Les langues des Tsiganes de France

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Les langues des Tsiganes de France
02/04/13
CAREC
Les langues des Tsiganes de France
Résumé de l’article de Patrick Williams « Langue tsigane – Le jeu « romanès » avec son aimable autorisation.
Williams, Patrick. Langue tsigane – Le jeu « romanès. In Vingt-cinq communautés linguistiques de la France,
Tome 1 Langues régionales et langues non territorialisées. L’Harmattan, 1998, pages 381 à 413. (Collection
Logiques Sociales )
Rappel historique
Depuis la fin du XIX° siècle la linguistique nous a appris que les Tsiganes parlaient des langues proches du
sanscrit. Elles sont cependant très diversifiées en raison du temps écoulé - leur départ du nord de l’Inde se
situe au IX°, ils arrivent aux portes de Paris en 1427 - et des emprunts faits aux langues des différents pays
qu’ils traversent et dans lesquels ils séjournent plus ou moins longtemps.
Ils empruntent aux autres langues des tournures syntaxiques, des expressions, des mots mais leurs propres
idiomes perdent aussi un certain nombre de caractéristiques originelles. Ainsi leurs langues continuent-elles
d’évoluer et de se différencier au gré des territoires qu’ils franchissent et des transformations liées à l’usage
exclusif de l’oral. Les Tsiganes en effet n’utilisent pas l’écriture, aucune règle ne fixe un usage normé d’un
vocabulaire, d’une syntaxe, d’une grammaire comme c’est le cas dans les pays où l’écrit est maîtrisé par la
majorité de la population.
Ils peuvent aussi enrichir, truffer, la langue du pays d’accueil de termes propres à la langue tsigane jusqu’à la
transformer en argot. Cet « argot voyageur » est utilisé par les Tsiganes qui ne possèdent plus aucune langue
tsigane pour marquer la clôture entre leur monde et celui de l’autre le « payo », le « gadjo ». Cet argot peut
aussi coexister sur un même territoire avec une langue tsigane bien maîtrisée.
Les fonctions d’une langue tsigane
Elles sont celles que remplit toute langue, à la fois support de l’identité, moyen de reconnaissance et de
distinction.
Elle établit d’abord un dedans et un dehors par rapport à la société d’accueil. En l’absence de langue tsigane
totalement maîtrisée c’est le rôle que joue l’ « argot voyageur » alors considéré par les Tsiganes comme une
langue tsigane. Ils dénient ainsi l’échange qui a eu lieu dans des temps dont ils ont perdu le souvenir.
Il arrive aussi qu’une langue qui linguistiquement n’a rien de tsigane soit utilisée et remplisse toutes les
fonctions d’une langue tsigane comme c’est le cas du catalan ou du castillan pour les Gitans de France.
Dans tous les cas la langue sert à marquer la clôture entre deux mondes étanches : le monde tsigane et l’autre
monde celui des non tsiganes.
A l’intérieur du monde tsigane la langue parlée par un groupe, et à l’intérieur d’un groupe par certains de ses
membres, sert à se singulariser, marquant ainsi par les termes empruntés à la langue de tel ou tel pays,
l’originalité d’une trajectoire. Elle peut être aussi le moyen de se reconnaître comme membres d’un même
groupe élargi, être la marque d’un lien que les jeunes ne sont pas à même de connaître autrement.
Tsiganes de France
Sauf s’ils sont arrivés récemment, tous les Tsiganes vivant en France sont capables de communiquer en
français, certes avec plus ou moins de brio, mais c’est cette langue qui permet souvent aux Tsiganes des
divers groupes de se comprendre.
En outre, tous les groupes n’ont pas d’idiome propre, et dans ce cas l’« argot voyageur » ou toute autre langue
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peut faire office de langue tsigane.
Langues parlées dans les différents groupes
Les Rom
Les Rom sont ceux qui ont le mieux conservé leur langue, veillant à sa transmission de génération en
génération et c’est donc la langue couramment utilisée pour parler entre soi. Ainsi tous les Rom se
comprennent quel que soit le pays d’où ils arrivent et les particularismes introduits. Ceux qui « voyagent »
connaissent aussi l’« argot voyageur » et, bien sûr, la langue du pays d’accueil. Parler le romanès est un signe
très fort de leur identité.
Les Manouches
Ils possèdent une langue propre mais ne la maîtrisent pas tous aussi bien. Cependant, certaines familles ne
tiennent pas à montrer qu’elles la parlent aisément tandis que d’autres ne possèdent que l’« argot voyageur ».
Ils parlent également le français. Ce sont pour une grande part les mots de la langue manouche qui ont truffé le
français et l’ont transformé en « argot voyageur ».
Les Gitans
Ils ont perdu leur langue tsigane, le calo, mais possèdent le castillan ou le catalan langues qui, en France,
jouent le rôle de langue tsigane : elle les différencie en tant que tsiganes par rapport au « payo », elle leur
permet de se distinguer parmi les autres groupes tsiganes et entre eux également par l’usage du catalan ou du
castillan.
Il peuvent aussi connaître l’« argot voyageur » qu’ils marquent d’un accent espagnol, provençal ou toulousain.
Les Sinti
Excepté quelques formules ou phrases toutes faites ils ont perdu désormais leur langue tsigane qui n’est plus
parlée que par un tout petit nombre d’anciens. Chez les jeunes naît d’ailleurs aujourd’hui le désir de retrouver
cette langue. Ils utilisent donc généralement l’« argot voyageur ».
Les Yénishes
[Leur nombre en France n'est pas identifié, mais ils seraient assez nombreux (entre 50 000 et 80 000). Dans
les pays germanophones, ils parlent un sociolecte le "Yéniche" (allemand dialectal + inclusions de mots yiddisch
et rromani).
Les Yéniches français (en dehors de l'Alsace), présents essentiellement depuis 1871 sur les autres régions de
France, sont nombreux à avoir perdu leur sociolecte à dominance germanique. Ils sont aujourd'hui plus
nombreux à parler le "Voyageur" à dominance française.]
Les Voyageurs
Ils se nomment ainsi et n’utilisent que l’« argot voyageur » qui ne subsiste parfois que sous la forme d’un
accent, de certaines fautes caractéristiques et de tournures figées sans cesse reprises comme par exemple :
« Que j’meure à l’instant si j’le marav pas ! » (Que je meure à l’instant si je ne le frappe pas !)
« Trop bon il est mon p’tit ! » (Il est si beau mon fils !)
« I-z-ont venu tous ses parents vers elle, quelle contentesse ! » (Tous ses parents sont venus la voir chez elle,
quelle joie !)
« I-z-étions bleus, strack ! » (Ils étaient ivres raides!).
L’« argot voyageur » permet de se différencier des Français tout en ne se considérant pas comme étrangers.
Ainsi trouvent-ils normal que les rom aient une langue propre puisqu’ils sont étrangers : « les Hongrois parlent
hongrois ».
Cet argot n’est parfois pas très différent du français populaire mais il permet aux voyageurs de ne pas « parler
comme les gadjé ».
En résumé, pratiquer une langue tsigane et la langue de l’environnement dans lequel on vit est la condition
pour une prise de conscience de l’identité tsigane : maîtriser le jeu entre la nécessité d’utiliser la langue de
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l’environnement pour survivre et une langue particulière ou des usages particuliers de la langue de
l’environnement pour rester un groupe singulier, tel pourrait être l’idéal à atteindre.
Le monolinguisme est toujours signe d’enfermement puisqu’il ne permet pas le jeu sur plusieurs parlers ni à la
faculté d’adaptation de s’exercer. Réussir le jeu du parler « romanès », marque de l’identité tsigane par
excellence, consiste à posséder une langue tsigane tout en maîtrisant la langue des « gadjé », c’est cela qui
donne du prestige aux yeux des autres tsiganes car c’est la possibilité de ne pas se trouver dépendant de la
société non tsigane ou des autres Tsiganes.
La scolarisation
Les Tsiganes n’utilisent pas l’écrit : de tradition orale, tout pour eux se transmet par la parole. Cependant,
dans un monde où règne l’écrit ils ne peuvent lui rester totalement étrangers. Ainsi s’interroge Leonardo
Piasere : « Parce qu’ils privilégient la parole, n’est-il pas rapide de conclure qu’ils refusent l’écriture ou qu’ils
sont incapables de la maîtriser ou que sa pratique est –mystérieusement- incompatible avec leur non moins
mystérieuse « tradition orale » ? ».
De même P.Williams écrit : « Si l’écriture appartient au monde des Gadjé et si sa maîtrise permet de mieux
réussir le jeu « romanès », il faut s’attendre à ce qu’il existe de la part des Tsiganes envers les Gadjé, une
demande de cet outil.
Les Tsiganes envoient leurs enfants à l’école pour, disent-ils qu’ « ils sachent au moins lire et écrire ».
L’institution se doute-t-elle que derrière ce souhait unanimement proclamé se cache le désir de posséder un
instrument pour être mieux Tsigane (mieux Rom, mieux Manouche, etc.) ? Elle répond à cette demande
instrumentale – qu’elle interprète comme un message de détresse - comme elle répond à tous : par la prise en
charge de l’éducation.
Les familles tsiganes reprochent à l’école à la fois son manque d’efficacité : malgré l’assiduité exigée, les
maîtres après plusieurs mois, voire plusieurs années, n’ont pas su apprendre à lire et à écrire couramment aux
enfants ; et sa trop grande efficacité : il suffit qu’ils passent quelques mois à l’école pour qu’ils deviennent «
des vrais Gadjé ».
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