théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans
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théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans
THÉÂTRE JEUNE PUBLIC : INTERDIT AUX MOINS DE 3 ANS ? Patrick Ben Soussan ERES | Spirale 2005/3 - no 35 pages 43 à 61 ISSN 1278-4699 Article disponible en ligne à l'adresse: --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Ben Soussan Patrick, « Théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans ? », Spirale, 2005/3 no 35, p. 43-61. DOI : 10.3917/spi.035.0043 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. 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Vincent Van Gogh, Joachim Walter, Hachette coll. « Grands peintres pour petits enfants », 1992. SPIRALE_2005-01.book Page 43 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES « Nutrices pueros infanteis minutulos Domi ut procurent, neu quae spectatum adferant. » Plaute, vers 200 av. J.-C. 1 « On me pose très souvent la question : “pourquoi le théâtre jeune public ?” Je voudrais répondre aux gens : pourquoi pas ? Je suis fatigué de défendre le jeune public ; je veux renverser la question. Je désirerais que l’on me dise pourquoi pas. Se justifier de faire du théâtre jeune public est une lutte inutile. Le théâtre jeune public a été considéré (est considéré encore peut-être) comme une chose faite pour occuper les enfants. Si le théâtre jeune public est si peu considéré, cela est dû au simple fait que les enfants ne votent pas. » Nino D’Introna, directeur du Théâtre Nouvelle Génération de Lyon 2 L’enfance du théâtre d’enfants « Le théâtre est un métier d’enfance et de lumière 3 » Avignon 1969, un autre temps : porté par l’imagination au pouvoir et l’interdit d’interdire, Jean Vilar programme à Avignon trois spectacles pour le jeune public dont L’Arbre sorcier, Jérôme et la tortue par le Théâtre du Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre, praticien hospitalier, responsable de l’Unité de psycho-oncologie, Institut Paoli-Calmettes, Marseille. [email protected] 1. « C’est à la maison que les nourrices devront s’occuper des petits bébés au lieu de les emmener au spectacle » Plaute, « Prologue » dans Le Carthaginois (Poenulus), Paris, Les Belles Lettres, 2003. 2. Interview par Sabine Zaragoza du 21 décembre 2004, consultable en ligne sur : http://www.theatreenfants.com/pages/rencontres/nino_dintrona.php. N’hésitez pas à visiter le site www.theatre-enfants.com, portail consacré aux spectacles jeune public, véritable mine de renseignements et de témoignages. 3. Claude Jasmin, Rimbaud, mon beau salaud, Paris, Stanké, Poche 10/10, 1968. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Patrick Ben Soussan SPIRALE_2005-01.book Page 44 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Spirale n° 35 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES La classe choisie n’était pas banale, elle faisait partie d’une école de Sartrouville, militante pour un projet éducatif inédit et très engagée dans la pédagogie Freinet, celle-là même qui pratiquait la libre-expression et témoignait d’une attention et d’un respect à l’enfant nouveau et singulier. Je ne résiste pas à vous livrer les premières lignes d’un éditorial de l’Art enfantin, revue trimestrielle du mouvement Freinet : « Les hommes étaient rassurés. Depuis plus d’un siècle, ils s’acharnaient à construire des écoles pour leurs enfants : quatre murs solides et fermés où ils pouvaient en toute quiétude et sécurité enfermer les petits d’hommes pendant 8 à 10 ans de leur vie et les tenir là immobiles, attentifs, assis. Les hommes se sentaient tranquilles. Tout était en ordre. Les petits d’hommes apprenaient à lire dans les livres la pensée des hommes-morts et quand ils s’étaient tenus bien sages, on leur racontait l’histoire sur mesure du petit Poucet ou du Chaperon rouge. On leur offrait pour Noël les livres de la comtesse de Ségur et le jeudi, récompense enviée, ils pouvaient regarder à la “télé” les spectacles “tranquillisants” des histoires du jeudi, histoires d’hommes pour enfants, bêtifiantes et puériles, misérablement adaptées à la naïveté de ces enfants pour adultes. Sans oublier, bien sûr, les “merveilleuses” aventures des héros experts en tir au revolver ou à la carabine. Mais le bonheur dans tout cela ? Ces petits d’hommes étaient-ils heureux ? Doucement, il ne faut pas parler de bonheur. C’est un mot à manier avec précaution, comme un explosif, de peur qu’il ne vous éclate à la figure. Et pourtant, ce dont cet enfant d’homme a le plus besoin, c’est de bonheur ; non pas un bonheur fait de bonbons et de rubans ou de machines à laver et de frigos, mais un bonheur extravagant, un bonheur fou, un bonheur qui avance, qui découvre, qui court, qui dépasse, qui gagne, qui bouge 5. » Quelle peinture convaincante de ce merveilleux enfant et de cette merveilleuse enfance dont il ne nous reste, selon Pascal, que « la marque et la trace toute vide » ! Comment mieux dire le mythe de l’enfance éter4. « Dans un pays lointain, une créature est devenue maître d’un village et oblige les gens à travailler pour elle ; elle a chassé tous les animaux sauf un. » 5. Jacqueline Bertrand, éditorial de l’Art enfantin, n° 46, 1969. Ce numéro de la revue est consultable en ligne sur : http://www.freinet.org/icem/archives/ae/ae-46/ae-46.htm 44 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Soleil d’Ariane Mnouchkine. L’histoire de la naissance de ce spectacle est exemplaire à plus d’un titre. C’est Catherine Dasté qui le créera après avoir élaboré totalement le scénario avec des enfants de CE1, à partir d’un thème qu’elle leur proposa 4. SPIRALE_2005-01.book Page 45 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES nelle, l’Enfance Imaginaire, « joyeuse, innocente et sans cœur », la Toute-puissance Infantile, un incessant coup d’éclat narcissique ? Dans The little White Bird, roman paru en 1902 et qui préfigure le Peter Pan futur, J.M. Barrie rapporte qu’à la naissance, les enfants sont d’abord des oiseaux qui perdent ensuite leurs ailes tout en conservant le désir d’un impossible envol. Les enfants seraient ces « voyageurs ailés », « exilés sur le sol 6 » qui planent « sur la vie » et comprennent « sans effort le langage des fleurs et des choses muettes ». Saint-Exupéry, dans Terre des Hommes, avait lui aussi évoqué un enfant-artiste, empêché dans ses promesses d’avenir ; cet enfant musicien, ce « Mozart enfant » sera condamné, « Mozart assassiné », comme tant d’enfants, comme tous les enfants ? Dans Le Petit Prince, dès les premières lignes, le ton est donné : il y a un petit garçon de six ans – le narrateur quand il était enfant – et « les grandes personnes ». Il y a surtout un petit garçon de six ans qui va abandonner « une magnifique carrière de peintre » à cause de ces grandes personnes qui ne vont rien comprendre à ses dessins : « Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatigant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications. » Le narrateur-enfant qui voulait peindre la fantaisie, les fantasmes, donner vie à son monde interne, sera sommé de s’intéresser à... « la géographie, à l’histoire, au calcul et à la grammaire ». Des sciences exactes, une géographie du réel et de la raison en lieu et place des visions, de la sensibilité, de l’Art. SaintExupéry, dans ce récit désespéré et nostalgique d’une enfance entravée, reprend ce qu’il avait déjà écrit dans Citadelle : « ... Et c’est le grand ennui des enfants que d’être pillés d’une source qui est en eux et qu’ils ne peuvent point connaître et à laquelle tous viennent boire, qui ont vieilli de cœur pour rajeunir ». Et quand D. Cooper, le pape de l’antipsychiatrie, résume cette vision paradisiaque de l’enfance : « Il suffit pour l’instant de dire que chaque enfant […] est, du moins en germe, un artiste, un visionnaire et un révolutionnaire », ce n’est que pour énoncer cette parole définitive : « À huit ans, tous les enfants sont à la fois poètes, révolutionnaires et idéalistes. Mais à dix ans, à quelques exceptions près, ils sont tous morts. Pratiquement, élever un enfant, c’est tuer une personne 7. » 6. Comme « L’albatros » de Baudelaire (1859), dans Les fleurs du mal 7. D. Cooper, Mort de la famille, Paris, Le Seuil, 1975 45 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans ? SPIRALE_2005-01.book Page 46 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Catherine Dasté était une « grande personne » mais son enfance ne l’avait pas oubliée. Petite-fille du grand Jacques Copeau et fille de Jean Dasté, promoteur dans l’après-guerre d’un théâtre vivant, exigeant et populaire en région, de Grenoble à Saint-Étienne 8, elle grandit sur les planches et sera la vraie pionnière du théâtre jeune public. Actrice et metteur en scène, elle s’était installée, bien avant l’expérience Mnouchkine, pendant plus de deux ans, dans cette classe de CE1, et une fois par semaine au moins, enregistrait les histoires que les enfants lui rapportaient, recueillaient leurs dessins, dans le but déjà d’obtenir un jour un scénario de théâtre et d’en faire un spectacle pour enfants. Elle va fonder la Compagnie La Pomme verte et, avec l’appui de Françoise Dolto, créer le premier Centre Dramatique National pour l’enfance et la jeunesse, à Sartrouville, en 1978. Elle se partagera sa vie durant entre théâtre jeune public et théâtre tout public, transportant de lieu en lieu son engagement militant : « Le théâtre pour enfants me paraît avoir pour rôle de bouleverser l’enchaînement de la vérité reconnue, de mettre en question la vision adulte des choses, d’interroger, d’ouvrir l’imagination à des réalisations inattendues. Et cela, dans un langage qui n’est pas logique et explicatif […]. Théâtre de recherche où le contact avec les enfants, avec leur imagination, leur invention poétique à l’état sauvage, leur audace, leur intransigeance, nous empêchera de tomber dans les excès d’intellectualisme qui sont un danger particulier pour les recherches du théâtre contemporain […]. Seuls, à mon sens, les poètes, et les enfants eux-mêmes, peuvent inventer les thèmes des spectacles pour enfants, parce qu’ils savent découvrir une source d’inspiration à un niveau plus profond que celui qui est marqué par notre vision consciente du monde. C’est à ce niveau profond que nous risquons de découvrir un monde poétique dont la virulence brisera l’enchaînement de la vérité admise, et ouvrira l’esprit à d’autres possibilités. » L’enfance aurait-elle donc cette vertu de nous ramener à la nature humaine ? Le théâtre jeunesse aurait-il ce don de nous rappeler au devoir de vivre et de penser ? Beaucoup d’emphase pour dire ce mythe de l’enfance, cette enfance jamais et à jamais perdue, cette enfance qui nous habite encore et toujours et dont la présence en nous, intime, nous accompagne, notre vie 8. Il faut relire son petit livre, Le théâtre et le risque, Paris, Cheyne, 1992 46 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Spirale n° 35 SPIRALE_2005-01.book Page 47 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES durant. « Les adieux à l’enfance » (A. Braconnier), « sortir de l’enfance tout en continuant à vivre avec elle », « dépasser notre enfance sans la renier », est-ce si difficile ? Le théâtre jeunesse ne constituerait-il pas en quelque sorte une « Invitation au voyage », pour s’en aller en douce compagnie, vers ce pays où, selon Baudelaire, tout ne serait « qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Le théâtre jeunesse ne serait-il pas le sésame vers ce « Never Neverland », ce pays du grand Jamais, ce pays Imaginaire, cette « île de l’éternelle enfance » que nous avons quittée et que nous rêvons, nostalgiquement, de retrouver. Alors, le théâtre jeunesse ne parle-t-il que de notre enfance, qui a fait son temps, qui a vécu et à laquelle nous avons survécu… entiers ? Ou plutôt diminués, amputés, tronqués d’une part de nous si vive, si pleine, si belle ? Que nous retrouvons sur les planches ? On comprendra qu’une nouvelle histoire du théâtre jeune public 9 est née dans ce creuset des années 68, que s’y sont croisés Freinet, Dolto, Dasté et bien d’autres 10, qu’une idée nouvelle et révolutionnaire de l’enfance, impulsée, disons-le clairement, par la psychanalyse, par une remise en question de tout un système de valeurs et de pratiques, par une idéologie libertaire et une efflorescence de travaux et de réflexions philosophiques, sociologiques, progressistes, et, dans le même temps, par des perspectives de changement social et des ouvertures économiques importantes. D’ailleurs, à chaque grand changement social et politique, le théâtre jeunesse refait surface en ces nouveaux atours. En 1937, Léon Chancerel réunit un Comité pour le théâtre jeune public dont Louis Jouvet sera membre. 1948, les CEMEA (centres d’entraînement aux méthodes d’éducation actives) sont créés et la première troupe permanente s’installe l’année suivante. En 1957, l’ATEJ (Association du théâtre pour 9. Au Moyen-Âge se donnaient déjà des représentations de théâtre dans les écoles. Le « théâtre pour enfants » du XIXe siècle, inspiré de l’univers de la Comtesse de Ségur, était moralisateur et pédagogique en diable. 10. N’oublions pas le manifeste de l’époque, les Libres enfants de Summerhill qui rapportait l’aventure d’une école autogérée fondée en 1921 dans la région de Londres par le psychanalyste A.S. Neill (18831973). Cet ouvrage paru en France en 1960 est réédité, en 2004, aux éditions La Découverte, avec une préface de Maud Mannoni, à qui l’on doit une expérience singulière de création, en 1969, à Bonneuilsur-Marne, d’une école pour enfants et adolescents atteints de troubles psychiques graves, relatée dans Éducation impossible, Paris, Le Seuil, 1973. 47 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans ? SPIRALE_2005-01.book Page 48 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES l’enfance et la jeunesse) naît : Léon Chancerel est son premier président. Les compagnies professionnelles commencent à s’établir en France. En 1969 : Avignon. En 1978, les premiers CDNEJ (centre dramatique pour l’enfance et la jeunesse) voient le jour. Les liens entre théâtre jeunesse et institution scolaire seraient pour le moins à interroger, de même que l’éducation artistique et la récupération par l’école du théâtre, ou, comme le dit Philippe Meirieu, la « scolarisation abusive du “théâtre pour enfants” qui amènerait les enfants à vivre plutôt ce théâtre comme une forme de préparation à certaines interrogations écrites que comme une rencontre directe avec une œuvre d’art qui leur parle et leur dit quelque chose 11. » Il continue : « Le théâtre est encore un des lieux où on n’est pas puni quand on ne comprend pas – ce qui est bien parce qu’on a le droit de ne pas comprendre – où on n’est pas puni quand on n’aime pas – ce qui est bien parce qu’on a le droit de ne pas aimer – et surtout où l’on peut voler quelques connaissances » 12. Les enfants de moins de trois ans ne vont habituellement pas à l’école. À la crèche parfois, qui a su devenir aussi « un lieu d’accueil de pratiques artistiques » – et nombre de compagnies théâtrales viennent y proposer leurs productions, au plus près du quotidien des enfants. Les spectacles sont d’ailleurs devenus aujourd’hui dans les crèches un nouveau critère de validation et de qualité : la fonction d’accueil n’est plus celle qu’il faut travailler avant tout, mais les propositions artistiques auprès des tout-petits sont là pour témoigner de l’engagement des structures dans le monde de l’éveil culturel. Et qu’y a-t-il de plus important pour un parent que de savoir son enfant bien « cultivé » ! Cette marchandisation de la culture dans la petite enfance est un nouveau phénomène sociologique sur lequel il serait bon de se pencher. Les bébés et les seniors sont de nos jours des cibles marketing majeurs, et la sollicitude anxieuse parentale est prête à tout pour la croissance harmonieuse de ces chers petits. Chers dans tous les sens du mot ! 11. Philippe Meirieu, « Le théâtre et la construction de la personnalité de l’enfant – De l’événement à l’histoire », dans Les enjeux actuels du théâtre et ses rapports avec les publics, Rencontres européennes de la Biennale du théâtre jeunes publics, Centre régional de documentation pédagogique de l’académie de Lyon, 1993, p. 12. 12. Op. cit., p. 23. 48 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Spirale n° 35 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Les enfants de moins de trois ans connaissent depuis une vingtaine d’années une vraie révolution développementale. On évoque leurs compétences, leurs capacités inouïes, le vocabulaire étendu de leurs émotions ; on les sait intelligents, sensibles, doués de mémoire et de potentialités associatives sophistiquées – comme si on le découvrait parce que des études objectivantes et scientifiques l’avaient prouvé… et le savoir ancestral des mères, alors ? Le théâtre jeune public, immanquablement, va se poser de nouvelles questions à leur égard et les années 2000 seront peut-être celles d’un renouveau du genre pour les tout-petits. Une apparition « Le théâtre, c’est un petit peu comme les rêves : ça n’a pas de sens 13 » Je ne suis plus un bébé, assurément : j’ai sept ans. C’est à Paris. Mes parents nous emmènent pour la première fois au théâtre. Nous sommes en retard. Nous montons à l’étage, la salle est plongée dans le noir : je me souviens des genoux des spectateurs que je prends sur la poitrine et de leurs murmures agacés quand nous nous frayons un passage jusqu’à nos sièges. Mais, surtout, le bruit, des sirènes qui hurlent, des cris et des éclairs dans la nuit du théâtre, et encore cette robe rouge ou pourpre, qui traversait la scène, immense. J’en ai gardé, des années durant, un terrible souvenir, tourmenté d’impressions obscures, irreprésentables. Je n’y avais rien compris. Et puis j’ai oublié, jusqu’au titre de la pièce, tout, sauf peut-être que, parfois, la nuit qui fait peur rentre aussi dans les théâtres. On jouait Le vicaire de Rolf Hochhuth. C’était en 1963. J’ai sûrement compris ce jour-là ce mot d’Antoine Vitez : « Un acteur n’entre pas en scène. Il apparaît. » La vie m’est apparue autre, pleine de bruit et de fureur, sombre et inquiétante. Je devais sûrement être à l’âge ou l’on quitte ces « verts paradis des amours enfantines », cet âge où, paraît-il, la raison nous vient. 13. Philippe Caubère, Les carnets d’un jeune homme 1976-1981, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2001. 49 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans ? Pirouette, Cacahouette…, Charlotte Mollet, Éditions Didier, Pirouette, 1993. SPIRALE_2005-01.book Page 49 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM SPIRALE_2005-01.book Page 50 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Spirale n° 35 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Rien n’a changé depuis. J’ai grandi peut-être. Un peu. Je crois encore que je défends des opprimés, victimes de leurs propres bourreaux internes, de ces fantômes qu’ils portent en eux et qui les brisent parfois, parfois les musèlent. Longtemps, je me suis occupé d’enfants, petits, tout-petits, et de leur famille. De ces aubes naissantes de la vie. J’y retrouvais un théâtre connu. Tout n’est que retrouvailles, n’est-ce pas ? On ne découvre rien de neuf, on se souvient, les faits de mémoire sont atemporels, comme l’inconscient ; ils nous rejouent toujours l’arlésienne d’un passé qui ne passe jamais. Longtemps, je les ai écoutés, regardés, aimés. J’en garde des traces, de ces douleurs traversées, comme un goût, doux amer. La conversation, en fait, ne s’est jamais interrompue avec eux tous, ils m’habitent. Ce sont eux aussi que je retrouve sur les planches. Tous ces enfants. Certains ont grandi, d’autres peu ou pas – ah ! Peter Pan ! Ils avancent, masqués parfois, mais c’est la force des grands auteurs que de nous les révéler. Et, peut-être, de les reconnaître en eux. Le théâtre m’a toujours bouleversé : ce vivant acteur qui me donne à vivre, à penser, à rêver ; ce spectacle qui, dans l’actuel même de sa survenue, balaye tout de ma mémoire pour venir s’y ancrer avec son flot de clartés et de ténèbres, mais qui, ce faisant, ne fait que révéler des parts de ma vie, rêvée ou honnie ; cette manière savante, énigmatique s’il en est, d’installer en quelques minutes une sorte d’éternité, d’absence ; cette matière si singulière du texte, du jeu, des corps, des décors, tressés les uns aux autres, et qui viennent remuer en moi je ne sais quel fugace éclair de lucidité ou quel exquis ravissement de l’esprit. J’ai toujours pensé que toute œuvre théâtrale avait pour objet le procès de la vie. Qu’elle s’adresse à des enfants ou aux adultes qu’irrémédiablement ceux-ci deviendront, son levain s’y résume. La scène n’est qu’une métaphore, une mise en espace de l’appareil psychique. Ce qui se joue là, sous nos yeux et au plus près de nous, nous concerne « en vrai », même si par de curieux détours – le théâtre appelle toujours l’obscurité – cela peut nous paraître fort éloigné de notre réel. Les œuvres théâtrales ne sont jamais anodines ou gratuites, elles parlent toutes de l’énigme de la vie, de la recherche de la vérité, de notre impossible travail d’humanité. Elles parlent la langue de ce « savoir sans connaissance » que nous portons tous sur notre dos : elles nous aident parfois à le porter. Elles ne font que nous proposer des figurations-interprétations multiples d’un seul 50 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Je rêvais d’être « défenseur des opprimés ». SPIRALE_2005-01.book Page 51 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Les œuvres théâtrales ne sont jamais anodines ou gratuites, elles parlent toutes de l’énigme de la vie. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES et même mythe, sur l’origine bien entendu. Freud écrit, à Reik je crois, qu’il faut essayer de traiter tout mythe à la manière d’un rêve. Les œuvres théâtrales sont autant de rêves qu’éveillés nous faisons. Elles traduisent – pour tous et tout autant pour soi exclusivement – le grand texte de la vie, traversé d’une multitude d’autres textes, qui les contient, les cache et les perd : comme toutes les traductions, elles disent un peu à côté, un peu plus loin. Le théâtre dit toujours en sus. Il est cette cuisine de sorcière même qu’évoquaient Freud et Goethe avant lui 14. Allons plus loin encore. Le théâtre n’est pas un lieu – géographique ou psychique – comme les autres : il est un lieu d’essence politique, où se déploie, s’analyse, se commente, l’histoire – celle qui est passée et celle qui nous est contemporaine – et les interrogations que toute société formule à son encontre. Le théâtre est ce lieu qui ouvre aux débats, qui propose une autre lecture – ne nous y méprenons pas, tout aussi institutionnelle que celle offerte par le législateur, le politique ou le religieux –, un autre traitement de tout ce qui nous fait et nous questionne. Il est parfois le révélateur inattendu de ces requêtes de sens que nous convoquons au quotidien, pour nous aider à être, et il sait ébranler notre conception du monde même : le théâtre ébroue alors furieusement notre profonde paresse de pensée et nous déprend, osons-le, de la subversion conservatrice et totalitaire qui nous menace à chaque jour. Nous ne pouvons faire l’économie du théâtre, au double sens de ce terme, gestionnaire et psychique. Le théâtre est ce lieu de passage où s’élabore, quelque part entre rêve et réalité, l’irréductible singularité d’un sujet ; ce lieu où se réordonnent « les contingences passées en leur donnant le sens des nécessités à venir, telles que les constitue le peu de liberté par où le sujet les fait présentes 15 ». 14. « Il faut donc bien que la sorcière s’en mêle » (Méphistophélès, dans J. W. von Goethe, Faust [1806], 1ère partie, sc. 9 [dite « cuisine de sorcière »], v. 2365, Paris, Gallimard, Collection Folio Théâtre, 1995). Wolf Erlbruch, ce fabuleux auteur allemand, a su donner une « version » illustrée de cet épisode de la cuisine, avec la poésie et l’imagination débridée qu’on lui connaît. En un assemblage de peintures, collages, découpages de cartes, plans d’architecture, alignements de chiffres et d’effets d’ombres chinoises, il atteste de cette créativité traductrice que le théâtre affiche au grand jour. À apprécier sans délai (Paris, La Joie de lire, 1998). 15. Jacques Lacan (1953), « Fonction et champ de la parole et du langage », dans Écrits I, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1966, p. 133. 51 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans ? SPIRALE_2005-01.book Page 52 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Spirale n° 35 Refuser la crétinisation de l’enfant Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Tout cela vous apparaît assurément très sérieux, bien loin des préoccupations des tout-petits enfants, et vous vous dites : Quel propos d’intello ! Voilà bien un discours d’adulte que ne peuvent bien entendu ni tenir ni comprendre les bébés ! Leur théâtre à eux ne se situe pas en ces contrées, trop élaborées, trop sophistiquées. Avec un petit sourire condescendant, vous ajouteriez : quand même, ne l’oublions pas, ce sont de bébés dont nous parlons, des bébés, des mini-mômes, des gniards en couche et à peine cortiqués, baragouinant quelques mots, rampant encore pour certains, biberons et totoches au cou. Ces « tout-mous » qu’évoque Damien Bouvet en référence à leur fontanelle ouverte sur le haut du crâne et qui s’enfonce sous la pression – délicate ! – du doigt distinguent à peine le monde et ses atours ; ils sont si peu enclins à appréhender la foisonnante richesse de la langue. Va leur en falloir des années pour « entendre » la prose du monde en ses subtiles carnations ! Allez, ils ont le temps, laissons-les dans le nirvana de leur âge, si charmant et angélique, ah ! « Le vert paradis des amours enfantines » du poète Baudelaire, « l’innocent paradis plein de plaisirs furtifs ». Racontons-leur plutôt quelques histoires niaises de bébêtes dégoulinantes de tendresse ou abandonnons-les devant un dessin animé version Disney, nostalgie oblige. Bien sûr, si par hasard vous êtes de ceux qui sont parvenus à s’affranchir de cette primatologie ambiante, si vous ne considérez pas le toutpetit comme un de nos frères en humanité certes, mais encore un peu vert, pas vraiment mur et tout juste différencié de nos lointains cousins en généalogie simiesque, si vous êtes de fervents zélateurs de Mamie Dolto et Papi Brazelton, vous saurez reconnaître et affirmer les compétences de ces tout-petits. Et, immanquablement, vous leur lirez Ponti, les Solotareff d’il y a longtemps, Anthony Brown, Maurice Sendak… Vous regarderez avec eux Le roi et l’oiseau, L’enfant qui voulait être un ours, pourquoi pas Kirikou ? Tiens, iriez-vous au cinéma avec votre petitou de moins de 3 ans ou préférerez-vous regarder ensemble, chez vous, cassette ou DVD ? 16. Peter Brook, Lettre, Mai 1998. Cette lettre a été lue ou affichée, la semaine du 11 au 17 mai 1998, dans chaque théâtre participant aux « Levers de rideaux ». 52 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES « Un théâtre qui oublie de s’adresser à la jeunesse est un théâtre moribond 16 » SPIRALE_2005-01.book Page 53 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES L’amèneriez-vous au cirque, écouter un concert, un conte, assister à une performance d’artiste ? L’inviteriez-vous à découvrir Matisse ou Alechinsky dans une galerie voisine ou un grand musée ? Partageriez-vous simplement quelques lectures dans le coin tout-petits de la bibliothèque de votre quartier – si fait est qu’elle en dispose d’un, adapté ? Mais peut-être que vous seriez du genre même à l’accompagner au jardin des sons, à la gymnastique corporelle et aux ateliers d’éveil musical. Vous iriez jusqu’à le conduire, votre minot d’à peine un an, au parc devant Guignol ou un petit théâtre de marionnettes ? Mais de là à aller au théâtre, le vrai théâtre, le grand… Non ! C’est pour les grands, le théâtre : allez, pour les ados aussi, et, si vous insistez vraiment, on vous accordera le droit ou la possibilité d’y aller avec vos petits, dégrossis les petits, passé l’âge de raison, 7 ou 8 ans dirons-nous. Avant… Mais oui, il y a bien un théâtre de jeunesse, et d’ailleurs, la communication à son propos, active ces derniers mois, évoque son exceptionnelle richesse et son effervescence. Mais si Le Monde, daté du dimanche 21/ lundi 22 décembre 2003, titrait en pleine page « Le grand théâtre se penche sur les petits », c’était surtout pour faire la promotion de Bouli Miro, de Fabrice Melquiot, première pièce jeune public à passer les portes de la prestigieuse Comédie Française. La plaquette de présentation évoquait un spectacle « pour enfants », avec cette recommandation affichée : « À partir de 8 ans. » À Disneyland, ce sont les enfants de moins de 102 cm qui ne peuvent accéder à certaines attractions. Critère discriminant, sexuellement parlant, mais bon… 17 : personne n’a dit que Disneyland était un théâtre, même si parfois le théâtre jeunesse se prend pour un parc d’attraction, investissant les espaces publics, se jouant en festivals de plein air ou en déambulations estivales. C’est ça, la première jeunesse, ça bouge beaucoup et ça a besoin de grand air ; faut que ça puisse courir dans tous les sens, ça tient pas en place, faut que ça se dépense, pas que ça pense. Ça, c’est pour plus tard, quand ils seront sages comme des images, les jeunes, assis sur des petites chaises, à regarder de petits spectacles, pour leurs petites têtes avant de s’installer sur de grandes chaises, ou 17. Un garçon de 4 ans affiche cette taille mais une fille devra attendre encore six mois au moins pour sauter dans Big Thunder Mountain. 53 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans ? SPIRALE_2005-01.book Page 54 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES des fauteuils lourds de velours rouge, dans de vénérables offices du culte, Centres Dramatiques Nationaux pour l’Enfance et la Jeunesse, qui daigneront programmer une fois l’an un spectacle à leur intention. Ne nous leurrons pas, le théâtre jeune public en France est encore relégué dans les soutes des programmations, coincé dans des budgets étriqués et monté avec trois bouts de ficelle. Il reste un « tiers-art », un théâtre au rabais, un strapontin dans les programmations de nos structures culturelles, et qui souvent relève d’une logique plus opportuniste et commerciale qu’artistique 18. Que dire dès lors du théâtre très jeune public, à destination de ces enfants-là qui ne vont pas à l’école, qui ne parlent pas encore comme des grands, ne se tiennent pas encore comme des grands, ne pensent pas encore comme des grands, et ne ressentent ni les choses ni les gens du monde comme des grands ? Et si Libération du 6 juin 2003 titrait sur deux pages, signées Maïa Bouteillet, « Premier âge, acte I », pour dire que les metteurs en scène de théâtre se mettaient à la portée des 0-3 ans avec des créations adaptées, y-a-t-il vraiment là aujourd’hui un « enjeu nouveau » ? Ne lit-on pas encore : « Les enfants de moins de 3 ans ne peuvent être admis dans la salle, sauf spectacle à leur intention » sur le site du Théâtre de Cornouaille-Scène nationale de Quimper. N’a-t-on pas droit incessamment aux définitifs : « Tout public dès 5 ans » ou « dès 4 ans » ou « à partir de… » ? Ah ! Le « à partir de… » Avant cet âge clé, point de Théâtre, avec un grand T. Du théâtre qui majuscule. Avant, du petit théâtre, en art mineur. Le théâtre destiné aux petits serait une propédeutique à la rencontre avec le théâtre sérieux, le vrai, le grand. Proust assurait que les enfants n’avaient pas besoin de livres d’enfantillages et que l’on n’écrit pas « pour » les enfants. Je crois assurément que le théâtre appelle ces mêmes commentaires. Joël Jouanneau, écrivain et metteur en scène, assurait « qu’un texte pour enfants doit refuser en priorité toute forme pédagogique ou infantile. J’entends, par infantilisme, la crétinisation de l’enfant : c’est l’ennemi principal. Une bonne pièce 18. On lira avec intérêt la Lettre d’information de l’ONDA, n° 30, printemps 2004, dont le Cahier central développe ce propos et qui est consultable en ligne à l’adresse suivante : http://www.onda-international.com/fichiers/dossiers/dossier_49_fr.pdf. 54 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Spirale n° 35 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES ouvre son imaginaire, ne gomme rien, aucune thématique : la question de l’amour, celle de la violence, de la mort… 19 ». Antoine Vitez avouait « vouloir faire du théâtre pour les enfants qui ne soit pas pour enfants » parce que, ajoutait-il, « la spécificité absolue du théâtre pour enfants me semble douteuse 20 ». Patricia Giros, auteur, continue : « J’étais très choquée, lorsque j’étais enfant, des spectacles qu’on me proposait, j’avais l’impression qu’on me prenait pour une idiote, que rien n’était fait pour moi. Et, de fait, l’enfant n’existait pas socialement comme partenaire, encore moins comme spectateur 21. » Le théâtre ferait-il grandir les enfants ? Tous les enfants ? Mais il est encore à ce jour réservé à certains d’entre eux, les plus grands, ceux qui sûrement sont en âge de le « saisir ». Des bébés au théâtre, vous plaisantez ! Pour quoi faire ? Ils n’en comprendront rien. Laissons-les à leurs enfantines, ritournelles, comptines, formulettes, jeux de nourrice et autres jeux de doigts. « Je fais le tour de ma maison (on fait le tour du visage avec ses mains) / Bonjour papa (on ferme un œil du bébé) / Bonjour maman (on ferme l’autre) / Je descends l’escalier (on descend sur le petit nez) / Je sonne à la porte, dring, dring (on appuie sur le nez) / Je m’essuie les pieds sur le paillasson (on frotte son doigt sur ses lèvres) / Et je rentre dans ma maison (le doigt fait mine de rentrer dans la bouche) ». Y a-t-il vraiment un théâtre pour petits et un théâtre pour grands ? « Si seulement on pouvait en finir, un jour, avec la spécificité ! Que le théâtre pour enfants soit du théâtre, point », ajoute Joël Jouanneau. Le théâtre de la jouissance et celui de la pensée « Le théâtre doit faire de la pensée le pain de la foule 22 » Il y a pourtant deux « théâtres » qui s’adressent aujourd’hui aux plus petits. Et qui, ce faisant, témoignent de conceptions de la petite enfance 19. Entretien dans Le Monde du 3 février 2004. 20. Dominique Darzacq, Tricher n’est pas jouer, Supplément à la revue Itinéraire, n° 145, Heyoka, Sartrouville, 1991-1992, p. 7. 21. Ibid., p. 42. 22. Victor Hugo. 55 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans ? Anna au Muséum d’histoire naturelle, Caroline et Jack Lang, Éditions Hachette Jeunesse, 2002. SPIRALE_2005-01.book Page 55 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM SPIRALE_2005-01.book Page 56 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Spirale n° 35 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Le premier est un théâtre d’émotions qui joue essentiellement sur la sensorialité de l’enfant, ses perceptions, son vécu affectif. C’est un lieu d’expériences, presque d’expérimentation. Si Edwige Antier, pédiatre très médiatique, répond oui à la question : « Faut-il amener les bébés au spectacle ? », c’est pour conseiller aussitôt de « cultiver les bébés […]. Afin que ces derniers puissent enrichir leur courte expérience de toutes les émotions possibles, se nourrir de sensations nouvelles, et bâtir peu à peu leur jardin secret, un imaginaire qui n’appartient qu’à eux 23 ». Il faut donc amener les enfants au théâtre très tôt pour stimuler leurs sens et développer leurs émotions. Ainsi, Les mains dans la farine du Théâtre à cru se propose comme « une initiation sensorielle destinée aux petits dès un an, ils voient, respirent, touchent, écoutent et découvrent comment la matière se métamorphose, de la graine de blé jusqu’à la miche de pain ». Ainsi, Rêve d’un papillon de la Compagnie Espiègle est conçu « comme un voyage qui mène de la réalité au rêve pour les tout-petits, dès l’âge de la crèche. Tout l’espace a été redessiné pour eux. Ils entrent dans un labyrinthe tendu de grands draps blancs, tout au long du chemin, des lanternes magiques diffusent des images colorées et mouvantes ». Ainsi À l’eau de rose de la Compagnie du porte-voix propose « un voyage impressionniste d’une trentaine de minutes qui part du ventre maternel pour aller jusqu’à la mer. Ce spectacle, conçu pour les toutpetits dès 6 mois, associe le rose et la musique rituelle balinaise ». Ce théâtre est celui de la jouissance, des retrouvailles avec la mère, des sensations-émotions partagées, du lien, de la fusion. Il considère le toutpetit comme un être en développement, non fini, essentiellement centré sur la sensorialité et le lien à l’autre. Par là même, il déploie auprès de l’adulte qui accompagne l’enfant des trésors de séduction nostalgique. Qu’il est bon de retrouver des comptines d’enfance, des goûts et des odeurs connues ou à reconnaître, des rythmes, des tensions archaïques ! Qu’il est bon de jouir ! Ah ! Quelle douce « impression » laissent ces 23. Conférence consultable à l’adresse : http://www.theatre-enfants.com/pages/rencontres/cultiver_bebe.php. 56 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES diamétralement opposées et des questions que se pose le Théâtre jeune public, si fait est qu’elles s’articulent autour de la place de l’enfant et de son rapport au monde, à l’autre et à la société. SPIRALE_2005-01.book Page 57 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Dans le monde qui entoure l’enfant, qui lui est présenté, son engagement est un embarquement, une traversée, une course éperdue, une échappée vive. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES spectacles quand on est sorti du noir, son minot dans les bras… C’était beau, n’est-ce pas ? Si plein de douceurs et de poésie, de proximité et d’intimité. C’est bien et bon, mais… Mais il existe un autre théâtre, peut-être moins à succès que le premier, censé être si merveilleusement formaté pour bébé, si adapté à « son niveau de développement »… C’est que même si le tout-petit participe des tempêtes qui soufflent sur la scène et des éclairs qui la traversent ; même s’il halète, que sa respiration devient saccadée, son corps se tend ; s’il tremble parfois, se sent bouleversé, menacé, assailli, bercé, emporté ; s’il traverse aussi les accalmies et partage les apaisements d’avant ou après l’orage ; il comprend bien vite que se joue là, sous ses yeux, autre chose qui s’adresse à lui. Françoise Dolto évoquait ces « paroles habitées » que l’on doit adresser aux enfants, des paroles « qui sourdent de l’intérieur » et qui disent « la vérité ». De quelle vérité parle le théâtre de la jouissance ? Cet autre théâtre, du manque-à-jouir, s’il fallait parler lacanien, de l’absence, est un théâtre du langage et de la pensée 24. Un enfant, tout enfant, lit le monde comme un texte atmosphérique. Il est tellement sensible à ce weatherscape dont parle le psychanalyste D. Stern, cette ambiance affective qui qualifie toute rencontre avec son environnement humain ou non humain, qu’on pourrait le confiner à cette seule fièvre qui l’agite, parfois foudroyante, parfois plus tempérée. On pourrait le dire ainsi, le tout-petit : dans le monde qui l’entoure, qui lui est présenté, son engagement est un embarquement, une traversée, une course éperdue, une échappée vive. Il serait explorateur, découvreur, à jeter son corps dans la vie et à prendre le large, celui qui emporte ventre, jambes, cœur… Et la tête ? Alouette ! Ce tout-petit-là est plumé bien vite de ses capacités psychiques, de ce qui fait sa vie mentale, ses efforts de représentation, de compréhension, de mise en sens du monde. Il est partout en forêt, l’enfant, à se dépêtrer d’avec ses fourrés et ses clairières. Il « voit tout en nouveauté », continuait Baudelaire. 24. W. Bion, « la pensée nait de l’absence ». 57 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans ? SPIRALE_2005-01.book Page 58 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Mais il ne fait pas que voir, sentir, jouir, l’enfant, aux aubes de sa vie. Il pense aussi. Il utilise même une faramineuse énergie à mener à bien ce travail. Il est un travailleur de force, très tôt. Et cela, nous autres, les adultes devenus, nous ne voulons le voir, le croire. Nous préférons imaginer His Majesty the Baby, au nirvana du palais des sens, bien loin de ce qui demain, allez, osons après-demain, sera son quotidien. Ils ont bien le temps, n’est-ce pas ? pour grandir, vivre le monde en son malaise et ses peines. Protégeons les bébés, gardons-les dans le miel et le coton le plus longtemps possible. Demain, ah ! Demain, il sera temps de voir. Alertez les bébés, chantait Jacques Higelin en 1976… Alertez les adultes, devrions-nous beugler. Qu’ils saisissent que de l’intérieur des œuvres théâtrales, les bébés aussi comprennent mieux le monde, celui qu’ils habitent et celui qui les habite. Le théâtre est cet espace « habité » – osons dire : incarné, pour reprendre Dolto – où se dit notre humanité. Chaque jour à reconstruire. À chaque spectacle. Mais il faut un Grand talent, une Grande exigence pour reconnaître les enfants comme spectateurs, et qui plus est, comme coauteurs de tout discours à leur propos. Il faut penser, prendre des risques, s’exposer. Le théâtre est, paraît-il, un art vivant. En vivre n’est pas simple, ni assuré, à moins de faire, comme certains, du fric sur le dos et au nom de l’enfance et de ses plaisirs démodés. Donner les moyens d’exister à ce théâtre-là, c’est imprudent. « Ce qui m’intéresse, dit Fabrice Melquiot, le créateur de Bouli Miro, c’est que le théâtre pour la jeunesse est aujourd’hui le lieu de l’imprudence. » Vous savez comment sont les enfants, les tout-petits et les plus grands : si fait est qu’on les laisse grandir à leur gré, ils sont frondeurs et créatifs en diable. Il y a, pour sûr, quelque chose de diabolique dans de telles aventures, et quelques puritains, ici ou là, qui continueront de penser que l’enfance est et doit rester l’innocence faite vie, à protéger du monde terrible des adultes. Que le théâtre doit servir à quelque chose, être utile, faciliter les apprentissages, que sais-je encore ? À quoi ça sert le théâtre ? À rien. À la vie. Ça sert à vivre. Vivre pour vivre. Vivre pour le sens inconnu, profond et mystérieux d’être. Comme le fait tout humain. Comme le fait tout enfant. 58 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Spirale n° 35 Le théâtre enfanté « Ce n’est pas parce qu’on écrit pour un public de petite taille qu’il faut écrire à genoux 25 » Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Pourquoi le très jeune spectateur de théâtre est-il souvent privé d’un texte ? Parce qu’il ne le comprendrait pas ? Parce que les mots écrits par un auteur lui seraient étrangers ? Pourquoi est-ce que les tout-petits n’auraient pas un rapport littéraire au théâtre, un vrai rapport aux mots du théâtre ? Les enfants aiment les mots, ceux qu’ils peuvent comprendre et ceux dont ils ignorent tout. Leur sonorité, leur rythme, leur musicalité, la richesse et la diversité de la langue. Les mots du théâtre et tous les mots d’ailleurs sont un peu comme de la chair, et les enfants ont avec eux un rapport très organique. Barthes écrit que « le texte a une forme humaine, c’est une figure, un anagramme du corps 26 », et nombre d’auteurs contemporains évoquent ce rapport au texte, de l’ordre d’un rapport physique. La scène du théâtre est aussi un « marché aux mots » et le tout-petit y va de ses emplettes, parfois à son insu. « Je défends l’idée qu’une pièce est un texte qui existe indépendamment de ses représentations. Le texte est un, et les mises en scène multiples. C’est ce que j’aime dans le théâtre », explique Brigitte Smadja, créatrice de la collection « Théâtre » de L’École des loisirs. Dès lors, il convient, comme le défend Françoise Pillet, d’écrire « sans mettre de béquilles 27 », et de marquer l’importance, dès le plus jeune âge, de la langue, en ses rebondissements et ses inattendus. N’oublions jamais que le théâtre est le lieu vivant de la littérature et du langage, et qu’il ne saurait être pensé comme un espace exclusif de sensorialité et d’émotions partagées. « Le théâtre n’est jamais la fabrication d’un produit, ce qui élimine trois choses : le tiroir-caisse, 25. N. Edelbarr, cité par D. Bérody, « L’enfance de l’art. Quel répertoire pour les jeunes ? », dans Les cahiers des lundis, saison 1993-1994. 26. Le plaisir du texte, Paris, Le Seuil, 1973. 27. On consultera, sur l’écriture pour le très jeune public, le compte-rendu de la rencontre du 5 mai 2004, à Paris, organisée dans le cadre de son festival 1, 2, 3 Théâtre, par le Théâtre de l’Est Parisien, à l’adresse suivante : http://www.theatre-enfants.com/pages/rencontres/ecrire_jp.php. 59 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans ? Les nombres, 1945, Luigi Veronesi, Éditions Maurizio Corraini srl, 1997. SPIRALE_2005-01.book Page 59 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM SPIRALE_2005-01.book Page 60 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM Spirale n° 35 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Damien Bouvet, auteur de Chair de Papillon précise encore les choses : « Je fouille dans un avant-mot… Je ne fabrique pas des images mais du corps… Le théâtre, c’est avant tout du corps 29. » C’est ainsi que si cet avant-mot parle au corps, et du corps, il est ensuite traduit, digéré, métabolisé par un psychisme en voie de constitution et de développement. Le texte du théâtre a ainsi une importance particulière pour cet enfant qui entre dans le langage en même temps que le langage entre en lui. « Car, au sens propre des termes, c’est le langage qui parle. L’homme parle seulement pour autant qu’il répond au langage en écoutant ce qu’il lui dit », écrit Heidegger 30. « On doit parler de tout aux enfants plus qu’à tout autre encore. Leur ignorance de la vie est si grande que tous les grands sujets de l’existence les attrapent de plein fouet et les laissent KO. Nous les adultes, nous avons cette petite part de déjà vécu qui nous console tant bien que mal. Les enfants n’ont que les héros des contes pour les rassurer. Mais on doit leur parler sans préméditation. Mes personnages n’arrivent pas avec des intentions. Il n’y a aucune arrière-pensée dans leur bouche. Je voudrais qu’ils aient cette façon très triviale qu’ont les enfants de dire tout haut et trop fort des choses qu’on ne doit pas dire, en tout cas pas comme ça ou pas à ce moment-là, et qui mettent dans l’embarras, qui laissent sans voix 31. » Qu’ils parlent ou pas, les tout petits enfants témoignent de cette écoute et de cet investissement du langage et de la parole très tôt dans leur vie. Certains auteurs et comédiens, rares, se situent juste à la lisière de ce temps si extraordinaire, juste à l’avancée du mot, juste dans sa portée, juste au silence de son dessein. Rares en effet sont ceux qui relèvent de cet équilibre, de cette crainte, de cette retenue, et, dans le même 28. Armand Gatti, cité dans Le Petit dictionnaire du théâtre de B. Bretonnière, Paris, Editions théâtrales, 2001. 29. Dans Le Filou, Revue semestrielle du Théâtre Massalia, Décembre 2003, consultable à l’adresse suivante : http://www.lafriche.org/massalia/. 30. Martin Heidegger, « L’homme habite en poète », dans Essais et conférences (1954), Paris, Gallimard, Collection Tel, 1980, p 227-278. 31. Philippe Dorin (auteur entre autres œuvres de En attendant le Petit Poucet et Dans ma maison de papier, j’ai des poèmes sur le feu), entretien dans Le Filou, Revue semestrielle du Théâtre Massalia, Décembre 2003, consultable à l’adresse référée en note 29. 60 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES les acteurs et les spectateurs. Que reste-t-il ? L’essentiel, l’aventure du langage 28 », ponctue Gatti. SPIRALE_2005-01.book Page 61 Tuesday, November 29, 2005 12:32 PM « Le texte a une forme humaine, c’est une figure, un anagramme du corps » Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES temps, de ce mouvement, de cet élan : ils se Roland Barthes mettent en jeu, ils exposent leur corps, leur vie interne, leur histoire. Ils ne font pas que créer, ils sont. Ils sont des êtres de langage qui reconnaissent et respectent l’enfant comme un spectateur d’aujourd’hui. Ils ne veulent pas à tout prix le penser comme un spectateur de demain. Ils acceptent de ne pas pouvoir contrôler, quantifier, retracer, repérer le mystère, le secret de cette aventure, de ce cheminement interne, intime. Ils laissent du silence après la représentation : ni explication, ni interrogation, ni échanges. C’est que, dans l’après-spectacle, l’après-représentation, nombres de théâtres, de lieux d’accueil, nombres de festivals travaillent à une verbalisation de ce moment passé. Cette verbalisation parfois relève d’un projet plus étendu, d’un travail de fond développé bien avant le spectacle, mais parfois la discussion fait suite immédiate à la représentation, sans préparation, sans prolongation. Plus tard, ils ont le temps, les enfants débattront de leur compréhension du spectacle avec un auteur sensible et un peu perdu, convoqué devant eux et sommé d’expliquer quand il a écrit, comment il travaille, s’il tape son texte à la machine ou à l’ordinateur, s’il a des enfants, et pourquoi celui qui parle dans le spectacle s’appelle Paul… Plus tard… A moins qu’il ne dise, l’auteur, aux bébés réunis dans les bras de leurs parents, aux petits enfants assis tout contre eux et aux plus grands, déjà éloignés de quelques sièges, un peu de poésie. Tiens, de celui-là, par exemple, qui changeait de nom si souvent, se perdait dans les identités d’emprunt et nous emportait toujours ailleurs : « Je prétends dire ce que je sens / Sans y penser, que je le sens. / Je prétends adosser les mots à l’idée / Et n’avoir pas besoin d’un couloir / De la pensée aux mots 32. » 32. Alberto Caeiro, « Le Gardeur de troupeaux » – XLVI. Ce poème est publié dans Les Œuvres poétiques de Fernando Pessoa, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2001. 61 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Paris 7 - - 81.194.22.198 - 16/01/2015 23h08. © ERES Théâtre jeune public : interdit aux moins de 3 ans ?