Entretien avec Pervenche Berès

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Entretien avec Pervenche Berès
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Entretien avec Pervenche Berès
Interview de Madame Pervenche Berès, Députée européenne et Présidente de la Commission affaires économiques e
monétaires du PE. Elle nous parle du "non" français et néerlandais au Traité constitutionnel et nous expose les raisons
pour lesquelles ce rejet peut être l'occasion d'un nouveau départ de l'Europe...
Certains commentateurs n'hésitent pas à voir dans le refus de la France et des Pays-Bas face à la constitution
européenne une crise grave, voire plus grave que celles que l'Europe a pu connaître dans son passé (notamment lors
de la crise pétrolière de 1974). Ceux-là estiment que ce "non" va ralentir la construction européenne de 10 ou 15 ans.
D'autres, au contraire, estiment que c'est l'opportunité pour une relance fondamentale de l'idée européenne. Quel est
votre sentiment vis-à -vis de ce débat ?
Beaucoup de commentateurs citent également la prédiction de Jean Monnet : « [l'Europe] se construira dans les
crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». La construction européenne, depuis l'origine, a été
jalonnée de crises. De l'échec de la CED à la crise de la « chaise vide », de l'épisode thatchérien du « I want my
money back », aux « non » danois et irlandais... Cette prise de recul historique est nécessaire pour mieux apprécier la
situation actuelle et éviter les diagnostics catastrophistes.
Pour moi, les « non » français et néerlandais ont avant tout sanctionné « l'absence d'une perspective à partir de
laquelle les gens pourraient comprendre pourquoi l'Europe a désormais besoin d'une Constitution », pour reprendre les
termes de Jürgen Habermas. Le traité de Constitution n'était pas porteur de dépassement comme l’était, par exem
le traité de Maastricht fondateur de l’euro : il apporte de légers correctifs à Nice, mais pas de projet pour faire avancer
l’Europe.
La crise actuelle peut donc être à l'origine d'un renouveau du projet européen, à condition de répondre aux questions
courageusement posées par les citoyens et que les élites européennes ont jusqu'à maintenant toujours éludé. Veut-on
une zone de libre -échange ou une économie sociale de marché ? Veut-on une véritable Union économique et monét
qui ne soit pas qu'une zone monétaire pilotée par le seul objectif de la stabilité des prix ? L'Union est-elle condamnée Ã
absorber progressivement tous les Etats à ses marges ou doit-elle se doter d'une architecture différenciée permettant
d'associer ses voisins n'ayant pas nécessairement vocation à adhérer à l'Union ?
Les défenseurs du traité accusent les partisans du « non » d'avoir détourné l'esprit du traité, en le présentant com
néo-libéral ou comme portant atteinte à la souveraineté des Etats. Vous avez fait campagne contre le traité. Que leur
répondez-vous ?
Pour le « non de gauche » en France, le déséquilibre actuel du projet européen – libéralisation sans contrepartie p
une harmonisation fiscale et sociale – a été déterminant. Au-delà des déclarations d'intentions, le projet de Constitutio
n'offrait pas d'outils pour lutter contre ce déséquilibre, que reflète parfaitement la proposition de directive Bolkestein.
Dans un espace aussi divergent que l'est aujourd'hui l'Union à 25, ce déséquilibre, en l'absence d'une véritable solidarité
budgétaire, revient à officialiser le dumping comme méthode de rattrapage pour les nouveaux Etats membres. Au fil des
traités, les Socialistes ont accepté de reporter la construction d'un espace social pour installer les préalables (un marché,
une monnaie...). La Constitution et la naissance de l'Europe politique auraient dû permettre de sauter le pas. Or le
social est le grand absent de ce rendez-vous. On ne pouvait plus, comme on l'avait fait par le passé, dire aux citoyens :
« votez oui, on progressera dans le domaine social la prochaine fois ». En ce qui concerne les craintes souverainistes,
elles n'ont pas été portées par le « non de gauche », ni par la majorité des Français qui ont voté non : interrogés
sortie des urnes, 72% d'entre eux ont affirmé qu'ils souhaitaient la poursuite de l'intégration européenne, mais qu'ils
voulaient que cette construction réponde davantage à leurs attentes et à leurs préoccupations.
Le « non » n'est-il pas, parmi d'autres explications, la révélation que l'Europe a parfois été construite « à l'envers Â
en instaurant par exemple des mécanismes économiques telles que la monnaie avant une véritable intégration de
l'économie européenne à travers ce que d'aucun appelle un gouvernement économique européen ?
Il s'agit d'un phénomène récurrent dans l'histoire de la construction européenne, dont la logique a souvent consisté Ã
créer des solidarités de fait -la monnaie unique par exemple- et à postuler que ces dernières entraîneraient
automatiquement une prise de conscience de la situation nouvelle d'interdépendance, et donc l'adoption d'instruments
politiques coordonnés au niveau européen. Force est de constater que cette vision très « fonctionnaliste » montre
aujourd'hui ses limites : elle ne prend pas en compte un facteur déterminant, à savoir la volonté politique des acteurs, et
en premier lieu des Etats membres. Or c'est précisément l'absence de croissance et d'emploi dans la zone euro, alors
que le passage à l'euro devait libérer des marges de manoeuvre, que les électeurs français ont sanctionné ; c'est cela
qui rend le projet européen suspect et l'élargissement difficile.
Lors d'un récent débat sur le Traité constitutionnel et la gouvernance économique européenne organisé par l'UEF
Belgique et auquel vous avez participé, il a été notamment question que la construction européenne n'avait pas apporté
les promesses (notamment la croissance) que la mise en place des divers outils macroéconomiques avait laissé croire.
Le traité constitutionnel n'était-il pas de nature à renforcer l'intégration économique nécessaire pour atteindre ces
objectifs ?
Non, la Constitution ne conduit pas au rééquilibrage indispensable entre les objectifs économiques et sociaux que
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suppose une véritable « économie sociale de marché ». Je cite souvent l'économiste allemand Wolfgang Munchau, qu
en septembre, relevait qu'en laissant intact le système actuel de politique économique qu'il juge « défaillant », la
Constitution « ne pourrait tout simplement pas constituer un cadre pour une union politique capable de supporter une
union monétaire à long terme ».
Comment, selon vous, les opposants au traité constitutionnel envisagent-ils de relancer la construction européenne : Ã
partir de quel projet, sur quelle base et avec quelle coalition d'acteurs ?
Il existe aujourd'hui un constat largement partagé sur l'inachèvement de l'Union économique et monétaire. Le
renforcement de la gouvernance économique de la zone euro passe nécessairement par une meilleure coordination des
politiques budgétaires et fiscales, et donc par une harmonisation fiscale progressive ; l'approfondissement du dialogue
entre les gouvernements de la zone et la BCE s'impose également afin d'obtenir un policy-mix favorable à la croissance
et à l'emploi. L'évolution de l'Eurogroupe va dans le bon sens, mais reste insuffisante. L'eurozone pourrait ainsi constituer
la base d'un « premier cercle » d'Etats membres désireux d'aller plus vite et plus loin en matière d'harmonisation
économique, fiscale et sociale. La mise en place d'un tel « noyau dur », ouvert à tous les Etats membres désireux d'y
participer, est la solution qui permet de répondre à la fois aux attentes des Etats favorables à une intégration plus
poussée et à celles de ceux qui y sont réticents, ces derniers pouvant à tout moment se joindre aux politiques plus
intégrées du premier cercle.
L'investissement dans de grands projets européens -infrastructures, éducation, nouvelles technologies...- s'impose
également pour relancer la croissance européenne. C'est la question cruciale des ressources financières de l'UE qui est
posée : si l'on veut se doter de moyens d'action véritables, il faudra bien évoluer sur les modalités des ressources
propres afin de faire émerger la question de l'impôt européen et celle du recours à l'emprunt. Enfin, des progrès
significatifs devront être faits en matière de politique étrangère et de défense. Propos recueillis par Pierre BodiauxÂ
Pervenche BERES,
Députée européenne
Présidente de la Commission affaires économiques et monétaires du PE
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