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Littérature
étrangère
Dimanche 6 Juin 2010
L
14
Roman-océan
Danois Carsten Jensen a noirci
700 pages pour évoquer Marstal,
où il est né. Dans ce port qui a
compté jusqu’à 362 navires – « La
deuxième plus grande flotte du pays,
bien que la ville, pour ce qui est du
nombre d’habitants, se situe peut-être à
la centième place » –, la voie était toute
tracée : « Le destin qui nous attendait,
c’étaient les coups et la mort par
noyade, et pourtant on n’avait qu’un
désir : prendre la mer ».
Nous, les noyés est donc une histoire
de fatalité. De grandeur et de décadence aussi, courant sur trois générations de marins. Tout commence avec
Laurids Madsen, qui prend part au
désastreux raid naval sur Eckernforde
lors de la guerre contre la Prusse en
1849. Revenu de captivité, Laurids
s’évapore dans la nature en laissant
femme et enfants. Son fils Albert doit
sillonner le Pacifique et vivre mille
aventures pour le retrouver du côté des
Samoa. Puis, rangé de la bourlingue,
celui-ci se fait armateur et participe à la
prospérité de Marstal. Côté vie privée,
Albert n’a pas le même succès. Un
amour tardif l’enchaîne à la veuve Klara
Friis et à son fils Knud-Erik, à qui il
inocule le virus des voyages maritimes.
Or, la veuve ne veut pas que son rejeton
se fasse marin. Peine perdue : KnudErik ne résistera pas à l’appel du large.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il
deviendra capitaine d’un rafiot et participera aux éprouvants convois dans
l’Atlantique Nord. Entre-temps Klara,
ayant hérité de la fortune d’Albert, aura
pour se venger causé la ruine de Marstal
en empêchant le port de profiter de
l’essor de la marine à vapeur.
E
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Avec cette saga où chaque vague
apporte son lot d’histoires, Jensen
rejoint la lignée des Dickens, Stevenson, Conrad. Il y a même quelque
chose de hugolien dans son personnage d’Albert Madsen, intrépide coureur des mers mais agneau bêlant
auprès d’une belle indifférente, et qui
connaîtra, en face de la jetée de Marstal, une mort dérisoire et pathétique.
On n’oubliera pas de sitôt la rivalité
du cuistot Giovanni et d’O’Connor, le
second du trois-mâts Emma C Leightfield. Ni la tête momifiée de l’explorateur James Cook qui resurgit ici et là. Ni
la terrible traversée du Kristina entre
Terre-Neuve et le Portugal. On gardera
en mémoire Jack Lewis le marchand de
chair humaine, l’assassin Herman
Frandsen qui finit cul-de-jatte et manchot, et Miss Sophie qui accouche dans
les flots glacés au milieu des torpilles,
des grenades sous-marines et des cadavres. On se rappellera ces trognes pittoresques et ces femmes en acier trempé.
Le livre refermé, on voudrait remercier Carsten Jensen pour un tel feu
d’artifice imaginatif. On aimerait aussi
savoir qui est ce "nous" tantôt parlant
pour les gamins de Marstal tantôt représentant la communauté de marins.
L’explication tient dans le titre : c’est le
chœur des noyés, des nombreux disparus en mer qui nous conte un siècle
d’Histoire et d’histoires.
Nous les noyés n’est pas un roman-fleuve, c’est
un roman-océan : 700 pages pour raconter un siècle
d’aventures maritimes ayant pour point de départ
un petit port danois.
par Richard SOURGNES
Nous les noyés, de Carsten
Jensen (Libella Maren Sell).
Roman
L’amour et l’art
Lorsque leurs regards se croisent, Loren et Manuel y
découvrent chacun la même flamme romantique. Lui
est ouvrier sur le chantier du centre Pompidou-Metz,
elle court d’un emploi précaire à l’autre, usine, ménages… Mais avant de se laisser emporter vers cet amour
qui se présente gentiment, Loren se promet de retrouver
le fiancé disparu de sa grand-mère Obéline. Celui qu’on
appelait l’"Artiste".
L’histoire se déroule à Metz, autour du nouveau
vaisseau blanc du quartier de l’Amphithéâtre. Elle se
raconte en un court roman, au travers des conversations modestes et profondes entre Loren, Manuel,
Obéline et Max. Les mots familiers et les phrases
tournées avec simplicité font la marque de l’auteur,
Anne-Marie Hall-Ricq. Aux antipodes de l’écriture des
précieux, celle-là, enveloppante, généreuse et faite
pour tous, offre des moments de douces émotions. La
culture ouvrière, l’accès à l’art et ses voies réservées,
l’amour vécu plutôt que rêvé, sont des thèmes qui
affleurent, enracinés dans le bon sens. De celui qui
maintient les pieds sur la terre et le cœur en alerte, pour
capter la beauté et s’en réjouir.
Anne-Marie Hall-Ricq, qui vit dans un village de la
campagne messine, travaille en fourmi pour transmettre et faire partager son bonheur d’écrire. Elle a créé
depuis longtemps sa maison d’édition et son site, ce
qui laisse à sa plume la liberté de se poser où bon lui
semble.
Catherine BELIN
L’Artiste, par Anne-Marie Hall-Ricq
(Le Parolier). http://am.hallricq.free.fr
L’auteur est à l’Eté du Livre, stand Hisler-Even.
Carsten Jensen.
Science-fiction
Simulacre
Vous avez découvert les dangers de la
réalité virtuelle avec des films comme Matrix
ou Existenz et leur spectaculaire mise en
abyme ? Les éditions Folio SF remontent aux
sources en rééditant Simulacron 3 de Daniel
J. Galouye, un roman américain publié en
1963, d’une troublante ressemblance avec le
scénario de ces films. Douglas Hall travaille
à la programmation du Simulacron, un
super-ordinateur consacré à simuler une
ville et sa population à seule fin d’étude
sociologique, commerciale et politique. Il se
demande si les personnages virtuels qu’il
crée ont conscience de leur existence, ou
s’ils restent de simples routines simulectroniques. Lorsqu’un de ses collègues disparaît
et qu’il semble que tout le monde autour de
lui ait oublié son existence, Douglas Hall
commence à se poser de toutes autres questions… A la fois méditation sur la nature de
la réalité et dénonciation de l’hégémonie des
sondages d’opinion, ce court roman a gardé
toute sa saveur et sa pertinence plus de
quarante ans après son écriture. Un classique incontournable.
Jean-Baptiste DEFAUT
Simulacron 3
de Daniel J. Galouye
(Folio SF).
© Philippe MATSAS/Opale

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