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Louvain la Neuve-21-22 mai
Les Objectifs du Développement Durable (ODD) dans l’agenda post 2015: Enjeux et
perspectives Philippe Hugon, professeur émérite Paris Ouest-Nanterre, La Défense, IRIS,
[email protected]
Dans leur déclaration du Millénaire (2000), les Nations unies avaient défini des
objectifs du développement auxquels se sont engagés 189 pays en 2002 1. Les OMD,
résultant d’un relatif consensus de la communauté internationale, étaient pensés en termes
de réduction des écarts du Sud par rapport au Nord à l’horizon 2015. Par contre, ils ne
remettaient pas en cause les préférences collectives du Nord et traitaient de manière
identique les pays émergents et les pays en développement. Ces OMD se sont concentrés
sur des objectifs quantifiés identiques, simples en termes de % à atteindre et non des
dynamiques de caractère chronique ou transitoire propres aux différentes trajectoires. Les
« planistes » internationaux se sont placés d’un point de vue volontariste et normatif au
niveau des fonds à mobiliser et des objectifs à atteindre et non des facteurs explicatifs sur le
plan national ou mondial des situations ou des dynamiques observables. En revanche, ils se
sont limités aux seuls pays en développement et n’ont pas intégré les priorités sécuritaires
ou environnementales ou la question de la vulnérabilité des populations.
Le monde a changé depuis le début du XXIème siècle. Dans un contexte de grandes
disparités socio-politiques et démographiques, le capitalisme mondialisé notamment
financier et les politiques publiques ont globalement favorisé la baisse de la pauvreté en
valeur relative, mais en même temps accru les inégalités intra-nationales et entre les pays
émergents et les pays pris dans les trappes à pauvreté. Aux relations cardinales Nord/Sud
tend à se substituer un monde multipolaire ou tripolaire avec déplacement du centre de
gravité des pays industriels en crise, vers les pays émergents et avec relative marginalisation
des pays pauvres et des Etats faillis. Le modèle de référence de sociétés énergivores et
carbonées, aux produits obsolètes, accumulant des déchets et générant de la pollution tend
à s’étendre tout en étant de moins en moins supportable par la planète malgré les
innovations technologiques. Le passage des OMD aux ODD se situe dans ce contexte où les
questions planétaires, notamment climatiques, dominent les débats.
La pauvreté multidimensionnelle reste évidemment un enjeu majeur. Les OMD et les
ODD seront intégrés dans un agenda commun post-2015 en ajoutant les objectifs
sécuritaires, les transitions énergétiques, l’environnement tant pour les pays du Nord que du
Sud. Les arbitrages politiques à différentes échelles entre le « trilemne », équité sociale (les
objectifs des OMD), efficacité économique et soutenabilité écologique auxquels on peut
ajouter la sécurité conduisent à accroître les divergences entre les préférences collectives
exprimées par les Etats et les acteurs privés. Les ODD posent ainsi avec une acuité nouvelle
le problème des conflits de valeurs, des limites de la quantification et des écarts entre la
complexité des situations socio-économiques à diverses échelles et le caractère simple et
réducteur des indicateurs sensés les mesurer. Les objectifs chiffrés doivent être concrets,
concis, faciles à comprendre, en nombre limités, comparables, universels et chiffrables tout
en étant ambitieux, d’envergure et en intégrant les spécificités des sociétés. Il est nécessaire
d’avoir des indicateurs mesurables, universels pour agir internationalement et permettre de
1La Commission européenne a ainsi mis en place en 2008 les contrats OMD qui constituent une forme d’appui
budgétaire général s’inscrivant dans le long terme (8 pays ont été concernés pour 1,8 milliards euros).
confronter pour les bailleurs ou les organisations internationales les objectifs et les résultats
selon un échéancier programmé. Or, la traduction des objectifs à atteindre en ressources à
mobiliser et en résultats observables est particulièrement délicate pour un développement à
la fois durable et inclusif.
Ce texte après avoir présenté le bilan contrasté des OMD dans des relations
Nord/Sud, traite des principaux enjeux et difficultés de mise en œuvre des ODD dans un
monde multi ou tripolaire.
I/ Le bilan contrasté des OMD
Les OMD ont été une avancée et un plus petit commun dénominateur conduisant aux
engagements de la communauté internationale. Ils ont été évidemment critiqués, de
manière externe, comme rhétorique, consensus mou, objectifs généreux et généraux qui
cachent la réalité des asymétries internationales de richesse et de pouvoir, du capitalisme
financier mondialisé ou sont un simple cache misère. Ils ont également été critiqués, de
manière interne, du fait de la pauvreté des indicateurs, des limites de la métrique et de
l’empirisme, face à la complexité des situations différemment contextualisés. Il y a, par
définition, écart entre les décideurs publics se situant dans une optique praxéologique, à
partir de compromis politiques, et la communauté scientifique adoptant des positions
critiques et controversées et se voulant moins opérationnelles et moins normatives.
Les OMD : un engagement fort de la communauté internationale
Le sommet du millénaire des Nations Unies du 6 au 8 septembre 2000 avait regroupé
189 Etats membres des Nations unies. La campagne a été lancée par Kofi Annan en 2002. Le
projet des Objectifs du millénaire a été mis en place sous la direction de Jeffrey Sachs. Il a
conduit au rapport Investir dans le développement : plan pratique de réalisation des objectifs
du millénaire pour le développement. Un rapport annuel des Nations unies fait le bilan des
résultats des OMD.
Ces Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) représentent un
ensemble de huit objectifs avec 17 cibles quantifiables et mesurées selon 48 indicateurs.
Cinq objectifs sont à contenu démographique : éliminer l’extrême pauvreté et la faim (1) ;
garantir à tous une éducation primaire (2) ; promouvoir l’égalité hommes-femmes et
l’autonomie des femmes (3) ; améliorer la santé des enfants et réduire la mortalité des
moins de 5 ans (4) ; améliorer la santé maternelle et réduire de ¾ le taux de mortalité
maternelle (5) ; combattre le VIH/Sida, le paludisme et les autres maladies (6) ; assurer un
développement durable (environnement), réduire de moitié le % de la population n’ayant
pas accès à l’eau et aux services d’assainissement (7) ; mettre en place un partenariat
mondial pour le développement (8). Ces objectifs sont interdépendants. Ainsi, l’objectif
d’éducation pour tous (2) agit sur les objectifs 3, 4, 5, 6 ainsi que sur l’objectif 1 (faire
disparaître l’extrême pauvreté) et l’objectif 7 (assurer la durabilité des ressources
environnementales).
Les liens entre l’aide, les objectifs et les résultats dans les pays en développement
Les objectifs, cibles quantifiables par des indicateurs internationaux, s’appliquent aux
différents Etats membres des Nations unies. Ils sont mis en œuvre dans le cadre de
politiques nationales, évalués quant à leurs résultats et conduisent à une comparaison entre
objectifs initiaux et résultats ou entre situation de départ, situation actuelle. Ils font l’objet
de rapports indiquant les échecs ou réussites et cherchant à les expliquer par des facteurs
lourds exogènes (démographiques, catastrophes, chocs ) ou endogènes (mauvaise
gouvernance). Les OMD sont définis dans une conception top down. Ils expriment « des
rapports de pouvoir qui, selon M Foucauld (2001), cherchent à réduire la complexité et la
diversité du social (en l’occurrence mondial) en un ordre unifié et manipulable ». Ils
traduisent, comme tous les indicateurs, des relations de pouvoirs de la part des
organisations internationales avec transfert de la production du chiffre, normalisation des
standards liés à des compromis dans les négociations internationales. Les indicateurs
internationaux tendent à supplanter les services nationaux de statistiques. Les Etats, les
ONG ne viennent qu’en second.
L’engagement sur les OMD a eu des effets sur la légitimité de l’aide (Gastineau,
Gubert, Robillard, Roubaud 2010). Les OMD ont accru la connaissance, stimulé la recherche,
sensibilisé les opinions publiques. Ils ont constitué un agenda et un cadre d’action aidant les
pays à cibler leurs politiques de solidarité internationale et ont renforcé la société civile
(Sachs 2013). Ils ont permis une mobilisation des différents acteurs publics et privés
nationaux et internationaux sur des objectifs quantifiés. Ils ont conduit à accroître l’aide
budgétaire et les financements des budgets nationaux moyennant contrôle des résultats. Ils
ont, en même temps, eu des effets parfois pervers sur la production de données en
concentrant les enquêtes sur des informations liées aux seuls OMD aux dépens des
spécificités nationales.
La question centrale est évidemment celle de savoir comment les différents pays
cherchent à atteindre ces objectifs dans un cadre global (ex du cadre stratégique de lutte
contre la pauvreté), sectoriel (ex des programmes éducatifs ou de santé, des plans d’action
national pour l’environnement). La mise en œuvre par les autorités se fait à diverses échelles
du national au local ; elle mobilise des moyens financiers et concerne une pluralité d’acteurs
du secteur public et privé, de la société civile ; elle suppose un cadre institutionnel adapté.
Les cibles quantifiables et mesurées selon 48 indicateurs impliquent un appareil statistique
fiable.
Des objectifs quantitatifs en partie atteints en Afrique sub-saharienne
La baisse du taux de pauvreté a été notable dans les pays en développement avec un
taux de pauvreté passant de 43,1% à 22,3% mais avec de grandes différences selon les
régions (Chen, Ravaillon 2012). Les réussites les plus notables des pays en développement
concernent la généralisation du traitement contre le sida, les gains de productivité agricole,
la hausse du taux net de scolarisation, l’amélioration de l’accès aux services d’eau. L’objectif
de réduction de moitié de la pauvreté extrême (moins de 1, 25 $ jour) a été atteint
Plusieurs objectifs ont été atteints dans les PMA notamment en Afrique subsaharienne, même si l’ASS est à la traîne du fait de la croissance démographique, des conflits
voire de la baisse de l’APD. Ils ont été globalement atteints pour OMD1 en termes de baisse
de la pauvreté absolue, OMD2 de scolarisation primaire, OMD3 d’équité par genre de la
scolarisation, OMD6 de lutte contre le sida, la tuberculose, le paludisme, et de partenariat
pour le développement OMD 8. Ils ont été dépassés pour l’accès à l’eau potable (baisse de
50% du non accès), de la population exclue des quartiers insalubres (200 millions contre 100
millions comme objectifs). Mais ils ont été inférieurs en termes de baisse de la mortalité
maternelle OMD5 (la moitié contre ¾ pour les objectifs) et de mortalité infantile OMD4
(baisse d’1/3 contre ¾ au niveau des objectifs), et de viabilité de l’environnement (OMD7).
Ces moyennes résultent d’évolutions très divergentes entre les pays émergents et ceux pris
dans des trappes à pauvreté, à conflits et à forte croissance démographique.
En revanche, ces indicateurs quantitatifs n’intègrent pas certains défis actuels et
futurs en termes de qualité de l’éducation, d’accès des femmes à des activités économiques
ou de baisse des mariages précoces, de réduction des indices de pauvreté dans les zones
rurales, d’emplois décents notamment pour les jeunes arrivant sur le marché du travail, de
résilience face aux changements climatiques. Les questions de qualité de l’enseignement
sont aussi importantes que celle de quantités. L’école demeure caractérisée par des taux
élevés de déperdition.
Tableau I- Résultats des OMD en Afrique sub saharienne entre 1990 et 2013
(1)Extrême pauvreté (moins 1$ jour) %
(2)Taux net de scolarisation %
(3)Egalité sexe (emploi salarié des femmes/ emploi) %
(4)Taux de mortalité infantile (moins de 5 ans) /1000
(5)Taux mortalité maternelle/ 100000 naissances
(6) Traitement antirétroviral du sida%
Emission de CO2 (milliard tonne métrique)
(7)Accès à eau améliorée %
(7) Habitat dans des taudis%
Sources : Nations-unies, rapport sur les OMD 2014, Hugon (2013)
1990
56
53
24
178
850
40
0,7
49
65
2000
52
60
_
740
48
-
2013
48
77
33
109
500
56
1,3
63
62
lles progrès les plus notables observables concernaient le Bénin, l’Ethiopie, la
Gambie, le Malawi et le Rwanda. On note une baisse de l’incidence de l’extrême pauvreté.
Au Burundi, en Ethiopie, au Nigeria, en Ouganda et en Zambie, le taux des jeunes pauvres
est supérieur à 80% (Mubila, Lannes, Ben Adissa 2012). Les pays les plus inégalitaires en
termes d’indice de Gini sont l’Afrique du Sud, la Zambie la Centrafrique le Rwanda,
l’Ouganda et le Sénégal. 10 % des plus riches prélèvent de 40 à50% des richesses alors que
les 10% les plus pauvres prélèvent de 3 à 5% des richesses.
Les limites des indicateurs
De nombreux problèmes méthodologiques peuvent être soulevés. Les indicateurs des
OMD expriment la volonté de classifier, de comparer et de hiérarchiser. La mise en place des
indicateurs internationaux renvoie aux problèmes de la normalisation du langage et de la
métrique. Les mesures reposent sur des conventions et supposent une convergence des
préférences collectives et des systèmes de valeurs (Gabas et al 2013, Hugon 2013). Les OMD
conduisent à des découpages sectoriels permettant de confronter les objectifs ciblés et les
résultats et se font évidemment au détriment des interdépendances entre les secteurs Il
peut paraitre légitime de comparer des espérances de vie, des consommations énergétiques
par tête, voire des productivités intégrale du travail. La comparaison est plus discutable pour
des questions d’égalités par genre ou de taux de scolarisation. La pauvreté monétaire,
malgré ses limites et les questions d’hétérogénéité des prix, permet une agrégation ce qui
n’est pas le cas des OMD comme de l’IDH. Quel est le système de pondération et donc de
valorisation et de hiérarchisation que l’on retient pour élaborer des indicateurs ? Il est banal
de rappeler que la conception individualiste qui permet l’additivité ou l’agrégation fait
abstraction des inégalités des interdépendances entre les fonctions d’utilité ou les
préférences (effet de démonstration, mimétisme, pauvreté subjective… L’agrégation
implique pour des indicateurs non monétaires des systèmes implicites de pondération et de
valorisation.
Les OMD renvoient évidemment au débat entre universalisme et relativisme et
confrontation des systèmes de valeurs. On peut, dans le cas de consensus fort sur des
objectifs et des moyens parler de régime au sens de Krasner : les structures de pouvoir et les
compromis conduisent durant une période à un consensus sur les préférences collectives et
énoncent des principes, permettent une connaissance scientifique partagée, mettent en
place des procédures et des règles. Cette convergence peut résulter d’un hégémon, d’un jeu
à somme positive permettant une coopération. A titre exemplaire, » l’éducation pour tous »
peut apparaitre consensuelle. En réalité, elle est une institution historicisée qui est un lieu
d’éducation parmi d’autres. A l’extrême limite elle est refusée par certains (Cf. Boko(livre)
Haram (interdit)).
Les fondements philosophiques et théoriques des OMD
Le processus de légitimation publique des OMD passe repose sur une validité
scientifique. Des économistes comme Jeffrey Sachs en termes de trappes à pauvreté ou
Amartya Sen en termes de capabilité sous forme de being et de doing, d’accomplissement et
de libertés d’actions ont joué un rôle essentiel 2. Les référents philosophiques diffèrent
toutefois chez les deux auteurs.
Alors que l’utilitarisme assimile biens et bien être, les capabilités de Sen mettent
l’accent sur les libertés et les accomplissements individuels. La pauvreté multidimensionnelle
est alors une privation de capacités base dans le domaine de la vie, de la santé, de
l’éducation, du logement, de l’habillement, du déplacement, de la vie sans honte, (mortalité
prématurée élevée, malnutrition, morbidité persistante, illettrisme). Selon le PNUD, elle est
la « privation des possibilités de choix et d’opportunités qui permettent aux individus de
mener une vie décente ». La philosophie libérale anglo-saxonne (Sen, Rawls) considère que
les libertés sont premières et qu’elles impliquent une responsabilité Les capabilités posent
toutefois, non seulement le problème de catégories universelles mobilisées à des fins
praxéologiques, mais également les nombreux problèmes du passage de l’individu au
collectif, de l’intergénérationnel ou des limites des libertés de l’individu par rapport à celles
2 L’approche en termes de capabilités de Sen vise à compléter les approches de la pauvreté monétaire en
conditions de vie ; elle met l’accent sur l’étendue de la liberté dont les individus jouissent. Les capabilités sont
un ensemble de choix à la portée des individus qui leur permettent de mener la vie qu’ils ont raison de
souhaiter.
des autres. Pour la phénoménologie et des courants moins individualistes, la pauvreté ne
peut être dissociée de l’inégalité ; la personne socialisée et responsable peut de ce fait être
libre. Les OMD privilégient les basiques matériels (nutritionnels, sanitaires, éducatifs, de
logement, de déplacement) par rapport aux critères non matériels et moins quantifiables
(vivre sans honte, participer aux activités de la communauté, avoir le respect de soi).
Les OMD renvoient également à une conception empirique, universaliste et
multidimensionnelle de la pauvreté qui est le plus petit commun dénominateur acceptable
par la « communauté internationale » et planificatrice de l’aide. Cette conception planiste,
technocratique et top down notamment de Jeffrey Sachs (2005) a été fortement critiquée
par des auteurs tels Easterly (2006) qui avancent plusieurs arguments : Les objectifs sont
fixés en % quelque soient les niveaux de départ ; ils donnent une image négative, contraire
aux intentions, pour les pays pauvres notamment africains qui par définition auront le plus
de mal à les atteindre. Il importerait, au contraire, selon l’auteur de développer les marchés
et de fixer des objectifs atteignables compte tenu de trajectoires propres. D’autres auteurs
soulignent que l’universalisme, mettant en avant l’accès aux biens essentiels et l’égale
dignité des hommes, conduit à des critères standards indépendants des contextes socio
historiques. Il fait abstraction des logiques systémiques du capitalisme ou des structurations
propres aux diverses sociétés à leurs contraintes environnementales, structurations sociales,
dynamiques démographiques, structures familiales ou modes de représentation.
Les conceptions issues de Sen ou de Sachs s’opposent évidemment aux auteurs qui,
tels les classiques, Marx, les structuraliste, raisonnent en termes de classes sociales, de
rapports d’inégalités ou d’exploitation. Elle s’oppose également aux fondateurs de l’école
néo-classique se référant, tel Walras, aux inégalités de positions et de conditions ou au
courant utilitariste assimilant le bien être aux seuls indicateurs monétisés. Elle ne prend pas
en compte la pauvreté subjective telle qu’elle est vécue et énoncée par les agents avec prise
en compte des interdépendances entre les préférences des agents, des effets de
démonstration ou de mimétisme et de la manière dont les agents définissent et se
représentent la pauvreté en relation avec les autres avec des effets de frustrations, de désirs
mimétiques. Au-delà d’un seuil minimal, le plus matériel peut être source de mal être et la
satisfaction des désirs être liée au plus par rapport aux autres et par rapport aux stocks de
biens possédés.
Le rôle des politiques publiques et de la mobilisation internationale par rapport aux OMD
Une des questions centrales que posent les OMD est évidemment celle de
l’évaluation des politiques publiques internationales et nationales. Les résultats observés
peuvent être liés à l’évolution de l’économie mondiale, au déplacement de la richesse et de
la puissance mondiale vers les « émergents », aux politiques mises en œuvre par des
pouvoirs nationaux sans référence à une mobilisation de la communauté internationale. Les
indicateurs peuvent être comparés en référence avec un point de départ (d’où l’on vient) ou
par l’écart entre les objectifs initiaux et les résultats observés. Les indicateurs des OMD
n’intègrent pas la dimension temporelle et intergénérationnelle de la pauvreté. Ils ne
peuvent aborder les questions dynamiques de pièges à pauvreté, de vulnérabilité face aux
chocs notamment pour les individus ou les groupes proches de la ligne de pauvreté ou de
l’indigence. Ils ne différencient pas la pauvreté chronique liée au déficit d’actifs et de
ressources de la pauvreté transitoire liées aux chocs et aux proximités des lignes de pauvreté
(Helme, Sheperd 2003).
Les OMD renvoient aux limites de l’évaluation des politiques publiques et de
l’imputation des résultats observés par rapport aux politiques. Observer que des objectifs
ont été atteints n’implique évidemment pas qu’ils résultent des politiques mises en œuvre. Il
faut intégrer les facteurs endogènes par exemple démographiques ou sécuritaires et
extérieurs en termes d’accès aux financements ou d’environnement international.
La méthode d’évaluation des OMD renvoie à de la statique comparative alors que la
précarité et la vulnérabilité dynamiques s’expriment en termes de risque, d’incertitude, de
capacité de répondre aux chocs par des assurances ou des résiliences. La vulnérabilité est
liée aux chocs endogènes ou exogènes et aux capacités de résilience des acteurs. Elle est
l’opposé de la sécurité acquisition et respect des droits des personnes et des sociétés
garantissant leur intégrité physique et morale.
II/ L’agenda post-2015 et les ODD
Le monde a changé et les priorités de la « communauté internationale » ont évolué.
Les questions de sécurité, de vulnérabilité et les enjeux climatiques, dominent les débats. A
la division Nord/Sud entre pays développés et en voie de développement tend à se
substituer un monde multi ou tripolaire où les émergents sont devenus des puissances à
côté des pays industriels matures et des PMA ou pays pris dans des trappes à pauvreté. On
note un déplacement de la puissance et de la richesse mondiale mais également une prise
de conscience que le modèle de développement mis en place par les pays industriels et
imités par les puissances émergentes n’est pas supportable pour la planète. Les grandes
questions du développement, telles le climat, la biodiversité, les migrations les NTIC sont
davantage sur le devant de la scène mondiale. La complexification, les interdépendances, les
analyses multi-acteurs et multiniveaux sont devenues des maîtres mots conduisant à un
rapprochement des problématiques du Nord et du Sud. En même temps, le monde tend à se
diversifier, à généraliser des lignes de fracture, d’exclusion, à différencier les zones
vulnérables, fragiles ou en conflits des espaces où la violence est régulée, où l’innovation
sociale et technologique est forte. Le développement durable est devenu le maître mot. Les
ODD sont pris dans cette contradiction de l’universalité et de la singularité 3.En se voulant
plus complets ils deviennent plus complexes. Ils concernent tous les pays et ont donc un
caractère universel. Ils intègrent des objectifs absents des OMD : environnementaux,
énergétiques, sécuritaires et ils mettent davantage l’accent sur des objectifs sociaux. Mais
3 L’agenda du développement post-2015 a mobilisé depuis 2012 des Think Tanks, des chercheurs, des ONG, la
haute administration, des entreprises. Des ODD ont été proposés en juillet 2014 par le groupe de travail de
l’assemblée générale des Nations unies (OWG 2014).
en même temps, les priorités ne sont pas les mêmes selon les grandes catégories de sociétés
et les actions doivent être hiérarchisées selon des objectifs différenciés.
Quels fondements philosophiques, normatifs ou analytiques pour les ODD ?
Les ODD peuvent s’appuyer sur des textes, tels la Déclaration universelle des droits
de l’homme ou les différentes Conventions internationales notamment sur le climat ou la
diversité. Ils peuvent renvoyer à une conception philosophique proclamant l’égale dignité
des hommes. Ils peuvent être fondés analytiquement sur la théorie des biens publics,
collectifs ou communs mondiaux, voire des argumentaires utilitaristes en termes de
nécessité de prévention des catastrophes face à leurs coûts, de réduction des disparités et
des exclusions sources de violences et de risques pour les opérateurs économiques. Ils
s’opposent, par contre, aux conceptions « réalistes » stato- centrées qui mettent en avant
les différences de préférences collectives des « pays », aux courants culturalistes voire
anthropologique privilégiant le relativisme et les systèmes de valeurs irréductibles, ou aux
analystes les assimilant à une rhétorique utopique des organisations internationales ou à des
rapports de pouvoirs de puissance imposant leurs modèles.
Les ODD définis par le groupe de travail des Nations unies
La conférence de Rio +20 a fixé les objectifs du développement durable qui changent
de paradigme. Il s’agit à la fois d’agir sur ceux qui sur consomment des biens générant des
externalités négatives et sur ceux qui doivent améliorer leur bien être sans pour autant
générer ces externalités négatives. Le défi ne peut être relevé qu’avec de fortes innovations
technologiques et une transition notamment énergétique.
En septembre 2015, le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des Nations
unies devrait adopter 17 objectifs du développement durable en élargissant l’agenda
international par des objectifs plus nombreux et en ayant une vocation universelle qui
concerne tous les pays de la planète. 18 objectifs ont été définis en juillet 2014 par le
groupe de travail des Nations unies dont 16 de résultats et 1 de moyens soit plus du double
des OMD. Les nouveaux ODD seraient : 7 et 13 (énergie et changement climatique), 8, 9, 10
et 11 : croissance économique, infrastructures, emplois, inégalités, mode de production
durable ; 11 : villes et établissements humains résiliant et ouverts à tous ; 14 et 15 :
utilisation durable des ressources naturelles, conservation des écosystèmes, bio diversité ;
16 : sociétés pacifiques (Boussichas, Nassek 2014, Nations unies 2014).
Le développement durable, plus de 20 ans après le sommet de Rio qui l’a consacré
comme compromis politique, reste toutefois un concept flou avec jusqu’à présent faible
mode opératoire. Les trois piliers efficacité économique, équité sociale et soutenabilité
écologique n’intègrent pas les questions de sécurité des personnes et des sociétés. Ils
supposent compatibles des objectifs en partie contradictoires et font ainsi abstraction de la
question des arbitrages politiques intra et inter générationnels, internes aux nations et
internationaux, entre le Nord et le Sud, les économies matures, émergentes et en
développement. Les ODD visent des objectifs multiples beaucoup plus larges et moins
consensuels : sécuritaire, environnement. Certains voudraient introduire les droits de
l’homme et les libertés publiques. Or, il y a conflits de valeurs et des préférences collectives
différentes sur ces questions. Le « trilemne » efficacité économique, équité sociale et
soutenabilité écologique, au cœur des tensions socio politiques, suppose un arbitrage
politique. Les ODD ne pourront être mis en œuvre que si les financements sont mobilisés, si
les grandes puissances signent des accords plus ou moins contraignants, si le calcul des
risques d’inactions apparait suffisamment fort et si le principe de responsabilité commune
et différenciée de Kyoto permet des arbitrages acceptés par les puissances industrielles et
émergentes.
L’atténuation du clivage Nord/Sud dans un monde globalisé
La population mondiale a triplé depuis 1972 alors que le monde en développement
qui produit la moitié du PIB mondial en PPA consomme également la moitié de l’énergie
essentiellement fossile avec une efficacité énergétique moindre que le monde industrialisé.
Pour un PIB par tête 5 fois inférieur à celui des pays matures, le monde en développement a
une population 6 fois supérieure. La croissance de la demande énergétique provient pour les
9/10 ème d’un taux de croissance supérieur réduisant les écarts de revenus par tête
mondiaux. Cette croissance est dans le système actuel incompatible avec les objectifs de
réduction des émissions de GES de 40 à 70 % .Les pays industriels seront impliqués par les
objectifs en tant que parties prenantes par exemple en termes d’empreinte écologique ou
d’émission de CO2. Les principaux thèmes seront le climat, le genre, la protection sociale, la
croissance inclusive, la couverture sanitaire universelle, l’éducation pour tous, l’approche
par les droits.
Les nouveaux défis des pays les moins avancés notamment africains
Les pays pauvres notamment africains ont à faire face à trois principaux défis durant
la période 2015-2030
-L’explosion et le dividende démographique en Afrique. En un siècle (1950-2050), le nombre
de jeunes aura plus que décuplé en Afrique et le nombre de jeunes urbains aura été
multiplié par plus de 20 défi historique qu’aucune société n’a eu à relever. 20 millions de
jeunes arrivent annuellement sur le marché du travail dont plus des ¾ sont sans emplois
durables ou décents. On estime que la population rurale croit de 10 millions par an en
Afrique et que la population urbaine qui croit de 20 millions par an en 2014 croitra de 35
millions par an en 2050. L’opportunité est liée au dividende démographique augmentant la
part des actifs par rapport aux non actifs (jeunes et vieux). La croissance économique
africaine, observée depuis le début du XXIème siècle, non inclusive est peu génératrice
d’emplois avec peu de redistribution internes des progrès de productivité élargissant les
marchés. Les grandes entreprises sont peu créatrices d’emplois (labor saving capitalistiques).
L’emploi salarié représente entre 10 et 15% de l’emploi total. Les activités des jeunes sont
caractérisées par une grande vulnérabilité, une absence ou une faiblesse de la protection
sociale. De nombreux jeunes sont au seuil de la ligne de pauvreté et peuvent tomber en
dessous ou bifurquer vers des activités illicites plus valorisantes pour eux.
-Les défis environnementaux liés au stress hydrique, à la pollution urbaine, à la baisse de la
biodiversité, à la déforestation ou aux changements climatiques sont considérables. Bien
qu’émetteurs pour 4% de GES de la planète, les pays africains sont les premières victimes du
réchauffement climatique. Les objectifs des ODD sont évidemment à mettre en relation avec
les diverses conventions notamment de Paris sur le climat (CP 21). Les 3 grands émetteurs
de C02 ont pris des engagements en annonçant des cibles à atteindre pour l’après 2020.
L’UE a défini des objectifs clés de son paquet énergétiques pour l’après 2030. Le fonds verts
climat est doté de 9,7 milliards $. Les pays doivent au-delà de leurs objectifs de réduction
des GES préciser les moyens d’y arriver (ressources renouvelables, efficacité énergétique..) .
-Les enjeux sécuritaires seront croissants notamment dans l’arc sahélo saharien et en
Afrique centrale. L’indice Bo Ibrahim s’est amélioré en Afrique dans tous les domaines de la
depuis 2000 en Afrique sauf dans le domaine de la sécurité. 1,5 milliard de personnes vivent
dans des Etats « fragiles » ou en conflits. 70% des Etats dits « fragiles » ont été affectés par
un conflit depuis 1989. 30% de l’APD est affectée dans des contextes de fragilité,
vulnérabilité et de conflits là où les objectifs des OMD sont les plus éloignés à atteindre.
La question du financement des ODD et le rôle de l’APD
L’aide et les financements internationaux peuvent être légitimés par la nécessité de
financer des biens publics mondiaux et de garantir la stabilité, la sécurité et la prévention
des catastrophes. La question centrale demeure évidemment celle de financement
d’objectifs dont le rendement social est élevé mais dont le rendement privé est limité et
dont les horizons temporels sont longs voire intergénérationnels alors que les logiques
financières sont celle du taux de retour élevé des placements dans un horizon court. Les
financements privés sont potentiellement évidemment à la hauteur des enjeux. On estime
les fonds des investisseurs institutionnels (fonds de pension compagnie d’assurances, fonds
souverains) entre 80 et 90 trillons d’actifs financiers (Jacquemot 2014). La mobilisation des
entreprises peut se faire au nom d’une vision long termiste et du coût de la non
intervention. La croissance des inégalités internes aux différents pays peut dégager une
épargne investie pour des raisons philanthropiques ou citoyennes dans des secteurs vitaux
mais peu lucratifs. L’APD de 140 milliards $ n’est pas à la hauteur des défis des ODD. Elle
peut, en revanche servir de catalyseur et exercer des effets de levier. La mobilisation des
financements privés et publics nationaux et internationaux ne peut se faire au nom
d’objectifs de rendement chiffrés mais en termes de drames, de catastrophes, de conflits
évités. Le fonds vert pourrait se situer à 100 milliards $. Les ODD supposent des
financements additionnels (fonds souverains, financement innovants, flux privés). Il y a
risque évidemment que les objectifs du développement durable en privilégiant la
soutenabilité écologique et les questions environnementales se fassent aux dépens de
l’équité sociale des OMD.
La mise en œuvre des ODD entre conflits, hégémonie et coopération
Concernant tous les pays de la planète, les ODD opposent les préférences collectives
des Etats souverains. Ils ont une vertu procédurale. Ils supposent à la fois un compromis
interne aux Etats et un compromis international. Qui a la légitimité pour mesurer ? Les
autorités nationales, les organisations internationales, les experts indépendants ? Les ODD
doivent-ils se fonder sur des objectifs à atteindre selon un horizon ou sur des moyens à
mettre en œuvre. Doivent-ils être universels ou opérationnels, être identiques ou prendre
en compte les niveaux de développement ? Faut-il les fonder sur des améliorations
escomptées ou des catastrophes évitées ? La question doit-elle être posée en termes de
vulnérabilité, de résilience, de mitigation. ?
En allongeant la check-list des objectifs juxtaposés sans cadre d’interdépendance ni
hiérarchisation et en voulant les rendre universels les Nations-unies risquent de perdre le
cadre plus mobilisateur et opérationnel des OMD. Il aurait été plus efficace de concentrer les
forces sur un nombre très limité d’objectifs quitte à différencier selon les territoires certains
objectifs prioritaires. La liste a priori retenue est peu novatrice. Elle retient le même horizon
2030 pour tous les objectifs, se situe dans un cadre national,
Faut-il avoir une approche top down à partir des conférences internationales et des
conventions (ex climat, biodiversité, désertification) ? Ou faut-il, au contraire recenser et
mieux coordonner les engagements volontaires, les initiatives et les expérimentations des
divers acteurs privés et publics à diverses échelles ? Il existe un no bridge entre ces deux
approches. Les conventions top down doivent-elles être mises en œuvre au niveau
international, régional, des clubs des pays riches, des BRICS ou des PMA ? Les acteurs
concernés sont-ils les politiques, et les administrations, les grands oligopoles privés, les ONG,
les faiseurs d’opinions ? La mobilisation doit- elle se faire sur le référent des biens publics
mondiaux supposant un intérêt commun, défini par persuasion, hégémonie, compensation
des perdants par les gagnants dans le cas d’un jeu à somme positive. La coopération peutelle être fondée sur la prise en compte d’un risque insupportable pour certains ? (Voituriez
2013) ? Faut-il au contraire avoir une approche bottom up qui à partir de la multitude
d’initiatives locales conduit à une agrégation. Les acteurs concernés diffèrent. Ce ne sont
plus prioritairement les Etats mais les collectivités décentralisés, les entreprises,
L’objectif de sécurité et la lutte contre la vulnérabilité : moyens de concilier les OMD et les
ODD ?
De nombreux acteurs ont de plus en plus conscience des risques ou des
catastrophes notamment environnementales et aux coûts humains et financiers qui en
résultent. Les assureurs font cause commune avec les écologistes. Les insécurités des
personnes et des biens face à des catastrophes naturelles ou anthropiques sont
déterminantes dans la pauvreté des personnes et dans la non soutenabilité écologique.
Faut-il éviter ou réduire les catastrophes ou permettre d’y répondre. A la question de la
pauvreté prioritaire pour les OMD tend à s’ajouter celle de la sécurité et de la vulnérabilité
qui devrait être centrale pour les ODD. La vulnérabilité est au cœur des interdépendances
entre les aléas, chocs endogènes ou exogènes, voire catastrophes et les capacités de
résilience des économies nationales, des acteurs, des sociétés et des Etats. Il y a
vulnérabilité quand il y a fragilité, faiblesse d’organismes ou d’organisations, de personnes,
de sociétés ou de zones géographiques face à des évènements aléatoires, anthropiques ou
naturels, facteurs de risques probabilisable ou d’incertitude. La vulnérabilité diffère selon
son intensité ; elle peut aller jusqu’à la vulnérabilité extrême renvoyant aux théories du
chaos ou des catastrophes (Bresson, Géronimi, Pottier 2013, Hugon 2013).
La vulnérabilité au niveau micro, est l’absence d’accessibilité aux biens de première
nécessité, de sécurité des biens et des personnes et de liberté de vivre à l’abri de la peur, de
la violence physiques et des menaces de violence, du besoin et dans la dignité (Hugon 2011).
Elle se manifeste par la faible résilience des acteurs face à des menaces, à des chocs ou à des
violences. La mesure et la construction des indicateurs de vulnérabilités se font alors à partir
d’enquêtes ménages ou d’enquêtes auprès des producteurs ou des travailleurs. Les agents
font des choix dans un univers instable et risqué. Ils disposent de revenus et de patrimoines,
de capacités d’épargne ou d’assurance. Ils arbitrent entre le marché ou des modes de
coordination non marchand (capital social, réseaux). La réduction de la vulnérabilité des
acteurs suppose la mise en place de droits (entitlements), d’institutions et d’organisations
réductrices de risques probabilisables ou d’incertitude radicale.
Les Etats et les régions fragiles et les vulnérabilités extrêmes : une catégorie oubliée par les
ODD
La violence armée et les catastrophes naturelles constituent des formes extrêmes de
la vulnérabilité avec son lot de tués, déplacés, de réfugiés, de mutilés, de viols, de pillages,
d’exactions et d’insécurité notamment alimentaire. Les catastrophes sont des chocs
extrêmes, éventualités de faible occurrence voire non probabilisables d’apparition d’états
de gravité extrêmes. Elles sont naturelles ou anthropiques (conflits armés)4. La prévention
et la gestion des conflits notamment à l’échelle régionale sont devenues centrales dans de
nombreux pays du Sud. Or ces enjeux majeurs concernant les sociétés en crise extrêmes
sont très peu présents dans les ODD et auraient mérité un traitement spécifique5.
4 Elles peuvent être appréhendées par les théories des catastrophes et du chaos, de
systèmes dynamiques déterministes mais instables avec une sensibilité aux conditions
initiales et une forte récurrence rendant non prévisible le futur (vol de l’aile du papillon). Il
importe de prendre en compte la nature des nouveaux conflits qui ne sont plus
interétatiques opposant des armées mais renvoient à une pluralité d’acteurs privés et
publics avec enchevêtrement de facteurs et emboîtements d’échelle, avec effets de
contagion régionale et réseaux transfrontaliers de réfugiés, déplacés, milices, trafics.
5 Les catégories d’Etat faillis et de sociétés fragiles renvoient à des situations de
vulnérabilité extrêmes. La fragilité des Etats se différencie de la vulnérabilité économique
mais il existe des liens entre elles (Guillaumont 2012). Plusieurs critères permettent de
définir les Etats fragiles : l’absence d’Etat de droit, le non-respect des règles, l’impuissance
Dans le cas de risques naturels, l’index mondial du risque (World Risk, Index) 6 résulte
de l’exposition et de la vulnérabilité des populations et de la société. La vulnérabilité est
définie comme la somme de la prédisposition (fonction des infrastructures et du contexte),
des difficultés à faire face (fonction de la gouvernance et de l’aide) et à s’adapter (fonction
de l’anticipation des aléas futurs) (cf. l’indice de vulnérabilité physique au changement
climatique de la Ferdi, Guillaumont et Simonet 2011).
Malgré les limites de la catégorisation, il y a au sein des ODD des zones qui devraient
rester prioritaires. Les ODD ne peuvent se limiter à une check list d’objectifs juxtaposés. Ils
supposent d’agir, en même temps, sur le volet de la légitimité politique, de la sécurité des
biens et des personnes, de la justice d’un Etat de droit, du contrôle des activités illicites, de
la mise en place d’activités rémunératrices et générant un travail. (cf International Dialogue
on Peace Building and State Building 2013)
Les limites du cadre onusien face aux questions de développement durable
Les organisations intergouvernementales ne sont pas en phase avec les défis du
développement durable qui se situent dans un horizon inter-temporel et qui concernent
prioritairement des acteurs privés transnationaux ou des collectivités territoriales infranationales. Seule, une organisation mondiale du développement durable composée de
manière tripartite (comme l’est le BIT) peut viser à prendre en compte les intérêts des
entreprises privées, des Etats et des « sages » représentant les scientifiques, les autorités
morales et les jeunes générations. Seules, des mesures incitatives ou contraignantes
peuvent conduire les acteurs créant des externalités négatives à en payer le prix en
compensant les perdants. Au niveau du climat et des GES, l’indicateur du développement
durable passe par un prix élevé du GES fixé par décision politique et non par le marché. Au
niveau financier et fiscal, la régulation passe par une disparition des paradis fiscaux et une
taxation extraterritoriale à défaut d’un import mondial. La question prioritaire est celle des
mécanismes de préventions des risques et des catastrophes et des moyens de les couvrir. La
question n’est plus alors celle des Etats mais des échelles territoriales adéquates pour
opérationnelle de l’Etat, la fragmentation sociale et territoriale ou l’ « informalisation »
quasi-totale de l’économie. Cette catégorie se rapproche de celle des Etats faillis (cf. l’index
du Fund for Peace) et est à l’opposé de celui des Etats matures (Mo Ibrahim). La fragilité
renvoie à la faillite des Etats quant à leurs fonctions régaliennes (régaliennes, éducation,
santé), aux défauts de légitimité des pouvoirs, à la remise en question du vouloir vivre
ensemble. Les catégories d’Etats fragiles (Châtaignier, Magro 2006), conduisent à introduite
la vulnérabilité comme un des critères permettant de définir des PMA (Guillaumont 2009).
6 L’indice tient compte des facteurs sociaux, politiques, économiques et environnementaux
qui intègrent 28 variables. L’Afghanistan est en tête des pays les plus vulnérables.
atteindre des objectifs de développement durable allant des échelles territoriales localisées
aux échelles régionales et mondiales
En conclusion, les OMD comme les ODD se heurtent à une contradiction identique.
Comment disposer d’indicateurs simples, universels et opérationnels dans un monde
incertain, complexe voyant se renforcer des marqueurs identitaires Les trappes à pauvreté, à
violence et à vulnérabilité résultent d’un enchaînement entre insécurité et sousdéveloppement 7 Il ne peut avoir de réelle avancée sur les ODD sans mises en place de
régulation du capitalisme financier ne serait-ce que pour disposer des ressources financières
permettant de les financer. Bien entendu, ce rappel peut être considéré comme relevant de
la pure utopie. Mais les avancées de la Société des Nations de Wilson, des Nations unies
d’après la seconde guerre mondiale ont été également considérés à leur époque comme des
utopies. Au lieu de viser prioritairement l’amélioration du bien-être des populations
mondiales, la communauté internationale pourrait se mettre d’accord sur les grandes
catastrophes à éviter et sur les modes de résilience des populations à renforcer. Les ODD
auront une pertinence accrue lorsque seront abordés les questions qui fâchent celles de la
régulation du capitalisme mondial et celles des modèles alternatifs ou complémentaires tels
l’économie verte, l’économie circulaire, l’économie sociale et solidaire, la croissance
inclusive qui sont autant de référents permettant de rendre compte de la soutenabilité ou
de la durabilité du développement.
Sources
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vulnérables », Rapport Ferdi, octobre
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7 La montée de la pauvreté et du chômage, des inégalités et des perceptions de corruption sont parmi les
premiers facteurs de la violence armée et criminelle. Sathanhar et al (2004) ont testé pour 41 pays africains
qu’entre 1991 1999 un ralentissement de 5% de croissance économique augmente de 50% le risque qu’un
conflit éclate l’année suivante.
Guillaumont P (2009), Caught in a trap. Identifying the least developed countries, Paris,
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A new Global partnership : Eradicate poverty and transform Economies through Sustainable
Development, Report of the High-level Panel of Eminent Persons on the Post-2015
Development Agenda, UN, 2013/05