TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MELUN N°1306821

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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MELUN N°1306821
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE MELUN
N°1306821
___________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
M. A... D...
___________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Mme Castéra
Rapporteure
___________
Le Tribunal administratif de Melun,
Mme Mullié
Rapporteure publique
___________
(6ème chambre),
Audience du 3 octobre 2014
Lecture du 17 octobre 2014
___________
C+
Vu la requête et le mémoire, enregistrés le 10 août 2013 et le 15 septembre 2014,
présentés pour M. A... D..., demeurant..., par Me Cukier ; M. D... demande au tribunal :
1°) d’annuler l’arrêté du 9 juillet 2013 par lequel le préfet du Val-de-Marne a refusé de
lui délivrer le titre de séjour sollicité, l’a obligé à quitter le territoire français dans un
délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
2°) d’enjoindre au préfet du Val-de-Marne de lui délivrer un titre de séjour mention
« vie privée et familiale » dans un délai d’un mois à compter de la notification du
jugement à intervenir ou à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans le
même délai et de lui délivrer, dans l’attente, une autorisation provisoire de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. D...soutient que :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- elle méconnaît les dispositions du 11° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du
séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- le préfet doit rendre sa décision au regard de l’avis du médecin inspecteur de santé
publique mais surtout après avoir apprécié lui-même la situation de l’étranger ; en l’espèce, le
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préfet n’a pas examiné sa situation ; le préfet a méconnu l’étendue de sa propre compétence dès
lors qu’il s’est estimé en situation de compétence liée ;
- la décision entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité sur sa situation
personnelle ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît le 10° de l’article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d’asile ;
- le préfet n’a pas apprécié s’il répondait aux conditions fixées par le 11° de l’article
L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- en l’absence d’avis du médecin inspecteur, sur sa possibilité de voyager sans risque
pour son état de santé, le préfet ne pouvait prendre à son encontre une mesure d’éloignement
sans se prononcer sur cette question ; le préfet n’a pas procédé à un examen complet de sa
situation au regard de son état de santé ;
- la décision méconnaît les dispositions de l’article 41 de la Charte des droits
fondamentaux ainsi que les principes généraux du droit de l’Union européenne dès lors qu’il n’a
pas été informé lors du dépôt de sa demande de titre de séjour qu’il pouvait faire l’objet d’une
mesure d’éloignement ; il n’a pas pu produire des informations complémentaires sur son état de
santé ;
Vu l’arrêté attaqué ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée au préfet du
Val-de-Marne qui n'a pas produit de mémoire ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 septembre 2014, présenté pour M. D...qui conclut aux
mêmes fins que ses précédents mémoires par les mêmes moyens ;
M. D...soutient en outre que :
- le médecin inspecteur et le préfet ne pouvaient légalement se fonder sur la
circonstance que son dossier médical ne permettait pas d’établir l’existence d’un traitement
approprié dans son pays d’origine ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu l’arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d’établissement et de
transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l’article
R. 313-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en vue de la
délivrance d’un titre de séjour pour raison de santé ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 octobre 2014 :
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- le rapport de Mme Castéra ;
- et les conclusions de Mme Mullié, rapporteure publique ;
1.
Considérant que M.D..., ressortissant bangladais, né le 20 décembre 1980, déclare
être entré sur le territoire en 2008 ; qu’il a demandé la délivrance d’un titre de séjour sur le
fondement des dispositions du 11° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d’asile ; que par un arrêté du 9 juillet 2013, le préfet du Val-de-Marne a
rejeté sa demande, l’a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de
destination ; que M. D...demande l’annulation de ces décisions ;
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2.
Considérant qu’aux termes du 11° de l’article L. 313-11 code de l’entrée et du
séjour des étrangers et du droit d’asile : « Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre
public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de
plein droit : (…) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé
nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des
conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié
dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par
l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que
la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est
prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la
région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence, ou, à Paris, du
médecin, chef du service médical de la préfecture de police. Le médecin de l'agence régionale de
santé ou, à Paris, le chef du service médical de la préfecture de police peut convoquer le
demandeur pour une consultation médicale devant une commission médicale régionale dont la
composition est fixée par décret en Conseil d'Etat » ; qu’aux termes de l’article R. 313-22 de ce
code : « Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour
temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé compétente au
regard du lieu de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général. (…) / L'avis est émis
dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé
de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé ou un médecin
praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de
traitement dans le pays d'origine de l'intéressé » ; qu’aux termes de l’article 3 de l’arrêté du
9 novembre 2011 relatif aux conditions d’établissement et de transmission des avis rendus par
les agences régionales de santé en application de l’article R. 313-22 du code de l’entrée et du
séjour des étrangers et du droit d’asile en vue de la délivrance d’un titre de séjour pour raison de
santé : « Au vu des informations médicales qui lui sont communiquées par l’intéressé ou, à la
demande de celui-ci, par tout autre médecin, et au vu de tout examen qu’il jugera utile de
prescrire, le médecin agréé ou le médecin praticien hospitalier mentionné à l’article 1er établit
un rapport précisant le diagnostic des pathologies en cours, le traitement suivi et sa durée
prévisible ainsi que les perspectives d’évolution. Il transmet ce rapport médical, sous pli
confidentiel, au médecin de l’agence régionale de santé dont relève la résidence de l’intéressé,
désigné à cet effet par le directeur général de cette agence. / Les rapports médicaux adressés
dans le cadre de la présente procédure par les médecins agréés ou les médecins praticiens
hospitaliers visés à l’article 1er sont conservés par le médecin de l’agence régionale de santé
mentionné au premier alinéa pour une durée de cinq ans » ; qu’aux termes de l’article 4 de ce
même arrêté : « Au vu de ce rapport médical et des informations dont il dispose, le médecin
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inspecteur de santé publique de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales
émet un avis précisant : - si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge
médicale ; / - si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une
exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / s'il existe dans le pays dont il est originaire, un
traitement approprié pour sa prise en charge médicale ; / - et la durée prévisible du traitement. /
Il indique, en outre, si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers son
pays de renvoi. / (…) Cet avis est transmis au préfet sous couvert du directeur général de
l'agence régionale de santé. » ;
3.
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le médecin agréé ou le praticien
hospitalier qui adresse un rapport au médecin de l’agence régionale de santé n’est pas tenu de
préciser s’il existe dans le pays d’origine de l’étranger malade un traitement approprié pour sa
prise en charge médicale ; qu’une telle appréciation doit en revanche être portée par le médecin
de l’agence régionale de santé dans l’avis qu’il émet ; qu’ainsi, ce médecin ne peut refuser de
rendre l’avis prévu par l’article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile au motif qu’il lui manque des informations pour se prononcer sur l’existence d’un
traitement approprié dans le pays d’origine ;
4.
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que par un avis du 18 avril 2013, le
médecin de l’agence régionale de santé a considéré que l’état de santé de M. D...nécessitait une
prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle
gravité ; qu’en revanche, il ne s’est pas prononcé sur l’existence d’un traitement approprié dans
le pays d’origine de l’intéressé au motif qu’il « manque à l’administration des sources
documentaires pour prouver l’existence ou l’absence au pays, de certains traitements nécessaires
pour éviter au patient des conséquences d’une exceptionnelle gravité » ; que pour refuser de
délivrer le titre sollicité par M.D..., le préfet du Val-de-Marne s’est notamment fondé sur le motif
tiré de ce que l’intéressé avait produit un rapport médical incomplet et qu’en ne produisant pas
les documents sollicités par l’administration depuis le 13 février 2012, il ne démontrait pas la
nécessité de son maintien en France pour des raisons de santé ; qu’en se fondant sur un tel motif,
le préfet du Val-de-Marne a méconnu les dispositions précitées ;
5.
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. D...est fondé à demander
l’annulation de l’arrêté du préfet du Val-de-Marne du 9 juillet 2013 ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
6.
Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative :
« Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un
organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure
d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par
la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution » ; qu’aux termes
de l’article L. 911-2 du même code : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une
personne de droit public (…) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la
juridiction saisie de conclusions en ce sens, prescrit par la même décision juridictionnelle, que
cette décision doit intervenir dans un délai déterminé » ; qu’eu égard aux motifs du présent
jugement, il y a lieu d’enjoindre au préfet du Val-de-Marne de procéder au réexamen de la
situation de M. D...dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement ;
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Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative :
7.
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge
de l’Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme D...et non compris dans les
dépens ;
DECIDE:
Article 1er : L’arrêté du préfet du Val-de-Marne du 9 juillet 2013 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Val-de-Marne de réexaminer la situation administrative de
M. D...dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : L’Etat versera à M. D...une somme de 1 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A... D...et au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2014, à laquelle siégeaient :
Mme Saint-Germain, présidente,
Mme Castéra, conseillère,
Mme Jaouën, conseillère,
Lu en audience publique le 17 octobre 2014.
La rapporteure,
La présidente,
A. Castéra
S. Saint-Germain
La greffière,
J. Dugourd