`cette chose-là`: Education à la vie affective et sexuelle

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`cette chose-là`: Education à la vie affective et sexuelle
« Doit-on parler de ces choses-là ? » :
Education à la vie affective et sexuelle des enfants handicapés
Quels sont les besoins spécifiques des enfants atteints de handicap ?
Les enfants qui ont des déficiences motrices, intellectuelles, sensorielles ou autre ont des
besoins, comme tout enfant peut en avoir. Besoins d’amour, de manger, d’éveil, d’attention, de
sécurité, besoin de savoir comment fonctionne son corps, etc. La seule spécificité que je vois
pour ces enfants…, serait celle de l’exigence de réponses qui se doivent d’être pertinentes,
adaptées, précises, personnalisées, autrement dit : « spécifiques ». Mais en fin de compte, tout
enfant quel qu’il soit a besoin de réponses spécifiques. Handicap ou pas. Bien sûr, on peut me
rétorquer que le handicap fausse les choses, ou les rend différentes ou encore plus
compliquées. Certes, mais je pense que cette différence qu’apporte la déficience ne doit que
nous rendre plus attentifs et plus créatifs.
Comment, en effet, faire saisir la différence des sexes à celui qui ne voit pas, à celui qui ne sent
pas son corps, à celui qui a la sensation d’avoir un corps morcelé ? A celui qui s’automutile ?
Comment parler d’affection, de sentiments à celui qui ne peut rentrer en communication ? Ou
qui ne sait que crier ? Autant de réponses pour autant d’individus. Voilà bien une diversité qui
exige des éducateurs non seulement d’être inventifs, mais aussi d’être soigneusement formés.
Répondre aux besoins d’informations et d’éducation des enfants qui ont des déficiences
commence par favoriser l’écoute de la dimension sexuelle et affective dans leur développement
qui n’est pas celui de la plupart des enfants.
Les enfants qui ont des déficiences sont très interpelés par leur corps. Certains sont manipulés
pour des actes de kinésithérapie ou pour leur hygiène. Certains n’en connaissent pas les limites
alors que d’autres n’en connaissent que les limites apportées par un corset, un appareillage ou
de multiples interventions chirurgicales. Leur corps peut être absent, fragile, douloureux,
désobéissant ou anarchique. Flasque ou raide. Parfois déformé, parfois contraint, parfois mutilé
par eux-mêmes. Découvert, exposé, « nudifié » en permanence pour être nettoyé, réparé,
soigné. Renvoyé à un état perpétuel d’enfance, leur corps est capté sous le prétexte des soins,
rapté dans l’alibi de la dépendance et renié dans sa dimension sensuelle et/ou sexuelle. Et ce
n’est pas que nous ne les voyons pas grandir et se développer, c’est que nous avons beaucoup
de mal à les reconnaître comme des hommes ou des femmes.
Or c’est à travers nos regards qu’ils se construisent. Nos regards et nos paroles… C’est ainsi que
l’éducation à la vie affective et sexuelle doit permettre la mise en mots et en actes sécurisants
et humanisants des sensations, des sentiments et des comportements sexuels et affectifs en
tenant compte du handicap et de ses conséquences, de l’âge bien entendu et du contexte
socio-culturel. L’estime de soi et la valorisation de l’élan vital sont tout aussi fondamentales
lorsqu’on vit avec un handicap (Aghté, Vatré, 2006).
La sexualité, étant une dimension de la vie sociale placée au centre de la relation à l’autre,
l’éducation à la vie sexuelle et affective est une nécessité pour ces enfants et adolescents dont
le corps est objet de soins. La réification et l’infantilisation guettent les personnes qui ont des
handicaps dès leur plus jeune âge. Il est si pratique de nier une possibilité de vie sexuelle et
affective quand on ne sait ni répondre, ni traduire des questions.
La sexualité et la vie affective jouent un rôle important dans la vie de chacun d’entre nous et il
est logique que l’éducation sexuelle s’adresse aussi aux enfants et adolescents handicapés et
pourquoi pas à des adultes. Cette éducation devra dans son contenu respecter, en particulier, la
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complexité de leur développement, la particularité des déficiences, des niveaux de
compréhension et bien entendu, respecter les valeurs familiales et les croyances en proposant
une pédagogie qui tienne compte de toutes ces dimensions.
Quels rôles pour les parents et pour l’école ?
Si les parents sont et restent avant tout les premiers éducateurs de leurs enfants, les
intervenants des milieux scolaire, éducatif, sanitaire et social sont également des interlocuteurs
significatifs auprès des enfants. Même si certains parents pensent que l’éducation et
l’information sexuelle et affective est de l’ordre du privé et de la famille, l’expérience montre
l’insuffisance de l’éducation familiale, que ce soit par manque d’information ou par inhibition
vis-à-vis de la sexualité (Philippe Brenot, l’éducation à la sexualité.PUF. 2ème édition 2007).
Pour les parents d’enfant sans handicap, la gêne de parler de ces « choses-là » est présente
pour 20% des mères et 50% des pères qui n’ont jamais parlé de sexualité à leur enfant
(Stagnara, 1992). Les mentalités évoluent peu à peu, mais cette proportion a peu progressé : le
rôle des parents n’est pas suffisant en ce domaine. Et lorsque l’enfant est porteur d’une
déficience « ces choses-là » deviennent encore plus difficiles à mettre en mots. Beaucoup de
parents n’arrivent pas à admettre, pour plusieurs raisons, que leur enfant handicapé peut avoir
une vie sexuelle et affective.
Une célèbre étude d’Alain Giami, auprès des parents d’enfants ayant une déficience
intellectuelle, montre combien les parents voient leurs enfants comme des anges, sans
sexualité. J’en ai ainsi entendu certains qui ne pensaient pas que leur enfant pourrait seulement
devenir pubère, d’autres s’opposer à l’idée que leur enfant pourrait avoir des sensations en
rapport avec une sexualité. D’autres au contraire vont parfois dépasser certaines limites. Ces
parents, on l‘imagine bien, sont dans l’impossibilité d’aborder ce sujet sereinement avec leur
enfant. Et n’oublions pas cette question de la pudeur où rien ne se joue comme cela devrait et
où l’enfant dépendant convie par nécessité sans cesse l’autre dans son intimité.
N’oublions pas que la dépendance de leur enfant qui devient adolescent, puis adulte les
confronte à travers des soins indispensables à une réalité crue et sans fard. N’oublions pas non
plus cette vulnérabilité qui peut être extrême de leur fils, de leur fille.
Comment envisager que cet enfant si dépendant aura un corps d’adulte, un corps qui va se
sexuer, des envies d’amour, des désirs et même des désirs d’enfant ? Comment pour des
parents se débrouiller avec cela ? Alors que, laissés à eux-mêmes, ils ne sont pas informés et
tout aussi démunis que certains professionnels peuvent l’être.
Professionnels qui, quand ils ne sont pas formés, ont aussi des représentations toutes aussi
fausses de la sexualité des personnes handicapées (Giami : l’ange ou la bête). Professionnels
dont beaucoup sont dans des formes de négation d’une vie affective et sexuelle pour les
personnes qu’ils accompagnent. Notons que si aujourd’hui nous abordons de plus en plus ce
thème, il y a peu handicap et sexualité étaient deux mots antinomiques et impossibles à
conjuguer. Les associer aspirait des idées d’impossibilité ou de perversion, de viol et de
transmission inéluctable de déficiences en cas de procréation.
Quels rôles alors pour les parents et pour les professionnels ? Je crois que parents et
professionnels doivent d’abord prendre conscience de leurs représentations erronées de la
sexualité des personnes qui ont des handicaps. Il n’y a pas qu’une sexualité qui serait
hétérosexuelle et dont le seul but est la procréation, il y a des sexualités où se tenir la main est
la seule chose qui compte, où « être ensemble et c’est tout » est suffisant, où l’on peut être
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amoureux de quelqu’un du même sexe, où l’on a envie de sensualité, de plaisir au lieu de n’être
qu’infantilisé ou nié dans sa dimension sexuelle et affective.
Parents et professionnels doivent ensuite prendre conscience de la nécessité d’une éducation
et d’une information à la vie sexuelle et affective des enfants, même lorsque le handicap est
présent et je serais presque tentée de dire surtout lorsque le handicap est présent. Ceci dit,
nous l’avons vu, tout le monde n’est pas prêt à parler de « cette chose-là », ou seulement un
petit peu et nous savons que les parents rencontrent des obstacles particuliers liés à la
dépendance de leur enfant et à la particularité des soins nécessaires. Il est alors, de mon avis,
du devoir des professionnels du milieu scolaire, éducatif, sanitaire et social de permettre aux
enfants, adolescents et adultes qui ont des déficiences un accès à une information et une
éducation à la vie sexuelle et affective. Ainsi en tant que co-éducateur des parents, ils se
doivent d’établir un partenariat avec ses derniers, partenariat qui doit permettre aux familles
de déléguer en toute connaissance de cause et confiance la mission d’éduquer sur le sujet de la
sexualité de leur enfant.
Une co-éducation œuvre pour l’égalité des chances des enfants qui ont des déficiences ou non,
le professionnel prenant le relai là où les parents touchent leurs limites.
Est-ce que l’éducation sexuelle et affective formelle est une nécessité ou pas pour ces
enfants ?
Comme chacun d’entre nous, l’enfant, l’adolescent puis la personne handicapée a des
certitudes, des questions ou des doutes sur son savoir et sur ce qu’elle ressent. Bien
évidemment, la présence de diverses déficiences n’empêche aucunement l’affectivité, l’amour
ou l’animosité, le désir ou l’agressivité. Croire cela ne servirait qu’à alimenter des attitudes de
rejet, de déni, de refus d’une vie affective et sexuelle pour les personnes qui ont des handicaps
(Aghté, Vatré, 2006). Et il est aujourd’hui admis, nous l’avons vu, que les personnes qui ont des
handicaps ont une sexualité bien que cela reste un tabou très fort pour nombre de personnes.
Néanmoins ces personnes présentent parfois des faiblesses, des empêchements ou encore un
manque d’habileté à entrer en relation avec l’autre. Ces défaillances pour la plupart sont dues à
l’ignorance dans laquelle elles sont tenues ou encore à cause d’un savoir acquis au détour
d’informations erronées, données par les copains, ou bien à cause d’un apprentissage sauvage
fait devant une chaine de télévision cryptée ou sur internet, grâce à des films dont personne ne
leur a dit que c’était de la science fiction. Où la vie affective n’existe pas, où la sexualité est un
sport avec une série de figures imposées, où les femmes sont des choses, où « sentiment
amoureux » est un gros mot. Alors oui, l’éducation sexuelle et affective formelle est une
nécessité pour ces enfants comme pour tous les enfants. Elle est une nécessité pour la
construction de l’image de soi en lien avec sa relation aux autres ; en lien avec une image de soi
qui peut être particulièrement abimée.
Elle est une nécessité pour une indispensable éducation au discernement, plus particulièrement
quand le corps est soumis aux enjeux d’une rééducation ou à ceux de l’hygiène par exemple.
Comment savoir qui a le droit de toucher quoi ? Pourquoi ? Comment ? Elle est une nécessité
pour la formation d’attitudes de responsabilité individuelle et collective, pour la pudeur, pour
ce qui est privé, public, pour le consentement. La prise en compte de la sexualité viendra
renforcer le projet de vie personnelle, soutenir le développement de la personnalité,
accompagner l’enfant handicapé dans son adaptation à la société.
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Comment s’assurer que ces enfants reçoivent les informations qui leurs sont nécessaires ?
L’éducation à la vie affective et sexuelle doit être inscrite dans le projet des établissements et
services dont la mission est d’accompagner les enfants, adolescents et adultes qui ont des
handicaps. Et ce ne doit pas être une simple option. Ce point doit être abordé dans le projet
personnalisé des personnes accompagnées, les familles doivent obligatoirement y être
associées pour les enfants et les représentants légaux pour les majeurs protégés. Les
professionnels et les familles doivent être convaincus que l’éducation à la vie sexuelle et
affective doit permettre une bonne connaissance et une bonne compréhension de son corps,
être conscients des « risques biologiques (grossesse non désirée, VIH, violences sexuelles…) et
que cette éducation participe à l’équilibre et à la santé globale des personnes.
Il faut porter à la connaissance de tous les bonnes pratiques comme celle des Pays-Bas où se
pratique des cours d’éducation sexuelle depuis trente ans sans souci avec un bilan de
grossesses adolescentes anecdotiques et un taux de contamination aux MST parmi les plus
faibles d’Europe.
Pour conclure mon propos, je dirai qu’il faut peut-être d’abord être conscient du devoir de
formation des différents éducateurs et multiplier des actions en leur direction pour avoir une
chance que les enfants handicapés (et leurs parents) bénéficient d’une éducation égalitaire qui
concerne tous les aspects de leur vie et de la vie.
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