Cour de cassation de Belgique Arrêt
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Cour de cassation de Belgique Arrêt
12 FÉVRIER 2016 C.14.0414.F/1 Cour de cassation de Belgique Arrêt N° C.14.0414.F M. C. S., demanderesse en cassation, représentée par Maître François T’Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l’Athénée, 9, où il est fait élection de domicile, contre 1. A. D. C., 2. FRANCOFILMS PRODUCTIONS, société anonyme anciennement dénommée Belgavideo, dont le siège social est établi à Uccle, rue de Verrewinkel, 93, 3. C. V. P., avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société anonyme Belgavideo Technology, défendeurs en cassation, 4. F. J., 12 FÉVRIER 2016 5. M. J., 6. A. J., 7. V. J., 8. E. J., 9. C. J., C.14.0414.F/2 10. L. J., 11. T. J., 12. G. N., 13. C. N., 14. E. N., 15. C. N., défendeurs en cassation, représentés par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile. I. La procédure devant la Cour Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 16 décembre 2013 par le tribunal de première instance de Tournai, statuant en degré d’appel comme juridiction de renvoi ensuite de l’arrêt de la Cour du 7 octobre 2010. Le 22 janvier 2016, le premier avocat général André Henkes a déposé des conclusions au greffe. Le président de section Albert Fettweis a fait rapport et le premier avocat général André Henkes a été entendu en ses conclusions. 12 FÉVRIER 2016 II. C.14.0414.F/3 Le moyen de cassation Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen. III. La décision de la Cour Sur le moyen : Le moyen fait grief aux juges d’appel de ne pas avoir écarté d’office, d’une part, les conclusions des défendeurs sub 1 à 3 déposées au greffe le 4 janvier 2013 alors qu’elles auraient dû l’être le lundi 31 décembre 2012, d’autre part, les conclusions additionnelles et de synthèse des défendeurs sub 4 à 15 déposées au greffe le mardi 1er octobre 2013 alors qu’elles auraient dû l’être le lundi 30 septembre 2013. Il ressort des pièces de la procédure que : - les conclusions des défendeurs sub 1 à 3 ont été, d’une part, adressées par télécopie au greffe du tribunal, qui y a apposé son cachet avec la mention « reçu le 31 décembre 2012 » et, d’autre part, déposées en original à ce greffe le 4 janvier 2013 ; - les conclusions additionnelles et de synthèse des défendeurs sub 4 à 15 ont été, d’une part, adressées par télécopie au greffe du tribunal, qui y a apposé son cachet avec la mention « reçu au greffe le 30 septembre 2013 » et, d’autre part, déposées en original à ce greffe le 1er octobre 2013. Les conclusions peuvent être remises au greffe par télécopie dans le délai fixé pour conclure. Le moyen, qui revient tout entier à soutenir que les juges d’appel étaient tenus d’écarter ces conclusions des débats en vertu de l’article 747, § 2, alinéa 6, du Code judiciaire, ne peut être accueilli. 12 FÉVRIER 2016 C.14.0414.F/4 Par ces motifs, La Cour Rejette le pourvoi ; Condamne la demanderesse aux dépens. Les dépens taxés à la somme de deux mille neuf cent trente-deux euros huit centimes envers la partie demanderesse. Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Albert Fettweis, les conseillers Martine Regout, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du douze février deux mille seize par le président de section Albert Fettweis, en présence du premier avocat général André Henkes, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont. P. De Wadripont S. Geubel M. Lemal M. Delange M. Regout A. Fettweis REQUÊTE/1 Requête Requête en cassation Pour S. M. C., demanderesse en cassation, assistée et représentée par Me François T’KINT, avocat à la Cour de cassation soussigné, dont le cabinet est établi à 6000 Charleroi, rue de l’Athénée, 9, où il est élu domicile. Contre 1. D. C. A., défenderesse en cassation, 2. FRANCOFILMS PRODUCTIONS, société anonyme, anciennement BELGAVIDEO, société anonyme, dont le siège social est à 1180 Uccle, rue de REQUÊTE/2 Verrewinkel, 93, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0441 128 383, défenderesse en cassation. 3. V. P. C., avocat, en sa qualité de curateur de la faillite de la société anonyme BELGAVIDEO TECHNOLOGY, dont le siège social est établi à 1180 Bruxelles, rue de Verrewinkel, 93, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0458 408 637, déclarée par jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 3 octobre 2011, défendeur en cassation, 4. J. F., 5. J. M., 6. J. A., 7. J. V., 8. J. E., 9. J. C., 10. J. L., 11. J. T., 12. N. G., 13. N. C., 14. N. E., 15. N. C., défendeurs en cassation, REQUÊTE/3 A Messieurs les premier président et président, Mesdames et Messieurs les conseillers qui composent la Cour de cassation, Messieurs, Mesdames, La demanderesse a l’honneur de déférer à votre censure le jugement prononcé sur renvoi après cassation, en degré d’appel et contradictoirement entre parties, par la septième chambre civile du tribunal de première instance de Tournai (actuellement tribunal de première instance du Hainaut – division Tournai), le 16 décembre 2013 (rôle général 12000 1135 A). Les faits de la cause et les antécédents de la procédure, tels qu’ils résultent des pièces auxquelles votre Cour peut avoir égard, se résument comme suit. La demanderesse et un sieur S. P., alors mariés sous le régime de la séparation de biens, exploitaient ensemble une ferme dont dépendaient diverses terres agricoles, certaines d’entre elles (pour une superficie totale de 10 hectares environ) étant louées selon bail à ferme conclu entre les auteurs des défendeurs J.-N. et les consorts B.-D. C. qui, de l’accord exprès des bailleresses, les cédèrent, le 3 juillet 1976, aux époux P.-S. REQUÊTE/4 Les bailleresses originaires sont décédées respectivement les 8 septembre 1981 et 2 novembre 1994. Le 6 novembre 1996, les anciens locataires B.-D. C. et les héritiers des veuves J. et N. ont souscrit une convention par laquelle les premiers ont renoncé au bail à ferme portant notamment sur les terres dont ils avaient cédé la jouissance aux époux P.-S.. Le même jour, les héritiers J.-N. ont vendu l’ensemble immobilier dit « Château de l’Escaille » et ses dépendances, dont les terrains litigieux, à la première défenderesse, pour ce qui concerne la nue-propriété et à la S.A. BELGAVIDEO, s’agissant de l’usufruit, constitué pour une durée de quinze années. La demanderesse a divorcé par consentement mutuel de S. P. et a continué à exploiter l’entreprise agricole et, singulièrement, les terres dépendant du domaine de l’Escaille, les conventions préalables à divorce prévoyant en effet que l’exploitation agricole, rien n’étant excepté, restait la propriété exclusive de la demanderesse. Le 19 juillet 1996, les deux premières défenderesses ont assigné la demanderesse et le sieur P. devant Monsieur le juge de paix du canton de Seneffe afin d’obtenir leur expulsion des terres litigieuses occupées, selon elles, sans titre ni droit. En novembre 1997, la demanderesse a elle-même fait citer tous les défendeurs (sauf la S.A. BELGAVIDEO TECHNOLOGY, actuellement en faillite) devant le même juge afin d’entendre dire pour droit qu’elle est titulaire d’un bail à ferme, cédé par les consorts B.-D. C., et d’obtenir la condamnation des défendeurs J.-N. à lui payer une somme provisionnelle de 750.000 francs belges à titre de dommages-intérêts. REQUÊTE/5 Par jugement du 29 mars 2002, le juge de paix de Seneffe, après avoir joint les causes a fait droit à l’action des deux premières défenderesses (rôle général 96 A 600), a ordonné le déguerpissement de la demanderesse, l’a condamné à payer à la deuxième défenderesse une somme provisionnelle de 20,000 euros pour privation de jouissance et a ordonné une expertise pour le surplus. Il a, par ailleurs, déclaré les actions de la demanderesse recevable mais non fondées (rôle général 98 A 401). Ce jugement a été signifié le 24 mai 2002 à la demanderesse à la requête des deux premières défenderesses. La demanderesse a interjeté appel par requête déposée le 17 juin 2002. Cet appel est dirigé contre toutes les parties en cause devant le premier juge. Cependant, par suite d’une erreur de plume, la demanderesse a intimé un certain « G. J., tant en nom personnel qu’en sa qualité de représentant de Madame C. N., domicilié … », au lieu de G. N., ici douzième défendeur, qui avait comparu en premier degré. Cet appel portait le numéro de rôle 02 1683 A. Par requête subséquente déposée le 18 octobre 2004, la demanderesse a cependant rectifié cette erreur et a intimé le douzième défendeur. Ce recours fut inscrit sous le numéro de rôle 04 3011 A. Le 23 mai 2005, la société anonyme BELGAVIDEO TECHNOLOGY, actuellement en faillite et représentée ici par son curateur, le troisième défendeur, a fait intervention volontaire dans le litige inscrit sous le numéro 02 1683 A. Par un premier jugement du 17 avril 2008, la troisième chambre civile du tribunal de première instance de Charleroi, après avoir rejeté les exceptions d’irrecevabilité de l’action originaire des deux premières défenderesses opposées par la demanderesse, après avoir dit que la citation ayant introduit cette action n’était pas nulle et avoir décidé que la signification du jugement entrepris réalisée à l’initiative de ces défenderesses, était valable, réserve à REQUÊTE/6 statuer pour le surplus, spécialement quant à la recevabilité des appels de la demanderesse, au regard de l’article 1053 du Code judiciaire. Et, par jugement du 25 juin 2009, le tribunal de première instance de Charleroi a décidé que lesdits appels étaient irrecevables dès lors que, le litige étant indivisible et le jugement entrepris ayant été valablement signifié à la demanderesse, celle-ci aurait dû intimer toutes les parties à la cause ayant un intérêt opposé au sien, et plus particulièrement le douzième défendeur, dans le délai d’appel ouvert par la signification du jugement a quo, ce qu’elle ne fit que hors délai par requête du 18 octobre 2004. La demanderesse a formé un pourvoi en cassation contre le jugement du 25 juin 2009, à l’appui duquel elle a proposé un moyen pris de la violation des articles 31 et 1053 du Code judiciaire. Ce moyen, vous l’avez accueilli par votre arrêt du 7 octobre 2010 (Pas., 2010, n° 584 et les concl. de M. l’avocat général HENKES), considérant que : « Il ne serait pas matériellement impossible d’exécuter conjointement deux décisions distinctes rendues, d’une part, entre les deux premières défenderesses et la demanderesse concernant l’action en expulsion pour occupation sans titre ni droit des parcelles litigieuses et, d’autre part, entre la demanderesse et les défendeurs (…), les consorts J. et N., concernant l’action en paiement de dommages-intérêts. Partant, en considérant que le litige opposant la demanderesse aux défendeurs est indivisible aux motifs qu’il ‘oppose une prétendue titulaire d’un bail à ferme (au) propriétaire (actuel) ainsi qu’aux anciens propriétaires des terres sur lesquelles porterait ce bail à ferme et qu’il concerne précisément l’existence ou non de ce bail à ferme ainsi que ses conséquences, étant l’occupation fondée ou sans titre ni droit desdites terres’, qu’ ‘en cas de décision distincte, leur exécution matérielle serait impossible’ et que ‘la demanderesse n’a pas REQUÊTE/7 intimé (le défendeur sub [12]) lequel était partie à la cause devant le premier juge’ le jugement attaqué ne justifie pas légalement sa décision de déclarer irrecevable l’appel formé par la demanderesse, le 17 juin 2002, concernant les autres défendeurs ». Vous avez cassé le jugement attaqué du 25 juin 2009 et renvoyé la cause et les parties devant le tribunal de première instance de Tournai, siégeant en degré d’appel. Le jugement attaqué, après avoir reçu les appels principal et incident, dit l’intervention volontaire de la S.A. BELGAVIDEO TECHNOLOGY en faillite et celle de la deuxième défenderesse recevable, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, renvoie la cause devant le premier juge et réserve à statuer quant aux frais et aux dépens de l’appel. À l’appui du pourvoi qu’elle forme contre le jugement attaqué, la demanderesse croit pouvoir proposer le moyen de cassation suivant. Moyen unique de cassation Dispositions légales violées Articles 1317, 1319 et 1341 du Code civil, articles 742, 745, 746, 747, spécialement § 2, alinéa 6, et 748bis du Code judiciaire. REQUÊTE/8 Décision attaqué et motifs critiqués Le jugement attaqué qui déclare les interventions volontaires de la deuxième défenderesse et du troisième défendeur qualitate qua recevables, dit l’appel de la demanderesse recevable mais non fondé, l’en déboute, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions et renvoie la cause devant le premier juge pour les suites de l’expertise, se fondant sur les moyens, arguments et faits invoqués par les défendeurs aux termes des conclusions d’appel qu’ils ont prises devant les juges de renvoi, alors que, après avoir expressément visé l’ordonnance de mise en état du 23 octobre 2012, il relève authentiquement que : « Vu les conclusions prises par l’appelante au principal déposées au greffe le 31 mai 2013. Vu les conclusions prises par les intimés et intervenants volontaires (parties a à c, [ici première, deuxième et troisième défendeurs]) déposées au greffe le 4 janvier 2013. Vu les conclusions additionnelles et de synthèse prises par les intimés au principal (parties 1 à 12 [ici défendeurs 4 à 15]) déposées au greffe le 1er octobre 2013. » Griefs Tout jugement constitue un acte authentique qui, en vertu de l’article 1319 du Code civil, fait foi de son contenu et des constatations qu’il contient, REQUÊTE/9 jusqu’à inscription de faux. Et, à défaut de pareille inscription, aucune preuve n’est admise outre et contre le contenu de cet article. Il résulte de la combinaison des articles 742, 745 et 746 du Code judiciaire que chaque partie est tenue de déposer au greffe de la juridiction qui connaît de la cause, ses conclusions, ce dépôt valant signification, en même temps qu’elle en communique la copie aux autres parties et que, s’il lui est loisible de communiquer lesdites conclusions à ses adversaires avant d’en assurer le dépôt de l’original au greffe, ce dépôt doit intervenir en toute hypothèse dans le délai pour conclure tel qu’il a été fixé soit de l’accord des parties dûment acté par le juge (article 747, § 1er, dudit Code), soit en vertu de l’ordonnance de mise en état judiciaire (article 742, § 2). Les conclusions qui ne sont pas déposées au greffe et adressées à la partie adverse au plus tard à l’expiration de ces délais ainsi fixés, sauf accord exprès contraire de cette dernière, doivent être écartées d’office des débats par le juge, en vertu de l’article 747, § 2, alinéa 6. Ces conclusions doivent être d’office rejetées des débats, que la partie adverse sollicite l’écartement ou ne le requière pas, le silence de cette partie en cas de dépôt tardif ne valant pas renonciation au bénéfice des articles 742, 745, 746 et 747, § 2, alinéa 6, du Code judiciaire, les renonciations ne se présumant pas et ne pouvant se déduire que de faits ou de circonstances qui ne sont susceptibles d’aucune autre interprétation. En outre, il importe peu que le défaut de déposer les conclusions dans les délais imposés ne cause à la partie qui s’en prévaut aucun grief, dès lors que la sanction de l’écartement est étrangère aux nullités des actes de procédure et n’est dès lors pas régie par les articles 860 et suivants du Code judiciaire. Enfin, l’article 748bis dudit Code dispose que « sans préjudice de l’article 748, § 2, sauf le cas de conclusions ayant pour unique objet de demander une ou plusieurs mesures visées à l’article 19, alinéa 2, de soulever un incident de REQUÊTE/10 procédure n’étant pas de nature à mettre fin à l’instance ou de répondre à l’avis du ministère public, les dernières conclusions d’une partie prennent la forme de conclusions de synthèse. Pour l’application de l’article 780, alinéa 1er, 3°, les conclusions de synthèse remplacent toutes les conclusions antérieures et, le cas échéant, l’acte introductif d’instance de la partie qui dépose les conclusions de synthèse ». Il découle des règles rappelées ci-dessus que le juge qui constate que des conclusions ont été déposées au greffe après l’expiration des délais impératifs imposés par une ordonnance de fixation doit obligatoirement les écarter d’office et qu’il lui est interdit de s’en inspirer pour fonder sa décision. L’ordonnance de mise en état du 23 octobre 2012 à laquelle se réfère expressément le jugement attaqué fixait les délais impartis à chaque partie pour conclure, de la manière suivante : « Accordons aux intimés D. C., FRANCOFILMS PRODUCTIONS et Me V. P. qualitate qua, un délai pour conclure expirant le 30 décembre 2012. Accordons aux intimés J. F., M., A., V., E., C., L. et T., N. G., C., C. et E., un délai pour conclure expirant le 28 février 2013. (…) Accordons à la (demanderesse) un délai pour conclure expirant le 31 mai 2013. Accordons aux (défendeurs 1 à 3) un délai pour conclure en réplique expirant le 31 juillet 2013. Accordons aux (défendeurs 4 à 15) un délai pour conclure en réplique expirant le 30 septembre 2013. REQUÊTE/11 (…) » Le jugement attaqué constate que : 1) les défendeurs 1 à 3 ont déposé leurs conclusions au greffe du tribunal le vendredi 4 janvier 2013, alors qu’ils auraient dû effectuer le dépôt le lundi 31 décembre 2012 ; 2) les défendeurs 4 à 15 ont déposé leurs conclusions additionnelles et de synthèse (étant les seules auxquelles les juges du fond ont pu avoir et ont effectivement eu égard) le mardi 1er octobre 2013, alors qu’ils eussent dû les déposer le lundi 30 septembre 2013 et que 3) les défendeurs 1 à 3 n’ont pas établi de conclusions additionnelles et de synthèse. Bien que toutes ces conclusions aient été déposées après l’expiration des délais déterminés pour le dépôt des conclusions par l’ordonnance de mise en état, le jugement attaqué non seulement ne les écarte pas des débats mais au contraire s’appuie sur elles et sur les contestations qu’elles contiennent pour confirmer le jugement entrepris, décider que la demanderesse ne bénéficiait d’aucun bail à ferme, occupait les lieux sans titres ni droit et n’était pas fondée à réclamer aux défendeurs 4 à 15 des dommages-intérêts. De la sorte, il viole toutes les dispositions légales visées au moyen. Développement Par votre arrêt du 9 décembre 2005 (Pas., 2005, n° 654 les concl. partiellement conformes de M. l’avocat général WERQUIN), vous avez décidé que lorsque le président ou le juge désigné par celui-ci, fixe les délais pour conclure, la remise des conclusions au greffe et leur envoi simultané à la partie adverse doivent avoir tous deux lieu dans le délai fixé. Il s’en déduit que le dépôt au greffe dans le délai, sans communication des conclusions dans le même délai, à la partie adverse et, par ailleurs, cette communication utile sans dépôt des conclusions dans le même délai, ne satisfont pas aux REQUÊTE/12 exigences de la loi, en sorte que le juge est impérativement tenu d’écarter les conclusions, si elles n’ont pas été communiquées et déposées dans le délai. Il est vrai que sous l’empire de l’ancien article 747 du Code judiciaire, la question pouvait prêter à controverse en ce qui concernait le dépôt au greffe, puisque le texte prévoyait seulement que « … les conclusions communiquées après l’expiration des délais sont d’office écartées des débats ». Sur cette base, une importante doctrine considérait que les conclusions ne pouvaient être écartées que si elles étaient communiquées à la partie adverse en dehors des délais (voy., e. a., VAN COMPERNOLLE, CLOSSET-MARCHAL, VAN DROOGHENBROECK, « Examen de jurisprudence. Droit judiciaire privé », R.C.J.B., 2002, p. 557, n° 553). Cependant, l’enseignement de votre arrêt du 9 décembre 2005, vous l’aviez confirmé par vos arrêts des 11 juin 2008 (Pas., 2008, n° 367) et 26 septembre 2008 (Pas., 2008, n° 507), ce dernier ajoutant d’ailleurs que, d’une part, le juge qui fixe des délais pour conclure, impose des délais impératifs (voy. aussi cass., 18 mai 2000, Pas., 2000, n° 305 et cass., 10 octobre 2005, Pas., 2005, n° 492) et, d’autre part, que, en vertu de l’article 747, § 2, « une partie a intérêt à ce que les conclusions déposées tardivement soient écartées d’office des débats ». La controverse est maintenant éteinte car, en adoptant le nouvel article 747 du Code judiciaire, le législateur du 26 avril 2007 a consacré dans une très large mesure la solution que vous aviez dégagée : la communication et le dépôt dans les délais impartis sont dorénavant exigés au même titre et sous la même sanction. Seul le terme « simultané » n’a pas été repris dans le texte de la nouvelle disposition « afin d’éviter une erreur d’interprétation consistant à exiger, sous peine d’écartement d’office, la simultanéité dans la remise des conclusions au greffe et le renvoi à la partie adverse. Ce qui compte, c’est la date d’échéance finale ; peu importe que ces formalités ne s’accomplissent pas en même temps » (exposé des motifs, Doc. Parl., Ch. représ., sess. ord. 20062007, n° 51-2811/001,12). REQUÊTE/13 S’agissant du dépôt des conclusions au greffe, il peut certes intervenir par envoi par la poste (et c’est l’original signé qui doit être déposé dans le délai et non une copie adressée, par exemple, par fax) mais il est indispensable que ces conclusions régulières parviennent au greffe au plus tard le dernier jour du délai « aux heures pendant lesquelles ce greffe doit être accessible au public » (article 52, alinéa 2, du Code judiciaire) (voy., à ce sujet, l’intéressant arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 27 janvier 2011, rôle général 2004 1114 et 2004 1190, www.juridat). Vous avez encore souligné qu’il n’appartient pas au juge appelé à appliquer la sanction prévue par l’article 747, § 2, alinéa 6, du Code judiciaire, d’apprécier si la partie adverse a ou non subi un préjudice du fait que des conclusions tardives sont admises (cass., 18 mai 2000, Bull., 2000, n° 305), la théorie des nullités, et singulièrement l’article 867 du Code judiciaire, ne s’appliquant pas (cass., 20 avril 2007, Pas., 2007, n° 196 ; cass., 12 février 2009, Pas., 2009, n° 116), la sanction de l’écartement d’office des conclusions devant être en toute hypothèse appliquée même si elle n’est pas sollicitée par la partie adverse (ENGLEBERT, « Sanctions et pouvoirs du juge dans la mise en état des causes », R.G.D.C., 1997, p. 264, n° 9). Constatant authentiquement que les conclusions des défendeurs avaient toutes été déposées au greffe du tribunal de première instance de Tournai en dehors des délais impératifs fixés par l’ordonnance de mise en état, le jugement attaqué se devait de les écarter d’office des débats ; non seulement, il ne fait pas, mais au contraire, il se fonde sur ces conclusions pour rejeter l’appel de la demanderesse. Il n’est pas légalement justifié. REQUÊTE/14 PAR CES CONSIDERATIONS, L’avocat à la Cour de cassation soussigné concluant, pour la demanderesse, qu’il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser le jugement attaqué, ordonner que mention de votre arrêt sera faite en marge de la décision annulée, renvoyer la cause et les parties devant un autre tribunal de première instance (ou une autre division d’un tribunal de première instance) et statuer comme de droit quant aux frais et aux dépens. Charleroi, le 4 septembre 2014 François T’KINT Avocat à la Cour de cassation