Joë Bousquet, oncle-courage Le 27 mai 1918, l`offensive allemande

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Joë Bousquet, oncle-courage Le 27 mai 1918, l`offensive allemande
Joë Bousquet, oncle-courage
Le 27 mai 1918, l’offensive allemande sur le Chemin des Dames scelle le
destin littéraire de Joë Bousquet. Le jeune lieutenant fauché par une balle
à Vailly-sur-Aisne deviendra après-guerre l’une des grandes figures du
monde des lettres françaises.
27 mai 1918, les Allemands enfoncent les défenses françaises sur le Chemin des Dames. A Vaillysur-Aisne, le jeune lieutenant Joë Bousquet, 21 ans, et ses hommes du 156e corps d’attaque sont
engagés dans un combat à un contre quarante. Son unité est décimée, lui-même foudroyé par une
balle. Son destin est scellé : s’il survit, c’est condamné à l’immobilité. Le projectile a perforé la
moelle épinière et pris ses quartiers entre les quatrième et cinquième vertèbres pour un bail
illimité.
Joë Bousquet va donc survivre physiquement, une trentaine d’années habitées par cette souffrance
qui le tenaille sans relâche, une trentaine d’années en la compagnie de cette fidèle blessure dont il
apaise les exigences avec l’opium et qu’il transcende par l’écriture. « Ce qui le tue le crée […] il
deviendra un corps de mots », relève Hubert Juin dans la préface de La Connaissance du soir, la
main de poèmes de Joë Bousquet récemment rééditée par Gallimard.
« L’homme privé de corps », pour lequel « le ras des choses est déjà la démesure de l’horizon »,
reçoit la nuit dans sa chambre, rue de Verdun à Carcassonne. Puis, après le départ de ses visiteurs
du soir, noircit des pages et des pages de cahiers qui consignent une œuvre littéraire inclassable,
foisonnante, inachevée. Des écrits fortement marqués par le bouillonnement surréaliste où la
pensée apparaît derrière, comme attelée au cheval des mots.
Au chevet du poète alité, de « l’homme tué avant de naître qui fit de la parole une chair » (1),
défile l’avant-garde littéraire de la première moitié du 20e siècle. Joë Bousquet développe une
véritable passion pour la peinture contemporaine à laquelle il offre le miroir de sa plume. Sur les
murs de la chambre, ses proches découvriront Dali, Miro, Bellmer, Klee, Magritte, Kandinsky…,
« Une collection unique rassemblée par l’amour que le poète portait aux peintres contemporains
»(2). L’homme blessé nourrit sans repos une correspondance prolifique. Il vit de l’intérieur, écrit
Sonia Sandoz : « Sa pensée et sa passion semblaient avoir repris la mobilité qui manquait à ses
membres », mais il garde les volets clos refusant obstinément le face à face avec le jour.
Sa lumière est ailleurs comme le laissent entrevoir les souvenirs de Marie-Denise Aurengo. Cette
dame âgée, aujourd’hui retirée à Perpignan a été au cours de ses 23 premières années un témoin
privilégié de la vie de celui qui était pour elle « oncle Joë ». La maman de Marie-Denise, sœur de
Joë Bousquet, fut pour ce dernier une confidente autant qu’une bonne fée. Jusqu’à sa mort, le 28
septembre 1950, et au-delà, elle veilla constamment sur lui et assura, avec l’aide d’une infirmière
à demeure, la bonne marche de la maison de la rue de Verdun à Carcassonne, refuge du blessé de
Vailly.
En ses jeunes années, Marie-Denise Aurengo a côtoyé tous les jours cet « onclecourage ». Elle livre dans l’entretien qui suit quelques-uns de ses souvenirs.
D.B.
(1)- Hubert Juin, préface, La Connaissance du soir, nrf, Poésie/Gallimard.
(2) – Sonia Sandoz dans www.artslivres.com à propos de l’ouvrage de Pierre
Cabanne, La chambre de Joë Bousquet.