Hara-Kiri - Presque toute la vérité sur les lutins Couverture de l
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Hara-Kiri - Presque toute la vérité sur les lutins Couverture de l
DANS LE VENTRE DE Arnaud Baumann & Xavier Lambours SOMMAIRE Les Lambau par Delfeil de Ton Février 1975, N° 161 – Photos parlantes 126 De la tendresse bordel 130 Juin 1980, N° 225 – Photos parlantes : L’Europe 134 11 18 Cavanna par Pacôme Thiellement Mai 1980, N° 224 – Photos parlantes 25 Reiser Novembre 1975, N° 170 – Photos parlantes 32 par Pacôme Thiellement 138 Le Professeur Choron 36 Janvier 1981, N° 232 – Roman-photo : Althusser 144 par Pacôme Thiellement Août 1976, N° 179 – 1er roman-photo : « Retrouvez la mesure » Anniversaires & javas 44 Gébé par Pacôme Thiellement par Arnaud Baumann et Luis Rego 154 Avril 1981, N° 235 – Photos parlantes 162 52 Delfeil de Ton Mars 1978, N° 198 – Roman-photo : « Eugène » par Pacôme Thiellement 166 60 Les enfants de Hara-Kiri Une époque sans tabou par Jackie Berroyer 64 Lucky Day par Arnaud Baumann Décembre 1978, N° 207 – Photos parlantes Première page : Dessin original de Willem pour Dans le Ventre de Hara-Kiri. Pilier historique, Willem aura résisté à tout. La force de son dessin n’a jamais faibli, quel que soit le support de presse qui le publie. Son isolement insulaire l’a sauvé du massacre du 7 janvier 2015. Première double page, à gauche : 1981. Fin de soirée arrosée au Dodin Boufant, la cantine de luxe du Professeur Choron et de son voisin de quartier, François Mitterrand. Cavanna disait : « On a fait Hara-Kiri pour se marrer, pour rire… Exclusivement pour se fendre la gueule ! » Première double page, à droite : 1991. Choron survit dans ce qu’il a pu sauver des locaux des Éditions du Square. Cavanna s’afaire à l’écriture de ses romans, dans une chambre de 25 mètres carrés à la même adresse, 10, rue des Trois-Portes. Il est rare de les voir ensemble. La rumeur de brouille entre eux est telle qu’ils acceptent de jouer leur réconciliation devant l’objectif. Seconde double page : 1978. Même si les ventes ne sont pas toujours au rendez-vous, les Éditions du Square publient, en plus de Hara-Kiri, Charlie Hebdo, La Gueule ouverte, Charlie Mensuel et bientôt BD, l’hebdo de la BD. Choron est devenu un véritable patron de presse et Cavanna un écrivain publié (Les Ritals, Paris, Belfond, 1978). par Pacôme Thiellement, Jean-Marie Gourio et Sylvie Caster 168 Juin 1981, N° 237 – Photos parlantes 186 Lambau : l’auto-interview 192 Décembre 1981, N° 243 – Photos parlantes 202 73 76 Wolinski par Pacôme Thiellement Mars 1979, N° 210 – Photos parlantes : Voyage à Berlin 82 88 « Je t’aime, Bob ! » par Denis Robert 206 Juin 1982, N° 249 – Photos parlantes : New York 212 Cabu par Pacôme Thiellement Décembre 1979, N° 219 – Photos parlantes : Les mémés du Nord 94 100 La mort par le rire par Jean-Marie Gourio 218 Juillet 1982, N° 250 – Photos parlantes : Décrottage de nez 226 Willem par Pacôme Thiellement Janvier 1980, N° 220 – Photos parlantes : 1980 106 112 Nous sommes tous Coluche !!! par Romain Goupil 118 Charlie Matin par Arnaud Baumann 230 Liste des publications et chronologie Postface 236 239 16 mars 1981. Choron, directeur de publication du quotidien Charlie Matin. « En le voyant écrire son «Billet à la con du Professeur Choron”, je croyais voir Pierre Lazaref. » A.B. LE PROFESSEUR CHORON ara-Kiri c’est d’abord l’alliage de deux éléments et l’alliance de deux puissances. Hara-Kiri, c’est le face-à-face d’un homme dense comme du bois et d’un être tranchant comme le métal. Cavanna était taillé dans le chêne, Choron est en acier. Choron est vitesse, violence, vibration, sang qui gicle, champagne qui coule, sperme qui bout. Avant d’être Choron, le Professeur s’appelait Georget Bernier. La vie de Georget Bernier est celle de quelqu’un qui a traversé très jeune les plus terribles vicissitudes. Fils de garde-barrière dans la Meuse, orphelin de père, il s’engage dans la coloniale à 19 ans. Il obtient le grade de sergent et part en Indochine où il assure les communications radio. Fixé au poste de commandement de Luc Nam, il déterre les macchabées pour les rapatrier en France. Plus tard, chaque numéro de Hara-Kiri sera un macchabée déterré et envoyé valser dans la danse macabre de la société française, de ses peurs et de ses désirs. En poste avec des Nungs, le Caporal-chef Bernier mange le foie et le cœur de ses ennemis. Il tombe amoureux de la vietnamienne N’Guyen-Ty et il retourne en France après avoir balancé son poing dans la igure de la femme qu’il aimait – pour qu’elle ne le retienne pas, et pour rendre la vie encore plus tragique et irréversible : « C’est pour ça que j’ai fait Hara-Kiri. Je suis monté dans le bateau après avoir assommé l’amour de ma vie : N’Guyen-Ty. » H 36 En bas : 1981. Choron à l’Olympia. Depuis plusieurs années, Choron fait son show lors des bouclages de Charlie Hebdo. Il chante des textes sortis de son imagination, parfois quelques minutes avant. Pris au jeu, il écrit et répète, encouragé par Berroyer, Gourio et quelques amis musiciens. Il chantera « Mamamoudia », « La Testiculance », « Le Tango des Afamés » et une demi-douzaine de ses textes dans cette salle. À droite : 1980. Choron pose. Le Professeur avait besoin d’une « photo à la con » pour Hara-Kiri. Il promettait aux nouveaux abonnés son buste au crâne rasé, transformé en coquetier. Nous n’avons jamais vu l’objet. L a haine du sentimentalisme sera une constante de l’esprit Hara-Kiri. Même la mort de Reiser en 1983 engendrera la plus folle des couronnes mortuaires – avec l’inscription « De la part de Hara-Kiri en vente partout » – et la plus belle formule tapante de Cavanna : Le dernier qui restera se tapera toutes les veuves. Et le suicide d’Odile, la femme du Professeur, inspirera à ce dernier un roman-photo où il apparaît les yeux tristes, une poupée au doigt, disant : « J’ai beaucoup soufert. Regardez mon doigt. J’ai beaucoup soufert. J’ai été marié une fois. Regardez mon doigt. Odile, ma compagne de trente années, est morte. Les salauds de croque-morts en fermant le cercueil m’ont claqué le couvercle sur le doigt. Mais je vais me marier une deuxième fois et si je suis veuf encore une fois, alors là, les croque-morts, y m’auront pas. Parce que plus jamais je n’essayerai de mettre mon doigt entre les cuisses de ma femme une dernière fois. » t puis Bernier a rasé son crâne. Bernier est devenu Choron, c’est-à-dire un homme qui a fait de la direction d’une maison de presse un art de la guerre. Comme dira Willem : « Il savait pousser les gens à faire des choses dont ils ne se croyaient pas capables avant. » Choron a réussi avec Cavanna à exciter ses génies comme on excite des fauves. Tous les plus grands sont arrivés chez eux comme des bébés fauves – un mauvais rédacteur en chef aurait pu en faire des petits chats qui ronronnent – mais Cavanna et Choron réussirent à en faire de beaux tigres pour leur grand beau journal. Cavanna et Choron ont l’air de deux maîtres d’un cirque gitan : le cirque Hara-Kiri. Cavanna dresse les fauves en les « simpliiant » et en les « densiiant » et Choron les excite et les lance, toutes grifes dehors, dans les cerceaux en feu ! Hara-Kiri était le désir de Cavanna, mais c’était la volonté de Choron. C horon, c’est un inventeur de gags violents comme des poèmes. Les Jeux de con, Les Fiches-bricolage sont autant de façons de détruire le quotidien et de le reconstruire. Il y a du Jarry chez Choron. C’est un pataphysicien à l’état sauvage. Et le rire qu’il provoque est beaucoup plus fort que l’humour. C’est de la possession. Ce à quoi on se confronte lors de ses imprécations, c’est à une transe d’anarchie, sans préférence idéologique, sans projet, sans pitié. Une vision drôle et violente de l’absurdité de l’existence. Choron, c’est à la fois le plus déinitif des chefs et le plus exalté des visionnaires. t puis Choron c’est le double. C’est tous les doubles. Ce n’est pas seulement le double de Cavanna, c’est surtout le double de lui-même. Sa silhouette rejoint les igures expressionnistes mythiques des vampires ou des personnages gothiques. Entre le fume-cigarette aristocratique, le polo rouge à manches longues prolétaire, les moustaches et le crâne rasé, mi-Gandhi mi-Gurdjief, on se confronte à une pure apparition de corps, doublée par l’énergie extraordinaire de ses invectives, et son mystérieux titre de Professeur qui ne renvoie à aucune discipline connue. Choron ne réléchit pas comme le commun des mortels : il pense comme on tape, comme on ouvre, comme on prend. Il y a quelque chose dans son système nerveux qui touche directement au mystère de la volonté, à l’énigme de la voix ancestrale qui hurle directement dans le cerveau droit et met in aux atermoiements de la conscience rélexive. Par moments, son énergie est telle que Choron semble surgir hors du corps de Bernier comme un fantôme afamé. Il ne cherche pas à améliorer le monde : il ne cherche qu’à rendre la vie plus intense, plus radicale, plus folle. Sang, champagne, foutre : grâce à lui, le monde ne s’est jamais arrêté de gicler. E E Pacôme Thiellement 38 1979. Les bras chargés du courrier des lecteurs, le Professeur Choron et sa femme Odile posent pour Chenz dans une mise en scène criante de vérité. Quelques années plus tard, Choron lancera l’opération « Sang neuf » dans l’espoir de trouver de nouveaux talents parmi les lecteurs ain de relancer Hara-Kiri. Les propositions de textes et de dessins seront tellement aligeantes de médiocrité que la masse de courrier ne sera même plus ouverte. 1981. La faillite est à l’horizon. Chaque année, les chifres de difusion de Charlie Hebdo chutent, et les diicultés inancières deviennent un peu plus insurmontables. Charlie Mensuel est vendu à Dargaud pour boucher le trou dans la caisse. En 1982, Charlie Hebdo cessera de paraître. Tous les titres créés dans l’espoir de renlouer l’entreprise (Surprise, BD l’hebdo de la BD, Mords’y l’œil…) ont contribué à creuser le déicit. Les procès, ainsi que les contrôles du isc et de l’Urssaf, précipiteront la faillite et la in de Hara-Kiri en 1985. Ci-contre : Daniel Tallet et Blandine Jeanroy à la maquette, qui reste supervisée par Cavanna dont la rigueur le transformait parfois en tyran. Ci-dessous : Berroyer, Gourio et Cabu après le bouclage. En haut, à droite : Gébé, Gondo (dessinateur) et Cavanna à la livraison du dernier numéro (N°2). En bas, à droite : Kamagurka fait découvrir le son du Walkman à Wolinski. I ci et là, chacun bouche un trou de la maquette (Cabu à la télé, Paule aux animaux) et le journal part à l’impression. Le lendemain, il fait un tabac. La presse généraliste qui méprise d’habitude tout ce que font ces mal élevés, se fend d’échos plus ou moins critiques qui boostent les ventes. Choron et sa clique se frottent les mains. n plus des journées harassantes, rue des Petits Hôtels, dans le secret de la rue des Trois-Portes, la fête avait succédé aux séances de photos de groupe prises par Chenz. Une fausse bagarre avait été mise en scène, opposant les « pour » et les « contre » la poursuite du quotidien. Afublés de pansements et de gnons grossièrement maquillés, ils avaient posé pour une photo de réconciliation. Puis, la dernière – et inalement la seule publiée en une du numéro deux – ils avaient lancé un bras d’honneur collectif à la confrérie de la presse. La baseline avait changé. Charlie Matin était devenu « Le salaud qui laisse la place chaude pour un autre salaud. » horon avait saisi l’occasion de prendre la place de Libé pour lui chier dessus. On comprend mieux pourquoi, quelques mois plus tard, lorsque le Charlie Hebdo du 31 décembre 1981 se fait hara kiri en insultant ses lecteurs lâcheurs d’un « Allez vous faire enculer ! », le quotidien vexé titrera : « Crève Charlie ! »*. E C Arnaud Baumann Les citations sont extraites du livre du Professeur Choron Vous me croirez si vous voulez, mémoires rassemblées par Jean-Marie Gourio, Flammarion, 1993. En 1982, alors que Charlie Hebdo a cessé de paraître, après le scandale de l’émission de Michel Polac où Cavanna insulte les lecteurs défaillants, Choron bourré, traite de petits cons les jeunes lycéens présents et Siné tire à boulets rouges sur le journal d’extrême-droite Minute. Libération fera sa une assassine. * 232 Préparatifs pour le deuxième et dernier numéro de Charlie Matin. « Le 6 janvier 2015, j’avais un rendez-vous important. Le directeur du festival international de reportage Visa pour l’Image, Jean-François Leroy, me recevait pour examiner un sujet : l’intimité des créateurs de Hara-Kiri, ceux qui ont fait Charlie Hebdo. L’entretien se passa bien. Mes photos rappelèrent à Leroy sa jeunesse, les couvertures du mensuel sur les murs de sa chambre d’adolescent. Il conclut : “J’ai un problème. Ton sujet est franco-français. Mon festival est international. Je vais réfléchir et je te rappelle en avril.” La suite vous la connaissez. Le 7 janvier, le monde était devenu Charlie. J’ai demandé à Xavier Lambours, mon ami de jeunesse, de me rejoindre pour faire ce livre dont nous rêvions depuis dix ans. Dans les années 1970, nous avions commencé ensemble à photographier la société, les gens des rues, le métro, les boîtes branchées du Palace et des Bains Douches, le Paris en travaux. Et nous avons fait notre éducation dans le ventre de Hara-Kiri. C’est l’association de nos regards, avec le talent des contributeurs littéraires, qui fait la richesse de cet ouvrage. » A. B. Nous remercions tout le monde sans oublier personne, les vivants et les morts.