Les limites de la Constitution sont celles des gouvernements

Transcription

Les limites de la Constitution sont celles des gouvernements
UEF.be
Les limites de la Constitution sont celles des gouvernements
Malgré les faiblesses évidentes du texte, ma position politique est qu' il faut désormais prendre acte du projet de Traité
tel qu'il est et l'approuver. Les arguments en faveur de l'adoption tiennent, d'une part, au contenu du texte proprement dit
- non pas dans l'absolu mais par rapport aux traités existants - et découlent, d'autre part, d'une analyse de la situation
politique actuelle au sein de l'Union européenne et dans le monde...
Par Pierre JonckheerÂ
Malgré les faiblesses évidentes du texte, ma position politique est qu' il faut désormais prendre acte du projet de Traité
tel qu'il est et l'approuver. Les arguments en faveur de l'adoption tiennent, d'une part, au contenu du texte proprement dit
- non pas dans l'absolu mais par rapport aux traités existants - et découlent, d'autre part, d'une analyse de la situation
politique actuelle au sein de l'Union européenne et dans le monde.
Pour le contenu du projet, les améliorations sont principalement de nature symbolique, institutionnelle et juridique et
concernent moins les objectifs et les moyens des politiques de l'Union où, pour l'essentiel, le texte réaffirme l'existant .
Le régime politique de l'Union est consolidé, bâti sur sa double légitimité : celle des gouvernements et celle du suffrage
direct. La primauté du droit européen est explicite. La démocratie parlementaire supranationale étend son champ d'action
dans l'élaboration des lois européennes tout en restant encore incomplète alors que la Commission conserve son
monopole d'initiative législative et que deux fonctions européennes sont créées : la présidence du Conseil européen
ministre européen des affaires étrangères. En contrepoids, le Conseil européen s'affirme plus explicitement comme le
lieu de décision des principales orientations politiques dans tous les domaines et les gouvernements conservent une
main exclusive sur les ressources du budget de l'Union. Le régime politique de l'Union est également consolidé par
l'extension des compétences de la Cour de justice sur l'ensemble des politiques de l'Union à l'exception de la politique
extérieure et de sécurité. Un droit d'initiative citoyenne est créé qui offre un nouvel espace de mobilisation et
d'intervention transnationales qui vient s'ajouter à la possibilité existante d'accords-cadres entre partenaires sociaux.
En outre, si la définition des valeurs et des objectifs des politiques de l'Union se cumulent sans hiérarchie, s'appuyant
sur une hypothèse abstraite de compatibilité et de cohérence générale, il est toutefois utile de souligner le large éventa
que celles-ci et ceux-ci recouvrent et qui s'imposent à l'ensemble des institutions et des acteurs dont, par exemple, la
non-discrimination, l'égalité homme/femme, le développement durable, la prévention des conflits, l'élimination de la
pauvreté, …de même qu'il faut souligner l'existence des principes d'action, juridiquement contraignants, que doivent
rencontrer les différentes politiques sectorielles de l'Union. Je pense qu'il faut donc se garder d'une lecture déterministe
du Traité et au contraire souligner la possibilité pour les acteurs politiques de choisir leurs priorités tout en restant dans le
cadre du Traité. Les discussions actuelles sur la réforme du pacte de stabilité ou sur le contenu de "l'agenda de
Lisbonne-Göteborgh" en sont deux exemples, et le fait que le projet de Traité réaffirme le rôle prééminent du Conseil
européen dans la définition des principales orientations politiques est l'expression de cette volonté.
Pour autant ce projet "établissant une Constitution pour l'Europe" nous suffit-il ? Certainement pas. Les insuffisances du
texte de la Convention sont évidentes et ce travail a été encore amoindri (de notre point de vue) par les gouvernements
lors des négociations qui se sont conclues en juin 2004. Â
Parmi les nombreuses faiblesses, je voudrais en pointer deux qui sont essentielles. La première est celle du vote Ã
l'unanimité qui est maintenu dans certains domaines comme celui de la fiscalité, le budget, des aspects de la politique
sociale, et pour la révision future des Traités. Ce dernier aspect, outre qu'il signifie qu'il ne s'agit pas juridiquement et
politiquement d'une "Constitution" , est particulièrement préoccupant puisque l'unanimité requise concerne désormais
25 Etats; ainsi, on peut juger légitimement qu'il y'a absence de démocratie politique lorsque tout changement concernant
en particulier la définition des politiques de l'Union (rassemblées dans la troisième partie du texte) reste soumis Ã
l'unanimité et donc potentiellement insensible aux alternances de majorité politique résultant des élections nationales et
européennes. Il est donc logique que la citation de Thucydide mise en exergue des travaux de la Convention -"Notre
Constitution…est appelée démocratie parce que le pouvoir est entre les mains non d'une minorité mais du plus grand
nombre"- ait été retirée du texte final !
La deuxième faiblesse importante pour ceux qui sont soucieux de la promotion d'un "modèle social européen" est la
quasi-impossibilité d'appliquer une politique de convergence vers des normes européennes de haut niveau à partir de
normes sociales nationales. Certes, le projet de traité affirme les objectifs de plein emploi et de progrès social, mais les
moyens pour y arriver n'ont pas été renforcés : on en reste aux dispositifs des traités actuels et à la dynamique
dominante d'une concurrence entre systèmes sociaux et fiscaux nationaux, alors que cette concurrence se trouve
renforcée à la fois par la globalisation et par l'hétérogénéité interne accrue de l'Union composée de 25 pays; on
donc arguer justement que l'Union a besoin d' instruments nouveaux pour agir sur ces réalités et pour développer un
modèle de développement durable.
En résumé, le contenu du projet de Traité instituant une Constitution améliore les textes actuels mais le maintien de
l'unanimité dans des secteurs stratégiques continuera à produire des situations de crises entre les 25 gouvernements
http://www.uef.be/uef_v2_joomla
_PDF_POWERED
_PDF_GENERATED 1 October, 2016, 04:47
UEF.be
sans que la procédure prévue sur les "coopérations renforcées" ne permette réellement à un sous-groupe de pays de
mettre aisément en oeuvre ; il paraît en conséquence tout à fait excessif de penser que le projet constitutionnel assurera
pour 50 ans une dynamique politique commune au service des objectifs ambitieux affirmés solennellement. Â
Pourquoi dès lors ne pas refuser dès maintenant ce projet et défendre l' idée d'une crise politique salvatrice comme le
prônent les partisans du non? La réponse dépend évidemment du jugement politique de chacun à propos de la situation
présente et de notre capacité à la transformer car refuser le projet de Traité n'a évidemment de sens que si l'on pense
pouvoir aboutir à un meilleur texte dans les prochains mois ou années ou si l'on pense devoir sortir de l' Union et bâtir
quelque chose d'autre en dehors des Traités existants et en dehors de l' Espace économique européen .
Pour avoir suivi et indirectement participé aux travaux de la Convention durant 18 mois, il est évident pour moi qu' il n' y
a aucune possibilité politique d'atteindre à l'unanimité de 25 pays un résultat qualitativement différent de celui obtenu pa
la Convention. Je le regrette vivement mais c'est ainsi.
Il faut savoir que beaucoup de pays et leurs dirigeants, pour l'instant, ne souhaitent pas aller au delà du niveau actuel de
l'intégration communautaire pour des raisons diverses de nature culturelle, économique, de souveraineté. C'est le cas
en gros des pays scandinaves, de beaucoup des nouveaux membres, du Royaume-Uni,…ce qui fait beaucoup si l'on
veut atteindre l'unanimité. Et ne croyons pas qu'il s'agit d'un clivage gauche/droite ! Treize gouvernements sur quinze
étaient de centre-gauche lors de la conclusion du Traité de Nice en 2000. La social-démocratie en Europe est divisée et
incapable de proposer un projet alternatif par rapport auxquel les forces plus libérales auraient à se définir et les Verts
rassemblent moins de 5% des voix en moyenne dans l' Union !
Quant au scénario de sortie de l'Union (prévu explicitement pour la première fois dans le projet de traité), il me paraît
encore plus illusoire politiquement, en particulier pour les pays membres de l'euro, tant "l'acquis communautaire" s'est
développé depuis 50 ans et s'est traduit dans le droit interne de chaque Etat. Il faudrait d'ailleurs dans un tel scénario de
façon cohérente refuser l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie ce qui n'est pas une position unanime
parmi les tenant d'un vote négatif au projet de Traité.
Mon appréciation est donc que les alternatives proposées suite à un non au projet de Traité ne tiennent pas la route.
Faut-il donc conclure par un oui résigné tout en se réconfortant pour se dire entre nous que l'on s'est bien battu (durant
la Convention) mais que l'on a perdu ? Faut-il attendre la prochaine crise, une participation électorale en 2009 encore
plus faible, une nouvelle montée des populismes et des nationalismes européens d'extrême-droite ? Non, il faut pouvoir
à l'occasion des référendums, des ratifications parlementaires, et des débats que nous souhaitons nombreux,
contradictoires et transnationaux, politiser au sens large du terme les questions européennes et travailler à des
mobilisations concrètes sur des propositions de loi européenne en cours de discussion, comme la proposition sur le
marché intérieur des services ("Bolkenstein") ou celle sur les autorisations de l'utilisation des substances chimiques et
leur effet sur l'environnement et la santé ("REACH") et, en anticipant sur le droit d'initiative citoyenne prévu par le projet
constitutionnel, mener des campagnes pour exiger de nouveaux droits européens comme celui d'un droit à un revenu
individuel garanti. Un oui à la Constitution n' empêche pas un travail collectif de luttes pour construire une citoyenneté
européenne bâtie sur des revendications précises; c'est un oui de combat !
Pierre JONCKHEER,
Député européen
Vice-Président du Groupe des Verts au Parlement européen
http://www.uef.be/uef_v2_joomla
_PDF_POWERED
_PDF_GENERATED 1 October, 2016, 04:47