L`avenir du private banking suisse

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L`avenir du private banking suisse
L’avenir du private banking suisse
Claude Demole, associé, Pictet & Cie, banquiers, Genève
1) Une précision de terminologie pour commencer. L’appellation de private banking est galvaudée parce que peu claire. L’acception suisse du terme est différente de celle utilisé dans le
monde anglo-saxon. Dans notre compréhension, l’activité de banque privée est en fait beaucoup plus une activité de gérant de fonds que de banque proprement dite puisque nous gérons
des fortunes pour le compte de personnes physiques et pour des institutions (fonds de prévoyance et avoirs de grandes sociétés et organisations étatiques et para-étatiques). Nous
n’agissons jamais pour notre compte. Si l’on veut résumer les principales caractéristiques
d’action des banquiers privés suisses, genevois en particulier, disons que nous sommes des
agents, des fiduciaires pour nos clients, que nous accordons ni crédits commerciaux, ni prêts
en blanc, que nous ne nous engageons ni dans des activités à spread, ni dans des opérations
pour compte propre.
Quel sera notre avenir ? C’est ce dont j’aimerais vous entretenir maintenant en commençant
par vous rappeler les principales caractéristiques du marché dans lequel nous opérons.
2) A l’évidence, l’activité de gestion de fortune est une activité de croissance. La demande de
services de gestion croît et croîtra rapidement dans le monde avec:
a. l’accroissement du capital nécessaire au fonctionnement des économies et, par conséquent, de la richesse que ce capital représente. Il est ainsi très vraisemblable qu’à
l’avenir les fonds sous gestion dépassent les 100% du PIB qu’ils atteignent actuellement aux Etats-Unis, car dans une économie avancée la masse de capital nécessaire au
fonctionnement de celle-ci dépasse de beaucoup la valeur annuelle de la production.
b. le besoin pour les épargnants de sortir des placements bancaires et d’assurances pour
obtenir un rendement plus élevé sans trop prendre de risques (diversification entre les
types d’actifs);
c. le désir croissant de profiter des rythmes de développement différents des économies
dans un monde de plus en plus ouvert et globalisé (diversification dans l’espace);
d. la nécessité de conserver et de faire fructifier la richesse de plus en plus longtemps en
raison du vieillissement de la population et de la transmission du patrimoine de plus
en plus tardive d’une génération à l’autre.
Cette industrie est donc loin d’être mature contrairement à ce que certains pensent. Pour les
clients privés seuls, les fonds sous gestion se sont accrus de 50% dans le monde entre 1996 et
2002 pour approcher les 25'000 milliards de dollars et ceci malgré la baisse des marchés ces
trois dernières années. Pour les clients institutionnels, les sommes sont encore plus fortes,
même s’il est très difficile d’avoir des chiffres fiables et sans double comptage dans ce domaine. Comme ces tendances et besoins sont appelés à s’intensifier ces prochaines décennies,
la demande de services de gestion de fortune va très probablement croître plus rapidement que
le PIB mondial à l’avenir. Etre un fournisseur dans ce secteur, comme le sont les banques
suisses et genevoises, est donc un avantage stratégique non-négligeable et il le demeurera
malgré le ralentissement d’activité et de profitabilité que ce domaine a connu après
l’implosion de la bulle financière 1999-2000.
Les conditions-cadres de notre pays expliquent en partie ce succès. Les éléments sont bien
connus: stabilité politique, paix sociale, bonne ouverture du pays sur l’étranger et une législation bancaire moderne libérale et très ouverte. Le terrain est propice à la concurrence et de
nombreuses banques étrangères se sont directement établi en Suisse ces dernières années ou,
et ceci est surtout le fait des plus grands groupes, ont racheté des petites banques essentiellement afin de développer leurs activités de gestion de fortune. Ce mouvement n’a d’ailleurs pas
cessé comme le montre la récente prise de contrôle d’un petit établissement genevois par un
grand groupe français (Société Générale.
3) L’offre de service de gestion de fortune en Suisse relève d’une longue tradition. Je peux dire
qu’il y a une véritable culture suisse du service bancaire à la clientèle, culture qui ne s’acquiert
pas si facilement et qui n’est vraiment maîtrisée qu’en raison d’une assez large tradition. Nos
concurrents anglo-saxons – concurrents directs et féroces – se plaisent à dire que le succès de
la gestion de fortune en Suisse ne repose que sur le secret bancaire. Je pense que la réalité est
plus complexe. Il faut savoir d’abord qu’une grande quantité de clients - donc de capitaux déposés dans nos maisons, ne dépende en rien de secret bancaire et n’exige, en matière de
confidentialité, rien de plus que la discrétion qui doit normalement régner dans les rapports
d’affaires. Ensuite, d’autres qualités que la simple évasion fiscale jouent un rôle très important
pour être compétitif dans ce domaine, parmi lesquelles être capable:
a. d’obtenir la confiance du client sur le sérieux et la qualité de la gestion offerte non
seulement au niveau des relations avec le gérant lui-même, mais aussi avec les services fournis par la banque gérante, sa solidité, et, surtout, la qualité de son back-office;
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b. de savoir faire preuve simultanément de souplesse et de fermeté envers le client, de
souplesse pour que la gestion soit bien adaptée à ses besoins, de fermeté pour contrer
ses espoirs de gains souvent irréalistes à moyen et long terme;
c. de mélanger tradition et modernité suivant la capacité plus ou moins prononcé du
client à pouvoir accepter un risque accru.
La durée et l’expérience sont un facteur essentiel de compétitivité dans ce domaine, c’est
pourquoi la Suisse et, surtout, Genève et ses banquiers privés spécialisés dans cette activité
depuis plus de 200 ans, sont bien si bien placés dans ce marché.
4) Mais même si les avantages comparés de la place financière suisse demeurent et resteront vivaces, le marché de la gestion de fortune, comme tous les marchés dynamiques, évolue
constamment. Comment les banques suisses et genevoises vont-elles réagir à ces changements
si souvent cités parmi les professionnels et dans la presse: l’institutionnalisation des richesses
et ses besoins de performances, la poussée de l’onshore, la plus grande sophistication des
clients privés? Remarquons d’abord que ces changements ne sont pas toujours aussi
permanents qu’ils sont le plus souvent décrits et que, parfois, les plus récents développements
des marchés les contredisent: le benchmarking recule en faveur de la conservation et de la
performance absolue, beaucoup de clients ont mal jugé des risques lors de la bulle (achat très
cher d’actions, IPO illusoire, etc…).
Mais même si certaines tendances se révèleront moins persistantes que généralement annoncé,
certaines sont suffisamment profondes pour que les banques suisses s’adaptent. Celles-ci vont
réagir comme ont généralement réagi les entreprises suisses confrontées à une modification de
leurs conditions de production et de concurrence. Elles vont:
a) aller rencontrer la demande là où elle existe (cf. Nestlé) ;
b) se diversifier en lançant des bureaux onshore qui seront liés aux capacités de gestion
et de back-office de leur maison-mère. Ce sera en tout cas la stratégie des banques privées genevoises. Se faisant, elles seront ainsi évidemment en compétition avec les
banques locales, mais leurs savoir-faire dans leur spécialité devrait leur donner un certain avantage.
Seul l’avenir nous dira où cette tendance finira, mais il ne faut pas enterrer la place financière
suisse et celle de Genève en particulier. Pour les activités de gestion, l’existence de plusieurs
gérants de fortune établis au même endroit est un avantage prisé par de nombreux clients qui
n’aiment pas mettre tous les œufs dans le même panier et qui sentent ainsi leur sphère privée
mieux protégée qu’au travers d’une gestion plus locale.
5) Les banques genevoises ne pourront développer cette stratégie avec succès qu’à deux conditions: atteindre une taille suffisante pour pouvoir essaimer tout en offrant un back-office com-
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pétitif et maintenir des coûts suffisamment compétitifs. Or, ces développements prennent
place actuellement puisque plusieurs établissements de gestion de fortune genevois ont fusionné alors que d’autres préfèrent se spécialiser dans des niches bien particulières (hedge
funds, service très personnalisé). Quant aux coûts, il ne faut pas en exagérer l’importance car
beaucoup de clients sont prêts à payer pour la sécurité et la qualité du service. En outre, les
services de gestion des banques suisses ne sont pas plus chers que ceux de leurs concurrents,
même si la situation change d’un établissement à un autre et qu’elle est donc particulièrement
difficile à mesurer exactement. Leurs coûts représentent environ 70% de leurs revenus, une
proportion qui est proche de la moyenne de l’industrie dans ce secteur. Il n’y a pas de raison
pour que cet environnement se détériore ces prochaines années. A plus long terme, cependant,
il est vraisemblable que les conditions de concurrence pousseront les banques genevoises,
comme l’ont fait les horlogers genevois il y a plusieurs décennies, à ne viser que le haut de
gamme du marché de la gestion de fortune.
6) Comme tout le monde le sait, de lourdes menaces ont plané ces derniers temps sur le secret
bancaire puisque l’Union Européenne a tenté d’imposer à la Suisse le système de l’échange
d’information. Après d’âpres négociations, notre gouvernement a obtenu des autorités européennes des mesures dites équivalentes pour assurer la fiscalisation de l’épargne.
Aussi notre secret bancaire va très vraisemblablement continuer d’exister, l’exigence
d’échange automatique d’information devant être abandonnée au profit du prélèvement d’un
impôt anticipé sur le revenu de l’épargne des comptes en Suisse de résidents européens dont le
taux montera progressivement de 15 à 35 % jusqu’en 2011. Les trois-quarts de ces prélèvements fiscaux seront reversés par la Confédération helvétique aux pays de domicile des clients
titulaires des comptes en Suisse. Ceci est vraiment une grande première dans l’univers de la
fiscalité et cette solution devrait permettre un développement sain de la concurrence dans le
secteur de la gestion de fortune.
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