Joë Bousquet par René Pinies
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Joë Bousquet par René Pinies
Joë Bousquet par René Pinies Né en 1897 à Narbonne, Joë Bousquet émerge d'une jeunesse frémissante avant de voir sa vie retournée comme un gant. Blessé à Vailly (département de l'Aisne), face au Chemin des Dames, au mois de mai 1918, il appartient à une génération qui a eu la guerre chevillée au corps. "Le 27 mai 1918, une balle m'a très proprement pincé la colonne vertébrale, et ma vie a été toute retournée de ce coup. Il serait plus exact de dire que cet événement l'a précisée." Revenu paralysé à Carcassonne, l'essentiel de sa vie se déroulera dans une chambre où il cherchera à naturaliser sa blessure. Commence alors une vie d'études, de lectures, d'écriture, combat acharné dans un corps partagé en deux où l'on croit encore que la partie ensommeillée peut renaître à la vie… "on croirait que l'âme cogne en vain à tous les coins de sa demeure de chair". 1924, il établit son royaume au 53 rue de Verdun à Carcassonne : "Il occupait une chambre où le jour entrait à peine, mais d'où il ne se retirait jamais tout à fait, parce qu'un peu de lumière y était retenu sur des empreintes de plâtre qui étaient les masques des écrivains les plus importants de sa génération." De cette chambre noire surgissent des "pages trempées de lumière", nées au contact des amitiés surréalistes : "Au fond d'un dégoût plus vaste que mon malheur, j'ai trouvé les premiers poèmes d'Eluard, j'ai su aussitôt qu'il était le plus vaste poète de notre temps, j'ai écrit à Breton, j'ai écrit à Max Ernst. Nous sommes devenus des amis". Très vite, sa chambre illuminée des toiles des peintres (Malkine, Magritte, Miro, Ernst, Dali, Picabia, Picasso, Arp, Lhote, Gleizes, Fautrier…) devient un lieu incessant de rencontres, un laboratoire où s'élabore un nouveau langage et une nouvelle forme de l'amour. Son écriture, journal ininterrompu, voit se superposer œuvres romanesques, poésies, contes, réflexions philosophiques, compte-rendus de lectures… De ces milliers de pages sont extraits ouvrages, articles pour les revues… revues qui brillent comme des étoiles dans la nuit de Joë Bousquet et transforment sa vie. Jean Ballard et Les Cahiers du Sud jouent un rôle essentiel dans cette galaxie. Les amis d'ici se retrouvent autour de lui : les poètes François-Paul Alibert, Jean Lebrau ; les écrivains Pierre et Maria Sire ; Adrien Gally ; le philosophe Claude Estève, ce dernier entraînant dans son sillage les plus jeunes : René Nelli, Henri Féraud, Ferdinand Alquié, Maurice Nogué, Charles-Pierre Bru, Gaston Bonheur, Franz Molino… Jean Camberoque … "Nous ne formions pas un groupe mais une sorte de Cité…" A partir de 1933 paraissent ses premiers ouvrages aux titres poétiques. En 1940, la chambre est fréquentée par les écrivains et peintres réfugiés à Carcassonne : Louis Aragon, Elsa Triolet ; les surréalistes belges : René Magritte, Raoul Ubac, Louis Scutenaire… Bousquet héberge à Villalier, dans la propriété familiale, la famille Gallimard et l'équipe de la Nouvelle Revue Française dont Jean Paulhan qui sera son éditeur chez Gallimard. Jean Guéhenno, dans son Journal des années noires, évoque cette chambre en août 1940, lieu de résistance : "Nous nous sommes dits nos raisons d'espérer". La philosophe Simone Weil rencontre Joë Bousquet en 1942, avant son départ pour l'Amérique. Après la Libération, tout en continuant de chercher en lui-même les sources de son inspiration, il renoue avec le surréalisme, marque de sa présence le catalogue de l'exposition surréaliste de 1947. La photographe Denise Bellon rend visite à Joë Bousquet et réalise de magnifiques clichés qui donnent à voir pour la première fois le Roi blessé dans sa demeure : "Un escalier de pierre grise menait à son chevet… Pousser la porte, écarter la lourde tenture, c'était sortir de l'ombre anonyme, accéder au cercle du jeu"… (Gaston Puel) Le 28 septembre 1950, il meurt dans les bras de sa sœur, dans sa chambre de la rue de Verdun "comme si la balle, qui devait le tuer à vingt ans, ne l'avait atteint qu'à cette minute". "Ceux qui eurent la grâce de le connaître, ceux qui eurent vingt ans dans cette chambre savent qu'ils ne pourront jamais en sortir". (Ginette Augier) Au 53 de la rue de Verdun à Carcassonne, Maison du poète devenue Maison des Mémoires, le Centre Joë Bousquet et son Temps présente une exposition permanente consacrée à une vie et à une œuvre exceptionnelles du XX° siècle. René PINIES. Titres : Il ne fait pas assez noir, La Tisane de Sarments, Le Mal d'Enfance, Iris et Petite Fumée…