10 ans après le rapport Pébereau, la décrue de la dette se fait

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10 ans après le rapport Pébereau, la décrue de la dette se fait
Dette publique : 10 ans après le rapport
Pébereau, qu’en pensent ses rédacteurs ?
L’Opinion redonne la parole aux deux rapporteurs qui avaient rédigé le
rapport « pour rompre avec la facilité de la dette publique »
Il y a dix ans, Michel Pébereau remettait à Thierry Breton, alors ministre des Finances,
son rapport pour « Rompre avec la facilité de la dette ». A l’époque, l’endettement public
atteignait 1117 milliards d’euros et le ministre regrettait que « la situation fragile de nos
comptes publics, pour être ancienne, (ne soit) toujours pas perçue comme un véritable
problème de la France ». Dix ans plus tard, ce constat reste plus que jamais d’actualité.
Depuis 2005 la dette a doublé. Elle dépasse aujourd’hui les 2100 milliards d’euros et
tutoie les 100% du PIB, dans une indifférence quasi générale. Rapporteurs du rapport
Pébereau en 2005, au titre de l’inspection des finances, Sébastien Proto, aujourd’hui
banquier d’affaires chez Rothschild, et Guillaume Sarlat, fondateur de Sarlat Advisory,
reviennent pour l’Opinion sur leur expérience de travail et livrent leur analyse, dix ans après.
En 2005, la France payait 40 milliards d’euros d’intérêt. En 2015, 44,3 milliards d’euros. Entre
deux, la dette a pourtant doublé, passant de 1000 à 2000 milliards d’euros. Quelles conclusions
en tirez-vous ?
Guillaume Sarlat : La charge d’intérêt est restée stable pendant que la dette doublait car
les taux d’intérêt ont considérablement baissé depuis 2005. Le taux des OAT est ainsi
aujourd’hui de 0,8% à 10 ans, soit 4 fois moins qu’à la remise du rapport (3,4%). Si les
taux d’intérêt ont baissé, c’est du fait de l’appétit des investisseurs pour la dette publique,
et de la politique monétaire très active de la Banque Centrale Européenne (BCE).
Malheureusement, ces deux phénomènes sont la conséquence des très faibles perspectives de croissance de la zone euro en général, et de la France en particulier. La
France se trouve donc dans cette situation très étrange où plus cela va mal pour son
économie, plus cela va bien pour ses finances publiques. En tout cas à court terme…
Dans cette situation, il faudrait utiliser les finances publiques pour créer la croissance de
demain, en profitant des taux d’intérêt très faibles pour financer des investissements,
éventuellement avec une dette perpétuelle. C’est ce que font d’ailleurs aujourd’hui
beaucoup d’entreprises. Mais comme le rapport le soulignait déjà en 2005, c’est tout le
contraire qui se produit : la dette publique française ne finance que très peu la croissance.
Et l’Etat n’a pas profité jusqu’à présent des taux bas pour allonger la maturité de sa dette.
Sebastien Proto : Nous sommes effectivement toujours passés à côté des effets d’aubaine :
les périodes de faibles taux d’intérêt n’ont jamais été mises à profit pour réduire notre
endettement public. A la fin des années 90, les taux avaient baissé, mais notre politique
budgétaire n’en avait tiré aucune conséquence : entre 2000 et 2004, le taux auquel
s’endettait l’Etat avait été divisé par 2, et pourtant notre taux d’endettement avait augmenté de 20 %. Mais il faut aller plus loin pour comprendre la singularité française en
matière de dette publique. Au fond, pour gérer la crise de 2008, tous les pays, y compris
l’Allemagne ou le Royaume-Uni, ont assumé d’augmenter fortement les déficits publics,
et donc la dette, pour amortir le choc. Ce n’était pas un choix français, mais européen,
voire mondial. Depuis, les politiques divergent. Ces trois dernières années, plusieurs
pays européens, l’Allemagne en tête, ont baissé le poids de leur dette publique. La
France, dont la dette dépasse désormais 96 % du PIB, fait, de son côté, partie des pays
qui continuent de l’augmenter. Et ce alors même que les prélèvements obligatoires
français sont désormais les 2ème plus élevés de l’OCDE. Ce n’est plus la crise de 2008
qui explique l’essentiel de l’augmentation de la dette, mais les dépenses publiques
françaises, qui sont à leur plus haut historique. Le tout sans aucun effet positif sur notre
croissance potentielle, qui n’a jamais été aussi faible.
Rétrospectivement, sur les 20 mesures proposées dans le rapport quelle est celle qui vous
semble aujourd’hui encore la plus importante?
SP : Le rapport Pébereau expliquait la dérive de la dette publique française par notre
préférence pour la dépense publique. 10 ans plus tard, ce constat n’a jamais été aussi
vrai. Ce sont donc bien les mesures de maîtrise des dépenses publiques qui étaient les
plus importantes. La baisse du nombre de fonctionnaires était à cet égard essentielle
car c’est le premier poste de dépense de l’Etat et des collectivités territoriales. Les 150 000
suppressions de postes de fonctionnaires d’Etat entre 2007 et 2012 en ont constitué
une première mise en œuvre. Cette baisse, qui est pourtant en cours partout en Europe,
a été stoppée, puisque la France augmente à nouveau en ce moment le nombre de ses
fonctionnaires, y compris d’Etat. Elle devra inéluctablement reprendre. L’augmentation
de l’âge de la retraite par la réforme de 2010 et la contrainte beaucoup plus stricte fixée
à l’augmentation des dépenses d’assurance-maladie, constituent deux autres exemples
de mise en œuvre concrète. Mais beaucoup reste encore à faire sur chacune des composantes de la dépense publique : l’Etat, les collectivités territoriales, les dépenses sociales.
GS : Comme première mesure pour transformer la gestion de l’Etat, le rapport proposait
d’instaurer la règle suivante : « En cas d’annonce d’une nouvelle dépense, préciser la ou
les dépenses qui sont supprimées en contrepartie pour le même montant ». C’est une
mesure à laquelle Michel Pebereau tenait beaucoup. Elle n’a pas été appliquée, et elle
est d’ailleurs impossible à mettre en œuvre de manière aussi mécanique, mais elle
pointe bien l’un des problèmes majeurs de la France : si les services publics français
sont parmi les plus coûteux, sinon les plus coûteux du monde, sans être les meilleurs,
c’est parce que l’on ne supprime pas ce qui ne marche pas, mais que l’on reconstruit à côté.
L’assurance maladie est dysfonctionnelle ? Créons des assurances complémentaires,
que l’on rendra ensuite obligatoires. L’accès au système de santé public est limité ?
Créons à côté un système de santé privé, subventionné. Les communes sont trop
petites ? Créons des intercommunalités, en plus. La qualité de l’enseignement public
est en chute libre ? Créons un enseignement privé subventionné, et laissons se développer
le soutien scolaire, qui devient une dépense quasi obligatoire pour les parents. Un think
tank qui se dit pourtant libéral a même proposé récemment de créer une « complémentaire
éducation » pour financer le soutien scolaire…
Le risque majeur que vous identifiez à l’époque était un choc de taux. Si vous deviez rédiger
ce rapport aujourd’hui, quel serait le risque principal ?
GS : Le principal risque qui pèse aujourd’hui sur l’économie française est la perte de
substance industrielle et technologique. Elle était déjà visible en 2005 mais s’est considérablement accélérée depuis. De nombreux grands groupes disparaissent ou sont en
très grande difficulté (Air France, Alcatel, Alstom, Areva, le secteur para pétrolier etc.),
sans que de nouvelles entreprises de taille significative n’apparaissent. Par ailleurs, de
plus en plus de jeunes Français partent à l’étranger (près de 40% des promotions dans
certaines grandes écoles). Cette perte de substance est la conséquence logique de 20
ans de politiques focalisées uniquement sur le coût du travail peu qualifié, qui ont poussé
l’économie française vers un modèle low cost / low innovation qui n’offre pas de perspectives intéressantes aux plus qualifiés, et place la France dans une concurrence
directe, et perdue d’avance, avec les pays émergents. Cette perte de substance finira
par fragiliser les finances publiques françaises : si la zone euro redémarre mais pas la
France, les investisseurs se détourneront de la dette française, et la BCE relèvera ses taux.
SP : Le risque de taux reste réel et nous sommes bien plus vulnérables qu’avant. Au
moment de la rédaction du rapport, avec une dette à 65 % du PIB, nous disions déjà
que nous étions fragiles : la crise de 2008 l’a montré. Mais avec un taux d’endettement
de 96 %, nous n’avons plus la même capacité à laisser filer les déficits qu’en 2008. D’où
l’importance de ne pas laisser passer l’opportunité historique que représentent les très
faibles niveaux de taux d’intérêt et de prix de l’énergie. Le deuxième risque, c’est de
croire que la solution viendra d’un rebond mondial. C’est un raisonnement qui a trop
souvent été fait par le passé, sans succès : d’abord parce que nous avons gaspillé en
dépenses publiques supplémentaires les années de forte croissance, comme nous
l’avons fait avec les faibles taux d’intérêt, ensuite, parce que la dynamique « spontanée »
de certaines dépenses, notamment de vieillesse et d’assurance-maladie, reste trop
forte. Aucun rebond durable ne m’apparaît possible en France en restant dans un cadre
marqué par un excès d’impôts, de dépenses publiques et de normes. Il n’y a pas eu
d’aubaine de taux. Il n’y aura pas d’aubaine de croissance mondiale. L’effort doit être
d’abord français.
Laquelle des nombreuses et diverses personnalités membre de la commission vous a le plus
marqué ?
SP : Michel Pébereau bien sûr, pour son engagement à faire prendre conscience de la
situation. Il a consacré énormément d’énergie et de temps à ce rapport, avec une vraie
détermination. Nous le voyions chaque jour, échangions franchement, et même de nos
rares points de désaccord, dans une liberté de ton totale. Mais tous les membres se
sont personnellement impliqués, comme Didier Migaud, Xavier Musca, Jacques Julliard,
Nicole Notat, Christian Blanc ou Xavier Fontanet, pour ne citer qu’eux. Les réunions
étaient animées, parce que nous voulions un résultat consensuel, quels que soient les
clivages politiques. Au final nous l’avons eu, ce consensus. J’ai une pensée également
pour Edouard Michelin, qui nous a quittés tragiquement quelques mois après la remise
de ce rapport. Il était très assidu et très désireux de faire valoir sa vision d’homme
d’entreprise.
GS : Tous les membres de la Commission ont participé activement, en apportant chacun
leur expérience, et il y avait une vraie dynamique de groupe, alors même que la dette
publique cristallise les divergences en matière de politique économique. Je connaissais
déjà certains membres de la Commission avant d’en être le rapporteur, et d’autres sont
devenus ensuite des amis. Difficile donc d’en distinguer un !
La France croule sous les rapports, dont la plupart sombrent dans l’oubli. Quels conseils
donneriez-vous à de jeunes rapporteurs aujourd’hui pour faire un bon rapport et marquer les
esprits ?
SP : Ce rapport doit, en grande partie, sa notoriété à l’effort personnel de Michel Pébereau.
Sur le fond, il ne faisait que marteler, de manière pédagogique, ce que les directions du
Trésor et du Budget disaient déjà depuis des années… A mes yeux, un rapport utile doit
être lisible par tout le monde, ne pas multiplier les propositions mais se concentrer sur
les plus importantes, et surtout se projeter. Il n’a de sens que s’il éclaire tout autant
l’avenir que le présent.
GS : Le nombre de rapports en France est le révélateur d’une croyance : les problèmes
seraient uniquement techniques, la politique serait une affaire d’experts et il existerait
une « bonne politique » unique. C’est d’ailleurs le rejet de cette croyance que beaucoup
de Français expriment aujourd’hui avec force lorsqu’ils vont voter. Alors aux jeunes
rapporteurs, je dirais : si vous voulez que les choses changent, ne faites pas de rapport,
ne faites pas non plus de politique, mais plongez-vous dans l’économie réelle !
Source : L’Opinion
Un électrochoc qui a fait pschitt
Il souhaitait créer un « électrochoc » pour mettre fin à la spirale de
l’endettement. Le rapport Pébereau, publié voilà dix ans, n’a pas
empêché la dette publique française de continuer à s’envoler, malgré
l’objectif affiché de réduction des déficits.
Un panel de 21 personnalités pour un ouvrage en forme de manifeste (« Rompre avec
la facilité de la dette publique ») : le rapport, remis au gouvernement fin 2005 par
l’ex-patron de BNP Paribas Michel Pébereau, avait marqué les esprits, en appelant à
éviter l’« asphyxie financière ».
« Il y avait un message d’alarme » portant à la fois sur « le niveau d’endettement » et sur
« la nature de la dette », essentiellement utilisée « pour financer des dépenses courantes
et non pour investir », se souvient l’un des membres de la commission, Patrick Artus,
chef économiste chez Natixis.
À l’époque, la dette cumulée de l’Etat, des collectivités locales et des administrations
de sécurité sociale s’élevait à 1 100 milliards d’euros, après avoir été multipliée par cinq
en vingt-cinq ans. Soit près de 66 % du Produit intérieur brut (PIB).
Une décennie plus tard, l’électrochoc tant espéré n’a pas eu lieu. Au contraire : la dette
publique française a continué de monter en flèche, pour atteindre à l’automne 2015 le
chiffre astronomique de 2 103 milliards d’euros, équivalent à 96,9 % de la richesse
nationale.
Effet de la crise
En cause, la crise économique de 2008, qui a poussé l’État à multiplier les dépenses
pour maintenir l’économie à flot. « La crise a été violente dans de nombreux secteurs
d’activité et donc pour de nombreux salariés. Il y avait besoin d’amortisseurs sociaux »,
souligne à l’AFP Ludovic Subran, chef économiste chez Euler-Hermes.
Recettes en baisse, dépenses en hausse... Les déficits publics se sont ainsi accumulés,
avec un pic record de 7,5 % du PIB en 2009. Et l’endettement par habitant a explosé,
passant de 18 000 euros lors de la remise du rapport à 32 000 euros aujourd’hui.
« Cette hausse n’est pas une spécificité française », nuance Xavier Timbeau, directeur
de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). « Face à la crise, la
plupart des pays ont choisi d’intervenir. Du coup, la dette a augmenté un peu partout ».
Aurait-il fallu agir différemment, à l’instar de l’Allemagne, qui s’est refusée à laisser filer
son déficit ? « Ex-post, on peut penser que oui, car on s’aperçoit que la crise de 2008
était une crise structurelle, et non cyclique. Mais à l’époque, ça n’était pas évident »,
juge Patrick Artus.
Selon l’économiste, le retour à la rigueur budgétaire dans l’Hexagone a cependant été
trop lent, une fois passé le plus dur de la crise. « Les responsables politiques français
n’ont pas compris que l’argent public était rare. C’est un problème plus profond »,
regrette-t-il.
Un message relayé par le premier président de la Cour des comptes Didier Migaud, qui
estime que la réduction de la dette publique en France « se poursuit à un rythme très
lent, trop lent même, par rapport aux efforts consentis par nos partenaires de l’Union
européenne et de la zone euro ». Promis à l’origine pour 2012, le retour du déficit français
sous la barre des 3 % exigée par Bruxelles n’est désormais prévu que pour 2017, après
avoir été repoussé à 2013 puis 2015. Et aucune date n’est donnée pour un retour à
l’équilibre budgétaire, que Paris n’a plus atteint depuis... 1974 !
« Des avancées »
Le rapport Pébereau a-t-il pour autant échoué ? « Pas forcément », estime Ludovic
Subran, qui rappelle que plusieurs préconisations - parmi les vingt formulées par la
Commission - sont à présent entrées dans les mœurs en matière de politique budgétaire. Le rapport souhaitait ainsi que les dépenses nouvelles soient compensées par des
économies équivalentes. Il réclamait également que les recettes exceptionnelles, tirées
par exemple des ventes d’actifs, soient affectées à la réduction du déficit. Deux principes
globalement respectés, aujourd’hui, par les pouvoirs publics.
« Le rapport a permis des avancées », concède Patrick Artus, qui regrette néanmoins le
manque de rigueur de certains acteurs publics. « L’État a fait des efforts. Mais ça n’est
pas le cas des collectivités locales, dont les dépenses de fonctionnement ont explosé ».
À ce stade, les conséquences de cette dérive sont restées limitées, en raison des faibles
taux d’intérêt, tombés en 2015 à un niveau historiquement bas. La charge de la dette
est ainsi restée stable, passant de 40 milliards d’euros en 2005 à 44,3 milliards d’euros
en 2015, malgré l’explosion de l’endettement public.
« À court terme, c’est une bonne nouvelle. Mais ça n’incite pas à la discipline budgétaire »,
explique Ludovic Subran.
Un avis partagé par Xavier Timbeau, qui estime que le regard sur la dette « a changé »
avec cette nouvelle donne. « Emprunter coûte moins cher. Du coup, le problème de la
dette semble devenu secondaire », juge l’économiste, tenant d’une approche « mesurée »
sur cette question.
« La dette, c’est un des éléments de l’équation macroéconomique : il ne faut pas se
focaliser uniquement sur elle, et en même temps il ne faut pas considérer que c’est un
non-problème », résume-t-il. Une prudence d’autant plus nécessaire que les taux vont
finir par remonter. « Le réveil sera alors douloureux », prévient Didier Migaud.
Source : Le Point

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