Roger Caillois (1913-1978) Roger Caillois est

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Roger Caillois (1913-1978) Roger Caillois est
Roger Caillois (1913-1978)
Roger Caillois est né le 3 mars 1913 à Reims. Ses parents font partie de la petite bourgeoisie
de la ville. Caillois est élevé par sa grand-mère à l’intérieure des terres. Lorsque sa famille
déménage pour Paris en 1929, Caillois est inscrit au Lycée Louis-Le-Grand. Il y retrouve
Roger Gilbert-Lecomte qu’il connaît de Reims et qui aura une influence importante sur les
lectures du jeune Caillois. Gilbert-Lecomte, René Daumal, Roger Vailland et Joseph Sima
font de Caillois le collaborateur de leur revue Le Grand Jeu proche du surréalisme. Ils
s’organisent en une sorte de société secrète du savoir, dont on aura surtout retenu les célèbres
expériences de Daumal, en particulier celles l’ayant mené à se rapprocher de la mort. En
1932, Caillois intègre le groupement surréaliste. Il y est alors très actif, au point que André
Breton verra en lui l’« étoile du mouvement ». Caillois se sent proche de Breton. Comme lui,
il est fasciné par le surréel, le fantastique et le caractère révolutionnaire du surréalisme. En
mai 1933, il publie dans la revue Le Surréalisme au service de la Révolution sa contribution
« Spécification de la Poésie », où il écrit à propos des rapports entre poésie et réalité : « Enfin
et surtout, l’opposition du poétique et du réel est devenue difficilement défendable. On peut à
la rigueur admettre qu’une civilisation industrielle jette pour l’avantage de ses intérêts très
particuliers un certain discrédit sur les manifestations de la réalité les moins immédiatement
utilisables à son point de vue (le rêve et la folie par example) […] » (Caillois, 1974 : 17).
Caillois s’intéresse également aux Romantiques allemands. Dans sa contribution
« L’Alternative (Naturphilosophie ou Wissenschaftslehre) » pour les Cahiers du Sud, il réfère
à Novalis et Fichte au sein d’un propos sur les théories physiques modernes d’Albert Einstein,
Niels Bohr et Werner Heisenberg (cf. Caillois, 1974 : 25-34), désirant ainsi montrer que le
surréalisme est le pendant contemporain des Romantiques. Mais en 1934, Caillois quitte
Breton, en lançant : « Permettez-moi aussi de ne plus être qu’une sorte de correspondant du
surréalisme » (Caillois, 1974 : 38). Si le surréalisme apprécie sa pensée, Caillois préfère une
méthode plus scientifique, c’est-à-dire une méthodologie systématique susceptible de soutenir
ses analyses de l'inexplicable. Ce détournement vis-à-vis du surréalisme en faveur de la
science le motive à inaugurer un ensemble d’études destinées à préparer la base d’une
« phénoménologie générale de l’imagination » (Caillois, 1974 : 50).
Dès 1933, Caillois visite les séminaires d’Alexandre Kojève, de Marcel Mauss et de Georges
Dumézil. Quelques étudiants du séminaire de Kojève de 1934 se rencontrent chez Jacques
Lacan. Caillois en fait partie, ainsi que Georges Bataille ; les deux hommes se rencontrent et
s’apprécient. Caillois visite également le séminaire de Jean Marx qui devient le directeur de
son mémoire de licence intitulé Le demon de midi. Il s’occupe pour la première fois de la
signification de la fête qui devait influencer profondément sa pensée. Il s’intéresse vivement à
l’idée de « dépense sacrale », un phénomène qui se produit à l’occasion des fêtes. Selon
Caillois, la fête possède une fonction régénérative qui fonctionne comme une dépense
d’énergie. Elle agit comme un « rite de passage » (van Gennep) et permet de changer d’état
(spatial, temporel, social, etc.). Dans les temps modernes, les fêtes sont remplacées par les
vacances. Certes, il s’agit toujours d’un moment de dépense mais qui se comprend plutôt
comme temps de délassement que comme un moment paroxystique d’excès et d’exubérance.
En 1935, Caillois vient à l’idée de former un groupe anti-staliniste et anti-fasciste, une sorte
de mouvement d’intellectuels révolutionnaires. A cet effet, il prend contact avec Georges
Bataille, mais les deux hommes entrent rapidement en conflit. Caillois qui est à l’origine du
mouvement de lutte Contre-Attaque renoncera à y participer en raison de cette mésentente
avec Bataille dont il s’éloigne. Il fonde en 1936 avec Tristan Tzara, Louis Aragon et JulesMarcel Monnerot la revue Inquisitions, l’organe de publication du Groupe d’études pour la
phénoménologie humaine. Un seul cahier paraîtra, qui contiendra l’article célèbre de Gaston
Bachelard sur le sur-rationnel. Les échecs répétés de ces projets poussent Caillois à voyager.
Il part la même année avec Georges Dumézil pour le cercle polaire dont il reviendra
rasséréné. Dans la foulée, il retrouve Bataille et les deux hommes mettent fin à leur dispute.
Caillois écrit dans Acéphale, la revue de Bataille avec qui il fonde, en compagnie de Michel
Leiris, le Collège de Sociologie (1937). Le Collège ne tiendra que deux ans. En 1939, la
Seconde Guerre mondiale et les luttes internes entre Leiris et Bataille, le premier reprochant
au second d’avoir fait fi de la méthode durkheimienne, mettront fin au projet. Caillois saborde
le Collège déçu qu’il n’ait jamais été cet organe de l’activisme politique qu’il aurait dû être.
Cette période de trouble affecte également l’accueil du premier livre de Caillois, Le mythe et
l’homme (1938), un recueil composé en partie sur la base d’essais de jeunesse. Son maître,
Marcel Mauss, admire le passage intitulé La mante religieuse, mais il critique durement le
caractère irrationnel du livre : « Mais ce que je crois un déraillement général, dont vous êtes
vous-même victime, c’est cette espèce d’irrationalisme absolu par lequel vous terminez, au
nom du labyrinthe et de Paris, mythe moderne, – mais je crois que vous l’êtes tous en ce
moment, probablement sous l’influence de Heidegger, Bergsonien attardé dans l’hitlérisme,
légitimant l’hitlérisme entiché d’irrationalisme –, et surtout cette espèce de philosophie
politique que vous essayez d’en sortir au nom de la poésie et d’une vague sentimentalité »
(Mauss, lettre à Caillois, 22.06.1938).
A cette époque, Caillois fait la connaissance de l’argentine Victoria Ocampo, rédactrice de la
revue internationale Sur. Ocampo invite Caillois à tenir des conférences en Argentine, un
voyage au cours duquel ils deviendront intimes. Au départ, Caillois ne veut rester que
quelques mois ; mais la situation de guerre en Europe l’y maintiendra pour la durée du conflit.
En 1939, son livre L’homme et le sacré paraît, reprenant les enquêtes menées sur la sociologie
du sacré pendant la période du Collège. Caillois n’y parle pas seulement de la fête ; il renoue
également avec les intuitions de Robert Hertz sur l’ambiguïté du sacré. La guerre et la vie en
Argentine poussent Caillois à diversifier ses intérêts intellectuels et son engagement politique.
Il soutient la politique de Charles de Gaulle pendant que Ocampo l’initie à la littérature sudaméricaine et à ses écrivains célèbre, dont p.ex. Jorge Louis Borges. Caillois s’engagera de
plus en plus pour le dialogue entre l’Amérique du Sud et la France. En 1941, il fonde en
Argentine la revue Les lettres françaises et en 1942, il monte avec Robert-Weibel Richard
l’Institut français d’études supérieur de Buenos Aires. Il essaiera de reconduire l’expérience
du Collège, mais sans succès. Il rentre à Paris en 1945.
Dès son arrivée, il lance chez Gallimard la série Croix du Sud qui doit permettre au public
français de prendre connaissance des écrivains d’Amérique latine. Caillois devient
fonctionnaire du Bureau des Idées auprès de l’UNESCO (1948), puis fonde la revue Diogène,
l’organe de publication du Conseil International de la Philosophie et des Sciences Humaines
(1952), avant de s’engager aux côté d’Albert Camus pour défendre Victoria Ocampo mise aux
arrêts en Argentine par le gouvernement Péron (1953). A cette époque, Caillois met au point
les bases de ce qui deviendra en 1958 sa célèbre théorie du jeu. Reprenant la terminologie de
Marcel Mauss, Caillois décrit le jeu comme « fait social total », une entité contenant la totalité
des capacités et des besoins humains. Il recourt à ses réflexions de l’entre-deux-Guerres,
lorsqu’il concevait le jeu comme moment d’étrangeté et de sortie du profane comparable aux
fêtes sacrées. Il ajoute que le jeu se présente comme une occupation essentiellement non
productive. Pour cette raison, le jeu représenterait une activité centrale, si ce n’est
constitutive, de toute culture reflétant l’être-humain dans sa totalité. L’apparition et
l’élargissement de nouvelles formes de jeux peuvent alors être envisagés comme autant
d’indicateurs des changements sociaux et culturels. Voilà pourquoi le jeu symbolise le social
en activité, c’est-à-dire le social sous les formes de la confrontation politique, de la lutte pour
la reconnaissance ou des combats hégémoniques.
Caillois restera actif sa vie durant auprès de l’UNESCO. En 1967, il prend la direction de la
Division du Développement Culturel. Il postule au Collège de France à la fin des années
soixante-dix en même temps que Michel Foucault. Ce dernier obtiendra finalement le poste
grâce au soutient de Georges Dumézile, l’ancien mentor de Caillois lui-même. Mais Caillois
connaîtra bien d’autres honneurs, comme ceux de l’Académie Française dont il devient
membre en 1972. Il encouragera également les Académiciens à accueillir dans leur hémicycle
Claude Lévi-Strauss avec lequel Caillois aura pourtant eu les relations les plus tendues,
reprochant à Lévi-Strauss de faire du structuralisme une sorte de totalitarisme scientiste.
Après avoir reçu successivement le Grand Prix National des Lettres, le Prix Marcel Proust et
le Prix Européen de l’Essai, Caillois s’éteint le 21 décembre 1978 à Paris.
Références citées
Caillois, R., 1939, L’Homme et le Sacré, Paris: Leroux.
Caillois, R., 1972 (1938), Le mythe et l’homme, Paris: N.R.F. - Gallimard.
Caillois, R., 1974, Approches de l’imaginaire, Paris: Gallimard.
Fonds d’archive
Correspondance de Marcel Mauss, Fonds Henri Hubert-Marcel Mauss, IMEC/Caen, Abbaye
d’Ardenne, Saint-Germain-la-Blanche-Herbe/Caen.
Stephan Moebius
University of Freiburg
[email protected]