Pourquoi lire - Charles Dantzig
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Pourquoi lire - Charles Dantzig
Pourquoi lire ? *** Après avoir parlé de la création littéraire dans son Dictionnaire égoïste de la littérature française, Charles Dantzig s’intéresse dans Pourquoi lire ? (Grasset, 2010) à la première conséquence de la littérature, la lecture. Comme toujours avec lui, les questions les plus simples appellent des développements inattendus, des sauts, des élans, des danses. A la question Pourquoi lire ?, il apporte une réponse en soixante-seize chapitres allant d’une ligne { cinq pages, avec des reproductions de tableaux ou de photos qui ne sont pas des illustrations, mais des éléments même de la réflexion, des phrases dites autrement. Dans la lignée de sa brillante Encyclopédie capricieuse du tout et du rien (2009), Dantzig ne pose jamais d’assertions définitives et péremptoires, mais bien plutôt des propositions. A chacun d’y choisir ce qui lui chante et qui lui parle : « lire pour rajeunir », « lire par pari », « lire pour les titres », « lire pour changer le temps »… La liste n’est pas close (avec Dantzig, les listes ne le sont jamais). Charles Dantzig, qui lit comme il respire, nous rapproche des grands écrivains que l’on croyait intimidants et des écrivains méconnus qui mériteraient d’être mieux aimés. Il le fait avec une proximité que peu ont, car il connaît non seulement les livres, mais les écrivains. Pour quelqu’un qui croit que la littérature est dans la vie, est la vie même, c’est essentiel. Et il a cette manière unique d’aborder les choses par des endroits inexplorés. Les lieux où on lit (la plage, l’avion…). Le moment où on lit. Les raisons de ne pas lire (« Pour réfléchir. Car enfin, tout le temps que nous lisons, nous sommes comme le serpent devant le flûtiste »). Les interviews d’écrivains. Les chefs-d’œuvre (déj{…). Comment lire ? (« Avec méthode. La passion est la plus raisonnable. ») Jusqu’{ cette originale esquisse de réponse : « Lire ne sert { rien. C’est bien pour cela que c’est une grande chose. Nous lisons parce que ça ne sert à rien. » La vision de la lecture que donne Charles Dantzig dans Pourquoi lire ?, comme déjà dans son Dictionnaire égoïste, est une ode { l’inutilité et { la fragilité de la littérature contre l’organisation du monde par les pouvoirs, qui écrasent tout ce qu’il y a de précieux. Et voilà comment la littérature est en faveur de la vie, aide la vie : « Elle est la vie, une vie plus sérieuse, moins violente, moins frivole, plus durable, plus orgueilleuse, moins vaniteuse, avec souvent toutes les faiblesses de l’orgueil, la timidité, le silence, la reculade. Elle maintient, dans l’utilitarisme du monde, du détachement en faveur de la pensée. » Que faisons nous alors, nous autres lecteurs, en la lisant ? « Nous avons fait revivre une pensée endormie. Qu’est-ce qu’un livre, sinon une Belle au bois dormant, qu’est-ce qu’un lecteur, sinon son Prince Charmant, même s’il a des lunettes, une chevelure pelée et 98 ans ? » Charles Dantzig compare les lecteurs à un « invisible corps de ballet » et fait le portrait de chaque type : les grands lecteurs, les lecteurs jaloux, les lecteurs amoureux, les méchants qui aiment les livres de Guy Debord et les aigres, qui adulent Louis-Ferdinand Céline…, jusqu’au sien propre. Cette expédition dans la planète des livres, qui nous fait croiser Proust comme les poètes latins, Thomas Bernhard comme Paul Valéry, Emily Dickinson comme Belle du seigneur, finit par révéler l’explorateur lui-même. Parlant des œuvres qu’il aime, de son rapport { la lecture et à la littérature, il parle de lui-même, de son enfance de petit garçon rêveur qui vivait dans les livres, de sa première année de droit à Toulouse passée à lire A la recherche du temps perdu, de son goût pour les avions, de ses flâneries chez les libraires… Il continue donc ici, entre les analyses et les rêveries, cette permanente tentative d’autobiographie sensible et intellectuelle qui traverse toute son œuvre. 1 « Tout ce qui périt de talents par défaut de lecture ! Les bons lecteurs, on devrait même les enfermer pour lire ! On leur verserait un salaire et ils ne feraient que ça, sauver la littérature en la lisant. » 2