1 le devoir d`information du praticien envers son patient

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1 le devoir d`information du praticien envers son patient
LE DEVOIR D’INFORMATION DU PRATICIEN ENVERS SON PATIENT
Mise à jour 04/2014
Jean VILANOVA – Juriste
[email protected]
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Avant même d’être une obligation légale et déontologique, parler au patient, l’informer des risques qu’il encourt du fait de la stratégie thérapeutique envisagée et de ceux qui
résulteraient du refus de sa part de cette stratégie relève de l’humanisme médical. Parce que la médecine est aussi un art de l’oralité. L’humanisme médical constitue l’un des
fondements séculaires de la relation de respect et de confiance entre soignant et soigné. Informé de façon claire, loyale et appropriée, ce dernier consentira – ou non – aux soins
proposés.
De cette règle simple et de bon sens va naître dans un premier temps un nécessaire travail de clarification entre professionnels de santé et juristes. Nous en sommes, au moment où
ces lignes sont écrites au second, et peut-être même au troisième ou au quatrième temps de ce travail auquel les premiers concernés, soignants et patients n’y comprennent sans
doute plus rien ; un débat entre seuls juristes en somme.
ère
Tout commence le 25/02/1997. La 1 chambre civile de la Cour de cassation rend alors un arrêt qui soulève l’ire d’une grande partie du corps médical. Tandis que depuis plusieurs
décennies, en cas de réclamation, la charge de la preuve du défaut d’information appartenait au demandeur (le patient), l’arrêt consacre un principe exactement inverse : c’est
désormais au praticien de prouver qu’il a bien informé ledit patient. La haute juridiction retient ici la règle selon laquelle… « Celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le
fait qui a produit l’extinction de son obligation. » (art. 1315-2 du code civil)
Consacrée un peu plus tard par la loi n° 2002-303 du 04/03/2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, cette jurisprudence n’en vient pas moins
s’ajouter – injustement d’ailleurs – aux décisions parfois incomprises qui jalonnent l’histoire du droit.
Aujourd’hui la question de l’information du patient occupe une place considérable en responsabilité médicale. D’aucuns, et nous en sommes, y distinguent un gisement durable et
possiblement important de contentieux. D’où, partant du cadre légal, un ajustement permanent de ses contours auquel s’attache non sans une pointe de frénésie la jurisprudence.
Chacun doit savoir ce qu’il en est. Pour autant qu’il le puisse car les étapes se succèdent à un rythme élevé. Elles ne marquent pas – elles ne marquent plus – un chemin linéaire vers
la recherche d’un équilibre entre la nécessité de prise en charge de la souffrance du patient et le souci de laisser à son thérapeute la sérénité nécessaire à la pratique de son art. Et
le mouvement s’accélère.
Pour preuve, à partir du 3/06/2010 la Cour de cassation s’attache à rendre plusieurs arrêts qui ouvrent un chemin au-delà du droit pur. On n’accède pas impunément, nous disent
les juges suprêmes au corps du patient sans le consentement de celui-ci, fusse pour lui prodiguer des soins indispensables à sa survie. Formidable évolution… Le défaut
d’information devient faute autonome et le droit se pare de morale ! Mais un peu plus tard, le 2/10/2013, un autre arrêt va préciser les contours de cette faute autonome en les
limitant. Ainsi la Cour de cassation se montre-t-elle exploratoire mais sa démarche manque de fluidité. Entre temps, nullement en reste, le Conseil d’Etat aura consacré le principe
de la réparation du préjudice d’impréparation subi par le patient, préjudice né d’une information absente ou insuffisante du praticien à son égard.
Bref, une évolution constante dont il devient malaisé de saisir chaque nuance. Plus grave, nous y voyons désormais les prémices d’une atteinte possible à la sérénité qui doit
prévaloir dans la relation entre un praticien et son patient.
« L’arrêt fondateur » du 25/02/1997 a constitué la première pierre d’un édifice jurisprudentiel dont on peine aujourd’hui à comprendre la cohérence. Comme nous l’avons déjà
énoncé, il importe de prendre garde, à force de décisions innombrables, contradictoires et faussement compassionnelles à ne pas faire dériver le rapport de confiance entre le
soignant et son patient en un rapport de défiance.
Le temps de l’activisme jurisprudentiel doit maintenant céder le pas au temps de la pause et de la réflexion.
J.V. – 2/04/2014
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SOMMAIRE
PREAMBULE : UN PRINCIPE SECULAIRE (page 5)
A. TRAITEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION PAR LA JURISPRUDENCE : PREMIERES ETAPES MAJEURES (pages 6 à 9)
1. Le défaut d’information est une faute dont il appartient à la victime de rapporter la preuve (Cass. 29/05/1951
2. La charge de la preuve de l’information incombe désormais au praticien (Cass. 25/02/1997)
3. L’obligation d’information n’est pas levée du seul fait que le risque est de réalisation exceptionnelle (Cass. 7/10/1998)
4. Un médecin n’est pas tenu de réussir à convaincre son patient du danger de l’acte demandé par ce dernier (Cass. 18/01/2000)
5. Pas de responsabilité du médecin s’il apparaît que même informé, la patient n’aurait pas refusé l’opération (Cass. 20/06/2000)
6. La violation du devoir d’information ne peut être sanctionnée qu’au titre de la perte de chance (Cass. 7/12/2004)
B. TRAITEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION PAR LA DEONTOLOGIE MEDICALE (pages 10 à 11)
Article 35 du code de déontologie médicale – Information du patient
Article 36 du code de déontologie médicale – Consentement du patient
1. La limitation de l’information due par un praticien à son patient en matière de diagnostic est légitime (Cass. 23/05/2000)
C. TRAITEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION DANS LE CADRE DE LA LOI DU 4/03/2002 (pages 12 à 13)
Contenu de l’information
Preuve de l’information
Informer pour recueillir le consentement du patient
TABLEAU COMPARATIF ENTRE LA JURISPRUDENCE ET LA LOI
D. PREUVE DE L’ACCOMPLISSEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION (pages 14 à 16)
Rappel préalable
1. La preuve de l’information peut être faite par tous moyens (Cass. 14/10/1997)
La fiche d’information
Le dossier médical
Le délai de réflexion
2. La jurisprudence définit les éléments du « tous moyens » en matière de preuve de l’information (Cass. 4 /01 /2205)
E. INDEMNISATION DU DEFAUT D’INFORMATION (pages 17 à 18)
1. La perte de chance née du défaut d’information implique une réparation intégrale du dommage entre le praticien et l’ONIAM (Cass. 11/03/2010)
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L’AUTONOMIE DE LA FAUTE RESULTANT DU DEFAUT D’INFORMATION (pages 19 à 24)
DU REJET A LA CONSECRATION
1. Le manquement au devoir d’information n’est pas source de préjudice moral (Cass. 6/12/2007)
2. Sauf incapacité à consentir, le non-respect du devoir d’information est source de préjudice qu’il convient d’indemniser (Cass. 3/06/2010)
3. Sauf incapacité à consentir, le non-respect du devoir d’information est source de préjudice qu’il convient d’indemniser (Cass. 12/01/2012)
DE LA CONSECRATION A LA LIMITATION ?
4. Le moyen qui s’attaque à des motifs surabondants est inopérant (Cass. 2/10/2013)
F.
G. LE CONSEIL D’ETAT CONSACRE UN PRINCIPE NOUVEAU : LE PREJUDICE D’IMPREPARATION (pages 25 à 27)
1. Le préjudice d’impréparation pour cause d’information non donnée prête lieu à réparation des troubles ainsi subis (CE. 10/10 2012)
CONCLUSION (page 28)
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PREAMBULE : UN PRINCIPE SECULAIRE
Le devoir d’information du médecin vis à vis de son patient fait partie intégrante de l’acte de soins et doit être accompli à tous les stades de celui-ci.
1. En amont du traitement
2. En cours de traitement
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 Information sur la stratégie thérapeutique envisagée, son coût, les conditions
de son remboursement
 Risques et éventuels effets secondaires induits
 Risques encourus en cas de refus de soins
 A chaque nouvelle étape du traitement
 Lorsque le praticien souhaite modifier ses choix thérapeutiques
 Lorsqu’un incident survient
3. A l’issue du traitement
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 Information sur les précautions à prendre pour une meilleure efficacité du
traitement dans le temps
Conformément à l’article 35 du code de déontologie médicale (article R. 4127-35 du code de la santé publique), l’information délivrée au patient doit être loyale, claire et
appropriée afin d’obtenir de sa part un consentement libre et éclairé sur les soins proposés.
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A. LE TRAITEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION PAR LA JURISPRUDENCE : PREMIERES ETAPES MAJEURES
1. Le défaut d’information est une faute dont il appartient à la victime de rapporter la preuve.
Cour de cassation – Arrêt du 29/05/1951
« Si le contrat qui se forme entre le chirurgien et son client comporte l’obligation pour le praticien de procéder à une opération chirurgicale par lui jugée utile qu’après avoir au
préalable obtenu l’assentiment du malade, il appartient toutefois à celui-ci, lorsqu’il se soumet en pleine lucidité à l’intervention du chirurgien, de rapporter la preuve que ce dernier
a manqué à cette obligation contractuelle en ne l’informant pas de la véritable nature de l’opération qui se préparait et en ne sollicitant pas son consentement à cette opération. »
2. La charge de la preuve de l’information incombe désormais au praticien – (Cass. 25/02/1997)
Les faits
Un patient est victime d’une perforation intestinale consécutive à une coloscopie entreprise pour exérèse de polypes intestinaux. Il reproche au gastro-entérologue, non pas une
éventuelle maladresse dans la conduite du geste mais de ne l’avoir pas informé du risque de perforation colique et demande réparation financière de son préjudice.
Par arrêt rendu le 5/07/1994, la Cour d’appel de Rennes rejette cette demande au motif que le patient est incapable de rapporter la preuve de ce défaut d’information de la part
de son thérapeute. En l’occurrence, les juges du fond applique ici strictement la jurisprudence en cours, telle qu’elle a été posée le 29/05/1951. Le patient forme un pourvoi
devant la Cour de cassation.
Cour de cassation – Arrêt H. du 25/02 1997
La Cour de cassation, dans son arrêt du 25/02/1997 opère un revirement jurisprudentiel en cassant l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes et en renvoyant l’affaire devant
ème
une cour d’appel de renvoi (voir 5 étape) en ces termes :
« Attendu que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ;
Attendu qu’à l’occasion d’une coloscopie avec ablation d’un polype, réalisée par le docteur C., monsieur H. a subi une perforation intestinale ; que, au soutien de son action contre
ce médecin, monsieur H. a fait valoir qu’il ne l’avait pas informé du risque de perforation au cours d’une telle intervention ; que la cour d’appel a écarté ce moyen et débouté
monsieur H. de son action au motif qu’il lui appartient de rapporter la preuve de ce que le praticien ne l’avait pas averti de ce risque, ce qu’il ne faisait pas dès lors qu’il ne
produisait aux débats aucun élément accréditant cette thèse ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le médecin est tenu d’une obligation particulière d’information vis à vis de son patient et qu’il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette
obligation (souligné par nous), la cour d’appel a violé le texte susvisé.»
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3. L’obligation d’information n’est pas levée du seul fait que le risque est de réalisation exceptionnelle – (Cass. 7/10/1998)
Les faits
Victime d’une chute ayant provoqué la fracture de la deuxième vertèbre lombaire une patiente, après avoir subi un traitement par immobilisation et port d’un corset consulte un
chirurgien en raison d’une cyphose persistante. Celui-ci préconise une intervention consistant en la mise en place d’un cadre de Hartchild, suivi dans un second temps d’une greffe
vertébrale. A la suite de l’intervention, la patiente se plaint, dès son réveil, d’un trouble visuel et d’une douleur au niveau de l’orbite gauche. Une trombophlébite est
diagnostiquée. Elle aura pour conséquence la perte définitive de l’œil gauche par atrophie du nerf optique. La patiente assigne en réparation de son préjudice le chirurgien en
invoquant notamment un manquement à son devoir d’information.
Par arrêt rendu le 26/09/1996, la Cour d’appel de Lyon rejette la demande au motif « …que l’information du patient n’est exigée que pour des risques normalement prévisibles, ce
qui n’était pas le cas de la complication post-opératoire litigieuse qui bien que connue est très rare… » et les juges du fond d’ajouter « …que le chirurgien n’avait pas à avertir sa
patiente de ce risque afin d’éviter par une inquiétude inutile de la placer dans un état psychologique défavorable au bon déroulement d’une intervention classique. »
Cour de cassation – Arrêt C. du 7/10/1998
Par arrêt rendu le 7/10/1998, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel sur le moyen suivant… « « Hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être
informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et qu’il n’est pas
dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu’exceptionnellement… » (Souligné par nous).
4. Un médecin n’est pas tenu de réussir à convaincre son patient du danger de l’acte qu’il demande – (Cass. 18/01/2000)
Les faits
Devant subir l’opération de la cataracte de son œil droit, une patiente refuse l’anesthésie générale proposée par l’ophtalmologiste. Elle choisit de recourir à une anesthésie loco
régionale non sans avoir été préalablement informée par le praticien des dangers de cette méthode. A la suite de l’injection anesthésique apparaît un chémosis hémorragique
provoquant la rupture du globe oculaire et la perte de l’usage de l’œil.
La Cour d’appel de Lyon, par arrêt rendu le 14/05/1997 retient la responsabilité du médecin. Elle considère que la faute de celui-ci consiste dans le fait « de n’avoir pas été en
mesure de convaincre sa patiente des dangers présentés par un tel acte. »
Cour de cassation – Arrêt Y. du 18/01/2000
Arrêt cassé le 18/01/2000, la Cour de cassation estimant… « qu’un médecin n’est pas tenu de réussir à convaincre son patient du danger de l’acte médical qu’il demande… » En
statuant ainsi, la Cour de cassation réévalue la place du patient au sein de la sphère de soins. La prise de décision relative à l’acte médical est appréhendée comme le fruit d’un
dialogue, le dernier mot restant au malade dûment informé des risques encourus.
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5. Il n’y a pas de responsabilité du médecin pour défaut d’information s’il apparaît que même informé, le patient n’aurait pas refusé l’opération – (Cass. 20/06/2000)
Les faits
 Il s’agit ici des suites de l’affaire traitée au paragraphe 2 (arrêt H. du 25/02 1997), la Cour de cassation ayant cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon et renvoyé l’affaire
devant une autre cour d’appel afin qu’elle soit rejugée conformément à ses conclusions.
C’est à la Cour d’appel d’Angers qu’est dévolue cette mission. Celle-ci ne se contente pas de suivre, au mot près, les attendus de la Haute juridiction. Elle va plus loin dans ses
investigations. Ayant constaté que le père du patient était décédé d’un cancer du côlon, elle considère dans son arrêt rendu le 18/09/1998 que même informé du risque de
perforation (ce qui n’avait pu être prouvé par le médecin), le patient n’aurait refusé ni l’examen, ni l’exérèse du polype de crainte qu’il ne dégénère en cancer. Selon la Cour
d’appel d’Angers, il n’y a donc pas de lien de causalité entre l’absence d’information et le préjudice. A l’instar de la Cour d’appel de Lyon, mais sur un motif différent, elle rejette
donc la demande du plaignant qui, une nouvelle fois, forme un pourvoi en cassation.
Cour de cassation ; second pourvoi – Arrêt H. du 20/06/2000
Cette fois la Cour de cassation consacre l’arrêt d’appel en précisant que, pour obtenir réparation… « le patient doit établir que s’il avait été dûment informé, il aurait fait un choix
différent… » Elle rappelle également le pouvoir souverain des juges d’appel qui… « doivent prendre en considération l’état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa
personnalité, les raisons pour lesquelles les investigations ou les soins à risque lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins et de ces risques. »
Il est évident qu’à ce stade les hauts magistrats cherchent le juste équilibre entre le droit régalien dont dispose le patient d’être informé et le devoir du médecin de tout tenter
pour le guérir. Dans une certaine mesure, la pression à laquelle se voyaient soumis les médecins depuis l’arrêt du 25/02/1997 se relâche.
6. La violation du devoir d’information ne peut être sanctionnée qu’au titre de la perte de chance – (Cass. 7/12/2004)
Les faits
A la suite d’une tympanoplastie, un patient présente une paralyse faciale résultant de l’opération. La responsabilité du praticien est recherchée au motif d’un manquement à son
devoir d’information sur le risque ainsi encouru puis réalisé. Par arrêt rendu le 28/11/2001, La Cour d’appel de Rennes estime cette responsabilité engagée et condamne le
praticien à réparer l’entier préjudice lié à la paralysie faciale. Le praticien forme un pourvoi en cassation.
Cour de cassation – Arrêt X. du 7/12/2004
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel : « … une obligation d’information ne peut être sanctionnée qu’au titre de la perte de chance subie par le patient d’échapper par une
décision peut-être plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé… le dommage correspond alors à une fraction des différents chefs de préjudice subis qui est déterminée en
mesurant la chance perdue et ne peut être égale aux atteintes corporelles résultant de l’acte médical… »
Décision importante. En considérant que le dommage résultant du défaut d’information ne se répare que par la perte de chance, la haute cour allège la charge qui pèse sur le
praticien. La perte de chance, perte d’un espoir et non d’un droit implique en effet une indemnisation toujours partielle du préjudice.
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A ce stade, la jurisprudence a accompli un important travail. Toutefois, certains aspects mériteraient de plus amples éclaircissements, notamment en matière d’apport de la
preuve par le praticien du respect de son obligation. Mais avant d’aborder ce point aujourd’hui clarifié, il convient de comparer la question du devoir d’information telle
qu’elle nous est présentée par la jurisprudence avec les dispositions du code de déontologie médicale puis avec la loi du 4/03/2002 relative aux droits des malades et à la
qualité du système de santé.
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B. LE TRAITEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION PAR LA DEONTOLOGIE MEDICALE
Art. 35 du code de déontologie médicale (article R. 4127-35 du code de la santé publique) – Information du patient
« Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et
les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.
Toutefois, dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un
diagnostic ou d’un pronostic graves, sauf dans les cas où l’affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination.
Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement
interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. »
Art. 36 du code de déontologie médicale (article R. 4127-36 du code de la santé publique) – Consentement
« Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas.
Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposé, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé
le malade de ses conséquences.
Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou
impossibilité.
Les obligations du médecin à l’égard du patient lorsque celui-ci est un mineur ou un majeur protégé sont définies à l’article 42. »
Certains auteurs ont cru déceler une différence d’appréciation entre déontologie et jurisprudence quant au périmètre de l’information destinée au malade. Selon eux, la
jurisprudence en fixant la règle d’une information élargie aux risques exceptionnels entrait en contradiction avec la déontologie qui, sauf le risque d’exposition de tiers à une
contamination permet de taire certaines informations dans l’intérêt même du malade et pour des raisons légitimes.
Une telle contradiction, si elle existait, ferait désordre. Il n’en est rien. Tant pour les juges de droit commun (arrêt du 7/10/1998 énoncé plus haut) que pour les rédacteurs du
code de déontologie, l’information dispensée doit s’avérer « loyale, claire et appropriée » à l’état du malade. Une information appropriée à l’état du malade signifie une
information adaptée. On n’informe pas de la même façon un patient victime d’une entorse à la suite d’un accident de ski et un autre qui développe un cancer généralisé.
Un arrêt rendu le 23/05/2000 par la Cour de cassation confirme la parfaite concordance de vue des hauts magistrats avec la déontologie.
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1. La limitation de l’information due par un praticien à son patient en matière de diagnostic est légitime – (Cass. 23/05/2000)
Les faits
En septembre 1986, un patient âgé de 53 ans et dont la situation professionnelle est précaire consulte un psychiatre en raison d’une forte anxiété. Un traitement est entrepris.
Quelques mois plus tard, en avril 1987, l’aggravation de l’état dépressif du patient entraîne son hospitalisation dans une clinique où est posé le diagnostic de psychose maniacodépressive. Le psychiatre décide de ne pas en informer son patient.
Une phase d’amélioration temporaire intervient mais en octobre 1990 le praticien établit un certificat médical d’invalidité à 90 % qui permet au patient de faire valoir ses droits
auprès des organismes sociaux dont il relevait et des assurances couvrant les emprunts qu’il avait contractés. Il est médicalement acquis que l’invalidité est consécutive à la
psychose maniaco-dépressive diagnostiquée en 1987 (lien de causalité).
En janvier 1996, le patient reproche à son médecin ne n’avoir pas révélé le diagnostic de sa maladie dès 1987 et soutient que ceci l’a privé des possibilités de faire valoir ses droits
à une pension d’invalidité, à un complément de pension de retraite et à la prise en charge par les assurances des échéances de prêts.
Il estime le montant de son préjudice à 304 898 € (2 000 000 FRF). Débouté par le Tribunal de Grande Instance puis par la Cour d’appel de Besançon (arrêt du 30/04/1998), il forme
un pourvoi devant la Cour de cassation.
Cour de cassation – Arrêt D. du 23/05/2000
La Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 23/05/2000 validera l’arrêt de la cour d’appel aux motifs suivants :
Le Code de déontologie médicale… « autorise le médecin à limiter l’information de son patient sur un diagnostic ou un pronostic grave ; que si une telle limitation doit être fondée
sur des raisons légitimes et dans l’intérêt du patient, cet intérêt devant être apprécié en fonction de la nature de la pathologie, de son évolution prévisible et de la personnalité du
malade, la cour d’appel a, sans dénaturation, procédé à la recherche qu’il lui est reproché d’avoir omise ; qu’elle a, en effet, par motifs propres et adaptés, constaté que l’évolution
sous traitement d’une psychose maniaco-dépressive ne pouvait être évaluée avant plusieurs années, l’état du patient ayant d’ailleurs connu une nette amélioration en 1988 et
1989, et que la révélation de ce diagnostic devait être faite avec prudence compte tenu des phases mélancoliques et d’excitation maniaque ; qu’ayant ainsi souverainement estimé
que l’intérêt du malade justifiait la limitation de l’information quant au diagnostic, la cour d’appel a pu décider que le praticien n’avait pas commis de faute… »
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C. LE TRAITEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION DANS LE CADRE DE LA LOI DU 4/03/2002
Parmi de nombreuses autres dispositions, la loi du 4/03/2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a vocation à redéfinir, de façon durable, le cadre
général de la responsabilité médicale. Le devoir d’information est abordé à l’article 11 de ce texte et donne lieu à l’insertion des nouveaux articles L.1111-1 et suivants au code de
la santé publique. La reconnaissance du droit de toute personne à être informée sur son état de santé est consacrée.
Le contenu de l’information
Il porte sur les investigations, traitements ou actions de prévention proposés, leur utilité, leur urgence, leurs conséquences, les risques
fréquents ou graves normalement prévisibles, les autres solutions possibles, les conséquences prévisibles en cas de refus. La volonté d’une
personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque
de transmission.
L’information porte aussi, avant la délivrance des soins sur leur coût et les conditions de leur remboursement.
La preuve de l’information
En cas de litige, il appartient au professionnel de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions
prévues par la loi. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.
Informer pour recueillir le consentement du patient
Aucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout
moment. Ceci ne concerne bien évidemment pas l’urgence.
Le médecin doit respecter la volonté du patient après l’avoir informé des conséquences de son choix. Si la volonté du patient de refuser ou
d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour le convaincre d’accepter les soins.
Sauf urgence, aucune intervention ne peut être faite sur une personne hors d’état d’exprimer sa volonté sans avoir au préalable consulté sa
famille ou un proche.
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TRAITEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION
TABLEAU COMPARATIF ENTRE LA JURISPRUDENCE ET LA LOI
Cour de cassation
Jurisprudence – Arrêt H. du 25/02/1997
La charge de la preuve appartient au praticien
Loi du 4/03/2002
Art. L.1111-1 Code de la santé publique
La charge de la preuve appartient au praticien
L’information porte sur les risques graves afférents aux L’information porte sur
investigations et soins proposés et sur ceux qui, exceptionnels, sont normalement prévisibles…
susceptibles de mettre en danger la vie ou la santé du patient…
La preuve de l’information peut être apportée par tout moyen
les risques fréquents ou
graves
La preuve de l’information peut être apportée par tout moyen
Ceux, nombreux dans le monde de la santé qui espéraient une remise en cause par la loi de la jurisprudence relative à l’inversion de la charge de la preuve en matière
d’information seront déçus. La loi en effet consacre la jurisprudence qui l’a précédée. L’harmonie s’avère ainsi totale entre les deux sources du droit.
Même au niveau du contenu de l’information il n’existe aucune différence, en dépit des apparences, entre la Cour de cassation et le législateur. Les hauts magistrats évoquent
une nécessaire information sur « les risques graves… et ceux qui, exceptionnels sont susceptibles de mettre en danger la vie ou la santé du patient » tandis que la loi prévoit
l’information sur « les risques fréquents ou graves normalement prévisibles. »
Or, un risque exceptionnel grave n’en est pas moins connu. Dès lors, puisqu’il est connu, ne devient-il pas « normalement prévisible » ? Gageons que certaines juridictions ne
manqueront pas de s’interroger sur ce point. Selon nous, la question de l’information sur les risques exceptionnels n’a pas été écartée par la loi.
Enfin, que signifie « tout moyen » en matière d’apport de la preuve ?
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D. LA PREUVE DE L’ACCOMPLISSEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION
RAPPEL PREALABLE
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L’information doit être loyale, claire et appropriée (Cour L’information est donnée au cours d’un entretien La charge de la preuve de l’information incombe au
de cassation et Code de déontologie)
individuel (loi du 4/03/2002)
praticien par tout moyen (Cour de cassation et loi)
La loi du 4/03/2002 instaure désormais une règle unique se situant dans une proche continuité des dispositions antérieures et dont les juges devront désormais vérifier la bonne
application. Elle tend à renforcer le caractère d’oralité de l’information ; l’écrit n’en est pas pour autant exclu, même s’il ne saurait constituer un élément probant de preuve.
Quant à la preuve proprement dite, elle peut et doit être rapportée par tous moyens ainsi que l’exigent ensemble la loi et la jurisprudence.
1. La preuve de l’information peut être faite par tous moyens – (Cass. 14/10/1997)
Les faits
Une patiente de 28 ans décède des suites d’une embolie gazeuse après avoir subi une cœlioscopie. Sa famille assigne le chirurgien au motif d’un défaut d’information de la
patiente sur le risque d’embolie gazeuse lié à l’opération.
Dans un arrêt rendu le 31/05/1995, la Cour d’appel de Rennes rejette la demande de la famille. Pour les juges du fond, le fait que la patiente exerçait la profession de laborantine
au sein même de l’établissement où avait eu lieu l’opération, qu’elle s’était entretenue à plusieurs reprises avec le médecin et avait enfin pris sa décision après une longue
réflexion en manifestant de l’anxiété avant l’intervention constituent autant d’éléments de présomptions tendant à prouver que l’information sur le risque d’embolie gazeuse lui
avait bien été donnée.
Cour de cassation – Arrêt G. du 14/10/1997
A la suite du pourvoi formé devant elle par la famille de la défunte, la Cour de cassation consacre cet arrêt par sa propre décision du 14/10/1997 dans les termes suivants :
« S’il est exact que le médecin a la charge de prouver qu’il a bien donné à son patient une information loyale, claire et appropriée sur les risques des investigations ou soins qu’il
propose, de façon à lui permettre d’y donner un consentement ou un refus éclairé… la preuve de cette information peut être donnée par tous moyens (souligné par nous). La Cour
d’appel ayant constaté qu’il résultait des pièces produites que la patiente (décédée des suites d‘une embolie gazeuse), qui exerçait la profession de laborantine titulaire dans le
centre hospitalier où avait eu lieu la cœlioscopie, avait eu divers entretiens avec son médecin, pris sa décision après un temps de réflexion très long et manifesté de l’hésitation et de
l’anxiété avant l’opération, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a retenu que cet ensemble de présomptions démontrait que le médecin
gynécologue avait informé sa patiente du risque grave d’embolie gazeuse inhérent à la cœlioscopie. »
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L’apport de la preuve, par « tous moyens » donc, nécessite la constitution à charge du médecin d’un faisceau de présomptions qualifié par la jurisprudence de « graves, précises et
concordantes ». Il est constitué d’éléments divers, matériels (fiche d’information, dossier médical) ou non (délai de réflexion). Un seul parmi ces éléments n’a pas valeur de
preuve. C’est leur conjonction, le fameux faisceau qui, en l’espèce, l’emporte.
La fiche d’information
En l’espèce, une fiche d’information remise au patient et signé par lui sur les risques encourus du fait du traitement choisi et de ceux
encourus en cas de refus de soins n’est pas en soi une preuve ; tout au plus une présomption. Quant au devis préalable, imposé ou non par
la réglementation et remis au patient, il n’a pas davantage valeur de preuve que l’information a bien été donnée. Un tel document se situe
sur le seul terrain économique.
Le dossier médical
Les dispositions prévues dans le cadre de la loi du 4/03/2002 relatives à la mise en place, la tenue et la remise au patient demandeur de son
dossier médical ont pu être perçues – à tort – par certains médecins comme, sinon coercitives, du moins susceptibles de favoriser un
sentiment de défiance du patient à leur endroit. Chacun aujourd’hui peut se rendre compte qu’il n’en n’était rien, ni dans l’esprit, ni dans la
lettre. Mieux, avec le recul, on perçoit à quel point le dossier médical est susceptible de constituer non pas une preuve, mais un élément
assez déterminant de présomption tendant à manifester le respect par le médecin de son devoir d’information. Puisque doivent figurer dans
ce dossier toutes les données objectives liées à l’état de santé du patient à la suite des examens successifs, des soins prodigués et la
constatation de leurs effets, nous pensons que se trouve dès lors décrit dans ce document, ou à tout le moins résolument ébauché, le cadre
du colloque singulier.
Le délai de réflexion
Le délai de réflexion peut être réglementaire. C’est notamment le cas en chirurgie esthétique. Le décret n° 2005- 777 du 11/07/2005 prévoit
un délai de réflexion de quinze jours, sans qu’il soit possible d’y déroger après la remise du devis détaillé par le chirurgien à son patient. Mais
hors les cas où la réglementation l’impose et pour autant bien entendu que cela ne n’aggrave en rien l’état de santé du patient, un délai de
réflexion peut aussi lui être proposé. Un document écrit l’informe alors des risques qu’il encourt du fait de l’intervention envisagée. Le
patient signe ce document qui stipule par ailleurs que, durant la période de réflexion, le praticien reste à sa disposition pour toutes
informations complémentaires.
Cette construction fera l’objet d’un nouvel arrêt rendu par la haute Juridiction qui, en parachevant le travail entrepris depuis l’arrêt fondateur du 25/02/1997, définira précisément
les éléments constitutifs du faisceau de présomption en matière d’apport de la preuve.
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2. La jurisprudence définit les éléments du « tous moyens » en matière de preuve de l’information – (Cass. 4/01/2005)
Les faits
Après avoir accouché d’un enfant trisomique, une patiente assigne son gynécologue. Elle reproche à celui-ci – il s’en défend – de ne l’avoir pas informé de la nécessité d’une
amniocentèse alors même qu’elle suivait une grossesse à risque.
ère
Déboutée en appel, la patiente forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Dans son arrêt rendu le 4/01/1995, la 1 chambre civile de la Haute Juridiction rejette ce pourvoi au
motif que le médecin a bien prouvé la délivrance de l’information permettant la patiente de consentir ou refuser l’amniocentèse.
Cour de cassation – Arrêt G. du 4/01/2005
« … Le médecin prouve par tous moyens la délivrance de l’information permettant au patient d’émettre un consentement ou un refus éclairé quant aux investigations et soins
auxquels il est possible de recourir… Il résultait des attestations produites par la patiente, ses déclarations au cours de l’expertise et du dossier médical que la patiente avait été
particulièrement sensibilisée à l’éventualité de l’examen dont il s’agit… et que le refus de la patiente figurait dans la lettre adressé pour ce motif par le médecin à une consœur en
vue d’une échographie de substitution… »
L’arrêt du 4/01/2005 est d’une grande portée. Se trouvent enfin énumérés les moyens de preuve : attestations produites par la patiente, ses déclarations au cours de
l’expertise, examen du dossier médical et, fait nouveau, la lettre écrite par le médecin à sa consœur notifiant le refus de la patiente de subir une amniocentèse. En droit, il
s’agit d’une preuve dite « auto-constituée. »
Certes, ce n’est pas cette preuve auto-constituée qui exonère le praticien poursuivi. L’exonération repose toujours sur le fameux faisceau de présomptions « graves, précises et
concordantes » et la preuve auto-constituée n’est qu’un élément parmi d’autres (le dossier médical, les déclarations de la patiente, etc.) de ce faisceau.
C’est pourquoi présentée comme argument unique, cette preuve ne suffirait bien entendu pas à emporter la conviction du magistrat. Il n’empêche. Pour autant que cette
jurisprudence se confirme, voilà désormais matière à alléger sensiblement la charge de la preuve incombant au professionnel de santé.
♦♦♦♦♦♦
16
E. INDEMNISATION DU DEFAUT D’INFORMATION : RESPONSABILITE MEDICALE ET ONIAM
1. La perte de chance née du défaut d’information implique une réparation intégrale du dommage entre le praticien et l’ONIAM – (Cass. 11/03/2010)
Les faits
Opéré d’une hernie discale, un patient reste paralysé des membres inférieurs. Avant l’intervention, il avait signé un consentement type faisant état de « complications y compris
vitales » sans qu’elles soient nommées. Le délai de réflexion entre la signature et l’intervention a été de 12 jours. Le patient assigne le chirurgien et l’ONIAM devant le TGI de
Marseille.
Le TGI met le chirurgien hors de cause. Au vu des expertises, il est intervenu conformément aux données de la Science. Le TGI met à la charge de l’ONIAM la réparation intégrale
du préjudice (aléa thérapeutique). L’ONIAM interjette appel.
Par arrêt du 10/09/2008, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence infirme le jugement. Le praticien n’a pas commis de faute médicale mais il a failli à son devoir d’information créant,
pour le patient, une perte de chance d’échapper au préjudice. Qui plus est, selon la cour, l’état du patient ne justifiait pas l’urgence de l’intervention. Et ce patient a été privé du
temps de réflexion suffisant pour décider d’accepter ou non le risque. La réparation du dommage né du défaut d’information est évaluée à 80 %. Quant à l’ONIAM, il est mis hors
de cause car l’indemnisation par le biais de la solidarité nationale ne peut être que subsidiaire.
Le chirurgien et son assureur forment un pourvoi devant la Cour de cassation. Ils reprochent à la cour d’appel sa décision de condamner le praticien alors que le patient avait été
informé du risque de paraplégie inhérent au geste opératoire et que ce geste, approprié, avait été accompli dans les règles de l’art. La victime forme quant à elle un pourvoi
incident contre la décision d’appel d’écarter l’ONIAM de la réparation du préjudice non indemnisé par l’assureur du chirurgien (20 %).
Cour de cassation – Arrêt X. du 11/03/2010
La haute cour rejette le pourvoi principal formé par le chirurgien et son assureur. Elle revanche, elle accueille le pourvoi incident en cassant l’arrêt d’appel sur la décision des juges
du fond d’écarter l’ONIAM du complément d’indemnisation au motif qu’il ne peut être que subsidiaire.
Sur le moyen du pourvoi :
« … attendu que la cour d’appel a tout d’abord, pour écarter toute faute diagnostique ou opératoire de M. X (le chirurgien), retenu que l’intervention chirurgicale était une réponse
thérapeutique adaptée, même si la nécessité immédiate n’en était pas justifiée… qu’elle a ensuite constaté qu’en raison du court laps de temps qui avait séparé la consultation
initiale et l’opération, M. Y (le patient) n’ayant reçu aucune information sur les différentes techniques envisagées, les risques de chacune et les raisons du choix de M. X pour l’une
d’entre elles, n’avait pu bénéficier d’un délai de réflexion pour mûrir sa décision… ce dont il résultait qu’en privant M. Y de la faculté de consentir d’une façon éclairée à
l’intervention, M. X avait manqué à son devoir d’information… il a privé M. Y d’une chance d’échapper à une infirmité…
Sur le moyen du pourvoi incident :
« Ne peuvent être exclus du bénéfice de la réparation au titre de la solidarité nationale les préjudices non indemnisés ayant pour seul origine un accident non fautif ;
… que pour rejeter la demande dirigée par M. Y contre l’ONIAM… l’arrêt retient qu’une faute a été retenue à l’encontre du praticien, l’indemnisation est à la charge de ce dernier,
l’obligation d’indemnisation par la solidarité nationale n’étant que subsidiaire ; Qu’en statuant ainsi alors que l’indemnité allouée à M. Y avait pour objet de réparer le préjudice né
d’une perte de chance d’éviter l’accident médical litigieux, accident non imputable à une faute de M. X à l’encontre duquel avait été exclusivement retenu un manquement à son
devoir d’information…
Par ces motifs… Casse et annule mais seulement en sa disposition mettant hors de cause l’ONIAM… »
17
ère
Personne ne s’y trompe. L’arrêt de cassation du 11/03/2010 (1
question de l’information due au patient.
ch. civ.) marque une nouvelle inflexion dans l’approche par les hauts magistrats de l’incontournable
En rejetant le principe de subsidiarité de l’ONIAM au profit du principe de complémentarité entre celui-ci et la RC du praticien, la cour fixe une règle nouvelle permettant une
totale indemnisation de la victime. Il s’agit, en soi, d’une audacieuse avancée tant elle ouvre des perspectives, notamment dans la perception de la nature même de la faute
d’information. Qu’on en juge.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence considère que la paraplégie dont le patient est désormais atteint ne résulte pas d’une faute médicale (choix de la stratégie thérapeutique,
conduite du geste…) mais d’un défaut d’information patent.
 L’opération présentait des risques, y compris vitaux alors que l’étroitesse du délai de réflexion laissé au patient ne lui laisse guère un choix raisonné pour accepter ou non le
risque.
 Les informations indispensables sur les différentes techniques envisagées, les risques induits par chacune d’entre elles et les raisons du choix du chirurgien ne sont pas
abordés de façon orale devant lui.
 Facteur aggravant, en dépit du fait que M. Y présente une hernie volumineuse, l’intervention ne présente pas un caractère d’urgence absolue.
Pour les juges du fond, il y a là autant de facteurs constitutifs d’une faute d’information ayant fait perdre une chance à M. Y d’échapper au préjudice. La réparation consécutive
à cette perte de chance s’évalue à 80 % du préjudice.
Mais qu’en est-il des 20 % non indemnisés ?
La cour d’appel estime que la solidarité nationale ne peut jouer dans la mesure où le dommage ne résulte pas d’un aléa thérapeutique mais d’une faute, ici matérialisée par le
défaut d’information du chirurgien. Et l’ONIAM n’a pas à intervenir puisque la RC du médecin fautif a normalement joué. Il s’agit de l’application même du principe de
subsidiarité. L’ONIAM intervient seul, en réparation d’un aléa ou n’intervient pas du tout (sauf dérogation prévue article L. 1142-18 du code de la santé publique).
La perception de la Cour de cassation est autre. Selon elle, le défaut d’information n’est pas une faute « comme les autres », c’est-à-dire une de celles survenues dans la
conduite « d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins » tel que l’exprime la loi (art. L. 1142-1-II du code de la santé publique). Le défaut d’information est une faute
morale, non une faute médicale de prévention, de diagnostic ou de soins. Cette faute morale reste une faute autonome, sans causalité directe avec le préjudice. En effet, le
préjudice ne naît pas du défaut d’information. Il naît soit d’une faute médicale, soit du risque inhérent au geste ou à la pathologie, soit d’un aléa thérapeutique. C’est pourquoi
l’on répare le dommage qui aurait pu être écarté si l’information avait été donnée de façon claire, loyale et appropriée par le biais d’un instrument spécifique : la perte de
chance, et cette réparation est partielle.
Il en résulte qu’au sens de l’arrêt du 11/03/2010, cette faute parce qu’elle est morale et non pas médicale, ouvre voie à une indemnisation intégrale mariant RC et solidarité
nationale. On mesure ici la portée d’une telle jurisprudence, fruit de la singularité de la faute d’information.
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18
F. L’AUTONOMIE DE LA FAUTE RESULTANT DU DEFAUT D’INFORMATION
DU REJET A LA CONSECRATION
1. Le manquement au devoir d’information n’est pas source de préjudice moral– (Cass. 6/12/2007)
Les faits
Un patient reste hémiplégique des suites d’une opération pour carotidie avant de succomber 3 années plus tard, son état n’ayant cessé de se dégrader. La veuve et son fils
intentent une action en réparation contre le chirurgien au double motif de leur préjudice et de celui de leur époux et père.
Par arrêt rendu le 30 06/2006, la Cour d’appel de Bordeaux considère que le chirurgien a commis une faute en n’informant pas le patient du risque d’hémiplégie qui s’est réalisée.
Toutefois, elle écarte la réparation du préjudice au titre de la perte de chance au motif que compte tenu de la gravité de son état et eu égard au fait que le risque d’hémiplégie
était faible, le patient, même informé n’aurait pas refusé l’opération. Les juges du fond caractérisent néanmoins le préjudice moral du défunt et de sa famille et accordent à l’un et
aux autres la somme de 3 000 €.
La famille du défunt forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Elle conteste la décision des juges du fond de refuser l’indemnisation de la perte de chance. Le chirurgien et son
assureur forment un pourvoi incident contre la double indemnisation du préjudice moral décidée par la cour.
Cour de cassation – Arrêt X. du 6/12/2007
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la famille au motif « … que l’on devait considérer que, compte tenu de la gravité du problème cardiaque, de son évolution rapide
et du caractère relativement faible du risque encouru… le patient se serait fait opérer même si le médecin l’avait avisé d’une possibilité de complication ; qu’il ne pouvait donc être
soutenu que le défaut d’information avait fait perdre au patient une chance de ne pas subir la pathologie dont il a été atteint… »
Elle casse en revanche la partie de l’arrêt ouvrant indemnisation du préjudice moral du patient et de sa famille, considérant « … que le seul préjudice indemnisable à la suite du non
respect de l’obligation d’information du médecin… est la perte de chance d’échapper au risque qui s’est finalement réalisé… »
Si le devoir d’information revêt désormais un caractère régalien, il faut néanmoins estimer que le manquement à ce devoir n’ouvre pas voie à la perte de chance et donc à
son indemnisation lorsque, eu égard à la gravité de son état, le malade, même dûment informé n’aurait pas refusé l’opération et le risque consécutif. A la date de son rendu,
l’arrêt reprend sans surprise une jurisprudence jusqu’alors d’une grande constance.
La réparation du préjudice moral est, quant à elle écartée par les hauts magistrats, le seul préjudice indemnisable (et les conditions d’indemnisation ne sont pas ici réunies)
demeurant la perte de chance d’échapper au risque. Il n’empêche, en reconnaissant la réalité du préjudice moral né du défaut d’information – à découpler complètement de la
perte de chance – et même si la disposition est cassée, la Cour d’appel de Bordeaux ouvre un chemin sur lequel la Cour de cassation ne va pas tarder à se situer elle-même.
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2. Sauf incapacité à consentir, le non-respect du devoir d’information est source de préjudice qu’il convient d’indemniser – (Cass. 3/06/2010)
Les faits
Un médecin urologue pratique une adénomectomie prostatique sur un patient souffrant de rétention d’urine. A la suite de l’intervention, celui-ci demeure atteint d’une
impuissance sexuelle complète et définitive. Il recherche la responsabilité du praticien sur deux motifs : la faute technique et le défaut d’information sur le risque d’impuissance
sexuelle liée à l’opération.
Dans un arrêt rendu le 9/04/2008, la Cour d’appel de Bordeaux le déboute de l’ensemble de ses demandes. Le geste a été réalisé dans les règles de l’art, il était nécessaire et il
n’existait pas d’alternative. Eu égard au danger d’infection que faisait courir la sonde vésicale, il est peu probable que le patient aurait renoncé à l’intervention, même dûment
averti du risque d’impuissance que celle-ci présentait.
Le patient forme un pourvoi devant la Cour de cassation sur plusieurs branches : le geste opératoire, le suivi post-opératoire et le défaut d’information.
Cour de cassation – Arrêt X. du 3/06/2010
La Cour de cassation rejette les deux premières branches du pourvoi mais accueille la troisième, cassant en cette disposition l’arrêt de la Cour de Bordeaux dans les termes
suivants :
« Attendu… que toute personne a le droit d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposées, des risques inhérents à ceux-ci, et que
son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir ; que le
non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice… que le juge ne peut laisser sans réparation… Par ses
motifs, casse et annule… »
Même si le geste opératoire était nécessaire à la santé et peut-être à la survie du patient ne devait-il être précédé d’une information claire, loyale et appropriée sur les
risques encourus, notamment le risque d’impuissance sexuelle complète et définitive ? Et, en l’absence de faute médicale prouvée, ce seul manquement induit-il à lui seul un
préjudice indemnisable ?
Telle est, en l’occurrence la question posée à la Cour de cassation à laquelle elle répond par l’affirmative.
Contrairement à d’autres observateurs, nous ne voyons rien de réellement surprenant dans le rendu de l’arrêt du 3/06/2010. Cet arrêt ne constitue pas une inflexion de la
jurisprudence. Il n’est que le logique prolongement à la construction jurisprudentielle entreprise depuis le 25/02/1997. Il prend naturellement en compte les principes de notre
droit en matière de protection de la personne humaine.
La Haute cour fait tout d’abord référence aux principes régis au livre I – Chapitre 2 du Code civil « Du respect de la personne humaine ».
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-
Article 16 : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain. »
Article 16-3 : « Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est
pas à même de consentir. »
Elle en appelle ensuite à l’article 1382 tiré du livre III – Chapitre 2 « Des délits et des quasi-délits » qui stipule que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un
dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Et cet article n’est que la traduction du fameux principe du primum non nocere.
Ainsi la Cour de cassation n’invente rien (ce qui échapperait à ses prérogatives par ailleurs !)
Depuis fort longtemps, notre droit traite de façon autonome de la question éthique et du respect du corps. Nombre de textes internationaux comme, parmi d’autres, La
Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme (UNESCO – 19/10/2005) font de même. Il est naturel qu’au bout du compte, cette autonomie en matière de
traitement se prolonge d’une autonomie en matière de responsabilité – on parlera alors de « responsabilité éthique » ou de « responsabilité morale » – et d’une autonomie en
matière de faute avec obligation de réparer cette faute éthique ou cette faute morale. Reste à définir comment mais en lui-même le principe est acquis.
En parallèle, la force considérable conférée au consentement par la loi du 4/03/2002 relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé, loi qui régit
aujourd’hui la responsabilité médicale relève d’une préoccupation identique du législateur.
Il n’est pas possible au praticien d’intervenir sans le consentement « libre et éclairé » du patient et ce consentement peut être retiré à tout moment (art. L. 1111-4-3). Or ce
consentement naît, nous l’avons énoncé plus haut, d’une information claire, loyale et appropriée sur les risques propres à la stratégie thérapeutique proposée.
L’absence de consentement est d’évidence fautive au sens de ce texte. Même si l’intervention est médicalement justifiée, voire indispensable à la santé du patient, dès lors
qu’en état de donner son consentement celui-ci n’a pas été recherché par l’homme de l’art, la faute est là, patente, autonome.
C’est le message que nous adresse la Cour de cassation dans son arrêt du 3/06/2010. La Haute juridiction poursuit donc son travail d’appréhension globale de la délicate
question légale et déontologique de l’information due au patient. Elle enrichit aujourd’hui sa construction jurisprudentielle d’éléments moraux inhérents au respect du corps.
Commentaire extrait note JV – 04/2010 – LE DEFAUT D’INFORMATION DU MEDECIN ENVERS SON PATIENT CONSTITUE-T-IL UNE FAUTE AUTONOME ?
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3. Sauf incapacité à consentir, le non-respect du devoir d’information est source de préjudice qu’il convient d’indemniser – (Cass. 12/01/2012)
Les faits
Afin d’en cerner l’origine du mal, une arthroscopie est pratiquée en octobre 1990 sur un patient souffrant d’un genou. En mars 1994, le médecin poursuit le traitement par une
arthrotomie Par la suite, le patient affirme endurer de nouvelles douleurs. L’expert missionné démontre alors que les lésions dont il souffre ne sauraient être imputées à son
médecin dans la mesure où elle résulte de « … l’évolution naturelle de son traumatisme au genou droit vers une chondropathie de la rotule. »
La Cour d’appel de Basse-Terre, par arrêt rendu le 17/05/2010 déboute le patient de sa demande en réparation du préjudice pour défaut d’information. Les juges du fond estiment
en effet que les séquelles subies demeurent une conséquence de l’évolution naturelle de son état et non des actes pratiqués. S’il est admis que le patient n’a reçu aucune
information lors des interventions litigieuses, celles-ci n’ont pas produit de conséquences dommageables autres que la simple méconnaissance de sa volonté.
Le patient forme un pourvoi devant la Cour de cassation.
Cour de cassation – Arrêt X. du 12/01/2012
La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel dans des termes identiques à ceux retenus dans l’arrêt du 3/06/2010 :
« Attendu… que toute personne a le droit d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposées, des risques inhérents à ceux-ci, et que
son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir ; que le
non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice… que le juge ne peut laisser sans réparation… Par ses
motifs, casse et annule… »
A ce stade, le caractère autonome de la faute d’information ne semble plus porter à débat. D’autant qu’un nouvel arrêt rendu par la juridiction suprême quelques jours
plus tard, le 26/01/2012 tendra à l’affirmation de cette approche nouvelle. Les hauts magistrats de l’ordre judiciaire ouvrent une nouvelle page et l’on comprend que les
articles 16 et 16-3 désormais agrégés à l’article 1382 du code civil forment désormais le socle d’une jurisprudence empreinte de morale.
Mais ce nouvel arrêt va plus loin que celui du 3/06/2010. En effet si, au titre de l’arrêt du 3/06/2010, il reste possible de lier, même de façon indirecte, le défaut d’information
et le préjudice subi, il n’en est rien dans l’arrêt du 12/01/2012. Ici le geste n’influe pas sur l’évolution négative de l’état de santé du patient. Cette évolution, répétons-le est
naturelle et se serait donc produite même si le geste médical n’avait pas été pratiqué !
La Cour de cassation n’en considère pas moins que le défaut d’information du médecin crée les conditions d’une atteinte aux droits du patient, dans sa personne et sa dignité.
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DE LA CONSECRATION A LA LIMITATION ?
4. Le moyen qui s’attaque à des motifs surabondants est inopérant – (Cass. 2/10/2013)
Les faits
En 1996, on diagnostique un cancer colorectal chez une femme enceinte. La grossesse est interrompue, un chirurgien pratique une colectomie, puis un oncologue une
chimiothérapie avant la pose d’une chambre à cathéter implantable. Mais une partie du cathéter migre au niveau du tronc de l’artère pulmonaire. Visible sur la radiographie, cette
anomalie n’est pourtant pas signalée. Quelque temps après, sur le conseil du gynécologue de la patiente, le chirurgien retire le dispositif. Il laisse néanmoins en place la partie
ayant migré dans le tronc pulmonaire.
En 2004, la patiente présente des douleurs thoraciques qui révèlent enfin la présence du morceau de cathéter et la scintigraphie met en évidence une embolie pulmonaire. On
retire le morceau de cathéter. La patiente recherche alors la responsabilité du chirurgien et de l’oncologue sur la base de l’indemnisation de son préjudice ainsi que du défaut
d’information, les médecins ne l’ayant pas avisé de la nécessité de retirer le dispositif. Elle réclame donc une double indemnisation pour un seul et même préjudice.
Le 16/05/2012, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence rend un arrêt qui retient la responsabilité solidaire de l’oncologue et du chirurgien ; le premier au motif d’un défaut d’initiative
de faire procéder au retrait du dispositif alors que la rémission était certaine, le second pour n’avoir pas procédé à l’ablation de la totalité du dispositif en question.
L’indemnisation, d’un montant de 6 443 € découle des erreurs techniques commises par les deux praticiens mais nullement d’un défaut d’information de leur part.
Réclamant une double indemnisation pour un seul et même préjudice, la patiente forme un pourvoi devant la Cour de cassation.
Cour de cassation – Arrêt X. du 2/10/2013
Si la Cour de cassation considère recevable l’indemnisation du préjudice corporel pour fautes commises, elle rejette la demande ayant trait à la réparation du défaut
d’information. En réalité la haute juridiction écarte le principe d’une double indemnisation.
« Attendu que Mme X. ne prétendait pas n’avoir pu donner un consentement mais faisait valoir qu’il était de la responsabilité de l’oncologue, mais aussi du chirurgien, de la
prévenir de la nécessité du retrait du dispositif veineux implantable et que, par suite de ce défaut d’information, elle avait conservé pendant huit ans ce dispositif… de sorte que le
défaut d’information était selon elle en relation directe avec son entier préjudice ; que la cour d’appel estimant que les deux médecins avaient commis des fautes, le premier en
s’abstenant de faire procéder à l’ablation du dispositif veineux implantable à l’issue du traitement de chimiothérapie et le second en ne procédant pas à son ablation entière les a
condamnés in solidum à indemniser Mme X. de ce même préjudice ; que le moyen qui s’attaque à des motifs surabondants est inopérant. »
 Chacun l’aura compris, « les motifs surabondants » dont il est question portent sur la demande en réparation du défaut d’information.
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Cet arrêt est évidemment frappé du sceau du bon sens. L’indemnisation du préjudice subi par une victime s’entend sur tout le préjudice mais rien que le préjudice. Mais ce
retour à l’orthodoxie, paradoxalement en devient troublant. Il affaiblit, il écarte même dans ce cas de figure le caractère autonome du défaut d’information et se place en la
matière en retrait des arrêts compassionnels et empreints de morale rendus à partie du 3/06/2010.
Une telle jurisprudence « en zigzag » ne contribue pas à la nécessaire sécurité juridique qui doit, autant que possible prévaloir dans le cadre de la relation de soins. Quels buts
poursuit-on ?
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G. LE CONSEIL D’ETAT CONSACRE UN PRINCIPE NOUVEAU : LE PREJUDICE D’IMPREPARATION
1. Le préjudice d’impréparation pour cause d’information non donnée prête lieu à réparation des troubles ainsi subis – (CE. 10/10/2012)
Les faits
er
En date du 1 /03/2002, un patient, M. B… est opéré au CHRU de Rouen d’une tumeur rectale. Quelques jours plus tard se révèlent un abcès périnéal et une fistule. Cette dernière
est traitée sans succès durant 9 mois par des soins locaux et 4 injections de colle biologique. Il faudra une nouvelle intervention chirurgicale pratiquée le 24/07/2003 à l’hôpital
Saint-Antoine à Paris pour que l’état de ce patient se consolide enfin. Il assigne alors l’établissement hospitalier rouennais au motif d’un manquement de celui-ci à son obligation
d’information sur les risques et complications inhérents à l’intervention, en particulier une atteinte à ses fonctions sexuelles. Le patient formule également le reproche d’une
stratégie thérapeutique inadaptée.
Sur le défaut d’information…
Par arrêt rendu le 16/11/2010, la Cour administrative de Douai considère que le CHRU n’apporte pas la preuve de l’information donnée au patient sur les risques de complications
graves, notamment une atteinte probable des fonctions sexuelles. Pour autant, en référence au rapport de l’expert, la cour retient l’absence d’alternative à l’intervention afin
d’extraire la tumeur dont M. B… était porteur. Dans ces conditions, elle estime que « … le manquement des médecins à leur obligation n’a pas, dans les circonstances de l‘espèce,
fait perdre à l’intéressé une chance de refuser l’intervention et d’échapper ainsi à ses conséquences dommageables… »
Débouté (y compris de sa demande relative à l’indemnisation pour faute médicale), M. B. forme un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.
Conseil d’Etat – Arrêt B. du 10/10 2012
Le Conseil d’Etat admet qu’eu égard au caractère impérieux de l’intervention, le patient ne se trouvait pas en situation de la refuser, quand bien même aurait-il été dûment
informé des risques qu’elle comportait. Ainsi, le défaut d’information reproché au CHRU n’induit pas à son endroit une perte de chance d’écarter la dite intervention.
Pour autant, les hauts magistrats de l’ordre administratif ne s’en tiennent pas à ce seul rejet. Ils innovent aussi en conférant au défaut d’information la matérialité d’un préjudice
autonome découplé de la perte de chance : le préjudice d’impréparation qu’ils décrivent en ces termes :
« Considérant qu’indépendamment de la perte de chance de refuser l’intervention, le manquement des médecins à leur obligation d’informer le patient des risques encourus ouvre
pour l’intéressé, lorsque ces risque se réalisent, le droit d’obtenir réparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en
prenant certaines dispositions personnelles… »
Certes, M. B. ne s’étant pas prévalu d’un tel préjudice d’impréparation, il ne saurait prétendre à son indemnisation. Pour autant, le Conseil d’Etat opère ici une évolution
jurisprudentielle importante.
Signalons enfin, par souci d’exhaustivité l’accueil par le Conseil d’Etat du pourvoi formé sur la faute médicale qui donnera lieu à nouveau jugement devant une cour administrative
d’appel de renvoi (Douai encore) et indemnisation des souffrances physiques et morales de M. B., ceci à hauteur d’environ 20 000 €.
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Il importe de définir clairement ce qu’entendent les magistrats du Conseil d’Etat par « préjudice d’impréparation ».
 Tout d’abord, ce préjudice ne se substitue pas à la perte de chance qui, elle, reste appelée lorsque le défaut d’information a fait perdre au patient une chance de refuser une
intervention à l’issue de laquelle un risque s’est réalisé. Le préjudice d’impréparation vient s’ajouter à la perte de chance ce qui se traduit, le cas échéant, par un cumul des
indemnités versées à la victime.
 Ensuite, un tel préjudice matérialise les troubles psychologiques (mais seulement psychologiques ?) ressentis par le patient n’ayant pu, avant l’intervention, se préparer à la
réalisation d’un risque dont on ne l’avait pas informé et qui s’est finalement révélé. Cette dimension se situe au-delà du droit. Elle revêt un caractère moral et l’on sait
d’expérience que droit et morale font très rarement, pour ne pas dire jamais bon ménage. Les exemples en la matière sont hélas légion ce qui n’a pas l’heur de troubler outre
mesure les magistrats suprêmes tant de l’ordre administratif (le Conseil d’Etat) que de l’ordre judiciaire (la Cour de cassation) comme nous le verrons plus loin.
 Enfin se pose la question de l’évaluation – en termes d’indemnisation – du préjudice d’impréparation.
L’arrêt du 10/10/2012 du Conseil d’Etat nous renvoie bien entendu à celui du 3/06/2010 rendu par la Cour de cassation (voir arrêt et commentaires page…)
En l’espèce, opéré avec succès d’un adénome prostatique, le patient était par la suite demeuré sexuellement impuissant sans aucune faute technique à la charge de son
chirurgien. La Cour de cassation n’en avait pas moins estimé que le défaut d’information sur ce risque d’impuissance avait entraîné un préjudice « … que le juge ne peut laisser
sans réparation. » Qu’importe si le geste, réalisé dans les règles de l’art était indispensable à la survie de ce patient, aujourd’hui impuissant certes, mais vivant.
La Cour de cassation consacre ici le caractère d’autonomie du défaut d’information. Et le toucher du corps en souffrance exige, sauf situation d’urgence, le consentement libre
et éclairé de celui qui, justement habite le corps, c’est-à-dire le patient lui-même.
De toute évidence, par son arrêt du 19/10/2012, le Conseil d’Etat opère un rapprochement, à une nuance près toutefois.
 La Cour de cassation considère que tout déficit d’information est constitutif, en soi, d’une faute qu’il y ait ou non trouble. Ceci par application des principes liés au respect
de la dignité humaine.
 Le Conseil d’Etat, plus en retrait entend que soit réparé, à la suite d‘un défaut d’information, le trouble subi pour n’avoir pu se préparer à l’éventualité en prenant des
dispositions personnelles.
Le préjudice d’impréparation ne vas pas révolutionner la responsabilité médicale pas plus qu’il n’hypothèquera outre mesure les comptes des compagnies d’assurance. Son
aspect novateur ne doit en rien cacher sa vraie matière : une péripétie parmi beaucoup d’autres, passées et à venir.
Son émergence et, peut-être, sa consécration ne sont pas les bienvenues, ni pour les médecins, ni pour les patients quoi que les associations qui représentent ces derniers en
pensent. Le préjudice d’impréparation s’inscrit en effet dans un environnement désormais fort peu lisible pour qui n’est pas pénétré des arcanes du droit. Alors un médecin,
alors un patient… Comment peuvent-ils se retrouver dans le dédale des décisions rendues ?
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Cependant, pour une simple raison d’équité entre citoyens, le Conseil d’Etat n’avait d’autre choix que de réorienter sa jurisprudence comme il l’a fait. A défaut, la différence de
traitement entre les patients du public et ceux du privé en matière d’indemnisation du défaut d’information aurait pris un tour insupportable.
Commentaire extrait note JV – 03/2014 – DEFAUT D’INFORMATION ET PREJUDICE D’IMPREPARATION – DU RISQUE NE DE L’ACTIVISME JURISPRUDENTIEL
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CONCLUSION
Si la jurisprudence en matière d’information du patient s’avère, par essence même évolutive voire exploratoire, elle doit en revanche conserver une certaine lisibilité. Par-delà les
décisions rendues par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat, celle-ci a longtemps prévalu. C’est peut-être moins le cas aujourd’hui.
Au cours des dernières années, de nouvelles et puissantes avancées se sont produites. Ainsi, en moins de trois mois, c’est-dire entre le 11/03 et le 3/06/2010, la Cour de cassation
a modifié en profondeur la question du devoir d’information :
- par l’ouverture vers une indemnisation intégrale du préjudice (perte de chance par la RC, faute morale d’information par la solidarité nationale) ;
- par la consécration de l’autonomie de la faute d’information.
Même en connaissant l’attachement séculaire des juges à une indemnisation complète du dommage corporel, nous avons alors été surpris par la première disposition tant le
principe d’une réparation partielle par la seule perte de chance nous paraissait gravé dans le marbre. A contrario pour la faute autonome, le droit tel qu’il est écrit ne laissait selon
nous pas d’autre alternative. Et ce fut là le paradoxe de l’arrêt du 3/06/2010, arrêt si prévisible et pourtant tellement commenté !
Nous pensions que s’ouvrait alors un nouveau chemin, assez bien balisé vers l’ajustement de l’obligation d’information au nouveau statut légal du patient, celui « d’usager du
système de santé » tant les droits en la matière de l’usager excèdent largement ceux du patient.
Nous pensions à tort. Le 2/10/2013, la Cour de cassation est revenue à l’orthodoxie – ce dont on lui sait gré – rappelant que l’indemnisation porte sur le préjudice mais rien que le
préjudice et renvoyant l’autonomie du défaut d’information à un futur incertain.
C’est dans un tel environnement que s’est inscrit le concept de préjudice d’impréparation, émanation du Conseil d’Etat ; un environnement fort peu lisible pour qui n’est pas
pénétré des arcanes du droit. Cependant, pour une simple raison d’équité entre citoyens, le Conseil d’Etat n’avait d’autre choix que de réorienter sa jurisprudence comme il l’a
fait. A défaut, la différence de traitement entre les patients du public et ceux du privé en matière d’indemnisation du défaut d’information aurait pris un tour insupportable.
D’ailleurs sur ce point, nous avons toujours considéré comme un « barbarisme juridique » deux ordres juridictionnels, l’un administratif, l’autre judiciaire appliquant pour des
mêmes souffrances, des règles différentes. Il y a urgence à fonder un ordre juridique unique chargé de juger des affaires médicales, d’où qu’elles proviennent comme c’est déjà le
cas en matière d’indemnisation de l’aléa thérapeutique.
La relation de soins n’a pas d’équivalent. Le soignant crée, dans le corps du patient, un désordre afin de combattre un autre désordre, la maladie dont celui-ci est porteur. Pour y
parvenir, avant même la démonstration d’une compétence technique, une confiance réciproque doit s’instaurer. Or la confiance naît de la parole. Et il est légitime, lorsque cela
s’impose de produire la preuve qu’elle a été portée par le soignant puis comprise par le patient.
Mais la règle de droit en matière d’information (la parole portée afin d’être comprise), à défaut d‘être simple doit respecter un principe de stabilité sans lequel personne ne saurait
s’y retrouver, à commencer bien entendu le soignant lui-même. C’est là le risque d’une altération de la confiance.
La relation de soins a la fragilité du cristal. Il faut attendre des hautes juridictions qu’elles en soient les gardiennes.
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