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d o s s i e r t h é m a t i q u e Coordinateurs : M.C. Béné, G. Cartron Biologie des maladies : à propos de l’aplasie médullaire Résumé de l’E.D. Thomas Lecture, awarded to Dr N.S. Young, ASH 2008 Biology of diseases: about aplastic anemia M.C. Béné* RÉSUMÉ ♦ L’histoire du traitement des aplasies médullaires pose d’elle-même la question de savoir si c’est la greffe de moelle ou l’immunosuppression associée qui permet l’amélioration des patients. Sur cette base historique et observationnelle, Neal Young a déroulé et discuté les hypothèses physiopathologiques et thérapeutiques associées à cette maladie rare mais riche d’enseignements. Summary. The historical perspective of aplastic anemia therapy raises the question of the true root of efficient stem cell transplantation: reconstitution of hematopoiesis or the associated immunosuppression? On the basis of these early observations, Neal Young pondered and discussed pathophysiological and therapeutic hypotheses associated to this rare but teaching disease. Mots-clés : Aplasie médullaire – Infections – Auto-immunité – Télomères. Keywords: Aplastic anemia – Infections – Auto-immunity – Telomeres. L * Laboratoire d’immunologie, faculté de médecine et CHU de Nancy. e médecin éponyme de cette session plénière, Edward Donnall Thomas, l’un des pionniers de la greffe de moelle osseuse, a été corécipiendaire, avec Joseph Edward Murray, du prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1990. Il était tout à fait judicieux, dans le cadre du thème choisi, que N.S. Young entame sa conférence en rendant hommage à ce médecin texan. En effet, dès 1964 il avait rapporté le traitement d’un patient souffrant d’aplasie médullaire par greffe de moelle osseuse prélevée chez son jumeau, après déplétion du receveur grâce à un traitement sublétal par Thiotépa® (1). La question que nous pouvons poser rétrospectivement est de savoir comment cette intervention a permis une guérison du malade : par la greffe ou par l’immunosuppression du conditionnement ? Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 1 - janvier-février-mars 2009 L’APLASIE MÉDULLAIRE L’aplasie médullaire (aplastic anemia pour les Anglo-Saxons) a été décrite pour la première fois par Paul Ehrlich en 1888 (2) lors de l’autopsie d’une femme enceinte décédée des suites d’hémorragies et d’infections, dans un tableau d’anémie. L’examen de son sang et de sa moelle, avec les techniques de coloration cellulaire qu’il avait développées, devait conduire P. Ehrlich, devant l’absence de cellules nucléées et l’aspect graisseux de la moelle fémorale, à conclure à “un dysfonctionnement de la moelle osseuse”. Les patients atteints de cette maladie rare, le plus souvent jeunes, décédaient dans les 2 ans en l’absence traitement. L’étiologie de la maladie reste obscure. Une source très étudiée a été l’exposition aux solvants, notamment bien 27 d o s s i e r t h é m a t i q u e Coordinateurs : M.C. Béné, G. Cartron Biologie des maladies : à propos de l’aplasie médullaire documentée pour les utilisateurs de benzène. Une origine iatrogène est également rapportée dans certains cas (3). Une étiologie infectieuse est fortement suspectée, en particulier dans les pays en voie de développement. La grande prévalence des insuffisances médullaires en Orient a ainsi conduit à la mise en place de vastes études épidémiologiques (4). Le chloramphénicol et le benzène ont été incriminés, mais il s’est également avéré que la majorité des patients buvaient l’eau des sources ou des réseaux urbains et non de l’eau minérale embouteillée, suggérant plutôt ainsi une piste infectieuse. Par ailleurs, ces régions sont endémiques pour des syndromes hépatiques séronégatifs pour tous les virus connus, souvent associés à une insuffisance médullaire. Ces études ont donc pour objectif de trouver un agent étiologique, possiblement viral mais non encore identifié. Une autre approche est de considérer une origine immunologique dans laquelle une réponse immunitaire, initiée par un antigène quelconque, pourrait se retourner vers une destruction des cellules souches hématopoïétiques. Cette hypothèse est confortée par le fait qu’une aplasie médullaire est observée dans de nombreuses autres pathologies, souvent à composante immunologique (3). LA PISTE IMMUNOLOGIQUE Un mécanisme immunologique a ainsi été fortement suggéré par l’observation clinique de patients aplasiques traités par greffe de moelle osseuse qui, bien que ne développant pas de chimérisme, retrouvaient une hématopoïèse “spontanée”. Il fallait en conclure que le traitement immunosuppresseur accompagnant la procédure de greffe de cellules souches était la clé de cette “guérison” et ce type d’observation a effectivement conduit à modifier la prise en charge de l’insuffisance médullaire en utilisant des immunosuppresseurs (3). Ce type de reconstitution a aussi été décrit dans des cas d’aplasie médullaire posthépatitique, après traitement par immunosuppresseurs (sérum antilymphocytaire [SAL] ou cyclosporine) [5]. Sur le plan thérapeutique, P. Scheinberg et al. (6) ont rapporté que l’hémogramme initial permet de prédire la réponse aux immunosuppresseurs, notamment au SAL, et aux anticorps monoclonaux, en particulier l’alemtuzumab. En fait les échecs de ces traitements immunosuppresseurs sont observés dans les aplasies liées 28 à une déplétion des cellules souches d’origine non immunologique. La moelle osseuse des sujets aplasiques est essentiellement constituée d’adipocytes, et les seuls éléments CD34+ observés sont les cellules endothéliales des vaisseaux sanguins. Sur le plan fonctionnel, cette diminution drastique des cellules souches se traduit par une diminution d’environ deux logarithmes des cellules hématopoïétiques. Cela indique qu’un phénomène délétère pour les cellules souches hématopoïétiques se déroule dans la moelle osseuse de ces patients. Dans l’hypothèse d’un mécanisme immunologique, une destruction auto-immune semble plausible. Une étude en micro-array des cellules hématopoïétiques immatures CD34+ résiduelles de patients en insuffisance médullaire par rapport à leur contrepartie CD34+ médullaires de sujets sains a conforté cette hypothèse (7). En effet, ces cellules CD34+ présentent de nombreuses anomalies, en particulier la surexpression de gènes impliqués dans le fonctionnement du système immunitaire ou le contrôle de l’apoptose. De plus, des cellules CD34+ normales incubées in vitro avec de l’interféron-gamma développent les mêmes dérégulations (7), ce qui suggère une production anormalement élevée de cette cytokine chez les patients, compatible avec une activation de l’immunité cellulaire. Les lymphocytes périphériques et médullaires des patients atteints d’aplasie médullaire sont effectivement riches en lymphocytes cytotoxiques activés, oligoclonaux, producteurs d’interférongamma (8). Ces clones dominants disparaissent sous l’effet de l’immunosuppression, favorisant le retour d’une lymphopoïèse polyclonale normale. Si le clone cytotoxique réémerge et retrouve sa dominance ou son état d’activation intrinsèque, la maladie peut cependant rechuter et la présence de ce clone peut de nouveau être démontrée. De nombreux travaux ont confirmé l’implication du système immunitaire dans l’insuffisance médullaire, avec notamment l’intervention de cytokines comme le TNF-alpha et l’interféron-gamma (3). Par ailleurs, une activation de T-bet, un facteur de transcription associé à l’orientation des réponses immunitaires vers un profil de sécrétion cytokinique Th1, a été mise en évidence chez les patients atteints d’aplasie médullaire (9). Cela suggère une amplification des réponses immunitaires cellulaires, notamment auto-immunes cytotoxiques, comme on en observe dans d’autres maladies auto-immunes telles que le diabète de type I. Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 1 - janvier-février-mars 2009 d o s s i e r t h é m a t i q u e Coordinateurs : M.C. Béné, G. Cartron Un des antigènes cibles pouvant intervenir chez l’homme est WT1, en particulier lors de sa surexpression dans les cas de trisomies 8, un effet bystander pouvant persister pour détruire les cellules à WT1 muté. Dans les monosomies 7 traitées longtemps par facteurs de croissance, aucun élément immunologique n’a été rapporté, mais il pourrait se développer une expression anormale du récepteur au G-CSF. Des modèles murins ont permis de conforter la piste immunologique de façon encore plus probante. Il est en effet possible d’induire l’apparition d’une aplasie médullaire dans un modèle de réaction du greffon contre l’hôte. Le transfert de lymphocytes ganglionnaires (pas des cellules souches) de ces premières souris induit chez les animaux receveurs une aplasie caractérisée par une moelle osseuse désertique, grasse et contenant des lymphocytes T cytotoxiques (10). Ces lymphocytes tuent plutôt par la voie Fas-Fas ligand que par la voie des granzymes, pour induire l’apoptose des cellules cibles. Cette maladie peut en revanche être modulée par l’administration de lymphocytes T-régulateurs (T-regs), ce qui renforce encore l’hypothèse immunitaire (11). De façon très intéressante, une récente étude suggère le rôle des T-regs en association avec l’immunosuppression chez l’homme. En effet, les SAL peuvent être produits chez le cheval ou le lapin en immunisant les animaux avec des lymphocytes humains périphériques ou thymocytaires. Or, les SAL de lapin, et eux seuls, semblent capables d’induire la génération de T-regs in vitro, associée à l’uprégulation démontrée en micro-array de plus de 100 gènes (12). UN NOUVEAU MAILLON DANS LA CHAÎNE : LES TÉLOMÈRES Les télomères sont étymologiquement (telos :queue, meros :partie) des “extrémités terminales” et, en génétique, ce terme désigne effectivement les deux extrémités des chromosomes. Dans ces régions se trouvent des séquences répétitives d’ADN non codant qui ne sont pas copiées par les ADN polymérases. Ces régions télomériques, ou “télomères”, ont pour objectif de protéger le patrimoine génétique. Les télomères assurent ce rôle, d’une part, en évitant la fusion des chromosomes, et, d’autre part, en maintenant la fonctionnalité des gènes les plus terminaux des brins d’ADN. Les télomères sont 30 donc raccourcis lorsque les cellules se multiplient, phénomène compensé, notamment dans les cellules à renouvellement fréquent, par une enzyme, la télomérase, qui les reconstitue sur les nouveaux chromosomes. Le raccourcissement des télomères est considéré comme un événement associé à la sénescence. Il peut conduire à la perte de gènes fonctionnels, phénomène qui s’observe dans certaines pathologies associées à un “raccourcissement des télomères” comme la dyskératose, l’anémie de Fanconi ou le syndrome de Shwachman-Diamond (12). Dans ces trois pathologies, la télomérase attendue dans des cellules à renouvellement rapide ne fonctionne pas, conduisant à la maladie. Au cours de la vie, et en fonction des renouvellements cellulaires, on observe une longueur assez stable des télomères avec une première période de raccourcissement dans l’enfance et une seconde, associée au grand âge. Dans l’aplasie médullaire, un raccourcissement anormal des télomères a été rapporté depuis une quinzaine d’années, et était initialement considéré comme un signe d’épuisement des cellules souches (12). En fait, des travaux plus récents ont permis d’identifier chez les patients souffrant d’aplasie médullaire des mutations de gènes impliqués dans la production de la télomérase et essentiellement du gène TERT (TElomerase Reverse Transcriptase) indispensable pour cet ajout attendu de télomères protecteurs. De plus, les télomères courts sont associés à une instabilité génomique, suggérant une plus grande propension pour les sujets porteurs d’une mutation de TERT à développer une aneuploïdie péjorative eu égard au développement d’un syndrome myélodysplasique ou d’une leucémie myéloblastique. Les membres de la famille de ces patients sont souvent également porteurs de mutations de TERT. Ils sont cliniquement normaux, mais ont un nombre diminué de cellules souches. Cela peut avoir des conséquences si un tel membre de la fratrie est choisi comme donneur de moelle osseuse. Cette anomalie est notamment étudiée dans des familles mennonites chez lesquelles les patients rapportent fréquemment le cas d’un ou d’ancêtre(s) “pâle(s) et agressif(s)” ! Par ailleurs, des associations entre les mutations de TERT et des pathologies hépatiques ont été rapportées, suggérant que des anomalies des télomérases peuvent avoir des impacts multiples, en plus de l’insuffisance médullaire. Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 1 - janvier-février-mars 2009 Biologie des maladies : à propos de l’aplasie médullaire La longueur des télomères apporte ainsi probablement une autre valeur pronostique, mais sans doute indépendante de la réponse aux immunosuppresseurs et des mécanismes immunologiques détaillés plus haut. Quoique… Il y a une quinzaine d’années, un traitement par androgènes a été proposé dans le traitement des anémies réfractaires avec un certain succès. Or, il se trouve que les hormones sexuelles augmentent l’activité de TERT dans les lymphocytes humains normaux. Cela suggère que d’autres cibles cellulaires pourraient être impliquées dans ces traitements par androgènes, induisant, pourquoi pas, une restauration de la longueur des télomères dans les cellules souches et une expression plus conforme des cibles antigéniques, les faisant par là même échapper aux effets délétères de l’auto-immunité. CONCLUSION Il est difficile de conclure autrement qu’en soulignant que les éléments principaux de cette impressionnante série de travaux pointent vers une base auto-immune pour les mécanismes de la plupart des insuffisances médullaires, tout en encourageant à rechercher quel antigène peut bien être à l’origine de cette réponse déviante ! La réponse est-elle en Asie ? ■ RÉFÉRENCES 1. 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