Dictionnaire égoïste de la littérature française
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Dictionnaire égoïste de la littérature française
Dictionnaire égoïste de la littérature française « LITTÉRAIRE, LITTÉRATURE : Mots injurieux ». Définition que propose Charles Dantzig dans une notice de son Dictionnaire égoïste de la littérature française recensant les emplois péjoratifs du terme, du vers ironique de Verlaine « Et tout le reste est littérature » (« Art poétique », Jadis et naguère) au « Faut pas faire de littérature » de Jacques Dutronc et Etienne Daho (« Tous les goûts sont dans la nature »). Loin d’approuver ce dédain, lui à qui le Centre national du Livre a consacré une soirée intitulée « Charles Dantzig : l’antiphrase » consacre à cette littérature mille pages qui, loin d’être égoïstes, sont généreuses, passionnées, partiales, brillantes. Un de ses mots, c’est enthousiasme – il lui consacre une notice : Enthousiasme, en grec, signifie « transport vers les dieux ». L’auteur y est allé avant nous, en écrivant, On sent bien dans les livres ces moments où il s’est envolé : il nous élève aussi. […] C’est ainsi que nous devenons meilleurs. Enfin, cela me console de le croire. Suivant un Dantzig aussi savant qu’enjoué, aussi créateur que critique, le lecteur se laisse emporter dans un tour de ce monde qu’est la littérature. Les notices du Dictionnaire égoïste sont de quatre ordres : sur les œuvres, mais aussi sur les auteurs, car Dantzig ne croit pas que l’œuvre soit séparée de la vie, sur les personnages, qu’il ne pense pas moins réels que les personnes (après avoir lu A la recherche du temps perdu, on connaît mieux ses personnages que bien des membres de sa famille), sur des notions, car la littérature est une pensée mise en rythme. Charles Dantzig montre les grands écrivains que l’on pensait connaître d’une façon toujours inattendue, hors de la légende et des ressassements ; il nous présente des auteurs injustement dédaignés, des méconnus de génie ; il ramène à la vie la littérature du passé, qu’il rend proche comme aujourd’hui. Inattendu, original, personnel, le Dictionnaire égoïste de la littérature française a été un événement littéraire et un succès considérable, que cinq prix littéraires sont venus reconnaître, comme le prix Décembre et le Prix de l’Essai de l’Académie française. Il a fait l’objet d’articles dans le monde entier et mis son auteur au centre de la vie littéraire française (« Un chef-d’œuvre », a écrit le grand critique Bernard Frank dans Le Nouvel Observateur, où il ne lui a pas consacré moins de cinq feuilletons d’affilée). Son sens de la formule, son indifférence aux dévotions machinales et son appréciation des écrivains en dehors des hiérarchies reçues font de ce livre un monument que l’on visite longuement et avec bonheur. Voltaire, Mme de Staël, Stendhal, Flaubert, Proust, Musset, Verlaine, Cendrars, Sartre, Beauvoir, ils sont tous là, étudiés dans d’éblouissantes notices, résumés dans des formules parfois insolentes (« CLAUDEL (Paul) : Le huitième jour, Dieu créa Paul Claudel. Il avait envie de se foutre du monde »), accompagnés par des Henry Jean-Marie Levet et autres Mme du Deffand à qui il fait monter son grand escalier de la gloire, que d’autres descendent, dûment fustigés, comme Louis-Ferdinand Céline et son « style de chauffeur de taxi : il écrit à coups de klaxon ». Le Dictionnaire égoïste de la littérature française, tout en étant infiniment sérieux, échappe à l’esprit de sérieux ; il en est même l’antithèse. On l’ouvre, on en lit une notice, qui mène à une autre, et elle-même à une autre ; on choisit son parcours parmi ses innombrables entrées, admirant, songeant, riant, et cent autres choses. On flâne. On découvre aussi le narrateur de ce roman de la littérature, Charles Dantzig, par le biais de ses goûts, de ses rejets et de ses confidences. Livre sur la littérature, sans doute ; mais pas celle des histoires littéraires et des manuels scolaires ; celle des amoureux, des vivants. Comme il le dit dans une autre notice : « La littérature est une insurrection. C’est toujours ça que l’oubli, la négligence, le pouvoir, la vulgarité et autres forces du néant n’auront pas. »