Commentaire littéraire de l`incipit de L`Étranger d`Albert Camus

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Commentaire littéraire de l`incipit de L`Étranger d`Albert Camus
NOM : .............................................. Prénom : ..............................................
Français — automne 2014
Mathieu RODUIT
Commentaire littéraire de l’incipit de L’Étranger d’Albert Camus
Présentation de l’extrait
Camus, comme le personnage principal de L’Étranger, est un français né en Algérie à l’époque
où l’Algérie était un département français. Pourtant, si le narrateur est bel et bien un étranger, ce
n’est pas au sens propre qu’il s’agit de le comprendre. Comme va nous le montrer cet incipit,
Meursault — notons qu’on apprendra son nom seulement au moment où le directeur de l’asile
nome sa mère (Albert CAMUS, L’Étranger, p. 11.) — est d’abord un personnage étrange — et nous
obtenons ainsi la véritable signification du titre.
Il nous met en effet d’emblée en face de la philosophie de l’absurde que Camus définit comme
la « confrontation de cet irrationnel [celui du monde] et de ce désir éperdu de clarté dont l’appel
résonne au plus profond de l’homme. » (Albert CAMUS, Le Mythe de Sisyphe, p. 39.) Comment
pouvons-nous comprendre que cette existence qui est la nôtre puisse connaitre un terme ? Le suicide étant un consentement à l’absurde et l’espoir une lâcheté, nous devons vivre notre vie et
multiplier les expériences puisque, dès lors que nous mourrons, chaque expérience se vaut. Camus prône une éthique de la quantité, « Car d’une part l’absurde enseigne que toutes les expériences sont indifférentes et de l’autre, il pousse vers la plus grande quantité d’expériences. » (Albert CAMUS, Le Mythe de Sisyphe, p. 88.) C’est cette indifférence étrange auquel nous sommes confrontés d’emblée dans cet incipit.
On comprend dès lors qu’on ait pu rapprocher Camus de l’existentialisme (mouvement rassemblé en France autour de la figure de Jean-Paul Sartre, selon lequel l’existence précède
l’essence) puisque Camus pose dans L’Étranger la question du sens d’une existence aux proies avec
sa principale limite, la mort. Dans cet incipit, comme deux fois encore dans le roman (meurtre de
l’arabe, condamnation à mort), la mort et sa perception occupent une place centrale.
Commentaire
L’extrait suit un ordre chronologique. Le premier paragraphe correspond à l’annonce de la
mort de la mère, le deuxième comprend les préparatifs et le dernier le trajet vers Marengo. La logique est donc factuelle (il y a eu cela, cela et cela) et non psychologique (j’ai ressenti cela, ce qui
m’a fait m’interroger sur ceci et faire cela)
1. Un incipit presque classique
1.1. L’incipit établit un pacte de lecture entre l’auteur et le lecteur
L’Étranger respecte les règles du texte narratif : il est écrit en prose et un narrateur, s’exprimant
ici à la première personne (il est homodiégétique et intradiégétique), raconte une histoire, ici son
histoire, du point de vue « interne » — nous verrons plus loin pourquoi l’utilisation des guillemets.
Quelques informations (comme l’épaisseur du livre, le découpage en parties et en chapitres),
pas forcément présentes dans l’incipit, mais appréhendables en saisissant l’œuvre, nous laissent
imaginer qu’il s’agit d’un roman.
Enfin, l’incipit prend la forme du journal. L’énonciation est temporellement très proche de
l’énoncé (contenu de l’énonciation). Le lecteur est plongé dans ce que Benveniste appelle le
temps du discours (le locuteur est inscrit dans le discours ; les indications spatiotemporelles se réfèrent à lui) et non du récit (le locuteur n’est pas inscrit dans le récit : les indications spatiotemporelles se réfèrent à l’action). On retrouve en effet l’utilisation de déictiques (mots qui renvoient à
la situation d’énonciation et qui ne sont identifiables que par elle) : la première personne du singulier dont on a déjà parlé ; mais également de nombreux adverbes de temps : « aujourd’hui »
(l. 1), « hier » (l. 1 et 4), « demain » (l. 3 et 7), et « après-demain » (l. 13) qui remplace dans le discours les substantifs anaphoriques du récit comme « ce jour-là », « la veille », « le lendemain » ou
« le surlendemain ». De plus, les temps utilisés sont l’imparfait et le passé composé, qui sont les
temps du discours, et non pas l’imparfait et le passé simple qui sont les temps du récit. « Le repère
temporel du parfait est le moment du discours, alors que le repère de l’aoriste [passé simple] est le
moment de l’évènement. […] Il fit objectivise l’évènement en le détachant du présent ; il a fait, au
contraire, met l’évènement passé en liaison avec notre présent. » (Émile BENVENISTE, « L’homme
dans la langue », in Problèmes de linguistique générale I, 1966.)
Notons pour terminer que le style se rapproche d’une expression orale (qui utilise les temps du
discours, les temps du récit étant plus « littéraires »), dépouillée et simple, à peine construit (syntaxe élémentaire du type : sujet — verbe — complément, absence de descriptions, vocabulaire
neutre et courant), à l’image du personnage-narrateur de Meursault, qui « ne parl[e] pas pour rien
dire. » (Albert CAMUS, L’Étranger, p. 140-141.) Cette oralité engendre une certaine proximité
énonciative entre le lecteur et le narrateur. Le style surprend toutefois par son aspect mécanique
— ressenti en particulier à travers la figure de l’asyndète (absence de liaisons, en particulier causales entre des phrases qui sont simplement juxtaposées) qui a pour particulier d’effacer toute logique et toute signification : « J’ai pris l’autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J’ai mangé au
restaurant, chez Céleste, comme d’habitude. » (l. 16-18). Il est enfin étonnant que l’expression
d’un évènement tragique entre tous, soit narré en l’absence de tout lyrisme de la part du narrateur
et que le pathétique repose davantage dans l’indifférence du fils que dans la mort de la mère.
Hormis cette dernière remarque, le lecteur n’est que très peu surpris par la forme de l’incipit
que propose Camus et peut ainsi facilement en accepter les conventions et entrer dans l’histoire.
1.2. L’incipit crée un monde fictif
Les indications concernant les personnages sont peu nombreuses. Ils ne font l’objet d’aucune
description ni physique ni psychologique et sont simplement nommés par leurs prénoms, à
l’exception du personnage principal et de sa mère dont on ne connait évidemment — dans la logique du journal — pas encore le nom. Cet incipit laisse en suspens de nombreuses questions :
quels sont les liens entre les personnages ? Céleste est un homme ou une femme ? Qui se cachent
derrière le « ils » (l. 18) ?
Les indications temporelles sont également plutôt floues. On ne sait pas à quelle époque ont
lieu les faits. On peut simplement présumer une simultanéité avec la date de sortie de L’Étranger.
Comme le voudrait le journal, on ne sait rien de ce qui s’est produit avant l’incipit. La lecture
commence au moment des préparatifs pour le départ. De même, le narrateur nous propose une
vision à très court terme, « demain soir » (l. 7), voire « après-demain » (l. 13).
Les indications spatiales sont légèrement plus précises. L’enterrement à lieu à « Marengo » (l.5)
« à quatre-vingts kilomètres d’Alger » (l. 6). On peut alors présumer que le narrateur provient
d’Alger. Aucune description des lieux n’est toutefois proposée, ni de l’« autobus » (l. 6 et 17), ni
du « restaurant, chez Céleste » (l. 17-18), ni de « chez Emmanuel » (l. 19), même si on peut tout de
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même se construire une image du décor à partir de ses sensations du narrateur : tactile « très
chaud » (l. 17), « cahots » (l. 25) ; olfactive « odeur d’essence » (l. 26) ; et visuelle « réverbération de
la route et du ciel » (l. 26).
Il s’agit en somme d’un incipit dynamique ou in medias res. Les informations sont raréfiées et la
dramatisation est immédiate. L’annonce de la mort de la mère amène le narrateur à faire ses préparatifs pour l’enterrement. Cette nouvelle pourrait constituer une étape charnière pour le narrateur qui l’emmènerait vers l’accomplissement d’un rite initiatique. Il sera bientôt question de débuter une relation régulière, d’une promotion à Paris, de mariage et même de meurtre.
1.3. L’incipit accroche le lecteur
La vraie originalité de l’incipit consiste en ce que le lecteur est d’emblée bousculé. On lui demande (à travers la focalisation interne que suggère l’emploi de la première personne) d’endosser
le point de vue d’un personnage singulier avec lequel il est difficile d’être congruent et par conséquent auquel il est difficile de s’identifier.
Ce qui étonne en filigrane, c’est l’absence apparente d’émotion du narrateur, si bien qu’on
peut le sentir indifférent, détaché. Les seules allusions à la douleur de perdre une mère proviennent des autres personnages de l’extrait : « Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi » (l. 18-19,
je souligne). Malgré leur pauvreté affective, ils tentent de le consoler : « On n’a qu’une mère. »
(l. 19) Le narrateur souffre ici de la comparaison.
Il nous apprend que sa mère est morte avec le ton de la simple constatation, du détachement,
souligné encore par la lecture du télégramme. Il utilise d’ailleurs la tournure impersonnelle :
« l’enterrement » (l. 15) sans complément du nom pour désigner la cérémonie d’adieu à sa maman. Loin d’avoir perdu l’appétit et de bouleverser son quotidien, il se rend « au restaurant, chez
Céleste, comme d’habitude » (l. 17-18, je souligne). De même, il n’aura pas de peine à trouver le
sommeil dans l’autobus : « je me suis assoupi. J’ai dormi pendant presque tout le trajet. » (l. 2627). Il est par ailleurs si absorbé par les tracasseries de son départ et du déroulement des deux
jours à Marengo qu’il n’a pas le temps de penser à celle qu’il appelle pourtant avec affection
« maman » (l. 1). Son discours est centré sur les actions qu’il a planifiées selon un horaire très précis : « J’ai demandé deux jours de congé » au passé, ce qui lui permet de se projeter dans le futur :
« Je prendrai l’autobus à deux heures » (l. 6, je souligne) ; « J’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je
pourrai veiller » (l. 6-7, je souligne) ; « je rentrerai demain soir » (l. 7, je souligne) « J’ai demandé
deux jours de congé à mon patron » (l. 7-8, je souligne). L’accumulation des indices temporels
laisse présager son désir de retour à la normale. Le narrateur ressent ainsi plus de l’ennui que de la
peine : « il a fallu que » (l. 21) traduit une certaine pénibilité dans le respect d’un devoir mal
compris. Sans doute le narrateur aurait-il préféré faire « comme d’habitude » (l. 18). Son ennui se
manifeste jusque dans le choix d’une syntaxe efficace, administrative, et d’un vocabulaire juridique, lucide et froid : « ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle. »
(l. 15-16, je souligne). La mort n’est qu’un accident qui vient déranger provisoirement le cours
des évènements.
Le lecteur est ainsi projeté dans la « conscience » problématique du narrateur, dont Sartre affirmait qu’elle était « transparente aux choses et opaque aux significations. » (Jean-Paul SARTRE,
« Explication de L’Étranger », in Situations I, 1947.) Si on perçoit bien ce que perçoit le narrateur
— et il est très observateur : « il [le patron] n’avait pas l’air content » (l. 9), « j’étais tassé contre un
militaire qui m’a souri » (l. 28) —, on n’accède pas au sens qu’il lui confère. Nous sommes en focalisation interne, mais on a l’impression d’être en focalisation externe, tant le personnage est insondable. Son laconisme déstabilise, dérange ou énerve. Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne
s’agit pas d’un roman psychologique. On aimerait comprendre « pourquoi ? » il agit comme cela.
Qu’est-ce qui ne veut rien dire ? Mère décédée ? Enterrement demain ? Sentiments distingués ?
Pour combler le malaise qui découle de ce défaut informatif, le lecteur est contraint de formuler
lui-même ses propres hypothèses, afin peut-être de rendre le personnage du narrateur moins
énervant, moins frustrant. Il espère ainsi de la suite de la lecture un éclaircissement, mais cette at3
tente sera déçue.
2. Meursault : un narrateur-héros atypique
L’échelle des valeurs du narrateur est étrange. Tout semble avoir pour lui la même importance.
L’information n’est pas sélectionnée. Tout est retransmis, y compris sa sieste dans le bus, et sur le
même ton neutre. L’information n’est pas non plus hiérarchisée. Tout est équivalent. La mort de
sa maman est narrée avec la même précision, la même attention que le mécontentement du patron ou que le sourire du militaire. Pire, c’est davantage la difficulté d’interprétation de l’énoncé
du télégramme que son contenu qui est le prétexte de l’entrée en matière du roman. Le télégramme a beau être tragique, le narrateur est surtout préoccupé par son imprécision. L’Étranger se
présente ainsi dans l’incipit comme un compte-rendu méthodique, voire maniaque, des actions et
sensations que le narrateur a enregistrées. Comme le disait Camus : « Pour l’homme absurde, il
ne s’agit plus d’expliquer et de résoudre, mais d’éprouver et de décrire. Tout commence par
l’indifférence clairvoyante. » (Albert CAMUS, Le Mythe de Sisyphe, p. 131.)
Le narrateur semble également épris d’une volonté de précision, de justesse ou d’objectivité
qui frôle la maniaquerie. Il n’hésite pas à s’autocorriger : « Aujourd’hui […]. Ou peut-être hier, je
ne sais pas. » (l. 1) et fait souvent usage du discours direct qui transcrit au plus près des paroles
pourtant souvent sans intérêt : « “Ce n’est pas de ma faute”. » (l. 10) « “On n’a qu’une mère.” »
(l. 19), ou simplement « “oui” » (l. 29). Ces discours sont rapportés toujours par le même verbe le
plus neutre possible : « dire ».
Le narrateur, même si c’est d’abord par angoisse de mécontenter son entourage, de ne pas bien
faire, est très maladroit socialement. Il ressent un malaise au moment d’annoncer son départ forcé
à son employeur et s’excuse même de la mort de sa mère qui l’oblige à prendre un congé imprévu : « Ce n’est pas de ma faute. » (l. 10), avant de prendre conscience que sa réaction était inappropriée : « J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. » (l. 11, je souligne) On retrouve
souvent ces expressions qui expriment l’idée d’un devoir moral ou social mal maitrisé : « je n’avais
pas à m’excuser. » (l. 11-12, je souligne) par le narrateur qui ne comprend qu’après coup. On retrouve ce même malaise face à l’attitude ouverte du militaire à laquelle il oppose son mutisme :
« J’ai dit “oui” pour n’avoir plus à parler. » (l. 29-30). S’il s’efforce de respecter des règles sociales :
demande de congé, départ rapide, veille mortuaire, enterrement, habits de deuil (cravate noire et
brassard), il ne semble pas que ces actions aient un véritable sens pour lui.
Le narrateur est également très passif. Outre ses devoirs sociaux, il semble guidé essentiellement par des causes externes, physiques ou environnementales : « J’étais un peu étourdi parce qu’il
a fallu que je monte chez Emmanuel » (l. 20-21, je souligne), « Cette hâte, cette course, c’est à cause de
tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je
me suis assoupi. » (l. 24-27, je souligne).
Enfin, il est difficile de trouver dans son personnage — un simple employé, asocial, apparemment célibataire et sans ambition — un quelconque caractère héroïque. Il n’est ni brave ni généreux et s’exprime comme un enfant : il reformule « mère décédée » (l. 2) par « maman est morte »
(l. 1) ; on retrouve également l’expression : « Ce n’est pas de ma faute. » (l. 10), typiquement infantile. Sa seule vertu consiste peut-être en sa lucidité. Le narrateur est donc un héros d’abord
parce qu’il est le narrateur.
Conclusion
Cet incipit, quoique traditionnel dans sa forme, est problématique par l’absurdité du personnage auquel le lecteur doit s’identifier. Comme le suggère Camus, « Une œuvre absurde […] ne
fournit pas de réponse. » (Albert CAMUS, Le Mythe de Sisyphe, p. 151.) En l’absence de toute explication, le lecteur est alors tenté de combler les informations lacunaires. Mais, comme souvent, le
jugement l’emporte et le doute ne profite pas à l’accusé. Énervé, frustré, dérouté, écœuré, apeuré,
le lecteur peut avoir tendance à proposer l’interprétation la plus négative, la plus sordide. « Il est
glacial » diront les uns, « insensible » diront les autres, « inhumain ». Pour un peu, le lecteur pen4
serait que la mort de la mère est un prétexte pour deux jours de congé : « il ne pouvait pas me les
refuser avec une excuse pareille. » (l. 8-9) Pourtant, ne sommes-nous pas déjà en train de lui faire
le procès qui sera intenté contre lui dans la seconde partie ? et cette sentence qui nous dégoutera
pourtant — il sera « accusé d’avoir enterré sa mère » (Albert CAMUS, L’Étranger, p. 148.) et non
pas d’un meurtre — n’est-elle pas celle que nous prononçons à présent ? Il est à cet égard intéressant de noter que la plupart des témoins présents au procès de Meursault seront les personnes qui
l’auront côtoyé lors de l’enterrement.
Mais le narrateur est-il vraiment blâmable ? Il n’est pas un provocateur ou un nihiliste. Au contraire, il fait ce qu’il faut à l’égard de sa mère. Son « maman » (l. 1) n’est-il pas la marque d’une affection profonde ? L’indifférence est-elle forcément de l’insensibilité ? La mort de sa mère ne
semble pas le bouleverser, certes, mais son attitude ne révèle-t-elle pas une forme profonde de sagesse que les Grecs appelaient l’ἀταραξία (ataraxie) et selon laquelle il ne sert a rien de se préoccuper de ce sur quoi on n’a aucune influence ? Pourquoi se morfondre, puisqu’il est évident que le
narrateur n’a aucun pouvoir face à la mort de sa mère ? Certains ont voulu faire du narrateur un
personnage dans le déni en raison de sa comparaison hypothétique « Pour le moment, c’est un
peu comme si maman n’était pas morte. » (l. 14-15, je souligne) Il n’aurait, en raison de l’écriture
d’un journal ou de son incapacité à se projeter en dehors du présent, pas assez de recul pour
prendre pleinement conscience de ce qui est arrivé à sa mère ou de ce qui lui est arrivé à lui. Mais
le narrateur n’est pas un naïf. Il ressent ainsi plutôt un ennui qui viendrait perturber l’ordre des
choses qu’un véritable anéantissement et c’est pleins de nos représentations que nous nous permettons de juger — c’est donc plutôt nous les naïfs — ce personnage d’une grande lucidité.
L’intérêt de cet incipit consiste donc à nous faire chercher à comprendre l’attitude de Meursault, ce qui nous incite à lire le roman. Par ailleurs, certains éléments de l’incipit, comme
l’utilisation d’un vocabulaire juridique (auquel on pourrait ajouter le surgissement de notre
propre jugement) ou le fait qu’il réagisse en fonction de causes externes, sont proleptiques dans la
mesure où ils annoncent le procès de Meursault et sa condamnation, ainsi que le meurtre qui en
sera le déclencheur.
L’intérêt du roman consiste à jouer avec notre horizon d’attentes et à le décevoir sans cesse, en
particulier au point de vue moral, pour nous obliger à nous décentrer de ce que nous considérons
comme des certitudes, mais qui peuvent être des illusions. Si nous jugeons Meursault dans la
première partie, nous n’hésitons pas à prendre sa défense dans la seconde partie, face au procès injuste qui lui est organisé. Camus nous rend ainsi attentifs au danger du jugement trop précipité,
nécessairement lacunaire et injuste. En particulier, L’Étranger nous met en garde contre le relativisme culturel ou social qui vise à juger une personne à partie de nos conceptions du monde et
nous invite à réfléchir sur l’origine de notre Weltanschauung. Est-elle fondée et lucide, ou n’est-elle
que ce que Nietzsche appelle une idole, c’est-à-dire une idéologie.
Outre la dimension réflexive de l’incipit qui nous invite, à travers le miroir déformant de Camus, à nous interroger sur notre point de vue, la relation entre le fond et la forme est particulièrement bien réalisée dans cet incipit. Le style, à la fois dépouillé et simple, est à l’image du personnage-narrateur de Meursault. De même, à travers l’asyndète et l’utilisation du passé composé
qui fait dire à Sartre qu’« une phrase de L’Étranger est une ile » (Jean-Paul SARTRE, « Explication
de L’Étranger », in Situations I, 1947.), Camus parvient à faire non seulement ressentir, mais également vivre l’absurde. « Un monde qu’on peut expliquer même avec de mauvaises raisons est un
monde familier. Mais au contraire, dans un univers soudain privé d’illusions et de lumières,
l’homme se sent un étranger. » (Albert CAMUS, Le Mythe de Sisyphe, p. 20.)
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