sont victimes de viols, de grossesses forcées, tombent dans la prostitution forcée et l'esclavage sexuel, souvent par les mains mêmes des " pacificateurs ", police ou forces occupantes, comme ce fut le cas en Bosnie. Bien que les hommes soient les premiers responsables de violences à l'égard des femmes et des enfants, il est important de noter que les hommes sont également l'objet de victimisation et de violences, y compris de violences sexualisées. Lois et institutions internationales Les différences socioculturelles entre les sexes sont enracinées dans les institutions publiques et privées qui interviennent pour mettre fin aux conflits armés et construire la paix (El-Bushra 2000a; Kabeer, 1994). L'attitude des organisations internationales comme les Nations unies (ONU), les gouvernements et les organisations non-gouvernementales (O.N.G.) va de l'absence totale de prise en compte des femmes à l'approche non sexiste, en passant par la reprise complaisante des stéréotypes féminins. D'autres encore 3 se penchent sur les femmes sans aucune considération de la relative inégalité des femmes dans le cadre des relations de genre. On tend souvent, lorsqu'on utilise le terme de " genre ", à mettre l'accent sur les femmes et les filles en oubliant que l'inégalité sociale entre les sexes et le déséquilibre des pouvoirs entre les hommes et les femmes aggravent encore de multiples façons leurs désavantages. Les conséquences de la guerre, tels les déplacements forcés ou et les violences liées aux sexes de la victime, ne sont pas comprises comme des violations des droits humains mais plutôt comme des problèmes culturels ou privés dont il vaut mieux ne pas se mêler. En outre, de nombreux gouvernements doivent encore ratifier les engagements internationaux destinés à protéger les droits humains des femmes et des filles au cours et à l'issue d'un conflit armé. L'absence de reconnaissance formelle ou de respect effectif de ces droits empêche tout progrès réel vers l'égalité sociale des sexes. Intégrer de manière systématique la prise en compte du genre dans la résolution des conflits et les interventions Les interventions d'assistance humanitaire ou les programmes de désarmement, démobilisation et Réinsertion (DDR) des anciens combattants, par exemple, aggravent les inégalités sociales entre les sexes dès lors qu'ils restent sourds aux spécificités des genres. Systématiser la sensibilisation aux questions de genre dans les structures qui régissent le conflit armé et la reconstruction après la guerre passe nécessairement par une meilleure coopération entre les institutions internationales, les états et les O.N.G. Si nous voulons bâtir des sociétés plus égalitaires à l'issue des conflits, il est particulièrement important d'impliquer les organisations de femmes au niveau décisionnel dans la formation des structures politiques et juridiques. En effet, le chaos généralisé qu'engendre un conflit armé crée un espace pour une redéfinition plus équitable des relations entre les genres dans la période de reconstruction. Mais sans un soutien plus affirmé aux organisations et interventions qui défendent l'égalité des genres dans tous les domaines, les anciennes formes d'oppression risquent fort de se voir réinstaurées. Recommandations Le rapport formule un certain nombre de recommandations : S'inspirer des réalités locales : les interventions doivent être basées sur des données contextuelles, relatant ce que les hommes et les femmes font réellement, et non sur des interprétations stéréotypées des rôles et des relations entre les genres, convaincues de savoir ce qu'ils et elles devraient faire. Il serait souhaitable que les interventions impliquent les organisations locales — en particulier, les groupes de femmes — dans des instances décisionnelles. Le travail de vulgarisation et de soutien en vue d'aider les familles et les communautés à s'adapter à des rôles et des relations de genre changeants, doit être évaluée au niveau local afin qu'il corresponde bien à la région ou à la communauté concernée. Les programmes étatiques ou d'organisations internationales doivent également refléter les préoccupations et les priorités exprimées par les populations locales. 4 Améliorer l'application des lois internationales existantes par les institutions internationales et les états, en particulier dans la reconnaissance des répercussions d'un conflit armé telles que déplacements forcés, appauvrissement, violences liées au sexe de la victime, comme des violations des droits humains et non comme des problèmes d'ordre privé, culturel, qui seraient inévitables en temps de guerre. L'application et le respect de la résolution 1325 du conseil de sécurité des Nations unies constitueraient un premier pas significatif en ce sens. Accroître la dotation des services spécialisés, chargés de répondre aux besoins spécifiques des hommes et des femmes qui ont eu à subir les conséquences violentes d'un conflit armé, telles que le viol et la torture. Pour les femmes, des services spécialisés doivent comporter une prise en charge psychologique et un travail de prise de contact pour gérer les problèmes gynécologiques et de santé génésique liés aux viols, aux grossesses forcées et au travail sexuel. Des services sanitaires et de soutien psychologique doivent également être mis à la disposition des hommes qui s'écartent des rôles stéréotypés dévolus au genre masculin ou résistent à la violence et aux combats, devenant ainsi victimes, par contrecoup, de violences physiques et sexuelles. Faire participer les femmes et former à la notion de genre : la participation des femmes est nécessaire mais ne garantit pas à elle seule la résolution des problèmes liés au genre ou la sensibilisation automatique des femmes à ces questions. Les forces chargées du maintien de la paix doivent en particulier suivre une formation à la problématique du genre adaptée à leur fonction, afin d'établir une base de confiance avec les communautés et réduire les risques de violences sexuelles et physiques perpétrées par leurs propres recrues. Sans une compréhension véritable de l'évolution des rôles et des relations par lesquels se définissent les genres, nous compromettons l'objectif de bâtir une société viable et pacifique à l'issue du conflit. Une meilleure coopération est nécessaire entre tous les acteurs impliqués dans le conflit et la reconstruction après guerre, en vue de répondre aux déséquilibres du pouvoir qui sont causes de l'inégalité socioculturelle entre les sexes. Sans avancées significatives vers l'égalité des genres, il ne peut y avoir de paix réelle et digne de ce nom. Résumé écrit par Lata Narayanaswamy 5 A la gare ferroviaire – le seul foyer d’activité – au milieu de la désolation, une scène surréaliste de 326 femmes reconstruisant une station sans train. Ce sont pour la plupart des veuves, certaines d’entre elles ont leur mari emmené dans un camp de filtration. Quand je leur demande pourquoi elles font cela, elles me répondent « pour que la ville reprenne vie ». Grozny, Chechnya, 7 juin 2000 © Jenny Matthews (Matthews 2003: 178). 6 1. Introduction ___________________________________________________________________________________ 1.1 Pourquoi étudier le rapport des genres et des conflits armés ? Les conflits armés exacerbent des inégalités qui existaient dans les relations de genre avant leur éclatement. Cette étude explore l'impact des conflits armés sur les relations de genre, et analyse la façon dont hommes et femmes s'en trouvent distinctement affectés. Elle met en lumière les désavantages dont pâtissent les hommes et les femmes du fait de leur appartenance à un genre, et que ne reconnaissent pas les interprétations conventionnelles des conflits armés, ni les processus de reconstruction, lorsque la guerre est terminée. Les interventions doivent prendre en compte les diverses réalités des hommes et des femmes, qui peuvent jouer l'un comme l'autre, simultanément, les rôles de militants et de parents, de soldats et de victimes. Reconnaître et répondre à cette diversité est crucial pour l'établissement de sociétés durables, soucieuses de l'égalité des sexes, à l'issue du conflit. Même si les femmes rencontrent des désavantages au cours du conflit armé, il ne s'ensuit pas que les hommes sont toujours les auteurs, et donc les gagnants, et les femmes les perdantes. Ce rapport démontre que les hommes et les femmes vivent le conflit armé de manières distinctes, qui peuvent à leur tour altérer les rapports sociaux de sexe. Dans toutes les sociétés, l'inégalité dont les femmes sont victimes au cours et à l'issue d'un conflit armé dérive des représentations dominantes touchant aux rôles assumés par chacun des deux sexes. Il faut entendre par " genre " les perceptions de ce qui est jugé convenable en terme de comportements, d'apparences et d'attitudes des femmes et des hommes, telles que les induisent les attentes culturelles et sociales. Dans le cadre d'un conflit armé, la perception des femmes en tant qu'épouse, mère et nourricière persiste, tandis que les hommes sont considérés comme des agresseurs et des soldats. Bien que, de fait, les hommes et les femmes assument souvent ces rôles traditionnels, la littérature dominante a une certaine tendance à exagérer le degré d'endossement de ces rôles sexualisés, stéréotypés, dans les conflits armés. La réalité est que les femmes sont également actives en tant que soldats et agresseurs, tandis que les hommes peuvent être aussi bien victimes que combattants. Les relations de genre, par suite, renvoient aux façons dont les hommes et les femmes interagissent. Un point central de ce rapport est d'explorer l'impact des conflits armés sur ces relations en évaluant dans quelle mesure les différents types de désavantages qu'impose la guerre affectent les dynamiques de pouvoir entre hommes et femmes. Les analyses existantes de conflits armés et de règlements d'aprèsguerre pêchent par plusieurs aspects — certaines ignorent les femmes tandis que d'autres restent sourdes à la notion de genre ou définissent le rôle des femmes de manières stéréotypées. D'autres encore traitent des femmes indépendamment des relations entre les genres. 7 Lorsque le terme " genre " apparaît, son usage implique souvent que les femmes (et les filles) sont en majeure partie " des victimes " évoluant dans un contexte " particulier " avec des besoins " spéciaux ", tandis que les hommes sont décrits comme des " acteurs ". Mais le terme "genre" ne devrait pas être utilisé de manière aussi restrictive. Il devrait plutôt nous permettre de comprendre que les hommes et les femmes fonctionnent dans une variété de rôles — stéréotypés ou autres — et d'étudier de quelle manière les modifications de ces rôles affectent les relations de genre. La déstabilisation des rapports sociaux de sexe qui accompagne fréquemment les conflits armés et leurs réglements peuvent également ouvrir certaines opportunités. Le bouleversement de la guerre nous laisse avec une ardoise neuve pour repartir et nous poser certaines questions fondamentales sur le type de société que nous voulons et la manière dont les relations de genre pourront fonctionner en son sein. Autrement dit, c'est un temps où "la désorganisation sociale peut ouvrir la porte aux transformations que nous espérons" (Cockburn et Zarkov 2002: 11). La réalité veut cependant que ses changements ne soient pas toujours à portée de main, comme nous le verrons plus loin dans ce rapport. Pour que le bouleversement social mène à des relations plus équitables entre les hommes et les femmes, il est judicieux, pour commencer, de mener une analyse de genre. Cette démarche nous permet d'identifier les relations de pouvoir existantes entre les hommes et les femmes dans une société donnée et de comprendre comment le conflit et son prolongement influencent ces relations. Elle éclaire également le fait que les groupes marginaux qui rejettent un tant soit peu les stéréotypes féminins et masculins, comme les hommes pacifistes ou les femmes militaires, vivent le conflit de manières différentes. Une mère peut être à la fois soutien de famille et avoir une activité militante et cet engagement dans des rôles tant stéréotypés que non-stéréotypés aura des conséquences sur les relations de genre au sein son foyer. Les interventions destinées à lui venir en aide qui ne sont pas sensibilisées à la problématique hommes-femmes peuvent supposer, par exemple, que ses besoins sont limités à ceux d'une mère. Ce type d'interprétation ne reconnaît pas que les gens, les femmes en particulier, endossent de multiples rôles et responsabilités et subissent quantités de répercussions négatives dans les périodes de bouleversements sociaux. Une analyse de genre permet une compréhension plus nuancée de la manière dont les femmes qui assument de multiples rôles influencent simultanément les relations de genre au sein de leur foyer et dans la société. Le langage du genre s'éloigne des interprétations stéréotypées de ce que les hommes et les femmes devraient faire et ce dont ils devraient avoir besoin pour accepter et soutenir ce que les hommes et les femmes font et ce dont ils ont réellement besoin. Les points suivants se verront abordés dans ce rapport : • Interactions entre genre et conflit armé. Le chapitre 2 présente une synthèse des types de conflits armés et de leurs étapes. L'analyse se poursuit au chapitre 3 et s'intéresse aux dynamiques 8 sexospécifiques des conflits armés. Le chapitre 4 se penche sur les impacts sexospécifiques des conflits armés, à travers l'exemple des violences liées au sexe de la victime et des déplacements forcés. • Des outils pour l'intégration systématique de la notion de genre. Le chapitre 5 dresse un tableau critique des cadres théoriques, des lois internationales et d'autres outils d'orientation actuellement utilisés pour mettre en œuvre des approches plus sensibles à la problématique du genre dans le traitement des conflits armés. • Défense des stratégies sensibilisées à la problématique du genre. À partir des critiques formulées dans les chapitres précédents, le chapitre 6 examine l'incidence de l'assistance humanitaire, des programmes de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (D. D. R.) ainsi que des activités de maintien et de construction de la paix pour les relations de genre, justifiant une approche plus sensible à la problématique hommes-femmes dans tous les aspects de résolution/construction de la paix du conflit et de son règlement. • Stratégies d'amélioration. Le chapitre 7 donne un aperçu de quelques-uns des outils disponibles pour une intégration systématique du genre dans les institutions qui régentent le conflit armé et ses lendemains. Trois exemples de programmes d'intégration réussis montrent comment cette prise en compte peut être réalisée en pratique. Enfin, ce chapitre explore comment les organisations de femmes ont répondu au manque d'attention accordé aux dimensions hommes-femmes du conflit armé. 9 2. Comprendre le conflit armé ___________________________________________________________________________________ 2.1 Causes du conflit armé Les causes du conflit armé sont souvent liées à des tentatives de contrôler les ressources économiques comme le pétrole, le métal, les diamants, la drogue ou des frontières territoriales contestées. Dans des pays comme la Colombie ou le Soudan, par exemple, l'exploration des gisements pétrolifères a engendré et aggravé l'appauvrissement d'hommes et de femmes. Des communautés entières ont été prises pour cible et décimées, déplacées et/ou marginalisées au nom du développement pétrolier. Le contrôle des ressources, comme l'exercice du pouvoir n'est pas neutre en terme de genre. Ceux qui n'ont ni pouvoir, ni ressources — groupes majoritairement (mais en aucun cas exclusivement) composés de femmes — ne sont généralement pas des fauteurs de guerres. Les affrontements sans résolution pour les ressources, associées aux graves répercussions des déplacements, de l'appauvrissement et de la militarisation accrue dans les zones de conflits ne font que prolonger les conflits armés existants. De plus, la guerre tend à engendrer et/ou perpétuer les inégalités entre les groupes ethniques et la discrimination envers les groupes marginalisés d'hommes et de femmes, pavant ainsi la voie à l'éclatement de futurs conflits. Les conflits armés gagnent en complexité, à mesure que l'on avance dans le XXIe siècle. Au niveau international, l'inégalité dans la distribution des pouvoirs et des ressources s'est accentuée. Associée aux inégalités structurelles entre et au sein de nations-états, cette disparité a conduit à des conflits plus régionaux, ainsi qu'à une montée en flèche du nombre de conflits armés internationaux. En outre, la nature de la guerre elle-même a profondément évolué, en lien avec le développement de technologies militaires de plus en plus sophistiquées. Les nations ont augmenté leurs efforts en vue d'accroître et/ou de renforcer leur puissance militaire. Les limitations existantes aux droits des femmes s'en trouvent aggravées, ce qui a pour effet d'exacerber les inégalités dans les relations de genre. Tandis que, dans les pays, la militarisation accrue impose de nouvelles limites aux droits des femmes, l'égalité des genres s'est vue invoquée au niveau international pour justifier l'intervention militaire dans les frontières de nations souveraines. Ainsi, la libération des femmes du régime oppressif des talibans a constitué l'une des justifications de l'invasion américaine en Afghanistan en 2001. Mais les cinq années qui ont précédé l'invasion ont été marquées par un manque obstiné de considération pour le sort des femmes, en dépit de tentatives des organisations non gouvernementales (ONG) locales et internationales d'attirer l'attention sur la violation des droits humains des femmes afghanes. En réalité, les interventions militaires ne sont JAMAIS une réponse au problème des inégalités de genre. Les conflits armés et la période d'aprés-guerre engendrent des inégalités de genre ou exacerbent les 10 inégalités existantes, lesquelles se doublent ensuite de divisions raciales, sociales, de caste, fondées sur la sexualité, religieuses ou générationnelles. Guerre et justice pour les femmes … une réconciliation impossible La guerre aggrave la souffrance des femmes. Par leurs rôles de mères, de nourricières et de pourvoyeuses de soins, les femmes forment invariablement une grande proportion des victimes civiles. Les femmes en Afghanistan, par exemple, ont constitué la majorité des civils blessés ou tués à la suite de bombardements par erreur sur des maisons, hôpitaux et autres structures civiles (Malakunas 2001). La destruction des ressources et l'empoisonnement des élevages ont mis en danger la vie de l'ensemble de la population civile (Edwards 2001). Qui plus est, bien que les femmes assument des rôles non stéréotypés en tant que combattantes, femmes politiques et/ou chef de famille, les tentatives de faire entendre leur voix dans les processus officiels aboutissent rarement. Peu de moyens sont à leur disposition pour tenter d'empêcher les violations dont leur sexe est spécifiquement victime, comme le viol et le mariage forcé. 2.2 Types de conflits armés Un certain nombre d'études ont établi des distinctions entre conflits internationaux/inter-étatiques et conflits nationaux/civils (Byrne 1996). De récents éclairages suggèrent toutefois qu'il est indispensable de replacer ces distinctions dans leur contextes, afin que les répercussions en terme de genre soient totalement prises en compte. Il est important de reconnaître que les conflits nationaux/civil ne sont pas seulement internes mais transnationaux par nature, dans la mesure où il se déroule dans un contexte international particulier. Indépendamment du type de conflit, le concept qui veut que les hommes vont à la guerre au " front " et que les femmes restent en sécurité à la maison avec les enfants et les vieillards ne reflète pas la réalité de la guerre. En fait, la distinction entre zones " de conflit " et " sécurisées ", où le foyer et le lieu de travail sont considérés comme sûrs est un mythe qui perdure, et que les féministes analysent et dénoncent depuis longtemps (Byrne 1996; Cockburn 1998; El Jack 2002; Giles and Hyndman à paraître). Dans les zones de conflit, la guerre touche les femmes au beau milieu de leurs travaux agraires. Elle s'attaque à leurs foyers — les enlevant, les déportant et/ou les assassinant avec leurs enfants (El Jack 2002). 2.3 Les étapes des conflits Selon Byrne (1996: 8), les conflits peuvent se découper en quatre étapes : 1. La marche à la guerre (pré-conflit) 2. Le conflit lui-même 3. Le processus de paix (ou résolution de conflit) 4. Reconstruction et réinsertion, ou après-guerre 11 Les types d'inégalités de genre et les réponses appropriées à des besoins sexospécifiques donnés diffèrent en fonction de l'étape du conflit armé. Ce découpage nous permet de formuler des hypothèses sur les répercussions probables à une étape donnée et de concevoir une intervention qui prenne en compte la dimension du genre. La possibilité de définir des réponses détaillées et sur mesure est néanmoins limitée par les frontières mouvantes du conflit armé lui-même. Comme l'expliquent Cockburn et Zarkov (2002: 10) : "…On ne peut assurément jamais dire d'une guerre qu'elle a commencée ou fini à un moment clair et précis. Elle s'inscrit plutôt dans une gradation du conflit, qui s'exprime tantôt par la force armée, tantôt par les sanctions économiques ou la pression politique. Un temps de paix supposé peut se voir renommer plus tard " période d'avant-guerre ". Au plus fort des combats, à l'insu des fantassins sous le feu, les processus de paix sont souvent déjà à l'œuvre. Une période de reconstruction à l'issue d'un conflit peut être redéfinie plus tard comme un inter bellum – une simple pause entre deux guerres." Un problème supplémentaire dans cette ventilation est que la tendance à considérer le conflit et la reconstruction après-guerre comme des étapes réelles, identifiables et autonomes crée une division conceptuelle. Ce qui représente la paix d'un point de vue féministe peut différer des vues dominantes parce que pour beaucoup de gens, les femmes en particulier, la paix ne signifie pas seulement la fin du conflit armé mais un temps pour s'attaquer aux déséquilibres structurels des pouvoir responsables du conflit à l'origine. Il faut alors une interprétation plus nuancée de ces étapes, où les interventions qui traitent de l'inégalités des sexes dans le conflit armé reflètent le fait que les événements se passent simultanément et que les étapes se chevauchent. 12 3. Dynamique des conflits armés en terme de genre ___________________________________________________________________________________ 3.1 Relations de genre et conflit Les rapports sociaux de sexe se caractérisent par une inégalité dans l'accès au pouvoir ou sa répartition. Par sa forte prévalence, cette discrimination en terme de genre influence d'autres dynamiques du conflit armé. Plus spécifiquement, l'analyse en terme de genre des conflits armés met en lumière les différences entre hommes et femmes dans ce que leurs activités, leurs besoins, leur acquisition et leur contrôle des ressources, leur accès aux processus décisionnels dans les situations d'après-guerre, ont de spécifique, du fait de leur appartenance à un genre (PNUD 2002). Les hommes en âge de se battre forment la majorité des conscrits et donc des morts et des blessés au cours des combat. Les femmes, cependant, sont les principales victimes de la guerre, soit directement par mort accidentelle ou au cours des combats, soit indirectement par l'éclatement des structures familiales et communautaires (Byrne 1996). 3.2 Femmes et conflit Les femmes qui se trouvent dans des zones de guerre peuvent être confrontées à des demandes contradictoires de la part du gouvernement et de la société. D'un côté, la nation appelle les femmes à participer aux luttes nationalistes en tant que membre de l'entité nationale. Dans différentes zones de guerre, les femmes ont été mobilisées dans le conflit armé parce que leur apport, leur travail et leurs services étaient nécessaires. Dans le même temps, la construction des femmes en temps que " mères " et " gardiennes de la culture" au sein de mouvements nationalistes de libération a souvent limité leur activisme dans les processus de reconstruction au cours et à l'issue des conflits (Stasiulis 1999). Les identités des femmes, telles que les ont forgées leurs rôles sexospécifiques de " mères " et de " gardiennes de la culture ", impliquent qu'elles sont des " victimes ", justifiant ainsi l'usage intensif du pouvoir et de la violence pour les protéger. On a souvent le sentiment que cette " protection " a échoué, ainsi par exemple lorsque des actes publics de violence physique et sexuelle comme le viol se produisent. Les crimes sexuels, qui touchent en grande majorité des femmes, peuvent s'accomplir sous les yeux de la famille et de la communauté, rendant les victimes " souillées " et indignes de protection (Bennett et al. 1995). Pas de sexe, merci, nous combattons ! Une exception notable à l'exclusion et la discrimination envers les femmes combattantes s'est produite à Tigray, une province éthiopienne. Le Front populaire de libération du Tigray (TPLF) s'est formé en 1975 dans le but d'instaurer un état éthiopien démocratique. Il a activement encouragé les femmes à rejoindre 13 son combat. Des services d'éducation des femmes et de garde des enfants ont été instaurés pour faciliter leur participation. Les relations sexuelles étaient interdites afin de concentrer les énergies sur les objectifs du combat. Des exceptions furent faites plus tard pour permettre aux femmes de se marier et d'avoir des enfants. Une femme raconte : " la loi anti-mariage avait un rôle positif : entre les hommes et les femmes, il y avait un dialogue, pas d'activité sexuelle. Un homme considérait une femme en fonction de son travail, non de son amant ". (Adapté de Bennett et al. 1995: 9) Des exemples d'initiative de femmes en faveur de la paix sont souvent cités comme preuve que les femmes sont naturellement protectrices, tandis que les hommes seraient naturellement agressifs et de tempérament guerrier. Des études féministes du Nord et du Sud ont néanmoins contredit la soi-disante nature paisible des femmes au vu de leur engagement dans les luttes de libération nationale, leur soutien direct et/ou indirect aux conflits armés et leurs contributions à la guerre et au militarisme en général (Babiker 1999; Byrne 1996; Cockburn 2002; El-Bushra 2000; Moser and Clark 2001; Kelly 2000). Les femmes en tant qu'agresseures Le stéréotype de la femme naturellement protectrice ne reflète pas toujours l'expérience sur le terrain. Les nombreux exemples de femmes qui sont ou ont été d'actives combattantes ou de fervents soutiens d'États " oppresseurs " montre à quel point les allégations sur le comportement des hommes et des femmes peuvent être naïves et manquer d'imagination : • Les femmes ont adhéré en grand nombre au parti nazi et servi dans les camps d'extermination. • Le régime de Pinochet au Chili dans les années 1970 a reçu le soutien de femmes issues de la bourgeoisie. • Des femmes issues des classes ouvrières protestantes et catholiques participent aux émeutes en Irlande du Nord. • Des femmes ont servi dans l'armée américaine, et l'ont défendue. • Des exemples existent, de femmes ayant justifié l'usage du viol contre leurs " ennemies " et celles qui n'étaient pas considérées comme de " vrais femmes ". (Adapté de Jacobs, Jacobson et Marchbank 2000: 12-13) Que ce soit en leurs qualités traditionnelles et peut-être stéréotypées d'épouses et de mères ou dans leur rôle d'agresseurs et de soutien aux conflits, les femmes continuent de subir des discriminations, du fait des structures de pouvoir inégales qui gouvernent leurs relations avec les hommes. 3.3 Les hommes et la guerre Les hommes et les femmes subissent la violence différemment au cours et à l'issue du conflit, en leur qualité aussi bien de " victimes " que de " parties prenantes " (Moser et Clark 2001: 7). La violence sexuelle est largement infligée aux femmes mais les hommes et les garçons sont également violés au cours de conflits armés dans une forme de violence destinée à ébranler un pouvoir masculin. Néanmoins, même lorsqu'il a été établi que des hommes ont été victimes d'abus sexuels sur le champ de bataille, les hommes continuent à être décrits comme des " héros masculins " (Moser et Clark 2001: 14 3). D'après, Zarkov (2001), dans le cas de l'ex-Yougoslavie, le refus de considérer des hommes comme des victimes de violences sexuelles au cours du conflit armé fut justifié logiquement par les relations de pouvoir pendant la guerre et au cours du processus de création d'entités nationales qui a suivi, qui dictaient quelles personnes pouvaient être étiquetées comme victimes d'abus sexuels. En d'autres termes, une femme peut être une victime mais un homme n'est jamais une victime, ce qui nie l'une des réalités sexospécifiques du conflit armé. Les hommes ne souffrent pas seulement en termes de violence sexuelle. Ils connaissent aussi des violations de leurs droits humains qui, pour être différentes, sont tout aussi injustes que celles qui affligent les femmes, que ce soit en tant que prisonniers de guerre, soldats ou individus qui s'éloignent des normes socioculturelles prescrites à leur sexe (homosexuels, hommes pacifistes, par exemple). Les hommes sont également directement visés dans les conflits armés et forment la majorité des pertes causées par les armes légères et de petit calibre (A.L.P.C). Le nombre croissant de ménages dirigés par des femmes dans les zones de conflits est une illustration de la vulnérabilité spécifique des hommes (El Jack 2002). Masculinité et conflit armé : les deux vont-ils de pair ? Le lien entre " masculinité ", militarisation et conflit armé est important. Des analyses féministes identifient les structures militaires comme des institutions masculines, patriarcales, dirigées par et pour des hommes, basées non sur les " caractéristiques biologiques des hommes mais... sur les constructions culturelles de la " virilité " (Turshen and Twagiramariya 1998: 5). Dans de nombreux contextes culturels, être " vraiment un homme " passe par la capacité à se servir d'une arme (Jacobs et al. 2000: 11). Cela signifie-t-il que les hommes sont intrinsèquement violents ? NON – la violence masculine dirigée vers d'autres hommes, femmes ou enfants est un reflet d' " attentes masculines " imposées par la société et renforcées par des états avides de manipuler ces attentes pour leurs propres fins politiques (Cockburn and Zarkov 2002; Dolan 2002; Jacobs et al. 2000). Les hommes qui se sentent incapables de remplir leurs rôles " masculins " de protecteurs ou d'agresseurs sont susceptibles de décharger leurs frustrations sur leur famille. Ces actes engendrent par la suite d'autres violences, un manque de compréhension des besoins personnels et de ceux des femmes, comme de leur évolution à l'épreuve de la guerre. Le fait que la guerre soit généralement faite par les hommes ne prouve en rien que les hommes soient naturellement violents. La guerre est décidée par ceux qui ont le pouvoir et les hommes occupent généralement les positions les plus puissantes. Des exemples existent de femmes dirigeantes au pouvoir, telles Margaret Thatcher et Indira Gandhi, qui ont engagé leur pays dans la guerre. 15 4. Répercussions des conflits armés en terme de genre ___________________________________________________________________________________ Les inégalités entre les sexes sont exacerbées durant les périodes de conflits armés et persistent durant la reconstruction de l'après conflit. Les femmes comme les hommes subissent des exactions et des traumatismes de guerre, des ruptures et des pertes de moyens. L'impact de ses pertes est vécu de différentes manières et les femmes sont souvent plus affectées que les hommes. Les états et les organisations échouent continuellement à faire appliquer les lois et les conventions internationales destinées à protéger les droits humains des femmes et promouvoir l'égalité des sexes. Les pourvoyeurs d'assistance, qu'ils soient gouvernementaux, non gouvernementaux ou multilatéraux ont mis du temps à répondre à la montée en flèche des violations des droits humains des femmes, au cours et à l'issue des conflits armés en particulier. Les décideurs découragent parfois, voire empêchent le développement d'initiatives ouvertes à la problématique du genre. Si les initiatives axées sur la problématique hommes-femmes ne sont pas soutenues, une des causes en est le clivage conceptuel entre soutien technique et social. Le soutien technique traite des besoins immédiats tels que le rétablissement de l'eau courante, des réseaux d'assainissements, des services de santé, de l'électricité. Le soutien social, par contraste, s'attaque à des problèmes à plus long terme, plus difficiles à résoudre, avec moins de résultats quantifiables et donc perçus comme une moindre priorité, telles que la scolarisation, la formation et la provision de services sociaux. Ces deux types d'assistance bousculent néanmoins les pratiques sociales, culturelles et religieuses, mais durant les périodes de conflits, on considère qu'il est mal venu d'aborder les relations entre les sexes. Le résultat est que l'impact des interventions techniques, tels que les projets sanitaires à grande échelle, sur les dynamiques de genre, n'est pas évoqué (Williams 2002). Indépendamment du contexte géographique, économique, politique ou social, les conflits armés rendent plus difficile l'accès à la nourriture, à la santé, à l'éducation et à d'autres biens et services de base. Ce chapitre analyse deux répercussions spécifiques des conflits armés : les violences liées au sexe de la victime ou violences sexospécifiques et le déplacement forcé. En examinant ces questions, il tente également d'illustrer comment la guerre exacerbe des conditions antérieures, caractérisées par l'inégalité et le manque d'accès aux sources. 4.1 Déplacement forcé " Le déplacement forcé est la violence la plus manifeste des droits humains, économiques, politiques et sociaux et de l'échec à faire appliquer les lois humanitaires internationales " (Moser et Clark 2001: 32). Les gens ont souvent été arrachés à leurs foyers, victimes de persécutions politiques, religieuses, culturelles et/ou ethniques au cours du conflit. Quel qu'en soit la cause, le déplacement est une source 16 de violations des droits humains et se traduit par des types de désavantages distincts pour les femmes et les hommes. Les personnes déplacées dans le cadre de leurs frontières ne sont pas protégées par la loi internationale Le déplacement ne signifie pas nécessairement que les gens partent où sont emmenés de force vers des destinations éloignées de leurs foyers pendant et au terme du conflit armé. Les conflits armés des années 1990 ont vu des millions de gens faire l'objet de déplacements internes ou continuer à vivre dans les frontières de leur pays. La convention des Nations unies pour les réfugiés de 1951 protègent les réfugiés à l'extérieur de leurs frontières natales mais ne couvre pas les personnes déplacées à l'intérieur de leurs frontières. Les possibilités de la communauté internationale sont limitées, lorsqu'elle cherche à protéger des personnes déplacées dans leurs propre frontières, dès lors que leur pays n'est pas disposé à coopérer. Le statut légal des personnes déplacées à l'intérieur de leurs frontières demeure un grave problème. (Adapté de organisation mondiale de la santé 2001: 23). Le déplacement est souvent considéré comme un phénomène temporaire ou transitoire. L'expérience de pays comme le Pérou, le Sri Lanka, la Somalie et le Soudan montre pourtant que c'est en fait un processus prolongé. À l'échelle mondiale, de nombreuses générations ont été déplacées dans le cadre d'un conflit armé, dont un nombre significatif l'a été plus d'une fois et pour de longues périodes (Indra 1999). Le déplacement désavantage particulièrement les femmes en ce qu'il se traduit par un accès réduit aux moyens d'assumer la responsabilité d'un foyer et une violence émotionnelle et physique accrue (El Jack 2002). Le déplacement induit également l'exclusion sociale et la pauvreté — circonstances elles-mêmes susceptibles de prolonger le conflit. Le déplacement forcé est fréquemment utilisé comme une stratégie de guerre, ciblant les relations de genre au travers de la dislocation des foyers et la déstabilisation sociale. Le déplacement entraîne souvent une évolution des rôles et responsabilités propres à chaque genre, pour les deux sexes. Du fait de l'évolution démographique liée au conflit, un plus grand nombre de femmes deviennent chef de famille. Ceci a favorisé des évolutions dans la division du travail qui, si elles ont créé de nouvelles opportunités pour les femmes, ont aussi, à certains égards, réduit leur place dans la société. Le déplacement ne touche pas toutes les femmes de la même façon. Au Soudan, par exemple, des groupes ethniques comme les Dinkas, les Nuers, les Nubas ainsi que d'autres groupes vivant dans le Sud et dans les monts Nuba, sont marginalisés du fait de leur statut de minorités. Les femmes de ces groupes constituent une fraction de plus en plus en plus grande des victimes de guerre, directes ou indirectes. Qui plus est, le surcroît de responsabilités assumé par les femmes dans le travail productif, reproductif et communautaire est souvent transféré à des garçons et des filles plus jeunes au sein de la famille. En particulier, des filles plus jeunes doivent assumer un plus grand nombre de responsabilités 17 comme la garde des enfants, des personnes âgées et des malades en plus de la gestion d'un travail domestique lourd. Ce transfert de responsabilités a des répercussions sur le bien-être et l'avenir des représentantes féminine du foyer (ibid). En dépit d'expériences de vulnérabilité et de traumatismes au cours du processus de déplacement, certaines femmes en retirent un avantage. Elles peuvent se voir donner la priorité à des programmes de formation et de développement en matière de santé et d'éducation, ainsi qu'à des activités génératrices de revenus. Les compétences qu'elles en retirent leur permettent d'assumer de nouveaux rôles au sein de leurs foyers et de devenir les principaux soutiens de famille quand les hommes ont été tués ou ont du mal à trouver un emploi loin de leurs foyers et de leurs communautés. Cette évolution des responsabilités représente un pas vers l'abandon de rôles " masculins " et féminins " stéréotypés. Les hommes, cependant, peuvent réagir à ses évolutions par la dépression, l'alcoolisme et une aggravation de la violence contre les femmes en public et en privé. (de Alwis and Hyndman 2002). Une plus grande autonomie ne se traduit pas nécessairement par l'égalité des genres Les études de cas menées par l'Agence pour la Coopération et la Recherche en Développement (ACORD) en Angola, au Soudan, en Somalie et en Ouganda démontrent que si les conflits ont élargi l'éventail des rôles économiques des femmes et leur ont donné une plus grande autonomie, il ont rarement conduit à une influence politique accrue ou à une plus grande égalité des sexes. Les seules évolutions observées, pour ainsi dire, l'ont été dans les relations quotidiennes au sein du foyer, mais il est encore trop tôt pour dire si celles-ci sauront se prolonger sur le long terme (El-Bushra, El-Karib and Hadjipateras 2002: 5). Les gains relativement faibles que les femmes obtiennent au cours d'un déplacement ne se traduisent pas forcément par des rapports sociaux de sexe plus égalitaires. La promotion "des questions féminines à un niveau superficiel, focalisé sur elles, et qui ne parvient pas à remettre en cause les paradigmes généraux des différences entre les genres, laisse les femmes avec de nouveaux rôles mais sans leviers institutionnels pour les assumer effectivement" (El-Bushra 2000b: 6). De plus, il faut s'inquiéter de ce que les lois et résolutions internationales existantes, si elles utilisent le terme "genre", se focalisent en réalité spécifiquement sur les femmes. Cet aspect est certes important, mais, ce faisant, elles ne fournissent tout bonnement pas les moyens de comprendre les répercussions en terme de genre, réduisant les possibilités de développer des relations de genre plus équitables. 4.2 Les violences liées au sexe de la victime La violence physique et sexuelle, surtout à l'encontre des femmes, reste une caractéristique largement documentée des conflits armés. Par violence liée au sexe de la victime, ce rapport entend une violence, sexuelle ou autre, qui joue sur les normes et les exclusions de genre, pour briser les individus aussi bien physiquement que psychologiquement. Bien que les femmes soient le plus souvent la cible de ce type de violences, les hommes comme les femmes peuvent être victimes ou exposés à ses diverses formes et conséquences : le viol, l'augmentation du taux 18 d'infection par le virus HIV/SIDA et d'autres infections sexuellement transmises, l'altération de leur santé physique et psychologique ; la dislocation de leurs vies, la perte d'assurance et d'estime de soi. La violence à l'égard des femmes La guerre aggrave les formes de violence sexuelle à l'égard des femmes de deux manières essentiellement. D'abord, les incidences de la violence "quotidienne", la violence domestique en particulier, augmentent avec l'éclatement des communautés pendant et après le conflit (ONU 2002). Deuxièmement, la violence "quotidienne" augmente dans le cadre de situations de conflits militarisés et masculins. L'établissement de camps de viols et la fourniture de services sexuels aux forces armées occupantes en échange de ressources comme la nourriture et la protection sont deux exemples de violences liées au sexe de la victime, au cours et à l'issue du conflit. Les conflits engendrent des types de relations et de déséquilibres de pouvoir spécifiques. Dans une situation de conflit, par exemple, la violence à l'égard des femmes ne se limite pas à l'exercice du pouvoir sur leurs personnes. En violant les femmes, qui représentent la pureté et la culture de la nation, les armées d'invasion violent aussi symboliquement la nation elle-même. Certaines formes de violence sexospécifique au cours et dans le prolongement du conflit sont presque exclusivement commises à l'encontre des femmes et des filles, comme la prostitution forcée et le travail sexuel, la recrudescence des trafics pour les réseaux d'esclavage sexuel ou autre, les grossesses forcées. De même, la violence sexospécifique a des conséquences distinctes pour les femmes et les filles : mutilations sexuelles, stérilité, problèmes de santé génésique/gynécologiques chroniques, mise à l'écart de la famille et de la communauté du fait du déshonneur associé aux sévices sexuels subis (ONU 2002). Dans les zones de conflit, la violence sexuelle est devenue une arme de " purification ethnique", comme ce fut le cas en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, où le viol servait à la police et aux forces paramilitaires serbes à punir les femmes membres de l'armée de libération du Kosovo (Human Rights Watch 2000). Cette utilisation du viol en Bosnie explique une partie des déplacements liés au conflit au Kosovo. Le viol en tant qu'arme de guerre " Des femmes ont raconté à Human Rights Watch leurs craintes qu'elles et leurs filles se fassent violer. Des rumeurs de viols circulaient largement pendant que les familles tentaient de fuir leurs foyers. Les femmes d'un certain âge habillaient souvent leurs filles de vêtements larges et de fichus pour tenter de déguiser les jeunes filles en grand-mère. D'autres femmes barbouillaient de boue les visages de leurs filles pour les rendre indésirables. Comme l'a dit une mère à Human Rights Watch, " j'avais surtout peur pour mes filles. J'ai perdu dix-huit kilos pendant la guerre parce que j'avais peur que mes filles se fassent violer. " D'après une autre femme, " les filles avaient peur de la police et ont mis des écharpes. Les policiers ont retiré leurs écharpes et leur ont pincé les joues en leur disant de ne pas se conduire comme 19 des vieilles femmes. Les filles hurlaient. " Selon un médecin de Pristina, " le viol était notre plus grande crainte. Notre principal objectif était d'emmener nos filles – âgé de 25, 21, 14 et 10 ans – hors du pays " (Vandenberg 2000). Sous la pression des organisations de femmes, le Traité de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI) reconnaît aujourd'hui et poursuit les violences sexuelles et sexospécifiques comme des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Ces délits criminels embrassent, d'après le traité, " le viol, l'esclavage sexuel (y compris la traite des femmes), la prostitution forcée, les grossesses imposées, la stérilisation obligatoire, ainsi que d'autres formes de violences sexuelles graves et la persécution sur la base de l'appartenance sexuelle " (Human Rights Watch 2002). À la suite de violences sexuelles, les femmes sont souvent rejetées par leur famille ou leur communauté. Malgré la compassion pour le traumatisme que ses femmes ont souffert, la société marque les victimes comme " des biens endommagés (Bennett et al. 1995: 9). Les femmes ont également des besoins sanitaires particuliers, en conséquence de ses violations. Par exemple, elles demandent un apport nutritionnel et une prise en charge sanitaire supplémentaire si elles sont enceintes ou en période d'allaitement. La pénurie alimentaire et les inégalités dans la répartition de la nourriture sont exacerbées durant les périodes de conflit armé, exposant davantage les femmes et les filles à la malnutrition (ONU 2002). L'augmentation du taux d'infection par le virus HIV/sida dans les zones de conflit constitue également une tendance préoccupante – confrontées à un risque accru, les femmes ont donc besoin d'un soutien sanitaire, psychologique, et social spécifique. HIV/SIDA : une épidémie grandissante qui prospère avec la guerre L'infection par le virus HIV augmente dans les zones touchées ou récemment affectées par un conflit armé. De nombreux conflits font rage dans des zones déjà fortement affligées par ce fléau (Smith 2002: 1). Les ruptures et les déplacements occasionnés par le conflit peuvent entraîner des modifications du comportement sexuel, une augmentation du taux d'abus sexuels (par les forces armées, par exemple) ou un moindre accès aux services de dépistage (ibid). Des études conduites au Rwanda et en Sierra Leone ont découvert que des faveurs sexuelles étaient souvent exigées en échange de nourriture, entraînant une augmentation du nombre de partenaires sexuels chez les femmes (Benjamin 2001). L'infection par le virus HIV est souvent perçue comme un problème d'ordre avant tout médical, qui n'est pas une priorité dans les conflits. On perd de vue son multiple enracinement dans les situations d'instabilité politique, économique et sociale (Smith 2002: 2). Devant la forte stigmatisation/ dont sont encore victimes/que continuent de subir les malades du sida/du fait de l'opprobre persistante qui continue d'entacher les personnes infectées par le virus, les femmes comme les hommes sont peu susceptibles de parler ouvertement de ces problèmes. En conséquence, il est plus nécessaire encore d'atteindre ces victimes. C'est particulièrement le cas pour les femmes, qui sont typiquement incapables d'accéder aux services médicaux. 20 Les hommes en tant que cibles directes et indirectes Bien que les hommes soient souvent les auteurs de viols et de violences dans les conflits armés et les femmes leurs victimes, les hommes eux-mêmes peuvent être l'objet de sévices physiques et sexuels. Les abus sexuels, la torture et la mutilation peuvent être dirigées contre des hommes détenus ou prisonniers de guerre (ONU 2002). Une étude menée au début des années 1990 dans le nord de l'Ouganda montrait une prévalence accrue des infections transmises sexuellement parmi les hommes, " qui serait due au viol indiscriminé des hommes " par l'Armée de Résistance Nationale (NRA) (Dolan 2002: 74). Les ateliers d' ACORD sur la violence sexuelle confirment à quel point il est difficile de prendre la mesure des viols masculins, du fait de la réticence des victimes à en parler (Dolan 2002). Dolan affirme que " le degré d'opprobre attaché [au viol d'un homme] est plus fort encore que celui associé au viol d'une femme ", et que " porter atteinte au sentiment de virilité des hommes devient pour certains hommes un moyen clé d'exercer leur pouvoir sur d'autres hommes " (2002: 75). En ce sens, le viol ou l'abus sexuel en tant que démonstrations de " masculinité " ou de pouvoir sont des armes potentielles, dont les hommes et les femmes peuvent être tout aussi injustement victimes dans les zones de conflit. Les hommes sont également les cibles indirectes de violences à l'égard des femmes. Le viol des femmes est perçu depuis longtemps comme un acte d'agression publique, où violer et " déshonorer " les femmes est un moyen de " violer et démoraliser les hommes " (Bennett et al. 1995: 8). Les femmes sont considérées comme les garantes de l'honneur familial et symbolisent souvent la culture et la pureté raciale d'une nation. L'abus sexuel et la torture des femmes devant un homme de leur famille servent à véhiculer le message qu'il a échoué dans son rôle de protecteur " (ONU, 2002: 16). Ces actes représentent une attaque contre le pays tout entier en même temps qu'une violation des droits humains des femmes. Bien que les hommes soient susceptibles d'être les agresseurs, nous ne pouvons " bâtir de suppositions quant au comportement des hommes en tant que groupe... Certains hommes ne tirent aucun avantage et peuvent même indirectement souffrir d'actes de violence sexuelle perpétrés contre des membres féminins de leur famille " (Jacobson et al. 2000: 2-3). Il ne s'agit pas, ici, de minimiser l'immense souffrance directement infligée aux femmes à la suite de sévices sexuels, mais plutôt d'illustrer le fait que la violence sexospécifique rompt et déstabilise les relations de genre, causant des dégâts souvent irrémédiables qui frappent tout le monde de manière négative. Une arme de guerre enveloppée de silence '[les femmes qui ont été] violées pendant la guerre en parlent à leurs proches amies. On entend rarement parler de femmes s'exprimant en public sur toutes ces choses qui leur sont arrivées. Elles préfèrent encore souffrir en silence en attendant de pouvoir tourner la page. Elles tentent de vivre avec, ou de vivre avec l'idée qu'elles ne sont pas seules dans leur cas. Si des centaines d'autres filles parviennent à vivre avec, alors, c'est que c'est possible, en attendant que petit à petit, ça s'efface... Mais 21 la plupart des viols étaient commis en public. Votre fille peut plaire à l'un des rebelles et juste sous vos yeux – la maman, le papa, les autres frères et sœurs – le viol aura lieu. C'est comme ça que tant de filles ont su que leurs amies avaient été violées.' (Extrait du récit d'Agnès au Liberia dans Bennett et al. 1995: 39) Violence sexospécifique et relation entre les gens De quelle manière la violence sexospécifique affecte-t-elle les relations entre les genres ? Son impact est visible, entre autres, dans la sphère privée ou domestique, où les femmes sont susceptibles de subir une violence accrue, non seulement des mains des forces étatiques ou occupantes mais aussi de la part des hommes du foyer à l'issue du conflit. Dans les zones de combat, les femmes connaissent souvent des sévices physiques et sexuels de la part de conjoints mâles avilis par le conflit et mortifiés par la culpabilité et la colère de n'avoir pu assumer ce qu'ils percevaient comme leur responsabilité et d'avoir échoué à protéger leurs femmes (El Jack 2002). Il convient toutefois de garder à l'esprit que l'augmentation de la violence sexospécifique au cours et à l'issue du conflit reflète souvent des formes de violence qui existaient avant le conflit. Les notions de domaines " publics " par opposition au " privé " dressent des obstacles dans le traitement des victimes de violences physiques et sexuelles. La violence est considérée comme un problème privé tantôt au sein qu'en dehors des conflits armés. La division entre public et privé rend nombre de ces problèmes " invisibles " " soient littéralement, parce qu'ils se produisent à huis clos, soit de fait, parce que, trop souvent, les systèmes légaux et les normes culturelles les traite non comme des crimes mais comme des affaires de famille ou de banales péripéties de la vie courante " (WHO 2003). Les choses se compliquent encore dans le déroulement d'un conflit armé car la violence physique et sexuelle, en particulier à l'égard des femmes, se manifeste souvent en public et sous le regard de toute la famille et/ou de la communauté. Cependant, pour les femmes comme pour les hommes, l'évacuation du traumatisme est souvent freinée par une incapacité à en discuter du fait que cette violence est considérée comme une affaire privée. Le travail sexuel et l'esclavage sexuel dans le cadre d'un conflit ont également des conséquences sur les relations de genre. Dans les zones de conflit, les femmes sont parfois conduites à offrir des services sexuels aux soldats pour survivre. Mais comme le démontre l'encadré ci-dessous, les hommes ne sont guère enclins à accepter cette évolution des rôles, engendrant un ressentiment durable et la dislocation de la cellule familiale. Pas de petit sacrifice : travail sexuel et conflit armé " Les hommes ont le sentiment que les femmes sont responsables de ce qui s'est passé, que nous l'avons fait de notre plein gré. Ils nous considèrent comme des prostituées. Durant cette période, ils étaient impuissants. On aurait dit des bébés. Ils étaient incapables de veiller sur leur famille. Une épouse devait tout sacrifier, elle-même, le contrat de mariage, tout, pour sauver la famille mais les hommes ne sont pas reconnaissants... Nous avons tout sacrifié, nous-mêmes, notre image dans la société, notre 22 intégrité, tout, pour sauver leur vie et les enfants. Alors, face aux hommes du Liberia, je réagis comme eux. Puisqu'ils me prennent pour une roulure, une prostituée, je les considère comme des animaux... Ils ont oublié toutes les souffrances que nous avons endurées pour eux " (Extrait du récit d'Agnès au Liberia dans Bennett et al. 1995) Le déroulement du conflit armé lui-même peut mener à des types de violences sexospécifiques particulières, dues à l'évolution des relations entre les sexes, surtout lorsque les femmes sont actives en tant que combattantes ou opposantes dans un conflit. Les femmes qui ne remplissent pas les rôles typiquement dévolus à leur sexe sont perçues comme méritant de subir des sévices ou des tortures violentes. Torturée pour avoir "trahi sa féminité" Nora Miselem est une militante des droits des femmes et l'une des quatre seules survivantes, sur près de 200 personnes kidnappées, emprisonnées et torturées, de la terreur d'état imposée au Honduras dans les années 1970 et 1980. Soutenues par plusieurs gouvernements américains successifs, les dictatures du Guatemala, du Nicaragua et du Salvador combattaient toute velléité des mouvements populaires socialistes de prendre racine, entraînant la migration d'une masse de réfugiés menacés de persécution. Nombre d'entre eux finirent dans les camps de réfugiés à la frontière du Honduras et du Salvador. Nora raconte ainsi son expérience : "Ils disaient qu'ils allaient me stériliser parce que je ne méritais pas d'avoir d'enfants Cette idée qu'ils avaient de la femme comme un être sublime dont le rôle sacré est de porter des enfants. D'après eux, je rompais avec la tradition de ce qu'une femme était supposée être. Et ils allaient me punir, de leur point de vue, afin que je ne puisse pas avoir d'enfants. Une femme comme moi ne méritait pas d'être mère... J'avais donné le jour à un petit garçon, mon premier, mais il était mort à l'âge de deux ans... alors leur torture psychologique faisait mouche... Ils me disaient : "tu sais pourquoi ton fils est mort, n'est-ce pas ? Parce que tu t'es engagée dans tout ce truc, sous-entendant que je n'étais pas une bonne mère." "C'est là, dans cette salle de torture que j'ai connu le traitement spécial qu'ils réservaient aux femmes. Toute cette morale ambigüe. Parce que d'un côté, ils disaient que je ne méritais pas d'avoir d'enfants, que j'étais une chienne et qu'ils allaient me stériliser. Mais en même temps, individuellement, chaque fois que l'un d'eux m'avait pour lui tout seul, il essayait de me violer. Il entrait, me mettait la cagoule et un sac en caoutchouc — comme un pneu qui vous étouffe — et je ressentais ces chocs électriques dans mon vagin... "Ils nous disaient que nous étions des traitres à notre féminité, ou ce qu'il considérait pour tel. Comment une femme peut-elle s'engager dans ce genre de choses, demandaient-ils, avec des hommes, en plus ? [Ils nous disaient] que la guerre est une affaire d'hommes ou que se battre contre la guerre était réservé aux hommes... 23 "Ils ne supportent pas de voir une femme qui pense par elle-même, qui veut changer le cours de l'histoire, qui veut changer l'avenir de son pays. C'était leur attitude quand ils me torturaient tous ensemble. Mais quand l'un d'entre eux, n'importe lequel, venait seul, il me disait qu'il voulait que je porte son enfant, "je veux un enfant de toi", qu'il disait, en se moquant de moi. Je devais lutter pour les empêcher de me pénétrer. Et moralement parlant, ils ne l'ont jamais pu... J'étais vaincue physiquement mais pas vaincue moralement, émotionnellement ou idéologiquement. Le seul recours que j'avais était d'attaquer leur morale, parce qu'ils voulaient violer une femme qui avait peur. Mais mes paroles n'étaient pas celles d'une femme qui avait peur." (Extrait du récit de Nora Miselem dans Randall 2003: 28-29) Enseignement des femmes sur les effets psychologiques des conflits Uganda © Jenny Matthews (photo sans date). 24 5. Protéger les droits humains et promouvoir l'égalité des sexes ___________________________________________________________________________________ La violation persistante des droits humains, en particulier ceux des femmes, dans les zones de conflits continue à se produire en dépit de lois et de conventions internationales destinées à empêcher de telles violations. Il nous faut donc établir : 1. Quels cadres sous-tendent les lois, conventions et droits internationaux relatifs aux conflits armés ? Quelle approche ces instruments ont-ils du genre ? 2. Que protègent réellement les lois, conventions et droits internationaux ? 3. Pourquoi ces lois et engagements internationaux sont-ils si faibles en pratique ? La première section de ce chapitre examine les concepts de droits humains et de sécurité humaine, qui forment le socle de nombreux engagements et lois internationaux. 5.1 Droit humains ou sécurité humaine : que privilégier ? Les droits humains Historiquement, les définitions traditionnelles des droits humains, bien qu'apparemment neutres en terme de genre, ont été majoritairement basées sur les expériences des hommes. L'article II de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme de 1948 reconnaît les droits humains comme un idéal de respect universel pour l'humanité, auquel tous les individus peuvent prétendre mais ne fait aucune mention spécifique des femmes. En fait, un tout petit nombre de gouvernements et d'ONG inscrivent l'égalité des femmes comme un droit humain fondamental dans leurs politiques intérieures ou étrangères (Peters and Wolper 1995). Dans les zones de conflit, le refus de reconnaître les droits humains des femmes a renforcé l'oppression et la discrimination. Combiné à d'autres formes de déséquilibre du pouvoir, les conséquences de ce refus sont plus dévastatrices encore. Mettre l'accent sur les droits humains est important mais insuffisant pour répondre aux problèmes relatifs à l'égalité des genres. Les violations qui se produisent à toutes les étapes des conflits armés sont souvent considérées comme de simples conséquences de la guerre et pas nécessairement comme des violations des droits humains, et passent de ce fait fréquemment inaperçues : • Si les conflits armés violent le droit fondamental à la vie et à la sécurité, les femmes connaissent des vulnérabilités et des violences spécifiques de la main de soldats, au nombre desquelles les grossesses forcées, les mutilations sexuelles et l'esclavage sexuel (Anderlini 2001). De la même manière, les hommes peuvent subir des abus sexuels ou des sévices physiques, ou souffrir de traumatismes en voyant ce type d'exactions commises sur des membres de leur famille. Ces types de violations sont perçues comme des affaires "privées" ou des retombées inévitables du conflit, non comme des violations des droits humains. 25 • La violation des droits humains en période de conflit se manifeste également sous la forme d'emprisonnements, de tortures, de disparitions et d'enrôlement forcé mais, là encore, ces actes sont perçus comme des retombées inévitables de la guerre plutôt que comme des violations. Les hommes et les femmes subissent des violations de leurs droits humains distinctes et spécifiques. Les hommes en âge de combattre forment la majorité des pertes combattantes, risquent l'emprisonnement et la conscription forcée. Dans le même temps, les femmes et les enfants des zones de conflit représentent la majorité des victimes civiles et la majorité des personnes déplacées et appauvries (Byrne 1996). • La représentation et la participation politique sont des droits humains fondamentaux. Mais, en période de conflit ou non, les institutions politiques excluent fréquemment les femmes. Les femmes sont sous-représentées dans les organisations nationales et internationales aussi bien pendant qu'à l'issue des conflits (P.N.U.D. 2002). Cette violation des droits humains n'est pas définie comme telle mais plutôt vue comme un reflet des structures de pouvoir normales, "patriarcales", qui sont en place. Elle est donc rarement remise en cause, et d'autant moins en période de conflit armé. En bref, les approches sous l'angle des droits humains continueront à ignorer de graves violations tant qu'elle ne reconnaîtront pas les répercussions sexospécifiques des conflits armés comme une violation des droits fondamentaux et non comme des conséquences inévitables, normales et d'ordre privé des conflits armés. Droits des femmes en Afghanistan Dans l'Afghanistan de l'après-conflit, de l'après-Talibans, redéfinir les droits des femmes comme des droits humains et non comme des problèmes "privés" ou "culturels" est un combat permanent. Le nouveau gouvernement Karzai revendique d'avoir annuler les lois talibanes et dit se prévaloir désormais des lois internationales sur les droits humains. Pourtant, la perspective de voir des évolutions significatives dans les relations de genre après la guerre semble s'éloigner. De nombreuses femmes continuent d'être emprisonnées pour avoir voyagé sans compagnie masculine ou de s'être marié sans permission masculine, comme c'était le cas sous le régime des Talibans. Tandis qu'une campagne d'affiche gouvernementale encourage les parents à mettre leurs filles à l'école, les enseignantes sont menacées de mort et les écoles sont la cible d'attentats. Malgré la pénurie de médecins, Najiba Asseed, une femme qui avait fait le choix de retourner à l'Institut Médical Universitaire de Khaboul dut faire face à une furieuse opposition de son mari et des menaces de mort de la part de son frère. Ayant formulé une demande de divorce auprès du nouveau Ministère des femmes, elle fut encouragée à "quitter l'institut médical pour rentrer chez son mari et faire des enfants" (Garapedian 2002). Sécurité de la personne humaine La sécurité humaine renvoie à la sécurité des individus (des personnes défavorisés, en particulier) face à certaines "menaces chroniques comme la faim, la maladie et la répression . . . [et] certaines ruptures 26 douloureuses dans la configuration de leur vie quotidienne – que ce soit au niveau des foyers, du travail ou de la communauté" (P.N.U.D. 1994: 23). L'approche sous l'angle de la sécurité humaine se fonde sur le précepte que tous les individus "ont des droits humains fondamentaux et doivent avoir la jouissance de ces droits indépendamment de qui ils sont et où ils se trouvent " (ibid). Sous l'angle du genre, le terme implique que l'ensemble des hommes et des femmes ont droit à la sécurité, y compris à la sécurité économique, alimentaire, sanitaire et environnementale (ibid). Les points de vue féministes sur la sécurité humaine établissent un lien supplémentaire entre développement durable, justice sociale et protection des droits humains et des capacités, comme des aspects incontournables de toute discussion sur la sécurité humaine (AWID 2002). Envisager l'étude du genre et des conflits armés sous l'angle de la sécurité humaine est une démarche pertinente en ce qu'elle établit un lien entre égalité des sexes et sécurité individuelle. À la différence de l'approche sous l'angle des droits, mettre l'accent sur la sécurité humaine implique que tout ce qui menace cette sécurité est une violation des droits humains, y compris les violations sexospécifiques longtemps considérées comme des retombées inévitables, normales ou d'ordre privé, de la guerre. Cependant, même avec un cadre orienté sécurité, en pratique, il y aura toujours des résistances à la reconnaissance de ces violations. Une approche sous l'angle de la sécurité humaine est également problématique en ce que les états et les organisations multilatérales peuvent les adapter à leurs objectifs politiques propres (Enloe 1993). Les attaques contre le World Trade Center, le 11 septembre 2001, aux États-Unis, par exemple, ont servi de prétexte à une présentation raciste des musulmans et des personnes originaires du Moyen-orient au nom de la "sécurité intérieure". Les développements actuels de la politique étrangère américaine laissent fortement à penser que l'argument de la sécurité humaine va continuer à justifier de nouvelles guerres comme celle contre l'Afghanistan en 2001 ou l'Iraq en 2003. 5.2 Lois, résolutions et conventions internationales Les droits humains des femmes (et des filles) s'incarnent dans un certain nombre d'instruments internationaux de défense des droits de la personne humaine et de lois humanitaires internationales. Ces instruments condamnent d'une seule voix toutes les formes de violence à l'égard des femmes. Nombre d'entre eux font même spécifiquement référence à l'inclusion d'un "élément de genre" en matière de "paix et de sécurité", notamment la Résolution 1325, la Déclaration de Windhoek et le Plan Namibia (ONU 2000). Ces lois et résolutions insistent pour que ceux qui négocient et font respecter les accords de paix adoptent un point de vue soucieux de l'égalité des genres et s'attachent à rendre effectifs les protections et les droits des femmes et des filles au cours du conflit et dans la période de reconstruction. Les lois et conventions internationales protégeant les droits humains des femmes Nous présentons ici d'importants instruments internationaux de défense des droits humains et lois 27 humanitaires internationales relatives aux droits humains des femmes : • Charte des Nations Unies (1945) • Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) • Convention de Genève sur les droits économiques, sociaux et culturels (1966), Bureau du hautcommissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme (OHCHR) • Déclaration sur la protection des femmes et des enfants en période d’urgence et de conflits armés (1974), Bureau du haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme (OHCHR) • Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) (1979) • Stratégie prospective d’action de Nairobi pour la promotion des femmes (1985) • Déclaration et programme d’action de Vienne (1993) • Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes (1993) • Déclaration et plate-forme de Beijing (1995) • Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), politique pour la protection des réfugiés (1995/révisée en 1997) • Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1999) • Déclaration de Windhoek : Plan d’action de la Namibie sur l’intégration d’une démarche soucieuse d’équité entre les sexes dans les opérations multidimensionnelles de paix (2000) • Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) sur les femmes, la paix et la sécurité (2000) • Résolution du Parlement Européen sur l’intégration de la dimension de genre dans la résolution des conflits et la consolidation de la paix (2000) Qu'est-ce que la Résolution 1325 du conseil de sécurité de l'ONU ? En octobre 2000, le Conseil de sécurité des Nations Unies ouvrit une discussion sur les femmes, la paix et la sécurité, qui se traduisit par l'adoption de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité, le 31 octobre 2000. Entre autres choses, la résolution reconnaît qu'une compréhension des répercussions des conflits armés sur les femmes et les filles et des dispositions institutionnelles effectives pour garantir leur protection et leur participation pleine et entière aux processus de paix peuvent contribuer de manière significative à la paix et à la sécurité internationale. Les Nations Unies appellent toutes les parties impliquées dans les processus de conflit et de paix à adopter une perspective de genre. Cela signifie soutenir les initiatives locales des femmes en faveur de la paix et les processus autochtones de résolution de conflit. Le Groupe de travail sur les femmes, la paix et la sécurité, une organisation nongouvernementale, s'efforce aujourd'hui de garantir la mise en œuvre et d'augmenter la visibilité de la Résolution 1325, ainsi que d'incorporer un plus grand nombre de femmes dans les questions de paix et de sécurité. La résolution complète est disponible dans la "boîte à outils" qui accompagne ce rapport ou en ligne à www.un.org/events/res_1325e.pdf. 28 5.3 D'où proviennent ces difficultés d'application et de mise en œuvre ? Sans aucunement sous-estimer leur importance, ces lois, résolutions, conventions et engagements sont limités dans leur application. Les engagements internationaux sont difficiles à faire respecter en pratique, en raison d'interprétations limitées des droits humains, qui nient l'existence de diverses formes de violations sexospécifiques, comme nous l'avons vu au chapitre précédent. De même, il existe toute une gamme de justifications patriarcales, historiques et culturelles, visant à exclure les questions sexospécifiques dans les approches sous l'angle des droits humains comme de la sécurité humaine. Cette omission se reflète dans le langage des lois internationales, qui placent l'accent sur les femmes et les filles isolément et non sur le genre et les relations de genre. De plus, de nombreux états doivent encore ratifier ces engagements internationaux. Enfin, malgré la disponibilité de cette information, la communication et le partage des informations relatives à ces lois et engagements au sein des organisations et entre les décideurs politiques et les organisations civiles s'avèrent insuffisants. Le traitement du " genre " dans la Résolution 1325 La Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité représente indéniablement une avancée vers l'élargissement des directives générales concernant les droits humains, et en particulier les droits humains des femmes, au niveau international. Malheureusement, la Résolution n'indique guère ce qu'il faut entendre par " perspective de genre " et lorsque le terme " genre " apparaît, il est utilisé comme un terme interchangeable pour désigner " les femmes et les filles ". Elle évacue une grande partie des problèmes sexospécifiques soulevés par le conflit. Ces problèmes réclament de comprendre comment les déséquilibres de pouvoir entre hommes et femmes sont vécus au cours et à l'issue du conflit armé et comment ces inégalités peuvent être éliminées pour améliorer les relations entre les sexes. Même lorsque l'égalité des droits et de la sécurité est reconnue en théorie, l'inégalité demeure en pratique car les hommes et les femmes n'ont pas les mêmes possibilités de revendiquer ces droits, du fait d'un accès différencié aux ressources économiques, politiques et judiciaires. Des lois, résolutions, stratégies et interventions sont nécessaires à tous les niveaux, qui ciblent spécifiquement l'accès différencié aux ressources et aux possibilités d'agir. Mettre en œuvre et institutionnaliser les approches en termes de genre sous l'angle de la sécurité humaine et des droits humains pour les traduire en politiques requiert l'engagement de moyens et l'élaboration de stratégies qui surmontent effectivement les discriminations fondées sur le sexe. La société civile, les organisations de femmes en particulier, peut jouer un rôle en faisant évoluer les consciences et garantir que les gouvernements et les O.N.G. aient à répondre de leurs actes. Améliorer la mise en œuvre : l'audit en terme de genre Une façon dont les femmes se mobilisent pour améliorer l'application de ces textes consiste à mener des "audits" auprès des états et des organisations multi- ou bi- latérales engagées dans les processus de reconstruction de l'après-conflit. International Alert, par exemple, a rassemblé des O.N.G. et des 29 organisations de la société civile pour un "Audit des femmes pour la Paix" permanent. Il s'attache à contrôler et évaluer l'application des engagements nationaux et internationaux envers une gestion sensible à la problématique hommes-femmes des périodes de conflit et de reconstruction. 30 6. Le genre dans les interventions au sein des conflits ___________________________________________________________________________________ Le déséquilibre des pouvoirs entre les sexes est enraciné dans les institutions tant publiques que privées, sans épargner les organisations de développement gouvernementales et nongouvernenmentales qui interviennent pour mettre un terme aux conflits armés et construire la paix (ElBushra 2000a; Kabeer 1994). El-Bushra (2000b: 4) affirme que ces institutions "doivent être remises en cause si l'on veut transformer l'injustice fondée sur le sexe en égalité de traitement, d'opportunités et de droits". Il conviendrait d'incorporer des démarches axées sur la problématique hommes-femmes dans la programmation, la gestion, l'exécution et l'évaluation institutionnelles (P.N.U.D. 2002). Dans certains cas, des organisations comme le fonds de Développement des Nations Unies pour les femmes (UNIFEM), le Ministère du Développement International (DFID) au Royaume-Uni, l'Agence Canadienne pour le Developpement International (ACDI) et l'Organisation pour la Coopération et le Développement Economique/Comité d'Assistance au Développement (OECD/DAC), ont tenté d'intégrer une prise en compte systématique du genre. Cependant, des problèmes bureaucratiques comme le manque de communication entre les responsables politiques et les administrateurs, associés à un manque de financement et de formation, ont entravé ces efforts (El-Bushra 2000a). Une analyse sous l'angle des sexes socialement construits ne doit pas seulement répondre aux besoins immédiats des femmes, tels que l'eau, la nourriture et l'accès aux services de santé, mais s'étendre aux besoins des femmes à plus long terme, y compris l'exigence d'une représentation égale dans les processus décisionnels et les rôles dirigeants. Elle doit également reconnaître dans quelle mesure les évolutions au sein des rôles non-traditionnels affectent la balance des pouvoirs et les relations de genre. Dans la pratique, une analyse sous l'angle du genre des interventions au sein des conflits révèle un manque d'attention chronique envers la problématique hommes-femmes. Indépendamment de l'étape du conflit, les interventions classiques apparaissent focalisées sur le court terme et conçues pour répondre à des besoins et problèmes stéréotypés. Les chapitres suivants de ce rapport traiteront d'interventions qui répondent à un ou plusieurs aspects des étapes du conflit et de la reconstruction : assistance humanitaire ; Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) ; maintien/construction de la paix. 6.1 L'assistance humanitaire L'aide humanitaire consiste en l'approvisionnement d'une vaste gamme de biens et services d'urgence au cours du conflit et à son terme, pendant la période de reconstruction : prêts d'urgence, services médicaux, organisation locale, protection, formation, refuge, habillement, équipement ménager, semences et outils, nourriture. Cette assistance peut aussi s'installer dans le plus long terme, les États, 31 les organisations bi- et multilatérales et les organisations non-gouvernementales fournissant l'expertise technique, formative et professionnelle pour reconstruire les communautés. Pour la communauté européenne (UE), l'assistance humanitaire s'attache à : … prévenir et soulager les souffrances, [et] est accordé aux victimes sans discrimination de race, d'appartenance ethnique, religieuse, de sexe, d'âge, de nationalité ou d'affiliation à un parti politique et ne saurait être guidée par ou soumise à des considérations politiques… Les décisions d'assistances humanitaires doivent être prises impartialement et au regard des seuls intérêts et besoins des victimes … (Règlement 1257/1996 du Conseil de l'Europe, citée par Stevenson and Macrae 2002). L'évaluation " impartiale " des besoins et de l'intérêt des victimes, telle que le souligne la définition, risque néanmoins d'évacuer les problèmes sexospécifiques au moment de sa concrétisation. La discrimination fondée sur le sexe se caractérisant souvent par une répartition inégale des ressources, la façon dont s'effectue la distribution des ressources, en tant qu'aide directe ou d'assistance indirecte peut grandement affecter les relations entre les sexes. Malheureusement, les interventions des groupes humanitaires témoignent souvent d'une absence de sensibilité à la notion de genre. Les groupes marginalisés — sur quelque critère que ce soit : sexe, race, classe, appartenance ethnique, religion, culture, nationalité, sexualité ou filiation politique — peuvent être encore plus défavorisés par des programmes d'aide et d'assistance humanitaire qui adoptent une attitude de " neutralité " supposée. (de Alwis and Hyndman et 2002: 28). Alors même que les relations de genre pourraient être grandement améliorées au travers d'interventions à long terme visant à l'intégration sociale et économique des femmes, l'assistance au développement sur le long terme diminue tandis que le financement d'urgences humanitaires complexes augmente en proportion. En fait, dans les années 1990, l'aide internationale aux régions en guerre a été multipliée par cinq pour atteindre 5 milliards de dollars US tandis que l'aide au développement à long terme connaissait une baisse importante (Boutwell and Klare 2000). Les gouvernements donateurs ont montré une préférence pour le financement d'organisations internationales qui gèrent des crises humanitaires d'urgence, à court terme, et un intérêt diminué en proportion pour les périodes de reconstruction. Autrement dit, il y a encore moins d'argent disponible pour l'assistance à long terme et lorsque des fonds existent, l'égalité des sexes voit sa place considérablement réduite dans les priorités de l'après-guerre. Fournir immédiatement des produits de première nécessité comme la nourriture, un refuge et des activités génératrices de revenus revêt une importance cruciale pour les sociétés déchirées par des conflits, notamment pour les femmes qui se retrouvent souvent avec la responsabilité de faire vivre leur famille. Mais les initiatives qui accordent une importance disproportionnée aux besoins immédiats ou à court terme plutôt qu'au développement à long terme sont impuissantes à réellement transformer les relations entre les sexes et améliorer la vie des femmes. 32 La décision de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) de fournir aux femmes des opportunités de générer un revenu à court terme après un conflit reconnaissait que l'allocation de moyens aux femmes ne garantissait pas à elle seule le succès économique ou l'acceptation sociale (Bouta and Frerks 2002). Les déséquilibres de pouvoir entre les hommes et femmes étant exacerbés au cours et à l'issue des conflits, l'égalité des sexes ne progressera que par le soutien aux femmes, aux hommes et aux communautés en phase d'adaptation au contexte de l'après-guerre. Néanmoins, étant de court terme par nature, l'aide humanitaire est souvent incapable d'apporter ce niveau de soutien. L'aide humanitaire délivrée par les organisations ou les États répugne également souvent à s'attaquer au problème de la violence sexospécifique. En principe, la reconnaissance du viol comme un crime de guerre, en plus de l'importante couverture médiatique du viol en tant qu'arme de guerre en Bosnie et au Rwanda, ont fait entrer la violence sexospécifique dans le domaine public et en ont fait une priorité acceptable de l'intervention humanitaire. En réalité, cependant, rapporter et reconnaître ses crimes peut s'avérer difficile, surtout si l'on considère que dans la majorité des cas, la victime (homme ou femme) connaît son agresseur, ou l'événement violent s'est déroulé dans le cadre domestique. Les organisations internationales témoignent encore d'une certaine réticence à répondre à ces problèmes, les considérant " trop difficiles, trop compliqués et trop privés " (Williams 2002: 99). De la même façon, les agences humanitaires refusent ou sont dans l'incapacité de contrôler l'envolée des taux d'infection par le virus HIV/SIDA dans les situations de conflit, parmi les femmes en particulier (Smith 2002). Même lorsque les O.N.G. sont orientées vers le développement à plus long terme et manifestement dédiées à " l'intégration systématique du genre " et sensibles "à la dimension hommes-femmes ", leur démarche peut être biaisée. Certaines abordent les problèmes sexospécifiques de manière superficielle en animant des ateliers professionnels ad hoc ou en se contentant d'ajouter des points de vue de femmes à une stratégie plus large, qui reste globalement conventionnelle dans son hermétisme au genre (de Alwis and Hyndman 2002). Au Sri Lanka, des O.N.G. délivrant des secours d'urgence ont mis l'accent sur certaines activités génératrices de revenus en direction des femmes comme l'élevage de volaille, le jardinage et la couture, renforçant ainsi les rôles stéréotypés socialement dévolus à leur sexe et pour un bénéfice plus faible encore. À la différence de leurs homologues masculins, les femmes étaient "encouragées à devenir infirmières ou dactylos (rôles d'assistantes) plutôt que médecins ou chefs de service (de Alwis and Hyndman 2002: 12). Former les femmes dans des rôles non-traditionnels ne mènera vers une plus grande égalité des sexes que si les prises de contact et la formation aident les femmes, les hommes et les communautés à accepter les changements intervenus dans la société d'après guerre. Inégalité des sexes dans l'aide humanitaire au Kosovo Oxfam a participé aux actions humanitaires d'urgence au Kosovo en 1999. Oxfam a déployé des efforts considérables pour intégrer systématiquement la prise en compte du genre et incorporer des éléments 33 d'assistance humanitaire " durs " (techniques) et " tendres " (sociaux). Cette détermination a pourtant volé en éclats sous l'œil attentif des médias, à l'heure où d'importantes sommes d'argent étaient transférées à Oxfam, à dépenser rapidement. Au Kosovo, ce revirement a d'abord engendré des inégalités entre les sexes dans le recrutement et le paiement du personnel : de jeunes réfugiés kosovars diplomés, de sexe masculin, qui travaillait avec les ingénieurs de l'eau ont été payés, tandis que de jeunes réfugiées kosovares diplomées, de sexe féminin ne l'étaient pas, une omission qui fut rectifiée un peu plus tard. Néanmoins, la division traditionnelle du travail entre les sexes resta inchangée, des programmes " durs " comme l'ingénierie de l'eau étant presque exclusivement assumés par des hommes tandis que les programmes " tendres " embrassant le genre, l'aide aux invalides, le développement social et la promotion de l'hygiène employaient presque exclusivement des femmes. Les équipes du programme sur l'eau avaient chacune accès à leurs propres véhicules neufs — moyens hautement désirables dans la période de crise — tandis que les équipes chargées du développement social, du genre, de la promotion de l'hygiène et de l'aide aux invalides devaient se partager un unique vieux véhicule en piteux état (Adapté de Williams 2002: 96). Là où la priorité a été donnée aux femmes dans les programmes d'assistance, ceci a, au moins superficiellement et à court terme, relevé leur statut de défavorisées et accru les moyens mis à leur disposition pour faire vivre leurs foyers et leurs communautés. Cependant, sans un examen des structures de pouvoir sexospécifiques, ces programmes risquent d'être dans l'incapacité de combattre l'inégalité des femmes (El-Bushra 2000b). 6.2 Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR) Les programmes de DDR sont destinés à réintégrer les anciens combattants dans le tissu social après un conflit. L'intégration de cadres sensibilisés à la problématique hommes-femmes dans ces programmes est nécessaire dans la reconstruction au terme d'un conflit parce qu'elle encourage la participation égale des femmes et des hommes dans la négociation des processus de résolution de conflit et de construction de la paix, soit en tant qu'anciens combattants, soit en tant que membres d'une famille ou d'une communauté hébergeant d'anciens combattants. L'une des plus importantes fonctions des programmes de DDR est peut-être d'apporter des formations et un soutien aux anciens combattants, pour les aider à comprendre comment leur société a évolué sous l'impact du conflit et comment ils peuvent se réintégrer dans les structures sociales de l'après-guerre. L'ONU reconnaît qu'il est essentiel, pour un développement et une paix durable, de faire en sorte que les anciens combattants, leurs familles et communautés d'accueil, de même que les personnes chargées de les réinsérer aient une certaine compréhension des dimensions de genre des conflits armés et de la reconstruction après la guerre. Ceci est illustré au point treize de la résolution 1325, qui appelle " toutes les personnes impliquées dans la Planification du Désarmement, de la Démobilisation et De la réinsertion à examiner les différents besoins des anciens combattants des deux sexes et à prendre en compte les besoins de ceux qu'ils ont à leur charge " (ONU 2000). 34 Les anciennes combattantes Les femmes combattantes sont souvent plus marginalisées que d'autres groupes de femmes dans les sociétés touchées ou récemment affectées par un conflit du fait de leur engagement direct dans les combats militaires, généralement perçus comme un domaine typiquement masculin. À la différence de leurs homologues masculins, les anciennes combattantes sont souvent exclues de toute participation aux nouvelles structures politiques et ignorées des organisations de vétérans. (Farr 2002). Les femmes combattantes bousculent les rôles socialement dévolus à chaque sexe " Avant que la guerre commence, notre société était très conservatrice et rigide. Les femmes n'avaient pas leur place au milieu des hommes. Elles leur parlaient en baissant la tête. Qui aurait pensé qu'elles prendraient les armes ? Mais au cours des dix dernières années, les choses ont énormément changé. Nous voyons de jeunes femmes sur le champ de bataille qui se battent à égalité avec les hommes... Aujourd'hui, partout dans le monde, des femmes participent à des luttes armées. Pourquoi pas nos femmes ? Au lieu de mourir en hurlant, d'être violées par une armée ennemie, c'est un soulagement d'affronter l'armée avec [votre propre] arme. " " Nos femmes ont prouvé qu'elles pouvaient tout faire... Nos femmes remplissent des tâches de police. Ce n'était pas le cas avant... J'apprécie leurs actes héroïques, leur assurance et les sacrifices qu'elles ont endurés seules pour le pays. Elles ne protègent pas seulement le pays, mais toutes les femmes de ce pays ". (Extraits du récit de Kokila de Jaffna, Sri Lanka, Bennett et al. 1995: 146) Bien que des femmes citent des expériences positives en tant que combattantes et/ou perçoivent le travail d'anciennes combattantes comme un pas en avant, ces évolutions ne sont pas toujours durables du fait d'une gestion des programmes de DDR hermétique aux questions de genre. En l'absence de démarches sensibles à la problématique hommes-femmes, des services de réinsertion seront peut-être mis sur pied pour les hommes mais pas pour les femmes. Réintégration et réinsertion : pour les hommes seulement ? " Je connais des [organisations] qui s'occupent de garçons anciens combattants. Elles les aident à se réinsérer, les envoient à l'école, les aident à devenir ingénieurs, professeurs, ou ce qu'ils ont envie d'être. Elles leur fournissent de la nourriture, des vêtements [et] des services médicaux. Mais je n'ai jamais entendu parler d'un quelconque centre de réinsertion pour les femmes. La plupart des femmes se contentent de dire à leurs amies [qu'elles étaient combattantes]. Il n'y a pratiquement aucune femme qui dit que le gouvernement devrait essayer de les aider. (Extraits du récit d'Agnès au Liberia dans Bennett et al 1995: 37) Dans les rares cas où les femmes ont reçu des bourses de démobilisation égales à celles des hommes, comme en Érythrée, ce fut sans accorder de réelle attention à la complexité des rôles, des priorités et des responsabilités sexospécifiques. 35 Bourses de démobilisation en Érythrée Les anciens combattants des deux sexes ont reçu des allocations de démobilisation sans considération de leurs rôles et obligations sexospécifiques dans l'après-guerre. Les mères isolées avec des enfants, par exemple, ont dépensé ces allocations en nourriture et médicaments pour pourvoir aux besoins immédiats de leur famille. Quant toute la somme fut consommée, ces femmes se retrouvèrent appauvries et vulnérables. Leurs homologues masculins, par contre, investirent l'argent dans l'agriculture et le commerce, ou le placèrent à la banque. Du fait d'un manque généralisé de moyens, couplé à une marginalisation politique persistante, les organisations de femmes comme celles qui travaillaient en Érythrée étaient dans l'incapacité d'offrir un soutien ou des conseils adéquats aux femmes impliquées dans les programmes de DDR (Roche 1999), ou de se mobiliser pour dénoncer cet autisme à l'égard des questions de genre. Transformer les relations de genre dans le contexte de l'après-guerre Les anciens combattants ne sont pas les seuls à requérir soutien et assistance. De nombreuses femmes des communautés d'accueil deviennent chefs de famille en l'absence de soutiens de famille masculins. Les anciens combattants, s'attendant à retrouver leurs rôles de soutien de famille se trouvent confrontés à cette réalité que les femmes se débrouillent toutes seules et cet abandon des rôles masculins et féminins traditionnels n'est pas facilement réversible. Dans le même temps, les femmes qui se sont illustrées dans des rôles non stéréotypés en tant que combattantes, peuvent vouloir conserver la position dominante ou l'indépendance qu'elles ont gagnées durant le conflit, tandis que les hommes s'attendent à ce qu'elles rentrent à la maison et continuent de remplir leurs rôles assignés d'épouse, de nourrice et de mère. Les services de guidance et autres manquent, qui soient capables de prendre en compte ces conséquences sexospécifiques de la guerre sur les anciens combattants et les communautés d'accueil. Il est clairement besoin de programmes de DDR sensibilisés à la problématique hommes-femmes, qui prennent en considération ces rejets des rôles stéréotypés sous l'influence du conflit armé. Sans formation et assistance pour comprendre l'impact des conflits armés sur les rôles sexospécifiques, les relations de genre entre les anciens combattants et leurs familles et communautés d'accueil ne peuvent qu'empirer. Égalité des sexes en matière de DDR - Rwanda La gestion de l'après-guerre au Rwanda est souvent citée comme exemple d'une intégration réussie de la notion de genre. Comme de nombreux autres aspects de la reconstruction au Rwanda, le programme de DDR intégrait un fort élément de genre. Les programmes de DDR eurent lieu dans des camps de démobilisation où résidaient, par exemple, 90 hommes âgés de 19 à 30 ans pour trois mois de formation à la réinsertion. Dans ce cadre, il reçurent une formation axée sur la problématique hommes-femmes pour les informer de changements intervenus dans la société rwandaise, comme l'adoption de nouvelles lois octroyant aux femmes des droits d'héritage et de possession. (UNIFEM 2002). 36 Bien qu'exclues des fonctions dirigeantes, la participation des femmes aux programmes de DDR est importante. Elles ont participé, par exemple, à des programmes en direction d'enfants soldats dans différentes zones de conflit. Les troupes de maintien de la paix de l'ONU en Bosnie ont également travaillé avec des femmes de la région pour récupérer les A.L.P.C. et d'autres armes illégales des mains d'ancien(ne)s combattant(e)s. L'inclusion des hommes et des femmes anciennement marginalisés est fondamentale pour une opération de DDR réussie. Néanmoins, cette inclusion n'a pas été inscrite au rang des priorités dans les politiques, la législation ou les institutions de l'après-guerre, tant au niveau national qu'international. Le défaut de mise en œuvre effective du point 13 de la résolution 1325 s'explique par plusieurs facteurs, dont un manque de moyens, de financement et de formation du personnel. 6.3 Maintien et construction de la paix D'une manière générale, les femmes sont perçues comme manquant d'expertise pour agir dans l'arène publique et exclues, de ce fait, des processus et institutions considérés comme politiques. Cette sousreprésentation touche également les activités de maintien et de construction de la paix que l'on considère majoritairement comme politiques, telles les négociations de paix, la médiation et la diplomatie officielles. Le maintien de la paix renvoie à une présence civile et militaire des Nations unies qui, avec le consentement des parties engagées, contrôle les conflits et leur résolution tout en assurant la délivrance effective de l'aide humanitaire (ONU 1995). La construction de la paix s'attache à bâtir des institutions judiciaires et de défense des droits humains ainsi qu'une gouvernance efficace et des systèmes et processus de débat-résolution (Morris 2000). La construction de la paix est généralement regardée comme le coté " plus tendre ", ou féminin, de la reconstruction après guerre. Lorsque les femmes sont associées à quoi que ce soit dans cette période, c'est généralement aux activités de construction de la paix comme les soins de santé primaire, les services d'orientation et d'éducation ou encore l'aide à la satisfaction des besoins fondamentaux ou à la génération d'un revenu. À l'inverse, le maintien de la paix est fortement masculinisé et militarisé, les hommes ayant pour mission de patrouiller les rues et les frontières, contrôler les débordements et protéger les civils, en premier lieu des femmes et des enfants. Cette interprétation du maintien et de la construction la paix comme des éléments distincts et séparés, où les femmes sont protégées et les hommes protecteurs, ne représente pas la réalité. Les femmes sont également actives dans des fonctions de maintien de la paix dans le domaine militaire et les hommes participent aux activités de construction de la paix. De plus, ces éléments ne sont pas séparés mais se recoupent selon des modes qui engendrent des injustices spécifiques, lesquels reflètent l'inégalité des pouvoirs dans les rapports sociaux de sexes. L'exemple le plus notable s'illustre dans le cas des " 37 pacificateurs " qui abusent de leur pouvoir et se rendent coupable de sévices physiques ou sexuels sur les populations locales, et particulièrement les femmes (Bennett et al. 1995: 8). L'idée que le maintien de la paix et les éléments politisés de la construction de la paix sont des domaines masculin/féminins qui s'excluent mutuellement, freine les efforts de construction de la paix et exacerbe les inégalités dans les relations de genre. Les organisations de femmes en Bosnie-Herzégovine, par exemple, étaient impatientes de travailler avec les forces de stabilisation (SFOR), ou de maintien de la paix. Elles voulaient s'attaquer à un certain nombre de problèmes liés à la reconstruction après la guerre dont : le travail sexuel (dans lequel des personnels de la SFOR était souvent impliqués en tant que clients) ; le trafic des femmes et la santé sexuelle ; et l'assistance aux réfugiés déplacés (Cockburn and Hubic 2002). Une responsable d’une organisation de femmes a déclaré qu'il existait une " sous-évaluation masculine " persistante " des femmes et du féminin ", tandis que la politique, la reconstruction et " le métier de soldat " était considérés comme " un travail d'hommes " (ibid: 110). Cette absence de coopération entre les responsables masculins du maintien de la paix et les constructeurs féminins de la paix reléguaient les questions de genre à un niveau de priorité encore inférieur et réduisait les chances de retombées plus égalitaires à l'issue du conflit. Comme le démontre l'encadré suivant, la coopération entre éléments de gouvernement et organisations de femme peut aider à promouvoir l'égalité des genres dans le cadre d'une paix durable. Il suffit de coopérer Après le génocide au Rwanda, la coopération et la collaboration entre le Ministère du Genre et de Promotion de la Femme (MIGEPROFE) et les organisations de femmes ont permis un travail inédit de défense et de promotion du genre et de ses thématiques. Ces partenariats constructifs ont débouché, entre autres, sur un effort général de prise en compte des problèmes sexospécifiques dans les politiques et les programmes, sur l'incorporation du genre dans les processus de décentralisation, et l'augmentation du nombre de femmes occupant des fonctions publiques. Ils montrent que le travail en coopération établit les bases d'une reconstruction plus durable et plus égalitaire en terme de genre (UNIFEM 2002). 38 7. Intégration du genre et organisation des femmes ___________________________________________________________________________________ 7.1 Qu'est-ce que l'intégration systématique du genre ? Le Conseil Économique et Social des Nations Unies définissait ainsi l'intégration du genre (ECOSOC) en 1997 : "L'intégration des questions de genre consiste à évaluer les implications des femmes et des hommes dans toute action planifiée comprenant la législation, les procédures ou les programmes dans tous les domaines et à tous les niveaux. Cette stratégie permet d'intégrer les préoccupations et les expériences des femmes et des hommes à la conception, à la mise en œuvre, au contrôle et à l'évaluation des procédures et des programmes dans toutes les sphères politiques, économiques et sociétales pour qu'ils en bénéficient de manière égale et que l'inégalité actuelle ne soit pas perpétuée". L'intégration vise donc principalement à obtenir l'égalité des genres (PNUD 2002: 8). Les approches sous l'angle des droits et de la sécurité, abordées en terme de genre, doivent servir de base à l'élargissement des définitions existantes des droits humains. Intégrer systématiquement le genre à ces approches nous permettrait de dépasser les caractérisations passives de "groupes vulnérables" et de "victimes" qui nient cette évidence que les hommes sont aussi des victimes et les femmes des agresseurs tant au cours quà l'issue des conflits armés. Comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, les organisations de femmes ont déjà entamé ce processus en faisant pression sur les corps et gouvernements nationaux et internationaux pour qu'ils reconnaissent les contributions actives des femmes dans les efforts de construction de la paix. 7.2 Comment systématiser la prise en compte du genre dans les interventions au cours et à l'issue des conflits ? La définition de l'intégration du genre de l'ECOSOC est reprise par un certain nombre de guides, manuels et fiches de conseils commandés par diverses ONG internationales et organisations multilatérales comme les Nations Unies, sur tous les aspects des conflits armés, y compris les interventions humanitaires, les programmes de DDR et le maintien de la paix. Ces publications fournissent des listes de pointage, des tableaux et des formulaires qui guident les praticiens dans l'organisation d'interventions soucieuses de la problèmatique hommes-femmes, au cours comme au terme du conflit. Les conseils et les problèmes soulevés sont souvent assez généraux mais ils constituent néanmoins un bon point de départ pour tenter d'institutionnaliser une sensibilité intégrale à la notion de genre. 39 Les interventions doivent prendre en considération le contexte politique, social, économique et culturel. Elles doivent prêter attention à un certain nombre de questions comme : la répartition du pouvoir et des moyens au sein du ménage ; les rôles culturels/religieuxs des femmes et des hommes ; la représentation des femmes au sein des instituions publiques et privées ; l'accès à l'éducation des garçons et des filles ; les modalités d'accès différentes des hommes et des femmes aux possibilités d'insertion économique. L'identification des ressources, infrastructures, organisations locales susceptibles de faciliter l'intervention par une implication directe ou l'apport d'une expertise est également vitale pour le succès de l'intervention. Une mention particulière est fréquemment accordée à la parité des sexes dans les groupes impliqués et à la distribution des pouvoirs entre eux. L'accent est mis sur l'importance d'entretenir, soutenir et consulter l'expertise locale sous la forme d'organisations de femmes comme les conférences de presse, tables rondes et réunions strictement féminines. La formation du personnel à la notion de genre dans l'organisation des programmes est également fondamentale pour garantir que le personnel local et international soit sensibilisé aux problèmes sexospécifiques des périodes de reconstruction — accès à la santé, à la nourriture, à l'eau et d'autres ressources, aux possibilités d'insertion économique jusqu'à l'implication des femmes à des fonctions exécutives dirigeantes. Les programmes doivent renforcer les domaines non-stéréoptypiques de la construction de la paix, comme, par exemple, la formation des femmes à des savoir-faire non traditionnels et l'orientation des hommes sur les problèmes de violence physique et sexuelle Ce résumé n'est en aucun cas exhaustif mais constitue une amorce de réflexion sur la manière dont certains aspects spécifiques des interventions dans les conflits armés peuvent incorporer des approches soucieuses de la problèmatique hommes-femmes. L'histoire se répète On a beaucoup écrit sur l'importance d'inclure les femmes à toutes les étapes de la construction de la paix et sur les problèmes qui ont pu se présenter, du fait précisément de l'exclusion des femmes, comme au Kosovo et en Afghanistan. Pourtant, sur 250 délégués présents aux conférences sur l'avenir constitutionnel de l'Irak après la guerre en Avril 2003, six seulement étaient des femmes. Le Dr. Shatha Beserani, médecin irakienne vivant à Londres et fondatrice de la Campagne des femmes irakiennes pour la paix et la démocratie racontait sur le portail de la BBC News Online que la participation des femmes n'a jamais été élevé au rang de priorité : "Lors des conférences à Londres, nous avons essayé d'aborder cette question mais les hommes ont dit qu'ils voulaient se concentrer sur les grands problèmes. Elle est perçue comme secondaire. Mais si nous ne la posons pas là, ce sera difficile de le faire plus tard". Elisabeth Rehn, une consultante et l'auteure d'un rapport extensif sur les femmes, la guerre et la paix 40 pour les Nations Unions s'est déclarée choquée de l'absence de considération pour les résolutions de l'ONU qui protègent et encouragent le rôle des femmes dans la reconstruction des conflits (adapté de Westcott 2003). Toutefois, une focalisation exclusive sur les femmes, en tant qu'animatrices ou destinataires de programmes ne doit pas être confondue avec "l'intégration systématique" du genre. L'implication des femmes ne peut générer à elle seule la sensibilité au genre. Intégrer le genre ne signifie pas seulement inclure les femmes ! De Alwis et Hyndman (2002: 13) soulignent qu'au Sri Lanka, de nombreuses organisations humanitaires se sont alarmées du manque d'attention portée aux questions relatives au bien-être des femmes. Leurs efforts de sensibilisation ont mené à la nomination de femmes aux fonctions de coordinatrices en charge des problèmes sexospécifiques. Or, contre toute attente, cette initiative s'est traduite par une plus grande insensibilité à la problématique du genre, faute d'une formation pour ces coordinatrices. Une telle formation fut décrétée inutile sur la présomption que les coordinatrices étant des femmes, elles étaient naturellement plus sensibles aux questions de genre. Pour cette même raison, les coordinateurs du genre ne travaillaient qu'avec des groupes de femmes ou sur des projets en direction des femmes. Elles s'occupaient rarement des hommes et n'avaient guère la possibilité d'éveiller les hommes à la nécessité de faire évoluer le rapport inégal des sexes. 7.3 Exemples d'intégration du genre dans les structures de l'après-guerre Parmi les approches conceptuelles existantes, certaines, associées à des directives, résolutions, déclarations et pratiques institutionnelles réalistes ont pu remporté quelques succès dans les situations de reconstruction. C'est le cas notamment du travail de la Division des Questions Sexospécifiques mise en place par les Nations Unies dans le cadre de la reconstruction du Timor oriental. Le relatif succès de ce bureau dans l'intégration du genre tout au long du processus de construction de la paix prouve qu'une réponse adaptée en terme de genre est réalisable en pratique. La Division des questions sexospécifiques dans le Timor Oriental de l'après-guerre La division des questions sexospécifiques au Timor oriental fut instaurée par l'administration provisoire des Nations Unies au Timor oriental (UNTAET). La division mettait principalement l'accent sur l'autonomisation et la sensibilisation au lien entre égalité des sexes et développement durable, ainsi que sur la nécessité de mener des actions positives en faveur de l'égalité des sexes. Le bureau dirigea des ateliers et des séances de formation et établit des réseaux pour intégrer la prise en compte du genre au sein de l'UNTAET et plus largement dans la société timoraise orientale. Les objectifs pour l'intégration du genre et les stratégies de mise en œuvre étaient basées sur les expériences et les priorités rencontrées au contact des femmes et des groupes de femmes locaux (ONU 2002: 81). L'administration du Rwanda après le génocide s'est également révélé un bon exemple concret d'intégration du genre. Des efforts continus ont été déployés pour faire pénétrer le genre dans toutes les 41 politiques et domaines de priorité. De plus, tous les ministères doivent rendre compte du traitement égalitaire des genres dans leurs programmes et de la conception de budgets sensibles à la problématique hommes-femmes. Genre et justice au Rwanda, après le génocide Le gacaca est un système judiciaire communal, traditionnel, qui fut réintroduit pour soulager les tribunaux nationaux. Il nomme 19 juges ou personnes respectées au niveau du village pour juger les affaires. En 2002, plus de 115 000 accusés inculpés de crimes en relation avec le génocide furent transférés au gacaca. Les problèmes de l'égalité des sexes se sont particulièrement illustrés dans le rétablissement de ces tribunaux de village, dominés depuis toujours par les hommes. Si les femmes n'avaient pas le droit de témoigner dans le gacaca traditionnel, elles peuvent désormais y participer à part entière. Elles sont également encouragées à y entrer en tant que juges, avec 27 % des postes de gacaca réservés aux femmes. Grâce à l'aide de la Commission pour l'Unité Nationale et la Réconciliation (CUNR) et le soutien de l'UNIFEM, ces femmes juges ont pu bénéficier d'une formation. Des donateurs bilatéraux comme la Belgique et le Canada soutiennent également des efforts accrus pour impliquer les femmes dans le processus judiciaire du gacaca (UNIFEM 2002). Le partenariat entre les organisations de femme et le gouvernement a créé de fortes attentes quant à ce que les organisations de femmes peuvent faire aboutir collectivement mais cette reconnaissance n'est pas suivie, à ce jour, d'une augmentation du financement ou d'autres moyens. En conséquence, il est de plus en plus difficile pour ces organisations de continuer à avancer au même rythme (ONU 2002). L'expérience rwandaise démontre qu'il conviendrait de consacrer un financement et des moyens supérieurs à la promotion de partenariats avec les organisations de femmes, qui ne pourvoient pas seulement à certains besoins fondamentaux d'une société au sortir d'un conflit mais participent également au développement de structures politiques et judiciaires sensibles à la problématique du genre. Des organisations indépendantes comme Oxfam ont aussi à leur actif quelques expériences réussies d'intégration du genre dans la pratique institutionnelle d'organisations de simples citoyens. Intégrer la prise en compte du genre : les leçons du bureau d'Oxfam en Sierra Leone Un récent compte-rendu des interventions humanitaires à long-terme d'Oxfam, dans le cadre de l'aprèsguerre en Sierra Leone , suggère que l'intégration du genre est un processus long mais continu qui requiert un engagement de l'ensemble des membres de l'organisation. Au terme d'un programme de genre très ambitieux, l'équipe engagée sur le terrain s'est rendu compte qu'il était temps, en fait, de "revenir à des choses plus élémentaires" et de former l'ensemble des personnels à la problématique du genre. L'apport d'une formation de base aux questions sexospécifiques 42 a aidé à forger une compréhension commune de l'importance de faire participer aussi bien les hommes que les femmes. Elle a également mis en lumière l'effet pernicieux des stéréotypes et la valeur du travail d'équipe. Si la compréhension et l'acceptation de ces principes sont encore variables, les intervenants locaux ont généralement constaté des évolutions positives dans les attitudes, les croyances et les pratiques des membres de la communauté. Ainsi, l'implication des femmes dans les évaluations et les consultations locales, en compagnie des hommes ou séparément, semble aujourd'hui aller de soi. On note également un enthousiasme croissant pour les objectifs de l'égalité des sexes au sein des équipes locales. Le programme de la Sierra Leone a identifié quatre moyens fondamentaux d'instaurer l'égalité des genres dans un programme humanitaire : formation à la problématique hommes-femmes, engagement des entités administratives/dirigeantes envers l'égalité des genres, instauration de techniques de recrutement égalitaires intégrant, entre autres, la formation des femmes aux rôles non traditionnels, et développement de la capacité des agences partenaires extérieures à mettre en œuvre et faire respecter les objectifs de l'égalité des genres (adapté de Williams 2003). 7.4 L'organisation des femmes La résolution 1325 avance clairement la nécessité de protéger les droits des femmes et de soutenir le travail des organisations de femmes en faveur de la construction de la paix. En dépit de ces engagements, les modes sexospécifiques dont hommes et femmes, mais particulièrement les femmes, s'engagent activement et sont victimisées dans les conflits armés et les périodes de reconstruction sont ignorés de certaines analyses des conflits et de leurs prolongements, qui restent hermétiques à la notion de genre. Les organisations de femme continuent à dénoncer ces injustices aux niveaux local, national et international. Ces efforts continus ont jeté les bases d'une intégration plus effective du genre dans les institutions qui régissent les périodes de conflits armés et de reconstruction. Reconnaître la relative inégalité dont les femmes sont victimes au cours et à l'issue des conflits armés constitue un pas important en direction de l'intégration du genre. Ce n'est qu'alors que les répercussions sur les femmes et les relations de genre seront replacées dans leur contexte. L'importance de soutenir les efforts d'organisation des femmes est reconnue au point 15 de la résolution 1325, qui reprend officiellement la nécessité de promouvoir l'égalité des sexes en consultant les ONG locales et internationales dans les processus de reconstruction de l'après-guerre (ONU 2000). La poésie comme force de ralliement Dans les périodes de conflit, la poésie n'est pas seulement utilisée comme un moyen d'exprimer le chagrin mais comme une force capable d'entraîner les femmes à résister activement au conflit et à l'oppression. Grâce aux contributions de poètes et de militants en Afghanistan et dans le monde entier, l'Association Révolutionnaire des Femmes d'Afghanistan (RAWA) utilise ce médium pour dire ce qu'est la vie dans un état oppresseur. Les poèmes rassemblés par RAWA reconnaissent l'engagement actif des 43 femmes en tant qu'opposantes à ces violations, et l'inspirent. Un extrait d'un poème de Meena, la fondatrice de RAWA, assassinée par les services secrets afghans en 1987 est reproduit ci-après : Je ne reviendrai jamais Je suis la femme qui s'est éveillée Je me suis levée et me suis changée en tempête balayant les cendres de mes enfants brûlés Je me suis levée des ruisseaux formés par le sang de mon frère La colère de mon peuple m'a donné la force Mes villages ruinés et incendiés m'ont rempli de haine pour l'ennemi. J'ai appris le chant de la liberté dans les derniers soupirs, dans les vagues de sang et dans la victoire Oh compatriote, Oh frère, ne me considère plus comme faible et incapable Je suis de toute force avec toi, sur le chemin de la libération de mon pays Ma voix s'est mêlée à celle de milliers d'autres femmes qui se sont levées Mes poings se serrent avec les poings de milliers de compatriotes Avec toi, j'ai pris le chemin de mon pays, Pour briser toutes ces souffrances et tous ces fers, Oh compatriote, Oh frère, je ne suis plus celle que j'étais Je suis la femme qui s'est éveillée J'ai trouvé mon chemin et je ne reviendrai jamais. (Le poème intégral est disponible à rawa.fancymarketing.net/ill.htm.) Il y a une distinction entre l'engagement réel des femmes dans la construction de la paix et l'intégration des droits des femmes dans le processus de paix. Rien n'empêche, après tout, de faire respecter les lois et conventions internationales qui protègent les femmes contre les violences sexospécifiques et reconnaissent la position désavantagée des femmes au cours et à l'issue d'un conflit armé, sans les engager activement dans le processus politique. Bien qu'importante en soi, une telle reconnaissance refuserait aux femmes la possibilité de travailler aux côtés des hommes dans l'élaboration de processus de résolution de conflit plus équitables. Une paix à long terme qui établisse l'égalité des sexes ne doit pas se contenter de protéger les femmes tout en les excluant mais impliquer activement les femmes dans les structures décisionnelles qui régissent la paix elle-même. Le travail des femmes en faveur de la construction de la paix capitalise surtout dans le domaine des interprétations stéréotypiques des rôles sexospécifiques car, typiquement, ce n'est qu'en tant qu'épouses et mères que les femmes attirent l'attention des soldats et des politiciens. La présence des femmes dans le processus de paix officiel reste marginale et la négociation de relations de pouvoir tenant compte du genre dans le cadre d'un conflit armé demeure un objectif à atteindre. Un message des femmes du Kosovo aux femmes d'Irak Juste après la "fin" du conflit en Iraq, le Réseau des femmes du Kosovo fit circuler par e-mail en avril 2OO3 une lettre intitulée "Une mise en garde des femmes Kosovar aux femmes d'Irak qui sortent de la guerre ". Des extraits sont présentés ci-dessous : "Nous avons une histoire très courte mais très compliquée à raconter aux femmes d'Iraq. Nous avons accueilli avec joie la décision de placer le Kosovo sous administration des Nations Unies. 44 L'ONU était à nos yeux une organisation internationale révérée qui élaborait et diffusait des documents fondamentaux, stipulant les droits des femmes et défendant leur intégration à tous les niveaux de prise de décision. Mais, en rentrant chez nous, nous avons malheureusement été déçues par la mission de l'ONU au Kosovo (MINUK). Nous étions impatientes de travailler avec les organisations internationales pour mettre sur pied des stratégies de réponses efficaces aux besoins urgents des femmes kosovars mais la plupart des agents ne reconnaissaient pas notre existence et refusaient souvent d'écouter ce que nous avions à dire sur certaines décisions qui affectaient nos vie et notre avenir. Une partie du personnel international venait au Kosovo avec l'image d'une société extrêmement patriarcale où aucun mouvement de femmes ne pouvait s'épanouir. Il y avait aussi ceux qui voulaient que nous fassions tout le travail de terrain pour eux, [comme] trouver du personnel et des locaux, organiser des réunions et servir d'interprètes mais qui n'avaient que faire de nous écouter. Ils avaient leurs plans et leurs idées fixes, et des programmes tout faits qu'ils avaient testé dans d'autres pays et ils n'avaient pas l'intention de modifier leurs plans pour répondre à la réalité de nos vies. Au lieu de consacrer tous nos efforts à aider les femmes et leurs familles à reconstruire leurs vies disloquées par la guerre, nous avons dépensé une partie de notre énergie à nous battre pour être entendues et prouver à la MINUK que nous savions ce qui était le mieux pour nous, que les femmes du Kosovo n'étaient pas uniquement des victimes attendant d'être secourues, qu'elles étaient capables de se prendre en charge, comme elles l'ont fait dans le passé, et pouvaient travailler efficacement à la construction de leur propre avenir. Nous n'avons pas baissé les bras. Nous avons rencontré des officiels des Nations Unies, écrit des lettres, nous sommes allées à des réunions pour présenter nos idées, nos savoir-faire et notre expertise. Nous avons discuté avec les donateurs et noué des alliances avec les organisations internationales au Kosovo et ailleurs qui nous considéraient et nous traitaient comme des partenaires dans un effort commun pour faire avancer la cause des femmes dans notre pays. Cette démarche s'inscrit dans un combat à plusieurs niveaux dans lequel des groupes de femmes au Kosovo se sont engagés au cours des quatre dernières années, un combat pour être intégré au processus décisionnel dès le premier jour, un combat pour être mieux organisées et plus efficaces, un combat pour occuper la place qui nous revient dans la construction de nos vies et de l'avenir de notre société. Nous exhortons et encourageons les femmes d'Irak à s'organiser... et prendre part à la reconstruction de leur pays. Le fait que les femmes soutiennent le conflit sur la base de clivages religieux, ethniques et nationalistes pose la question de savoir s'il est possible aux femmes de s'unir autour de problèmes sexospécifiques pour combattre le patriarcat et l'oppression. Les exemples ne manquent pas, cependant, de groupes de femmes ayant réussi à placer les problèmes de genre au-dessus des allégeances politiques et traiter ainsi de manière unitaire les questions relatives aux droits des femmes. 45 Des femmes israéliennes et palestiniennes travaillent ensemble Jerusalem link, un partenariat entre l'organisation israélienne Bat Shalom et le Centre palestinien de Jérusalem pour les femmes montre comment les femmes peuvent jeter un pont entre politique, conflit armé et égalité des genres. Tandis que les deux organisations cherchent d'abord à répondre aux problèmes des femmes de leurs sociétés, Jerusalem Link leur permet de mettre en avant les droits humains des femmes en général, comme un élément important de tout règlement de paix inscrit dans la durée. Établi en 1994, ce projet de partenariat inaugure la première expérience de collaboration aussi étroite entre une organisation palestinienne et israélienne, tant pour la promotion des femmes et des droits humains dans la région que pour le règlement du conflit israélo-palestinien. Les deux organisations mènent de concert des programmes en faveur de la paix, la démocratie, les droits humains et l'accès des femmes aux positions dirigeantes. Leurs actions englobent des campagnes à l'occasion de la journée internationale des femmes, un travail de conscientisation au travers du [Dialogue Médiatique Public des femmes israéliennes et palestiniennes], des animations au sein de la Commission des femmes pour la paix, et des démarches auprès des organisations internationales et des gouvernements nationaux visant à promouvoir l'inclusion des femmes dans les processus décisionnels. Se rendre à www.batshalom.org /2002/the%20jerusalem%20link.htm pour de plus amples renseignements. On ne soulignera jamais assez l'importance de reconnaître, encourager, soutenir et renforcer les capacités des femmes dans les situations de conflit et d'après-conflit. Comme l'illustre l'encadré cidessous, les femmes se mobilisent et prennent l'initiative dans les périodes de conflit armé dans le simple but de survivre et/ou défendre leurs droits. À mesure qu'elles évoluent vers des rôles nonstéréotypés avec le soutien de la famille et de la communauté, elles déblaient le socle de la protection des droits humains des femmes et jettent les bases d'une évolution à plus long-terme vers des relations de genre plus égalitaires. Répondre aux besoins multi-aspectuels des femmes : l'expérience libérienne ‘La Commission nationale des femmes du Libéria (NAWOCOL), une ONG composée de 78 groupes de femmes a été fondée dans la période de l'après-guerre pour répondre aux besoins multiples des femmes. Elle a encouragé les groupes de travail qui existaient au niveau local à se rassembler autour d'activités génératrices de revenus – du maraîchage à l'entraide. Des progrès ont été faits dans l'éducation des femmes au sujet de leurs droits, la provision de formations à des activités génératrices de revenu et au niveau des initiatives visant à permettre aux femmes à dépasser et s'éloigner des rôles stéréotypés. Même si l'on peut se montrer optimiste, les femmes requièrent le soutien du gouvernement ; or, certains hommes continuent d'afficher leur scepticisme. D'une manière générale, ce travail a incontestablement pavé la voie à la reconstruction d'une société libérienne plus soucieuse de l'égalité des genres. 46 Nous reproduisons ci-dessous un extrait du témoignage de Rose, ancienne Secrétaire-générale de la Commission à Monrovia, traitant des multiples programmes en place pour aider les femmes dans la période d'après-guerre (tiré de Bennett et al. 1995: 41-5) : "L'idée du programme "femmes et filles abusées sexuellement" (AWAG) est née immédiatement après le cessez-le-feu en 1990. Un groupe de femmes dont moi-même assistait à un atelier organisé par Save the Children, au Royaume-Uni … Nous avons discuté de l'expérience ougandaise où des femmes ont été violées et molestées... Nous étions émues car nous savions que ces choses s'étaient produites [au Libéria]... Nous avons décidé de former une association appelée l'Association pour les Femmes en Crise. Elle travaille à la réhabilitation des femmes victimisées, des femmes et des filles qui ont subi des sévices sexuels, par l'accompagnement psychologique [et] la thérapie de groupe." "Nous des cours d'éducation sanitaire, des discussions sur le planning familial, la nutrition, l'hygiène, l'asepsie et des choses générales. À côté de ça, nous avons de la prévention et de l'orientation sur le Sida... Nous sommes mieux sensibilisées au virus HIV/SIDA mais nous manquons de films et [d'autres] matériels éducatifs. "Les conseillers SIDA ont des réunions avec les groupes de femmes, dans les écoles, les églises. En un mois, ils voient environ 2000 ou 3000 personnes, diffusent des plaquettes [d'information] et des préservatifs. Nous parlons aussi des soins [à apporter] à une victime et des effets psychologiques sur la famille d'une victime. Nous balayons tous les mythes qui courent sur le Sida. "Des femmes ont pris les armes et ont disparu... Nous essayons de monter un programme pour identifier ces filles, [les aider à retrouver] leur capacité productive [et] les réinsérer par le biais de l'orientation et de la formation. "Les femmes deviennent indépendantes des hommes. Nous aimons les hommes — ils sont nos maris, nos frères, nos pères, nos oncles — mais nous n'attendons plus, comme avant, qu'ils soient les seuls pourvoyeurs. Des hommes en sont venu à apprécier ce rôle et en parlent avec admiration. Ils en ont peur [également] mais ils sont prêts à faire un bout de chemin supplémentaire avec les femmes. Il est désormais courant d'entendre un homme dire : "nous aimerions avoir une femme pour président". Quel chemin les femmes ont parcouru ! Au Libéria, les femmes ont fait leurs preuves. Mais quelque part, la répression est là. Elle est camouflée. On ne le voit pas, mais elle est là. "Dans les camps de réfugiés hors des frontières du Libéria, les femmes apprennent la maçonnerie, la charpenterie et à construire leurs propres maisons. Cela aurait été impossible auparavant... "Tout n'est pas rose, car notre gouvernement doit nous soutenir et nous devons avoir un pays unifié. Aujourd'hui, le gouvernement reconnaît qu'il doit inscrire les questions de genre à son programme." 47 Les femmes ne sont pas seulement actives au niveau local ou communautaire, mais aussi aux niveaux national et international. En Afrique, par exemple, des groupes de femmes ont formé le Comité africain des femmes sur la paix et le développement (AWCPD), aujourdh'ui intégré dans l'Union Africaine (ancienne Organisation de l'Unité Africaine, OUA). Son mandat est d'élargir l'action gouvernementale en faveur de la paix et d'y intégrer des problèmes comme la réforme agraire, la justice économique et sociale et la participation égale des femmes dans les processus politiques en général. L'inclusion du viol et des violences sexospécifiques comme crimes de guerre et crimes contre l'humanité dans les règlements et statuts qui régissent la CPI est à mettre à l'actif de groupes de femmes internationaux sous la direction du Women's Caucus for Gender Justice [Comité des femmes pour une Justice basée sur le genre], basé à New-York. De la sphère locale à la sphère internationale, l'activisme des femmes pose les bases de l'intégration du genre dans tous les aspects des conflits armés et de la reconstruction après-guerre. 48 8. Conclusions et recommandations ___________________________________________________________________________________ Notre objectif premier, en élargissant notre compréhension des relations entre genre et conflit armé, est de reconnaître et de traiter des formes de désavantages fondés sur le sexe qui restent ignorées des représentations conventionnelles, hermétiques à la notion de genre, des conflits armés et de ses prolongements. Comme le démontre ce rapport, les diverses expériences et besoins des femmes, qui s'incarnent invariablement dans des rôles à la fois traditionnels et non traditionnels, n'ont généralement pas été reconnus. De la même façon, les désavantages spécifiques rencontrés par les hommes sont souvent mal interprétés. Dans le cas des violences sexospécifiques, par exemple, les victimes de sexe féminin sont rejetées par leur famille et leur communauté tandis que les victimes masculines ne peuvent accéder aux services de soutien psychologique ou autres. Le refus de reconnaître ces désavantages ainsi que d'autres traumatismes entrave notre intelligence des relations de genre, nous empêchant de voir de quelles manières nous pourrions promouvoir l'égalité des sexes et contribuer ainsi à l'établissement de sociétés de paix durables à l'issue des conflits. Une paix réelle ne signifie pas seulement l'arrêt du conflit armé mais plutôt l'instauration d'institutions sociales inclusives et durables. Les conventions destinées à protéger les droits humains de groupes marginalisés, au cours et au terme des conflits, existent bel et bien. Néanmoins, les répercussions négatives de la guerre, comme les déplacements forcés et les violences sexospécifiques continuent à détruire les familles et les communautés. Les interventions comme l'aide humanitaire, les programmes de DDR et de maintien de la paix visent à soulager les souffrances et accompagner le processus de reconstruction, mais administrés sans une certaine prise en compte du genre, ils risquent en fait d'exacerber les inégalités. Le bouleversement social qu'engendre un conflit ouvre une porte à la redéfinition des relations de genre. Sans l'apport de financement, soutien et moyens appropriés, dédiés à la promotion de l'égalité des sexes dans tous les aspects de la reconstruction, les anciennes pratiques et institutions patriarcales, discriminatoires et oppressives risquent néanmoins de se rétablir au lieu de se transformer, à l'issue du conflit. 8.1 Recommandations Les problèmes soulevés dans ce rapport peuvent trouver leur réponse dans les recommandations détaillées suivantes : Des informations fiables, plus contextuelles, sont nécessaires pour comprendre les divers rôles et besoins des hommes et des femmes au cours et dans le prolongement des conflits armés. De 49 telles informations doivent être basées sur ce qu'ils et elles font et non sur des interprétations stéréotypées des rôles et des relations sexospécifiques, qui se targuent de savoir ce qu'ils et elles devraient faire : • La perception de ce qui constitue les rôles sexospécifiques traditionnels et non-traditionnels peut varier légèrement en fonction des contextes culturels, économiques, politiques, religieux et sociaux. Les chercheurs et les praticiens engagés dans l'étude d'un conflit et/ou dans un programme doivent prendre en compte la manière dont les interprétations stéréotypées du genre dans ces différents contextes confirment ou infirment notre perception des divers rôles et besoins des hommes et des femmes dans le déroulement du conflit et la période de reconstruction. • Les institutions internationales, les états et les ONG doivent cesser de considérer uniquement les femmes comme des victimes et les hommes des fauteurs de violence. Il conviendrait plutôt de mettre l'accent sur les déséquilibres de pouvoir tels qu'ils se reflètent dans les rôles sexospécifiques des hommes et des femmes au cours et à l'issue des conflits. Les répercussions de ces déséquilibres sur les relations entre les sexes pourraient alors être évaluées. • Il conviendrait d'axer les recherches sur les diverses façons dont les conflits armés et leurs répercussions, comme les déplacements forcés, altèrent les relations entre les sexes au sein de la famille et de la communauté. Des services de prise de contact et d'orientation doivent être développés pour répondre aux besoins distincts des hommes et des femmes affectés par les répercussions négatives d'un conflit armé. Ceci est particulièrement important si nous voulons répondre aux besoins sexospécifiques, souvent méprisés, des femmes et des hommes victimes de violences liées à leur sexe ou d'autres traumatismes. • Les chercheurs et les praticiens doivent se montrer plus attentifs à la façon dont la notion de masculinité limite notre compréhension des divers rôles et besoins des hommes, et dont elle affecte les femmes et les relations de genre. Une meilleure conscience de cette diversité masculine contribuera à l'instauration d'interventions sensibles à la problématique hommes-femmes à l'issue des conflits. Répondre à la montée en flèche de tous les types de violences sexospécifiques, sexuelles et physiques, au cours et à l'issue des conflits armés : • Des fonds supplémentaires devraient être débloqués pour étudier et documenter l'impact de toutes les formes de violence sexospécifique — y compris l'emprisonnement, la torture, le viol, l'esclavage sexuel et le travail sexuel imposé — sur les femmes, les hommes et les relations entre les sexes. • L'augmentation du financement et d'autres moyens indispensables devrait être consacrée à la recherche et la promotion de services pour une prise de contact effective, qui répondent aux besoins des victimes de violences sexospécifiques, incluant un accès local et spécialisé aux soins, une orientation, une prise en charge, et un soutien continus. Ceci est particulièrement important pour les femmes, dans la mesure où les problèmes gynécologiques et de santé génésique spécifiques des femmes, liés aux grossesses forcées et au travail sexuel sont systématiquement ignorés. Les financements devraient être dirigés vers des organisations capables d'éduquer aux conséquences des violences sexospécifiques ou autres. 50 • Des moyens et un financement accrus doivent également être consacrés aux besoins des hommes qui divergent des rôles stéréotypés, socialement dévolus à leur sexe, en particulier lorsqu'ils sont victimes de violences, ou y résistent. Ceci peut être réalisé en intégrant les services de prise de contact en direction des hommes aux structures sanitaires et de soutien existantes, ou par la création de nouveaux services consacrés aux violences sexospécifiques à l'égard des hommes. L'amélioration de la mise en œuvre et du respect effectif des lois et engagements internationaux mettra les institutions qui régissent les conflits armés et les périodes de reconstruction en meilleure position de répondre aux besoins sexospécifiques : • Les institutions internationales et les gouvernements doivent reconnaître les répercussions des conflits armés comme les déplacements forcés, l'appauvrissement et les violences liées au sexe de la victime comme des violations des droits humains et non comme des problèmes privés ou culturels ou de simples retombées inévitables de la guerre. • Les institutions internationales et les gouvernements doivent également reconnaître, mettre en œuvre et faire respecter les lois et les engagements qui établissent les questions sexospécifiques comme des problèmes importants, légitimes, et améliorer la protection des femmes et des filles, lesquelles connaissent souvent des désavantages importants. La reconnaissance, la ratification et la mise en œuvre effective de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies constituerait un important pas en avant. • Tous les types de violence sexospécifique devraient être criminalisés et tous les états doivent impérativement ratifier les nouveaux statuts de la CPI, qui établit expressément les violences liées au sexe de la victime et le viol comme des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. • La mise en œuvre et le respect des engagements internationaux tels que le Résolution 1325 garantiraient également la présence de militantes sensibilisées à la problématique hommes-femmes aux négociations de paix. Des mécanismes tels que des sélections entièrement féminines ou l'attribution de sièges réservés aux postulantes représenteraient des pas significatifs vers la promotion de l'égalité des sexes. Toutes les interventions visant à alléger les souffrances et "normaliser" la vie après un conflit doivent prendre en compte les problèmes sexospécifiques : • Les agences doivent tenter de fournir une assistance humanitaire sur le long terme, incluant des formations à des rôles non-traditionnels en direction des femmes. Des formations doivent être délivrées en lien avec un travail de prise de contact et de soutien pour aider les familles et les communautés à s'adapter à des rôles sexospécifiques et des relations entre les sexes mouvants. À défaut de telles mesures, les gains en matière d'égalité des sexes ont peut de chances d'être durables sur le long terme. • Il conviendrait d'encourager les programmes de DDR soucieux de la problématique hommesfemmes par l'octroi de fonds supérieurs aux organisations qui fournissent des formations et un soutien sexospécifiques visant à permettre aux anciens combattants et à leurs familles de se réinsérer dans la société d'après guerre. Ces services devraient reconnaître les évolutions qui se 51 produisent dans les relations entre les sexes au cours du conflit, où hommes et femmes assument de nouveaux rôles. • Des chercheurs sont nécessaires pour recenser les expériences et attitudes des anciens combattants des deux sexes et de leurs familles/communautés d'accueil. Cela aidera à déterminer les meilleurs moyens de répondre aux différents besoins des anciens combattants et de leurs familles, et l'impact de leur retour sur les relations entre les sexes. • Les forces chargées du maintien de la paix doivent recevoir une formation à la problématique hommes-femmes spécifiquement adaptée à leur fonction, afin de promouvoir des relations plus saines et plus confiantes avec les communautés locales. De meilleurs mécanismes de rapport et de contrôle doivent également exister pour répondre aussi bien à la menace qu'à la survenance effective de violences physiques et sexuelles, perpétrées par des membres de missions chargées du maintien de la paix et de la protection des zones récemment affectées par un conflit. • Tous les personnels et bénévoles déployés dans les interventions au cours ou au terme d'un conflit doivent être formés à la compréhension et à la gestion des implications sexospécifiques de la reconstruction, compte tenu des contextes économique, politique, culturel, religieux et social dans lesquels ils opèrent. Il convient de mettre l'accent sur les préoccupations et priorités exprimées par les populations locales, et en particulier les femmes : • Intégrer la problèmatique hommes-femmes passe par l'implication d'organisations locales et l'utilisation d'infrastuctures locales pour garantir que les solutions apportées correspondent au contexte social de l'après-guerre. Les états et les organisations comme les nations unies doivent souligner le rôle joué par les organisations de femmes et l'importance d'inclure les voix féminines locales dans la formation concrète des structures politiques et judiciaires. • Les organisations de la société civile, de femmes en particulier, ont besoin d'un financement et de moyens accrus. Partout dans le monde, des organisations de femme militant dans des zones de conflit s'engagent dans une vaste gamme d'activités allant de la satisfaction des besoins de base des communautés locales aux campagnes visant à faire évoluer les structures politiques et judiciaires qui discriminent les genres. Les institutions internationales et les états engagés dans la reconstruction à l'issue d'un conflit peuvent soutenir, promouvoir et renforcer le rôle des organisations de femmes en les invitant aux conférences de paix et leur attribuant des moyens et des fonds supplémentaires. • Les organisations de femmes ont également besoin de moyens de capacitation en vue de former et préparer les femmes à participer aux prises de décision des négociations de paix officielles. Il est important de reconnaître que les organisations locales de femmes ont des informations relatives aux contextes économique, social, politique, culturel et religieux qui sous-tendent l'inégalité de genre dans une région ou une communauté donnée. Il conviendrait donc également de les impliquer à des postes décisionnels dans la conception, la planification, la mise en œuvre et l'évaluation de la reconstruction après-guerre. Les délégations et les bailleurs de fonds internationaux doivent garantir la participation des organisations de femmes aux processus de paix. 52 • Une formation systématique et contextuelle à la sensibilisation au genre doit être fournie aux personnels d'ONG et du maintien de la paix désireux d'engager les populations locales, en particulier les hommes et les femmes, plus efficacement dans les processus de reconstruction. • Lorsque des femmes sont recrutées, il faut garder à l'esprit qu'une participation féminine ne garantit pas à elle seule la prise en compte des problèmes sexospécifiques, ni l'avènement certain de l'égalité. Les femmes ne sont pas automatiquement conscientes des problèmes de genre ; en conséquence, chaque recrue, quel que soit son sexe, doit recevoir une formation pour apprendre à identifier et traiter les problèmes sexospécifiques. Grâce à la mobilisation et la coopération de tous les acteurs concernés par les conflits armés et la reconstruction, nous avons une meilleure chance de répondre aux déséquilibres de pouvoir, responsables de relations inégales entre les sexes, et d'établir une paix réellement durable. 53 Références Adams, M. and Bradbury, M., 1995, 'Conflict and Development: Organisational Adaptation in Conflict situations', Oxfam Discussion Paper No 4, Oxford: Oxfam Anderlini, S. N., 2001, Women, Peace and Security: A Policy Audit. 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