Mainates - Sitaudis

Transcription

Mainates - Sitaudis
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périodique publié par Jacques Demarcq
le 6 janvier 2012
Mainates
les premiers le matin
sur la rambarde d’une terrasse
une branche d’arbre s’il en est
le temps d’une aube express
à éparpiller leurs voix
en quelles énergiques rafales
rrroutt-woutch – tyi-tyi-tick
comme un défi aux
mouches moustiques et toutes
bouffe qui s’extirpe
se taisent dès que la rumeur
de la rue leur ruine la chanson
ce qu’ils font de la journée allez
savoir ne réapparaissent
que vers 4 h du soir
un seul au coin du chapiteau
pseudo-angko de mon balcon
tchi-ti-rui-thui – thip-tchu-ruit
puis 2 sur les tôles plus loin
kiu-kiu-kiou – thiou-houitt
à moins qu’il mimique Dizzy
sa trompinette lui gonflant le cou
les joues jusqu’à la calotte
tandis que le vent déguenille
sa chemise gris roux
la saison sèche des z’a
xa va tioutrouttcroup même pas
chacun son tour siffluite
la bonne blague
qui met en fuite piafs alentour
mais se poursuit la comédie
ailes blanches festonnées de noir
elle ou lui vole au coin du toit
pattes orange bec tendu l’œil
maquillé du même citron
perchés sur une terrasse
couverte grossissent de grimaces
plumesques leur gagzouillis
rengorgé noir fait sa tête
de brute épaisse – thyi-thi-tjiii
2 se retrouvent sur la tôle
où démarre une parodie
d’à clown plement
tiou-tou-tjou en mainatonique
plumes se regonflent illico
1
sautillant il la serre de près
elle joue déjà de la croupe
mais griffes glissent – rjrhiiiiiiii
d’un bond inverse les rôles et
lui murmure quoi à l’oreille
introduit en Australie comme
insecticide il paraît
qu’il a envahi les villes
étourneau pecnot qu’il est
aux accents moqueurs
ce dont suis sûr c’est que Buffon
n’a pas fait le voyage
qui les baptise martins
comme les ânes qu’il recopie
méfiez-vous de Wikipédia
qualifié de tristis sans doute
par quelque amateur d’Ovide
se sentant exilé aux Indes
au temps où la science parlait latin
au lieu de photographie
2
Les confessions
d’un agent de police
Le boulot, croyez pas que c’est facile. Quand t’es de
circulation par exemple sur le boulevard Norodom
5 h du soir au croisement de la 182. Tu peux t’essouffler sur ton sifflet à faire la girouette le bras tendu
avec ton bâton fluo, ça impressionne personne. Tu
arrêtes le boulevard, les touk-touk motos bagnoles
qui s’agglutinent continuent à pousser jusqu’à couper la moitié de la rue 182. T’es bien obligé de les
laisser repartir. C’est pas toi qui décides, c’est la
masse qui s’impatiente. Et quand t’as tout lâché, ça
empêche pas 5 ou 6 motos de passer au travers de
la marée qui s’écoule lentement.
Je risque pas de me faire écraser, non. Même
sans casquette ni gilet fluo. Ça pousse, ça triche, ça
se faufile, mais personne s’énerve comme j’en ai vu
s’insulter à la télé dans un film de chez vous. Ils
comprendraient pas si je les engueulais parce qu’ils
ont pas entendu mon sifflet au milieu de la pétarade.
Mon grand-père qu’était policier sous les Français
n’a toujours recommandé d’y aller mollo. La compréhension est la règle d’or, répète-t-il quand je lui
raconte. D’autant que le salaire est pas mirobolant.
Si on cherchait la petite bête, est-ce qu’on déjeunerait gratos, repartant même avec un pourboire si
la terrasse du restau occupe en dur le trottoir avec
la bagnole du boss garée du mauvais côté. Les commerçants sont toujours gentils avec nous.
Quand on doit contrôler si les motocyclistes ont
leur casque, les bagnoles leur plaque d’immatriculation, s’ils grillent pas tous le feu rouge ou roulent
en sens interdit, c’est un autre sport. On se pointe
à 5 ou 6 à un coin de rue, la 63 en sens unique et la
182 par exemple, et pendant que la moitié se repose
devant une salle télé, les autres, 1 sur le trottoir pour
appeler en cas d’accident, 2 au milieu des motos des
bagnoles, s’agit d’attraper au vol les jeunes motocyclistes qui évidemment se mettent aussitôt à zigzaguer pour nous éviter. S’ils te voient avant, font
demi-tour voilà tout. Les grosses voitures, on se
risque pas trop. Prendre leur numéro ? On fait ça
chez vous ? C’est pas qu’on manque de crayon, mais
personne sait où sont les registres d’immatriculation. Et si jamais par inadvertance tu allais noter le
numéro d’un fils de ponte ou de gros riche… Policier,
c’est un investissement. La famille a payé l’école,
acheté pour toi le diplôme. Plus question de perdre
la situation qui t’a permis de te marier, avoir des
enfants, les envoyer à l’école.
La bonne aubaine c’est l’étranger qui s’arrête au
coup de sifflet. C’est même à ça qu’on reconnaît
qu’il est pas ici depuis longtemps. Plus qu’à lui
trouver n’importe quoi, un pneu mal gonflé, une
vitre sale, quand tu fais mine de tirer ton carnet, il
est ravi de négocier sa remise de peine pour 10 $. Il
sait pas bien sûr que les amendes sont moins chères
que l’essence. Rarement plus d’un dollar. Le gouvernement compte pas dessus. Nous non plus. Y’a
d’autres arrangements.
Bon, même si faut faire semblant de courir ou
d’agiter les bras, c’est quand même les bons jours.
Les pires, c’est le gardiennage. Empêcher les familles
expulsées de retourner dans leur taudis. La semaine
dernière j’ai passé deux jours sur un tas de sable à
surveiller un vieux quartier moderne en retrait de la
169. Une ex-résidence olympique a dit le chef, pour
des athlètes qui sont jamais venus. Un truc moche
tout blanc crasseux occupé par des squatters lorsque
l’Onu a laissé faire n’importe quoi dans les années 80.
Les anti-émeutes les ont virés. Une société amie de
la police et du gouvernement veut ouvrir un centre
commercial bien propre. J’étais là à monter la garde
après la bagarre, suant sous mon casque une matraque à la ceinture, quand j’aperçois 2 journalistes,
des Australiens peut-être, l’un avec un appareil
photo, la femme une caméra, qui s’approchent encouragés de loin par un vieil opposant politique je
le connais, il a eu des ennuis. Leur ai fait signe aux
Australos de déguerpir, mais les étrangers faut pas
trop y toucher, surtout journalistes. Des fois que leur
Ong ait le bras long.
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La campagne anticorruption, bien sûr que
j’en ai entendu parler. Le
chef a expliqué que ça
nous concernait pas vraiment tant qu’on faisait le
boulot de gardiennage
pour la rénovation des
quartiers. J’ai un cousin
par contre qu’a été dégradé. Il était enquêteur
à la brigade des stups. La
belle vie, les night-clubs,
les bars à filles. Le voilà
descendu aux archives
toute la journée sans voir personne. Il a été forcé de
revendre sa voiture. Son patron a dû s’engueuler
avec un plus gros big boss parce qu’il est en prison.
Accusé de toucher du fric de certains dealers et de
revendre la drogue saisie
sur les autres. La yama,
vous connaissez pas ? Des
pilules, t’en avales 2 tu
danses comme 4. Des enfête, dit le cousin qui
m’en a refilé au mariage
de sa sœur pour que j’essaye. Qu’est-ce qu’on a
rigolé ! Son patron, lui,
risque la perpète à ce que
dit le journal que je feuillette quand c’est mon tour
de faire une pause devant
la salle télé. Pour moi c’est
plus important ce procès que celui des vieux khmers
rouges. J’étais gamin, les ai pas connus. Le patron
du cousin, c’est un collègue, même si je l’ai jamais
rencontré et qu’il a un mauvais karma.
Left: a Cambodian riot police officer fires tear gas at residents during a forced eviction at the Borei Keila complex in Phnom Penh January 3, 2012.
Right: residents burn tyres and hold a banner seeking
help from Cambodian People’s Party President Chea
Sim, Prime Minister Hun Sen and National Assembly
chief Heng Samrin.
Local human rights group Licadho said that police officers and residents were injured in a face-off when hundreds of armed authorities tried to evict families from
their homes in a long running dispute with a local real
estate firm, Phanimex, well-connected with the government. The firm plans to convert the residential complex
into a commercial building. Reuters/Samrang Pring
Cinéma documentaire : document ou propagande
L’offre de films documentaires à Phnom Pehn est
particulièrement adaptée à l’expatrié et au touriste
motivé qui peut voir chaque semaine au moins un
reportage sur les abus des droits civiques ou la corruption endémique de l’Asie du sud-est. Il y a trois
lieux : l’Institut Français, le Centre Bophana et
Meta House.
La salle polyvalente dite « le cinéma » de l’Institut français est la plus confortable, isolée du bruit et
climatisée. Entre les 15 et 18 déc., le Cambodia International Film Festival y présentait une sélection
à thématique asiatique. Hors événement exceptionel, la salle propose hélas de ces mièvreries auxquelles on ne sait quelle commission octroie des
subventions en échange de droits de diffusion.
Le Centre Bophana, créé par le cinéaste Rithy
Panh, recueille des archives audiovisuelles sur le
Cambodge. Un samedi après-midi sur deux, le petit
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auditorium programme des films cambodgiens ainsi
que des productions étrangères. Une banque de
données est consultable sur plusieurs moniteurs au
1er étage. Outre des documentaires et archives, on
peut y voir l’œuvre cinématographique (une 50aine
de productions) de Norodom Sihanouk, dont le
premier court métrage s’intitule Tarzan parmi les
Kuoy. En 1968, Prachea Komar (le petit prince), avec
son fils Norodom Sihamony (actuel roi) en vedette,
gagne l’Apsara d’or au premier Festival international
de Phnom Penh. Mais Sihanouk réalise son chefd’œuvre en 1969 : La joie de vivre montre combien
il fait bon être nanti et cambodgien. Une séquence
yéyé tournée dans le dancing d’état à Pochentong
(actuel aéroport) servira au réalisateur de Don’t
Think Ive Forgotten pour illustrer le rock n’ roll des
années 60 au Cambodge.
Quoique lié au Goethe Institut, Meta House
n’offre pas la ponctualité teutone au spectateur qui,
avisé, se méfiera des fauteuils cassés et se précipitera
vers les premiers rangs s’il veut lire les sous-titres
sur une image toujours émoussée par la lumière
ambiante et des moyens de projection sommaires.
On regrette d’autant plus ces conditions médiocres
que la programmation est de loin la plus stimulante. Chaque semaine, plusieurs documentaires.
Nous en avons vu une demi-douzaine : A Perfect
Soldier (2010) de John Severson sur un démineur,
Enemies of the People (2009) de Rob Lemkin et
Thet Sambath, Facing Genocide (2010) de D. Arononwitsch et S. Linberg sur Khieu Samphan, Cambodian Dreams (2007) de Stanley Harper, Lady of
No Fear (2010) d’Anne Gyrithe Bonne sur Aung
San Suu Kyi, Death and Rebirth (1980) de Heynowski et Scheumann.
Cinq de ces films concernent le récent passé
meurtrier du Cambodge. Cette proportion reflète
bien l’orientation de la programmation. Aucune de
ces réalisations n’atteint la maîtrise de Rithy Pahn,
qui est à lui seul le Lanzmann et le Marcel Ophuls
du cinéma cambodgien. Mais la programmation ne
répond pas au seul critère de l’esthétique documentaire. Même si le projecteur pourri rend encore plus
crasseux des plans cadrés n’importe comment – on
offrirait volontiers un niveau à bulles à Gyrithe
Bonne dont toutes les images sont de traviole – il
est louable que Meta House prête son mur à des
films qui font refléchir.
Le titre Enemies of the People fait allusion a une
phrase prononcé par Nuon Chea dans le film : « Si
nous les avions laissés vivre, la ligne du parti aurait
été détournée. Ils étaient des ennemis du peuple ».
Thet Sambath est un journaliste très habile. Il a su
faire parler le frère n° 2 dans une interview fleuve
menée sur plusieurs années. Sambeth ne conteste
jamais la véracité des propos de Nuon Chea, même
les plus hypocites. Ainsi, l’interviewé ne se referme
jamais dans un silence vexé. La confrontation se fait
au montage, avec les paroles de plusieurs bourreaux,
dont un mime devant la caméra les bons gestes
pour égorger en série. Seul défaut du film, les longueurs induites par trop d’introspection dans le
récit de Sambath, qui apparaît à l’écran pour expliquer que ses mère, père et frères ont été assasinés
par les Khmers Rouges. La culture bouddhiste influence les notions de bienséance au Cambodge, où
il est en général mal vu de trop parler de soi. Mais
peut-on porter un jugement sur un dispositif qui
semble produire des intrusions dans le récit ? C’est
plutôt son propre ego qu’il faudrait mettre en sourdine quand on assiste à ce genre de film.
Deux films objectivement de propagande ont le
mérite d’attirer l’attention sur la question du genre.
En comparant Cambodian Dreams et Death and
Rebirth, il semble que l’insulte a l’intelligence qu’est
toute propagande diminue avec le temps, le film
perdant son statut de création pour n’être vu qu’en
tant que document d’époque. Cambodian Dreams
ne se rachètera jamais par ce critere, car c’est un docudrame dont la plupart des scènes sont jouées par
des acteurs, et donc sans valeur historique.
Death and Rebirth, realisé des Allemands de l’Est
à partir de documents vietnamiens, est une mine
d’images exploitées depuis 30 ans. C’est ainsi un
lieu commun de dire que les khmers rouges ont
transformé la B.N. de Phnom Penh en porcherie,
mais c’est ce film qui le montre. Des images devenues iconiques aujourd’hui présentées au Musée du
Génocide de Tuol Sleng ont figuré pour la première
fois dans ce film. Certes, y sont juxtaposées de maniere trop simpliste des déclarations contradictoires.
Ieng Thirith – qui aurait dû être jugée avec son frère
Khieu Samphan et son époux Ieng Sary si elle ne
souffrait d’Alzeimer – affirme que les Vietnamiens
sont responsables de tous les massacres et famines.
Son discours est démenti par des paysans affamés,
des intellectuels rescapés, des enfants soldats.
Devant l’horreur anesthésiante, il faut s’interroger sur la notion de message dans un documentaire.
Éviter d’en faire de la propagande est un enjeu à la
fois esthétique et intellectuel.
Raphaëlle Saorge
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