Ethique, expérimentation animale et recherche en
Transcription
Ethique, expérimentation animale et recherche en
STAL Volume 37 / 2ème Trimestre 2011 ARTICLES Ethique, expérimentation animale et recherche en cancérologie Crédit photo : PBES Kevin THIBAULT-DUPREY1 ■ Patricia VRIGNAUD2 ■ Nicolas DUDOIGNON3 ■ Virginie DANGLES-MARIE4 ■ 1) Kevin THIBAULT-DUPREY sanofi aventis R&D Disposition, Safety & Animal Research Animal Research & Welfare 13 quai Jules Guesde 94400 Vitry sur Seine [email protected] Patricia VRIGNAUD sanofi aventis R&D Division Oncologie 13 quai Jules Guesde 94400 Vitry sur Seine [email protected] 2) Nicolas DUDOIGNON sanofi aventis R&D Disposition, Safety & Animal Research Project, Standards and Innovation / Animal Research & Welfare 1 av Pierre Brossolette 91385 Chilly-Mazarin Cedex [email protected] 3) Virginie DANGLES-MARIE Institut Curie Centre de Recherche Plateforme d’Expérimentation in vivo & Laboratoire d’Investigation Préclinique 12 rue Lhomond 75005 Paris [email protected] 4) Résumé Malgré la part de plus en plus importante des modèles in vitro et les récents progrès en matière de modélisation in silico, en l’état actuel des connaissances scientifiques, l’utilisation des animaux de laboratoire en oncologie reste incontournable, qu’il s’agisse d’essais réglementaires d’efficacité ou encore d’études dédiées à une meilleure compréhension du processus cancéreux et à l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques. La responsabilité morale vis-à-vis du nombre d’animaux utilisés et des conditions de leur utilisation est importante pour tous les acteurs de la recherche in vivo. Peu d’articles détaillent les aspects techniques dont l’application contribue à la démarche éthique au quotidien dans les laboratoires et les animaleries expérimentales. Les recommandations qui suivent tentent d’établir un consensus sur les priorités et les limites concrètes à se fixer lors d’études sur l’animal dans le domaine de l’oncologie et notamment les modèles de tumeurs in vivo. Summary Even if more and more interesting in vitro models exist and if progress in computerised « in silico » models has been done, with the scientific knowledge of nowadays, the use of laboratory animals in oncology is still necessary for regulatory efficacy testing, studies dedicated to a better understanding of the cancerous growth and for the identification of new therapeutic targets. Regarding the number of animals used and the conditions of their use, moral responsibility of all participants of in vivo research is important. Few articles focus on the technical aspects of research that contribute to a better ethical approach in laboratories and animal facilities. The following guidelines try to establish a consensus on concrete priorities and limits to be set when performing studies on lab animals in the field of oncology and particularly in vivo tumour models. Introduction Bien que le développement des méthodes substitutives permettant d’éviter l’utilisation des animaux en recherche soit fortement encouragé, de nombreuses questions dans le domaine de la recherche oncologique ne peuvent trouver des réponses qu’en étudiant la croissance tumorale in vivo. Il y alors lieu de tenir compte du fait que des animaux présentant des tumeurs locales ou disséminées éprouvent vraisemblablement de la douleur et/ou de la détresse justifiant une attention et des soins particuliers de la part des chercheurs et de l’ensemble du personnel zootechnique. De même, les techniques utilisées en cancérologie expérimentale (préparations chirurgicales, irradiations, administration de substances…) peuvent engendrer douleur et inconfort. Il est donc nécessaire d’établir des bonnes pratiques concernant l’éthique animale en oncologie. De telles recommandations ont été publiées (UKCCCR 1998, Workman et al. 2010), s’appuyant sur 73 STAL Volume 37 / 2ème Trimestre 2011 ARTICLES 74 la règle des 3R : Remplacement des animaux de laboratoire, Réduction du nombre d’animaux et Raffinement dans les techniques utilisées (Russel Burch 1959). Dans le cadre d’un effort continu de raffinement des procédures, un intérêt particulier est porté dans ces recommandations sur la prédiction et la reconnaissance d’effets adverses et la mise en œuvre de points limites. Rappelons que le point limite ou point d’arrêt anticipé est défini comme le seuil de douleur ou de détresse à éviter par exemple en interrompant l’expérience, en apportant des soins à l’animal ou en pratiquant une euthanasie anticipée (Schiffer et al. 1997). Ce point doit être le plus précoce possible, tout en restant compatible avec les objectifs scientifiques de la recherche, afin d’éviter aux animaux toute douleur ou détresse inutile. La majorité des travaux en recherche expérimentale sur les néoplasies utilisant les petits mammifères de laboratoire et particulièrement les rongeurs, une expertise importante existe déjà sur ces espèces. Cependant, les principes généraux sont applicables à toutes les espèces animales. A notre connaissance, il n’existe pas de texte français dédié à l’éthique en expérimentation animale dans le domaine de la cancérologie. Les recommandations suivantes présentent un intérêt à la fois pour les équipes réalisant des études impliquant le développement de tumeurs chez l’animal de laboratoire (Weiswald Dangles-Marie, 2009) qu’elles soient « spontanées » (incluant celles des animaux génétiquement modifiés), qu’elles soient produites par transplantation (incluant les passages de tumeurs en routine, les implantations orthotopiques et les hybridomes) ou qu’elles soient induites par des agents carcinogènes, incluant également les tumeurs obtenues lors des essais réglementaires de toxicité pro-cancéreuse de produits chimiques (Maliver Schorsh 2009). Ces recommandations sont particulièrement utiles pour la conception et la réalisation des protocoles dans le respect des principes éthiques, mais aussi pour l’évaluation éthique des projets. Il est important de préciser que ces recommandations correspondent à de grandes lignes directrices et doivent être réfléchies au cas par cas afin que la mise en place soit adaptée à chaque modèle de néoplasie expérimentale, particulièrement lors de la détermination de points limites. Après une première partie sur les principes généraux inhérents à toute expérience sur l’animal, les particularités propres au domaine de la cancérologie seront développées. Principes généraux Comme toute recherche expérimentale impliquant le recours à l’animal de laboratoire, l’expérimentateur se doit de suivre une approche coût/bénéfice, en évaluant les probables effets douloureux et stressants observés sur les animaux utilisés par rapport aux bénéfices attendus du travail réalisé. Le cancer est un problème majeur de Santé Publique (147 000 morts et 319 000 nouveaux cas par an en France) nécessitant toujours de nouveaux traitements et le bénéfice potentiel de la recherche contre le cancer reste évident. Néanmoins, la possibilité d’utiliser des méthodes substitutives n’impliquant pas l’ani- mal doit toujours être considérée. Ainsi, un panel de 60 lignées cellulaires cancéreuses humaines a été développé et caractérisé par le National Cancer Institute, à Bethesda, en vue d’introduire une étape de criblage préliminaire de médicaments candidats sur des lignées cellulaires tumorales humaines avant les essais sur l’animal (Boyde 1986). De nombreuses informations sur ces lignées sont disponibles sur le site du Developmental Therapeutics Program (http://dtp.nci.nih.gov). De plus, l’utilisation d’animaux pour des études d’effets thérapeutiques de substances administrées sans détermination préalable d’une possible activité biologique in vitro ou ex vivo nécessite une justification spécifique et une argumentation forte. Le nombre d’animaux utilisés se doit d’être restreint au plus petit nombre nécessaire à l’atteinte de l’objectif de l’étude. Ce nombre doit néanmoins rester suffisant et statistiquement validé afin d’éviter d’avoir à dupliquer les études, l’avis de biostatisticiens est donc généralement nécessaire. L’ensemble des données expérimentales, incluant les données de zootechnie, est pris en compte. Ainsi, dans les études exploratoires initiales de toxicité du médicament, certains auteurs affirment que deux souris par groupe sont suffisantes (Burtles et al. 1995) ; en pratique, l’hébergement en trio étant mieux toléré surtout chez les souris mâles, trois animaux par groupe seront souvent appropriés pour cette espèce. Une connaissance du statut sanitaire de l’unité microbiologique hébergeant les animaux permettra de vérifier l’absence d’agents interférents qui peuvent être à l’origine d’une hétérogé- néité des résultats expérimentaux, le domaine de la cancérologie étant particulièrement sensible à de nombreux microorganismes interférents (GVSOLAS 1999) ou opportunistes. Une infection asymptomatique des animaux peut ainsi affecter les propriétés de la tumeur, par exemple le développement de métastases (RodriguezCuesta et al. 2005). Les animaux transgéniques sont largement utilisés en oncologie fondamentale, notamment grâce au développement de modèles sophistiqués d’induction d’expression d’oncogènes ou de répression de gènes suppresseurs de tumeurs. Comme dans tout travail avec les modèles transgéniques, l’importance du fond génétique sur le phénotype observé est à souligner. Les études sont très souvent réalisées sur des fonds non purs, ce qui implique de travailler avec des contrôles wild-type appropriés (grâce aux littermate qui partagent le fond génétique mixte) et des groupes plus grands d’animaux (en raison de résultats moins homogènes). Il est cependant conseillé de revenir à un fond génétique pur pour maintenir la stabilité de la lignée transgénique, par croisement avec une souche de fond génétique pur (technique de backcross), ce qui permet une reproductibilité des études dans le temps et de limiter les dérives dans les caractéristiques du modèle transgénique. La mise en place d’une nouvelle expérience doit se baser sur les informations et les conseils pris auprès de collègues compétents en la matière et sur les données de la littérature. Dans certains cas, des études pilotes sur un petit nombre d’animaux sont nécessaires avant d’entreprendre les mêmes procédures à une plus grande échelle. Ces études préliminaires de mise au point ont pour but de définir la liste et la durée des signes cliniques et aider à déterminer les points limites appropriés. L’utilisation de nouveaux modèles tumoraux in vivo nécessite en effet une investigation initiale complète de la progression tumorale, incluant sur un nombre minimal d’animaux des exemples d’invasion locale et/ou de dissémination de métastases. Le niveau de douleur et de détresse de chaque animal doit toujours être minimisé par une utilisation appropriée d’anesthésiques, d’analgésiques, de techniques expérimentales perfectionnées et par la mise en œuvre de points limites les plus précoces. Le degré de gravité du protocole doit être déterminé a priori, c'està-dire avant la réalisation des études pour définir s’il est susceptible d’engendrer de la douleur ou de la détresse. Plusieurs référentiels établissent pour des expériences types des critères de sévérité et sont donc d’une grande aide pour établir le degré de sévérité d’une expérience donné (Classification prospective des expériences sur animaux selon leur degré de gravité, Office vétérinaire fédéral Suisse). Cette évaluation préalable sera obligatoire avec l’application de la nouvelle directive européenne (2010/63/UE). Elle tient compte à la fois des procédures elles-mêmes, des effets adverses et de toute mesure pratique visant à diminuer la douleur ou la détresse (Nowlan et al. 2009, UKCCCR 1998). La sévérité d’une procédure sur le bien-être d’un animal est évaluée par l’apparition de changements de comportement par rapport à la norme. Aussi, la connaissance du comporte- ment normal, ainsi que celle des valeurs et données physiologiques spécifiques à chaque espèce et souche animale est une base indispensable. De plus, les projets susceptibles d’engendrer de la douleur chez l’animal font l’objet actuellement d’une déclaration obligatoire par le responsable du projet, titulaire d’une autorisation d’expérimenter, à la Direction Départementale de Protection des Populations préalablement à leur réalisation (Bruyas et al. 2009). Tout le personnel impliqué est formé à la réalisation correcte des expériences menées et informé de sa responsabilité individuelle au niveau légal et éthique. Une chaîne de responsabilité et de consultation claire devrait être établie afin de réagir de façon adéquate en cas d’observation de souffrance animale. Ainsi, en toute circonstance, des actions appropriées peuvent être entreprises rapidement, si par exemple l’état clinique d’un animal porteur de tumeurs se détériore de façon inattendue ou si l’effet propre de la tumeur est difficile à distinguer de l’effet du traitement thérapeutique. Ce processus de décision inclut généralement à la fois le personnel réalisant les études in vivo, le personnel destiné aux soins et à l’hébergement des animaux, un vétérinaire et éventuellement des membres experts du comité d’éthique lors de cas complexes. Des procédures de travail incluant les détails sur les points limites devraient être disponibles à tout le personnel concerné par les soins et l’utilisation d’animaux porteurs de tumeurs. Un système de documentation des formations et des compétences devrait être mis en place et supervisé par une personne expérimentée. Lorsque des expéri- 75 STAL Volume 37 / 2ème Trimestre 2011 ARTICLES mentateurs utilisent des procédures peu communes, des informations et des conseils devraient être fournis par des collègues compétents, la littérature, voire des experts. De même, l’utilisation d’un système de scores numériques (cf. tableau I) peut aider à formaliser la démarche en faveur de la prise en charge des animaux et faciliter les prises de décisions, comme par exemple quand il faut contacter une personne de l’encadrement ou lorsqu’il faut intervenir sur un animal. Comme dans tout domaine de recherche biologique impliquant le recours à l’animal, il est possible que les expérimentations de cancérologie fassent appel à des injections ou prélèvements biologiques sur animal vivant. Il faudra alors suivre les recommandations relatives à ces gestes expérimentaux (Guide de l’évaluation éthique des études sur animaux, GIRCOR 2009). Ainsi, les composants sont à administrer dans des solutions aqueuses (eau pour préparation injectable, sérum physiologique, soluté glucose 5 %) avec un pH le plus proche du pH physiologique. Si des solvants organiques sont utilisés, comme le DMSO, la quantité devrait être limitée à 1 mL/kg ou 5 % du volume injecté. Les détergents comme le Tween 80, les solubilisateurs, les émulsifiants ne devraient pas dépasser 5 % du volume injecté. Quant aux cyclodextrines, un maximum de 2 mL/kg ou 45% en volume est conseillé. De plus, une réhydratation devrait être menée dans les 2 à 4 heures suivant l’injection de cyclodextrine (Workman et al. 2010). 76 Biologie des tumeurs L’évaluation éthique préalable d’expériences de genèse et de croissance tumorales sur l’animal ne peut se faire sans la caractérisation du modèle tumoral lui-même. Pour les tumeurs spontanées ou transplantées, les caractéristiques importantes à évaluer comprennent : 1) le taux de croissance tumorale (vitesse, homogénéité, taux de prise en fonction de la ‘taille’ du greffon : volume des fragments ou nombre de cellules), 2) la distension des tissus environnants, 3) le site de croissance de la tumeur et 4) le caractère agressif de la tumeur (infiltration des tissus adjacents, potentiel métastatique, taille tumorale induisant des ulcérations et production éventuelle de facteurs cachectisants). Ces caractéristiques, qui définissent le profil de la tumeur, devraient être déterminées lors d’études préliminaires. Les méthodes d’implantation ou d’induction tumorale doivent être choisies de façon à minimiser le traumatisme engendré à l’animal hôte. Les méthodes d’induction tumorale utilisant des carcinogènes, des virus ou des manipulations génétiques peuvent affecter la nature et la localisation des tumeurs. Les animaux risquant de développer de telles tumeurs devraient être observés particulièrement fréquemment afin de détecter les signes du développement tumoral ou d’une maladie associée. La contamination de lignées cellulaires tumorales par des virus ou d’autres microorganismes peut compromettre les résultats expérimentaux et causer une épidémie parmi les animaux de laboratoire. Un criblage de ces lignées cellulaires vis-à-vis des virus des rongeurs est fortement re- commandé. Il est maintenant aisé à l’aide de PCR de détecter rapidement et avec une grande sensibilité la présence de ces contaminants. Par exemple, le virus de Sendai est souvent utilisé pour induire la fusion cellulaire in vitro mais est pathogène pour les souris et les rats. De plus, à cause des erreurs fréquentes d’identification des lignées cellulaires (Lacroix 2008), il est indispensable de vérifier la provenance et l’identité génétique des lignées cellulaires utilisées. Le choix du site d’implantation pour les tumeurs solides transplantables ou chimio-induites nécessite également des précautions importantes et une attention particulière devrait être portée afin d’éviter les sites impliquant les organes des sens et ceux où la tumeur aura des difficultés à grossir sans engendrer de la douleur. Les croissances sous-cutanées ou intradermiques sur le dos ou sur le flanc sont considérées comme causant le moins de détresse chez l’animal. Au contraire, la cavité intrapéritonéale sera choisie seulement si cela correspond à la progression naturelle de la tumeur à modéliser, de même pour les sites intramusculaire, le cerveau ou encore l’œil. Une attention supplémentaire sera également portée lorsque plusieurs sites sont utilisés. Evaluation de la sévérité Une attention particulière devrait être portée aux organes, tissus et systèmes biologiques susceptibles d’être affectés par la procédure. Pour les tumeurs solides, cela inclura les ulcérations, la distension des tissus notamment cutanés et la cachexie. Dans le cas de tumeurs provoquant de l’ascite, la distension abdominale, l’ané- mie et la cachexie peuvent être importantes. De même, des anomalies lymphatiques lors de lymphomes et les troubles neurologiques induits par les tumeurs intracérébrales ou disséminées sont des exemples de complications spécifiques à considérer. Certaines dégradations du bien-être animal peuvent être difficiles à observer, comme par exemple le développement d’une anémie ou la dissémination et la croissance de métastases. Des investigations spécifiques peuvent être nécessaires pour les détecter. L’apparition de l’anémie en oncologie expérimentale est très peu documentée contrairement aux pathologies cancéreuses chez l’animal de compagnie. A noter que la pâleur des coussinets plantaires chez les souches pigmentées est un moyen non invasif de détection de l’apparition d’une anémie. Des expériences pilotes de durée appropriée pourront déterminer le niveau d’hématocrite et/ou d’hémoglobine lors de l’apparition de la pâleur des coussinets. Examens des animaux La fréquence à laquelle les animaux doivent être examinés afin de détecter des signes de douleur ou de détresse et l’ampleur de ces examens seront définies par : > la biologie connue de la tumeur et/ou les effets de l’agent inducteur > les effets de toute technique associée > les effets attendus du traitement expérimental > le statut clinique fluctuant de l’animal. Les tumeurs invasives ou à croissance rapide nécessiteront une attention plus fréquente et des soins plus approfondis seront nécessaires si le poids tumoral augmente. Chaque animal portant une tumeur devrait être examiné une fois par jour avec des examens supplémentaires ou plus détaillés si l’état clinique des animaux se dégrade. Cette fréquence devrait être augmentée lors des périodes critiques pendant lesquelles la potentielle souffrance de l’animal peut être anticipée. Le design expérimental devrait être construit de sorte que cela n’arrive pas lorsque le personnel est absent. Une attention particulière devrait être apportée aux animaux dont l’état clinique est détérioré. Les techniques d’évaluation appropriées (exemple en tableau II) engloberont : 1) l’appréciation de l’état général, comprenant l’apparence, la posture, la mobilité, la température corporelle, le comportement et les réponses physiologiques, l’estimation de la consommation alimentaire et hydrique, la pesée pour déterminer les changements de masse corporelle (les augmentations et diminutions comparées aux animaux contrôles peuvent être à la fois associées à une augmentation du poids tumoral) ; 2) la mesure de l’épaisseur de la tumeur afin d’évaluer son volume ou sa masse et 3) l’inspection et la palpation pour localiser les sites de croissance tumorale comme pour évaluer les distensions, les ulcérations et les réductions de mobilité tumorale. Dans les expériences thérapeutiques sur les tumeurs de rongeurs adultes, il est recommandé que la perte de poids de l’animal hôte n’excède normalement pas 15 % du poids de celui-ci au début de l’étude. Une perte de poids de 20 % indique généralement une toxicité excessive et équi- vaut souvent à une dose mortelle pour environ 10% des animaux. Pour les animaux plus jeunes, l’incapacité à maintenir un gain de poids sur les animaux contrôles non traités devrait être considérée comme un indicateur de toxicité (Workman et al., 2010). D’autres techniques d’examen particulières seront plus pertinentes pour des sites spécifiques, comme par exemple la fréquence respiratoire pour les lésions pulmonaires, les troubles neurologiques ou les pertes de poids irréversibles pour les néoplasmes cérébraux (Redgate et al. 1991) et les numérations-formules sanguines pour les leucémies. Les dosages de marqueurs circulants mettant en évidence la présence de tumeurs sont également recommandés, même si encore peu documentés et peu développés. La laparotomie ou l’endoscopie peut être appropriée dans certains cas bien que les examens de choix soient de plus en plus les différentes techniques d’imagerie non invasive. Enfin, l’autopsie systématique des animaux en fin d’étude peut montrer des effets secondaires non détectés par les autres techniques et participer à la meilleure connaissance du modèle utilisé. Recherche de points limites Une attention particulière devrait être portée au choix de points limites pertinents pour les études de croissance tumorale en gardant à l’esprit les objectifs de l’expérience et la biologie de la tumeur. Sont à prendre en compte les signes prévisibles de douleur, de détresse et d’inconfort ou toute modification significative du comportement normal des animaux. Sauf précisions contraires justifiées sur le 77 STAL Volume 37 / 2ème Trimestre 2011 ARTICLES 78 protocole, les animaux devraient être euthanasiés avant : > d’être trouvés morts si cette mort est prévisible > de présenter un état clinique dégradé > que la masse tumorale ne devienne trop grosse, excessivement ulcérée ou qu’elle empêche le comportement normal de l’animal de façon inacceptable. Il est à noter que les courbes de survie ne sont plus des éléments clés de caractérisation des modèles tumoraux. De même dans les études de toxicité aigüe, la mise en place des points limites, tardifs dans ce type d’étude, permettent d’euthanasier l’animal avant qu’il ne meure (Sass 2000). Ceci permet également de disposer de matériel biologique exploitable, sans lésion d’autolyse postmortem, pouvant faire l’objet d’extraction d’ARN et de marquage histologique de qualité. Dans tous les cas, une bonne connaissance du modèle et une définition claire des objectifs de l’étude sont importantes afin d’anticiper et objectiver ces situations, intervenir à bon escient et éviter de dupliquer une étude pour cause de protocole mal construit. Le retour d’expérience et la meilleure connaissance de chaque modèle expérimental acquise au cours du temps permettent d’affiner toujours plus les critères de suivi des animaux et le choix des points d’arrêt anticipés qui en découle. Un guide quantitatif précis ne peut être donné sur les limites acceptables de la charge tumorale puisque les effets adverses sur l’hôte dépendront de la biologie particulière de la tumeur, de sa localisation, de son mode de croissance et de la nature des trai- tements associés. Néanmoins, la charge tumorale ne devrait normalement pas dépasser 5 % du poids normal de l’animal hôte dans le cas où les animaux sont utilisés pour les passages de tumeurs en routine et 10 % chez les animaux impliqués dans les essais thérapeutiques. Cette dernière limite, i.e. 10%, représenterait typiquement une tumeur sous-cutanée sur le flanc d’un diamètre de 17 mm sur une souris de 25 g ou de 35 mm chez un rat de 250 g. Des courbes de calibration reliant le poids tumoral aux diamètres mesurés devraient être établies rapidement et considérées comme faisant partie de la caractérisation initiale de tout nouveau système tumoral. Les variations de mesures individuelles entre les différents expérimentateurs devraient être considérées. Bien que les tailles données ci-dessus servent de fourchettes hautes, il est important d’insister sur le fait que des problèmes peuvent survenir avec des tumeurs bien plus petites et que l’évaluation de l’état clinique de chaque animal sera toujours un critère prépondérant. Dans le cas des leucémies, la détermination de la charge tumorale est difficile et n’a pas le même intérêt. Le développement et l’utilisation de méthodes d’analyses hémato-biochimiques visant à mettre en évidence le début d’une leucémie avant l’apparition de signes cliniques sont vivement recommandés. Ceci s’inscrit dans une démarche intégrée de meilleure caractérisation et donc connaissance du modèle expérimental pour lequel les paramètres mesurés pour les besoins de l’expérience servent également à évaluer l’état général de l’animal et font partie des critères pris en compte dans la détermination du point limite. Pour toutes les tumeurs induisant de l’ascite, des précautions sont à prendre afin de s’assurer que le volume du liquide d’ascite ne devienne pas excessif, causant une forte distension abdominale, et que des dépôts solides et la cachexie ne deviennent pas cliniquement significatifs. Le poids de l’ascite ne devrait normalement pas dépasser 10 % du poids corporel normal chez les souris et les rats. Les ascites malignes devraient être drainées uniquement après l’euthanasie des animaux. Une surveillance particulière du développement des tumeurs chez les animaux transgéniques est à mettre en place. Un examen clinique minutieux devrait être effectué afin de permettre la détection à la fois des sites de développement tumoral prévisibles et imprévus. Cela devrait comprendre le suivi pondéral, la palpation et la surveillance de la détérioration éventuelle de l’état clinique. L’expérience montre que ces animaux devraient être examinés au moins deux fois par semaine tout au long de leur vie et plus si la tumeur est apparente. Un soin particulier est porté aux conditions générales d’hébergement pour qu’elles soient appropriées et adaptées à l’état connu ou aux altérations attendues de l’état des animaux porteurs de tumeurs, notamment en termes de litière, de structure de la cage et d’accessibilité à l’eau et à la nourriture. Par exemple, si on utilise des maisons en plastique comme enrichissement de l’environnement pour les souris, celles-ci ne devraient pas comporter d’arêtes qui risqueraient de blesser les tumeurs cutanées ou sous-cutanées. D’autres enrichissements comme du papier absorbant ou des tuyaux en carton peuvent alors être utilisés. Les points limites et autres procédures devraient être perfectionnés au fur et à mesure de l’expérience acquise (par exemple les vitesses de croissance, diamètres et poids tumoraux de chaque type tumoral, le développement éventuel de cachexie ou de dyspnée pour les tumeurs pulmonaires, de cachexie). Imagerie et 3R L’imagerie in vivo, en permettant un suivi longitudinal de la croissance tumorale chez les mêmes animaux, est clairement reconnue comme une approche permettant de réduire le nombre des animaux utilisés pour les tumeurs disséminées. Réalisée dans de bonnes conditions de confort pour les animaux (manipulation délicate, anesthésie), elle contribue également au raffinement des techniques expérimentales. Cependant plusieurs points méritent d’être approfondis afin de veiller à une bonne pratique éthique. Ainsi, l’imagerie in vivo en cancérologie implique le plus souvent une immobilisation de l’animal obtenue très souvent par contention chimique. Les anesthésiques généraux induisent fréquemment une hypothermie qu’il faudra contrôler. Les anesthésiques volatils tels que l’isoflurane et le propofol en intraveineux sont à privilégier. En cas d’anesthésie longue ou d’imagerie intravitale, une réhydratation parentérale (solution saline de dextrose) peut être conseillée. De nombreuses lignées tumorales cellulaires « taggées » peuvent exprimer des protéines fluorescentes ou de la luciférase, permettant de suivre respectivement par imagerie à fluo- rescence ou à bioluminescence, le développement de tumeurs. Il est alors important de vérifier à travers des expériences pilotes que les propriétés des cellules cancéreuses « taggées » sont restées inchangées par rapport aux cellules cancéreuses parentales, afin de connaître là encore le modèle expérimental utilisé. Pour certaines technologies, un tel suivi longitudinal suppose l’administration répétée d’agents de contrastes et la mise en place de sondes et la bonne tolérance de ces doses répétées doit être vérifiée. Dans d’autres cas, une chambre de visualisation (dorsal skin chamber) est fixée chirurgicalement sur le dos de la souris, une asepsie rigoureuse et un temps limité d’utilisation de la chambre sont alors obligatoires (Koel et al. 2009). Enfin, il est important de vérifier si les conditions expérimentales (anesthésiques utilisés, durée de l’anesthésie, agents de contraste) ne modifient pas la tolérance aux agents évalués dans ces essais. Documentation et publication Il est important que toutes les expérimentations sur les animaux soient menées et documentées en respectant le principe du partage des meilleures pratiques. Il est vivement conseillé aux chercheurs, pour chaque modèle de tumeur utilisé dans leur laboratoire, de documenter le comportement attendu de la tumeur et de l’animal hôte dans différentes conditions expérimentales, y compris les différentes thérapies. Ils devraient également documenter le suivi des animaux (tableau clinique et registre comportemental) et le recours aux points limites afin de diminuer la sévérité du modèle en termes de toxicité aiguë et/ou retardée et de poids tumoral maximal, et indiquer tout problème particulier qui pourrait être rencontré lors de l’utilisation de chaque modèle. De telles informations devraient être incorporées dans les protocoles de travail et diffusées largement pour le bénéfice de tous. Afin d’accélérer la mise en place et la diffusion des recommandations sur le bien être animal dans les protocoles expérimentaux, ces procédures doivent être également incluses dans les articles de recherche. Certaines revues exigent ou encouragent cette pratique. Ainsi les ARRIVE guidelines (pour ‘Animal Research: Reporting of In Vivo Experiments’) éditées par le NC3Rs center sont adoptées par un grand nombre de journaux (ex : groupe Nature, groupe PLoS, Journal of the National Cancer Institute). Conclusion Les animaux de laboratoire continuent à jouer un rôle central dans la recherche contre le cancer. Les connaissances nouvelles issues de cette recherche contribuent non seulement au bien-être et à la santé humaine, mais aussi à la santé des animaux qui développent des cancers. Cependant, l’utilisation d’animaux pour la recherche sur le cancer est un privilège qui implique des obligations scientifiques, professionnelles et morales. Cette approche éthique est à intégrer dans les bonnes pratiques quotidiennes au laboratoire. Une démarche active, nécessitant une analyse Coût/Bénéfice, et une analyse a posteriori de validation des méthodes de raffinement, doit impliquer l’équipe zootechnique et le chercheur, avec le support du vétérinaire et du Comité 79 Ethique. STAL Volume 37 / 2ème Trimestre 2011 ARTICLES Tableaux Tableau I : Exemple de score de douleur Signes cliniques Posture Apparence générale Consommation alimentaire Perte / gain de poids Consommation hydrique Vocalisations Comportement spontané Comportement provoqué Taille de la tumeur Ulcération de la tumeur Total Scores /2 /2 /2 /2 /2 /2 /2 /2 /2 /2 / 20 Une note sur 20 est obtenue, qui peut aider à évaluer plus objectivement l’état clinique de l’animal. On peut considérer qu’une note en dessous de 10/20 correspond à un animal en détresse. (Tableau d’après UKCCCR 1998) Tableau II : Exemples de critères d’alarme en oncologie SIGNES CLINIQUES NOTABLES Action à mettre en place Tumeur Tumeur ulcérée Poids tumoral ≥ 1.5 g avant un week-end chez la souris Plaie / Traumatisme Lésion sans effraction cutanée Masse Prolapsus 80 Comportement/Mouvement Agitation / Agressivité Vocalisation anormale Hypomobilité / Hyporéactivité Décubitus après traitement SIGNES CLINIQUES SÉVÈRES Action IMMEDIATE à mettre en place Tumeur avec perte de substance Poids tumoral ≥ 2g chez la souris Lésion sévère (automutilation, plaie suintante, morsures ou mutilations provoquées par d’autres souris…) Traumatisme (fracture …) Mauvaise tolérance locale du traitement (i.v. ou s.c.) : lésion étendue et/ou difficulté/impossibilité de faire le traitement Akinésie Paralysie / Parésie Décubitus Difficulté / impossibilité de mobilisation SIGNES CLINIQUES NOTABLES Action à mettre en place SIGNES CLINIQUES SÉVÈRES Action IMMEDIATE à mettre en place Comportement/Mouvement (suite) Incoordination marquée (l’animal tourne sur lui-même) Incoordination modérée Mouvements saccadés et désoTremblements généralisés rientés de l’animal lorsque tenu par la queue Convulsions Résistance lors du traitement et/ou à la manipulation Tourner en rond Respiration Respiration accélérée / ralentie Respiration bruyante Respiration difficile Suffocation Aspect général Coloration anormale de la peau Persistance du pli cutané Aspect peau sèche Voussure du dos / Dos cambré Coloration autour du museau (rongeurs) Froid au toucher Flaccidité musculaire généralisée Gonflement abdominal Œdème (grosse tête) Piloérection Zone anogénitale souillée Oeil Chromodacryorrhée (sécrétion oculo-nasale rouge chez les rongeurs) Paupières closes ou mi-closes et/ou larmoiement ou écoulement Excrétion Fèces liquides Fèces mucoïdes Evolution pondérale Absence de fèces (rongeurs uniquement) Urines rouges Perte de poids ≤ 15% sur plus de 72h comparativement : Perte de poids > 15% sur plus de 72h comparativement : soit au poids avant traitement pour une souris adulte soit soit au poids avant traitement pour une souris adulte soit aux souris de même âge traitées avec le véhicule Proaux souris de même âge traitées avec le véhicule blèmes de dents (difficultés pour se nourrir) 81 STAL Volume 37 / 2ème Trimestre 2011 ARTICLES Références Boyde MR (1986) National Cancer Institude drug discovery and development. In : E Frei & EJ Freireich (eds). Accomplishments in Oncology. Lippincot, Philadelphie, 67-76. Burtles SS, Newell DR, Henrar REC, Connors TA (1995) Revisions of general guidelines for the preclinical toxicology of new cytotoxic anticancer agents in Europe. Eur J Cancer 31A, 408-410. Bruyas S, Vallet-Erdtmann V, Andrieux B (2009) Le dispositif français d’encadrement de l’expérimentation animale, Sci Tech Anim Lab 35, 13-15. GV-SOLAS (1999) Implications of infectious agents on results of animal experiments. Report of the Working Group on Hygiene of the Gesellschaft für Versuchstierkunde--Society for Laboratory Animal Science (GV-SOLAS). Lab Anim 33 Suppl 1, S39-87. Koehl GE, Gaumann A, Geissler EK (2009) Intravital microscopy of tumor angiogenesis and regression in the dorsal skin fold chamber: mechanistic insights and preclinical testing of therapeutic strategies. Clin Exp Metastasis 26, 329-344. Lacroix M (2008) Persistent use of ‘false’ cell lines. Int J Cancer 122, 1–4. 82 Maliver P, Schorsh F (2009) L'utilisation des modèles animaux pour tester la toxicité pro-cancéreuse de produits chimiques : méthodologie, avantages et limites des études de cancérogenèse pour l’extrapolation du risque à l’homme. Sci Tech Anim Lab 35, 35-43 Nowlan P (2009) Severity classification of procedures, Expert working group on severity classification of scientific procedures performed on animals, Final report, Brussels, July 2009. Commission européenne, B-1049 Bruxelles. HYPERLINK "http://ec.europa.eu/environment/chemicals/lab_animals/pdf/report_ewg.pdf" http://ec.europa.eu/environment/chemicals/lab_animals/pdf/report_ewg.pdf Redgate ES, Deutsch M, Boggs SS (1991) Time of death of CNS tumour-bearing rats can be reliably predicted by body weightloss patterns. Lab Anim 41, 269-273. Rodriguez-Cuesta J, Vidal-Vanaclocha F, Mendoza L, Valcarcel M, Gallot N, Martinez de Tejada G (2005) Effect of asymptomatic natural infections due to common mouse pathogens on the metastatic progression of B16 murine melanoma in C57BL/6 mice. Clin Exp Metastasis 22, 549–558 Russel WMS, Burch RL (1959) The principles of humane experimental technique. London, Methuen & Co Ltd. Sass N (2000) Humane endpoints and acute toxicity testing. ILAR J 41, 114-123. Schiffer SP, Clarke R, Lombardi VT (1997) Animal welfare and colony management in cancer research. Breast Cancer Res Treat 46, 313-331. United Kingdom co-ordinating committee on cancer research (UKCCCR) guidelines for the welfare of animals in experimental neoplasia (second edition) (1998) Br J Cancer 77, 1-10. Weiswald LB, Dangles-Marie V (2009) Modèles murins utilisés en cancérologie fondamentale et appliquée. Sci Tech Anim Lab 35, 17-23. Workman P, Aboagye EO, Balkwill F, Balmain A, Bruder G, Chaplin DJ, Double JA, Everitt J, Farningham DA, Glennie MJ, Kelland LR, Robinson V, Stratford IJ, Tozer GM, Watson S, Wedge SR, Eccles SA; Committee of the National Cancer Research Institute (2010). Guidelines for the welfare and use of animals in cancer research. Br J Cancer 102, 1555-1577.