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| PORTRAIT # 2 • Automne 2014
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BONNIE
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Si j’étais ce que vous croyez, votre vie n’aurait aucune saveur. Votre méprise sur
moi est divine et vous êtes, sans le savoir, à ma merci. Je n’obéis à aucune loi. Je suis
la seule personne au monde, du vivant et du non vivant, dont chaque intervention est
imprévisible. Aucune théorie physique, chimique, atomique, amoureuse ne s’applique
à ce que je suis. Pourtant, c’est parce que je me suis caché à l’angle de cette rue tranquille que le petit garçon a été renversé par la voiture. C’est parce que je traînais
à la terrasse du café ce jour-là que tu as rencontré cette fille qui t’a pourri la vie si
longtemps. C’est parce que je me suis planqué au PMU que Madame Machin a gagné
au loto.Je suis présent quand je devrais être absent, absent quand on m’attend, je fais
les bonnes et les mauvaises surprises.
Mais, laissez-moi me présenter, qu’on se comprenne. Mon corps est translucide et
mou, hérissé d’une multitude d’organes armés de ventouses très légèrement colorées
dans les creux. J’ai la particularité de pouvoir être partout à la fois. Mon existence est
virale, aléatoire, imprévisible bien sûr. L’être humain ne me voit pas, ne décèle pas ma
présence mais parle de moi à longueur de journée. Je suis responsable aussi bien du
grand chaos que des plus grandes joies. Les mathématiciens se sont penchés sur mon
cas espérant pouvoir me mesurer avec leurs instruments, leurs chiffres, leurs probabilités. Ils m’amusent. L’humain sait beaucoup de choses, il aime le contrôle, il imagine
un monde organisé, mesurable. Il a inventé des proverbes magnifiques : “Jamais deux
sans trois”, “Advienne que pourra”, “Si Dieu le veut”…
Je suis un virus. Je vis à ses dépens, j’habite son corps et son environnement.
Certains humains ont des milliers de moi sur les mains. Il n’est pas aisé pour
quelqu’un qui ne possède qu’un seul “moi” d’imaginer une multitude de personnalités, d’événements, tout à la fois. Non, pas aisé. Impossible. Une matrice implantée
dans une infinité de corps translucides, eux-mêmes armés chacun de milliards de
ventouses agissant selon des repères de chaleur, de magnétisme, de couleur, chacun
possédant la matrice, mais d’une façon indépendante. J’agis. Je pense que c’est ça que
l’humanité ne saisira jamais. Je suis, j’existe, je prends des décisions.
| S i j ’é t a i s • p a r J u l i e B o n n i e
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