Charles Dantzig : Apothéose du moi
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Charles Dantzig : Apothéose du moi
Charles Dantzig : Apothéose du moi Écrit par Nicolas d'Estienne d'Orves Dimanche, 01 Février 2009 00:00 Extravagante cathédrale narcissique, livre inclassable mais jubilatoire, qui tient du journal intime et du pamphlet, le dernier ouvrage de Charles Dantzig, dresse un portrait en creux de l’auteur et de son époque. Dis moi qui (et ce que) tu aimes, je te dirai qui tu es ! A l’heure où les foules se précipitent au Grand Palais pour contempler la grand-messe consensuelle de Yann Artus-Bertrand, les esprits égotistes sont comme des bouffées de fraîcheur entre deux moussons. Dieu qu’il est bon de dire : « Je » ! Charles Dantzig fait pire, il dit : « Moi, je ». Presque un crime, de nos jours. Trois ans après son étonnant Dictionnaire égoïste de la littérature française –où l’écrivain faisait le tour de ses goûts, à rebrousse-mode –, Dantzig le franc-tireur persiste et signe dans le culte du moi. Encyclopédie capricieuse du tout et du rien est une extravagante cathédrale narcissique, qui dresse un portrait en creux de son auteur. Cette colossale suite de listes (liste d’endroits sinistres, liste d’aéroports charmants, liste réfléchie des peuples, liste mesquine des mœurs, liste du sexe, liste de tableaux à peindre, liste de la presse, liste des listes à établir…) aurait pu laisser craindre une version boursouflée des piquantes Miscellanées de Mr. Schott, récent best-seller. Il n’en est rien. Si Ben Schott était ouvert sur le monde, Charles Dantzig ne parle que de lui. Et c’est lui qui nous intéresse. Inclassable, son livre tient aussi bien du journal intime, que du pamphlet, du recueil de choses vues, d’aphorismes ou de poésies. Ne le définit-il pas lui-même comme « une boîte à papillons vivants » ? Florilège : « Le tourisme, c’est l’exploitation du plouc par le faussaire. »; « Nos grands-parents étaient immobiles. Nos parents frémissaient. Nous bougeons. » ; « Le théâtre, c’est du mythe, le cinéma, du sexe, la télévision, des gens. » ; « L’exception française, c’est la littérature. L’exception allemande, c’est la musique. L’exception italienne, c’est la peinture. L’exception anglaise, c’est la discrétion. » Au fil de ses pages – qui ne se lisent pas de façon cursive, mais se butinent –, on passe de l’étonnement à l’irritation, de l’enthousiasme à l’exaspération, de l’admiration à la colère. Dantzig s’y montre tout entier, avec ses paradoxes, ses contradictions, ses choix à l’emporte-pièce. Bien à l’image de son livre, qui dresse un portrait savamment agencé de lui-même, où le naturel semble toujours sous contrôle, il déteste ce qui n’a pas été modifié par la main humaine. La campagne le révulse, alors qu’il aime les villes, la furie new-yorkaise, les taxis de nuit, les échangeurs d’autoroutes, les grands travaux, « et en particulier les viaducs, car, précise-t-il, ce n’est pas du génie, c’est de la danse ». Liberté que l’on croyait perdue, il se permet sans crainte le délit de sale gueule. Ainsi Christophe Lambert a-t-il « un physique si mou qu’on croit que la caméra n’est pas au point ». Obsédé par la forme des êtres autant que par leur fond, il dresse la liste des hommes les plus ridiculement habillés du monde : David Beckham, Silvio Berlusconi, David Bowie, Fidel Castro, 1/2 Charles Dantzig : Apothéose du moi Écrit par Nicolas d'Estienne d'Orves Dimanche, 01 Février 2009 00:00 Johnny Depp, John Galliano, Brad Pitt ; puis celle des mieux habillés :les antiquaires en général, tout torero, Belmonte en tenue de ville, Gary Cooper, Edouard VII, Hamid Karzaï, Haakon VII (le prince héritier de Norvège), Louis XV, Muskar XII (le roi de Syldavie dans Tintin), le Spirit (le personnage de la BD de Will Eisner), Fred Astaire, Jean Cocteau, Edouard VIII, Mandrake… La raison de ses choix ? Il ne la donne pas. L’auteur ne se sent jamais obligé de justifier ses partis pris. Et bien que l’on soit parfois saisi par l’envie de boxer (ses diatribes contre George Steiner ou Guy Debord vont en agacer plus d’un), on doit reconnaître la fulgurance poétique de bien des remarques. Qui d’autre avait remarqué que l’encre du New York Times sentait l’artichaut et que Montserrat Caballé avait l’air d’une théière ? Et sa liste des couleurs des villes, si pointue : « Brooklyn, biscotte. Le Caire, terre et ciment. Istanbul, gris plomb et vert tilleul. Londres, speculoos et abricot. Paris, gris pigeon. Saint-Sébastien, jaune argile. Venise, corail…» Comme tout livre-monde, chacun y trouvera son miel et son fiel, du plaisir et du dégoût, des joies et des chagrins. «Oh non, pas lui !», se dit-on devant une descente en flamme ; « bien fait, c’est tellement juste ! » admet-on ensuite à la lecture d’un portrait au cutter. Enfin, malgré la virtuosité parfois asphyxiante de l’exercice, on se demande : « mais qui est ce Dantzig ?» Ce n’est sans doute pas ici qu’on l’apprendra, mais dans un autre livre, quelque nouveau portrait chinois plus tard. Dantzig travaille pour la postérité ; en tous les cas, la sienne. A lire Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, de Charles Dantzig, Grasset, 80 pages, 24,90 €. 2/2