L`iceberg (inter-) culturel

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L`iceberg (inter-) culturel
1
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Jutta Gemeinhardt
Préface
Conçu comme un dialogue européen sur les cultures anciennes, le projet „Eurolog“ se
veut être un outil pour une meilleure compréhension des cultures étrangères actuelles et
anciennes en Europe et, au-delà de ses frontières, en Afrique du Nord et au Levant. En
effet, la confrontation avec l’archéologie et les cultures anciennes aide à développer des
méthodes de médiation qui améliorent la compréhension tant des cultures anciennes que
des cultures actuelles et participent au renforcement des compétences interculturelles
dans les pays concernés.
Les partenaires au projet Eurolog viennent d’Héraklion (Grèce), d’Alanya (Turquie), de
Rome (Italie) et de Karlsruhe (Allemagne). Si ces institutions partenaires ont déjà réalisé
et réussi des projets individuels de coopération, le projet commun Eurolog leur donne
aujourd’hui la possibilité de consolider et d’intensifier davantage leurs relations de
partenariat et d’amitié. A l’occasion du symposium organisé au Musée National du Bardo à
Tunis fin avril 2012, les présentations d’archéologues, de sociologues et de muséologues
renommés ont permis aux participants d’échanger leurs connaissances sur les
phénomènes interculturels et de constituer une base pour la mise en œuvre du projet, son
contenu et ses méthodes.
Au début du symposium, un exposé devait sensibiliser les participants – et les
représentants des institutions partenaires en particulier – à la thématique de la
« compétence interculturelle » dans les différentes disciplines.
L’objectif déclaré de cet exposé était de questionner et de vérifier, au-delà de la
« compétence interculturelle » d’une discipline donnée, les hypothèses, de prendre
conscience des stéréotypes et de leur utilisation au quotidien et de déterminer et de
réfléchir – en se servant de la métaphore de l’iceberg – sur la compétence interculturelle
technique et individuelle et, le cas échéant, de la renforcer par les moyens de
sensibilisation mis à la disposition des participants.
L’exposé intitulé « L’iceberg (inter-) culturel » que j’ai eu l’honneur de présenter en ma
qualité de collaboratrice scientifique de l’Institut de technologie de Karlsruhe (KIT), devait
non seulement servir à l’acquisition de compétences interculturelles mais devait également permettre une ouverture interculturelle voir transculturelle des personnes présentes.
2
1
Les stéréotypes1 et la catégorisation
Imaginons une armoire rouge brillante avec de nombreux tiroirs.2 Un meuble tel que nous
l’avons déjà vu dans un bureau, une pharmacie ou chez un médecin – une armoire
comme celle-ci :
Le sens d’une telle armoire est de catégoriser les informations complexes telles que les
procédures comptables, les médicaments ou les fichiers patient, etc. et de les rendre
facilement accessibles.
C’est ainsi que nous pouvons nous imaginer les stéréotypes : D’après Thomas3 il s’agit de
« grilles descriptives réductionnistes », des catégorisations apprises et intériorisées du
monde que nous utilisons, souvent sans réfléchir, automatiquement dans notre quotidien.
C’est normal et nécessaire ! En fait, nous ne pouvons pas nous permettre, dans le sens
que nos cerveaux ne peuvent pas se permettre, de repenser tout et toujours à nouveau,
de toujours intégrer tout, de manière réfléchie, dans la complexité du tout.
Pour que l’individu puisse saisir et supporter, tant bien que mal, la diversité et la
complexité du monde, il doit créer des termes génériques, constituer des
classeurs, penser en catégories.
Autrement dit et pour des raisons pratiques, une partie de notre pensée est une « pensée
schématisée » qui s’exprime par des « tournures de type formules ».4.
Bien entendu, ces tournures sont imperméables à toute vérification qui nécessiterait de
nouveau un effort de réflexion. Et nous voilà arrivé au point crucial, la distinction entre les
Voir: Heringer 2010, 198ff
En allemand le terme « Schubladendenken » signifie littéralement « penser en tiroir » d’où cette comparaison avec une
armoire à tiroir. NDT.
3
Voir: Thomas 2006, 3ff
4
Ibid.
1
2
3
stéréotypes utiles et judicieux et la catégorisation : étant donné que les classeurs et leurs
contenus ne sont pas régulièrement mis à jour, les stéréotypes résistent assez bien aux
changements. Autrement dit, il s’agit de schémas statiques qui ne reflètent pas la réalité.
Les catégorisations se nourrissent de généralisations et de stéréotypes non réfléchis qui
forment un terroir très fertile pour faire pousser les préjugés et la discrimination.
Grilles descriptives
réductionnistes
Catégorisation
Souvent des schémas
inconscients bien
ancrés
Généralisations noncritiques
Stéréotypes
Normal et
nécessaire au
quotidien
Imperméable
à la
vérification
Ne reflètent pas la
réalité
Tournures de types
formules
Pensée schématique
Relativement
résistent aux
changements
Source : schéma conçu par l’autrice
Souvent, les stéréotypes font partie du savoir implicite5 d’un individu et d’une culture, c’està-dire ils produisent leurs effets sans que l’on se rende compte de leur présence.
Notamment les idées stéréotypées de l’autre, de l’étranger peuvent sérieusement
empêcher la réussite de l’action interculturelle. Elles réduisent l’espace que l’on concède à
l’autre pour négocier des relations, puisqu’on lui prête des positions préétablies par les
stéréotypes. Quiconque veut s’opposer ou combattre le côté négatif des stéréotypes, doit
d’abord en prendre conscience pour ensuite les transposer dans le domaine du savoir
explicite, auto-réfléchi et observable.6
« Avec des schémas dans notre tête nous n’affrontons pas uniquement la réalité mais
5
6
Voir: Erll u. Gymnich 2010, 59ff
Ibid.
4
également certaines parties de cette réalité que sont les autres, les personnes qui nous
sont étrangères. »7
Avant de nous consacrer à la prise de conscience des images stéréotypées et manifestes
de l’autre qui dépendent de la culture, il faut d’abord déterminer ce que nous entendons
par « culture ».
2
La culture – qu’est-ce que c’est ?
Par « culture » nous entendons notamment et selon le dictionnaire allemand le Duden
« l’ensemble des performances intellectuelles, artistiques et créatrices d’une communauté
donnée, l’expression d’un développement supérieur de l’homme, par exemple d’un peuple
relié par sa langue et sa culture. [mais également] l’ensemble des performances
intellectuelles, artistiques et créatrices réalisées par une communauté donnée dans un
domaine et une époque donnée, par exemple la culture occidentale ou la culture des
Grecs, la renaissance en Italie.8
« La culture est faite de structures de penser, de sentir et d’agir, elle est transmise par des
symboles qui forment les acquis caractéristiques d’un groupe de personnes et son
incarnation dans les artefacts. Le noyau essentiel de la culture se sont les idées
traditionnelles (autrement dit les idées fondées dans l’histoire et choisies par elle) et
notamment les valeurs y afférents. »9
« La culture est un « logiciel mental » programmé culturellement dans le processus de
socialisation. Au fil de cette socialisation et notamment pendant l’enfance, lors de la
socialisation primaire, l’individu acquière certaines structures de penser, de sentir et d’agir
que l’on décrit comme valeurs et attitudes. »“10
« La culture est un système d’orientation universel et typique d’une société, d’une nation,
d’une organisation ou d’un groupe. Ce système d’orientation est formé de symboles
spécifiques (p.ex. la langue, des signes pourvus de signification, des comportements
typiques) traduits dans une société, une organisation ou un groupe donné. Il influence la
perception, la pensée, les valeurs et les actions de tous les membres définissant ainsi leur
appartenance à la société. Le système d’orientation permet aux membres de la société de
maîtriser leur environnement, il permet une communication rapide, facilite l’orientation à
7
Erll u. Gymnich 2010, 73
www.duden.de
9
Définition d’après Kluckhohn
10
Définition d‘après Hofstede voir : Dokumentation mit Theoriebeiträgen und methodischen Übungen zu Kultur und
interkulturelles Lernen des Europarates und der Europäischen Kommission, 20ff
8
5
l’intérieur des champs sociaux complexes et soutient une coopération interpersonnelle
efficace. »11
Lorsque nous pensons « culture » nous plongeons dans un univers fait de notions reliées
tout azimut et immédiatement à la « culture ».
Multiculturalité
Interculturalité
Transculturalité
Acculturalité
Enculturation
Assimilation
Source : schéma conçu par l’autrice
Dans ce qui suit, je voudrais aborder brièvement ce que nous entendons, de manière
générale, par ces différentes notions.12 Alors que la multiculturalité comprend la présence
complexe d’influences de plusieurs cultures à l’intérieur d’un territoire donné, au sein
duquel les hommes appartenant à différentes cultures coexistent dans la diversité
culturelle d’une société,13 l’interculturalité exprime plutôt la conscience qui caractérise
notamment la différence culturelle, linguistique ou religieuse des membres d’une société.
Par l’interculturalité on entend les objectifs et stratégies dirigés vers l’obtention du respect
et de l’acceptation de la différence.14 L’acculturation est la reprise à son compte
d’éléments d’une culture étrangère par des individus ou des groupes – comprise dans le
sens d’un processus d’adaptation culturelle. L’enculturation, quant à elle, désigne l’entrée
progressive d’un individu ou d’un groupe dans la culture de la société qui l’entoure.
L’assimilation décrit l’adaptation d’un individu ou d’un groupe aux particularités d’un autre
groupe, d’un autre peuple, c’est à quoi on se réfère lorsqu’on parle de l’intégration des
migrants. « [...] une majorité culturellement définie […] à laquelle ils doivent s’adapter
progressivement et en l’espace de trois générations dans des processus d’adaptation
individuels et de modernisation collective. »15
11
Définition d‘après Thomas u. Hagemann 1996, 174f
Voir: www.duden.de
13
Voir: Erll u. Gymnich 2010, 32ff
14
Ibid. 34ff.
15
Ibid. 33; 67ff.
12
6
Dans ce qui suit nous allons considérer la culture comme un iceberg pour mieux saisir ce
que la notion de la compréhension de la culture englobe.
3
La culture en tant qu’iceberg
La pointe de l’iceberg c’est la partie émergée beaucoup plus petite de l’iceberg. Dans le
contexte qui nous intéresse ici, cela veut dire tout ce qu’un individu montre de sa culture.
Tout ce que nous reconnaissons immédiatement comme faisant partie de la culture de
l’autre, comme appartenant précisément à cette culture.
Sous la surface de l’eau se trouve la partie beaucoup plus grande de l’iceberg, la partie
non visible, la partie non immédiatement reconnaissable. Cette partie inconnue de la
culture reste à « explorer », pour éviter d’éventuels « risques de collision.
Dans le contexte du débat scientifique sur les thèmes relatifs à la « communication
interculturelle » ou à « l’acquisition de la compétence interculturelle », l’image de l’iceberg
est utilisée pour représenter et souligner les difficultés et les risques potentiels. Emprunté
au modèle de stratification de la psyché humaine cher à Freud, nous associons ce que
chez Freud appartient au conscient à la culture explicite et visible, et ce qui est inconscient
à la culture implicite et invisible. Le préconscient est décodé comme étant ce qui se trouve
directement sous la surface de l’eau, comme quelque chose de déformé, flou, comme la
partie de la culture qui n’est reconnaissable qu’en regardant de plus près.
7
LES CHOSES QUE L’ON VOIT ET COMPREND CLAIREMENT : LA CULTURE EXPLICITE
Manger
Sport
Musique
Vêtements
Héros
Symboles
Artefacts
Fêtes
LES CHOSE QUE L’ON PEUT COMPRENDRE, SI ON ESSAIE
Archéologie
Art
Comportement
Littérature
Histoire
Langue corporelle
Politique
Habitudes
LES CHOSES QUI DEMANDENT DU TEMPS POUR ETRE VU ET COMPRIS : CULTURE IMPLICITE
Convictions
Religion
Attitudes
Valeurs
Savoir
Normes
Langue
16
Si nous voulons activement éviter les collisions avec l’iceberg culturel, il nous faut
développer la compétence interculturelle.
16
Voir: Erll u. Gymnich 2010, 22ff
8
4
La compétence interculturelle
Nos paroles, nos gestes, nos actes peuvent être interprétés complètement différemment
par quelqu’un issu d’une autre culture. Comme nous, chaque être humain voit son
environnement, les autres et lui-même à travers les lunettes de sa socialisation culturelle.
Or, le succès de l’interaction culturelle dépend de la compréhension interculturelle et de la
compétence interculturelle des personnes concernées.
« La compétence interculturelle s’exprime par la capacité de reconnaître, de respecter,
d’apprécier et d’utiliser les facteurs d’influence dans la perception, le jugement, le senti et
l’action, chez soi-même et chez l’autre, dans le sens d’une adaptation mutuelle, de
tolérance par rapport aux incompatibilités et d’un développement vers des formes de
coopération, de cohabitation capables de synergie et de structures d’orientation effectives
pour interpréter et concevoir le monde. »17
Les compétences interculturelles sont constituées de trois composantes :
1. la connaissance interculturelle
2. la sensibilité interculturelle
3. l’action interculturelle
4.1
La connaissance interculturelle (cognitif)
La première composante, l’acquisition de connaissances interculturelles, décrit la cognition
qui, à son tour, décrit la compréhension de ce qui est général et de ce qui est spécifique
dans une culture. La compréhension générale de la culture comprend la conscience
culturelle, autrement dit la reconnaissance de la dépendance culturelle de sa propre
pensée, de ses actes et de son comportement et ceux des autres. La compréhension
spécifique de la culture englobe les connaissances sur une autre culture, ses valeurs,
normes et conventions ainsi que ses règles de communication et d’interaction. Ce savoir
constitue la base pour l’acquisition de la compétence d’action interculturelle.18
4.2
La sensibilité interculturelle (affective)
« La deuxième composante, l’affection, signalise une attitude positive par rapport à une
culture étrangère, la tolérance d’ambiguïté, la capacité de réduire le stress et la peur lors
d’un contact interculturel et le respect devant les us et coutumes d’autres cultures. »19
Voir: Thomas 2003,143
Voir: Stellamanns 2007, 23
19
Voir: Stellamanns 2007, 24f
17
18
9
Les capacités interculturelles concrètes sont conditionnées par le savoir et les facultés.
Elles ont besoin de compétences réfléchies telles que l’observation, la perception, la
reconnaissance et l’estime, le caractère approprié, l’autoréflexion et la réflexion d’autrui, le
changement de perspective, la capacité d’empathie, la flexibilité, l’ouverture ainsi que la
tolérance et la sensibilité.20
4.3
L’action interculturelle
« La dernière compétence, la composante comportementale exprime la motivation et
l‘intérêt pour entrer en contact avec des hommes et des femmes d’une autre culture.
Concrètement, il faut mentionner des facteurs tels que l’amabilité et la politesse,
l’empathie face à l’autre culture, la faculté la plus importante étant celle qui permet de
développer des stratégies d’action adaptées à l’interaction interculturelle. »21
Parmi les capacités concrètes qui nécessitent une compétence d’action interculturelle, on
peut citer: la gestion du stress, la maîtrise des conflits, la compétence de communication,
la capacité d’intégration, la gestion réfléchie et orientée vers la solution d’événements
critiques, la communication non-violente et les stratégies pour gérer le ou les chocs
culturels.22
La compétence interculturelle s’apprend! Elle repose sur la volonté et la motivation de l’apprenant
à étudier et aborder les cultures étrangères
5
L’apprentissage (inter-)culturel = l’ouverture (inter-)culturelle
Si toutes ces capacités et facultés humaines ne sont pas innées, elles peuvent toutefois
être apprises. Ainsi la compétence interculturelle s’acquiert par le processus de
l’apprentissage interculturel. Une condition indispensable dans ce processus sont la
volonté et la motivation de l’apprenant à étudier d’autres cultures.23
« L’apprentissage interculturel se fait lorsqu’une personne est prête à comprendre, lors de
l’interaction avec des hommes et des femmes de culture différente, leur système
d’orientation spécifique de perception, de pensée, d’évaluation et d’action et de l’intégrer
Voir: http://www.ikud-seminare.de/interkulturelle-kompetenz.html
Voir: Stellamanns 2007, 24f..
22
Voir: http://www.ikud-seminare.de/interkulturelle-kompetenz.html
23
Voir: Podsiadlowski 2004, 50
20
21
10
dans son propre système d’orientation culturelle pour l’appliquer à leur pensée et leur
action dans le champ d’action de la culture étrangère. L’apprentissage interculturel
nécessite, outre la compréhension des systèmes d’orientation de cultures étrangères, une
réflexion sur son propre système d’orientation (normes, attitudes, convictions et
valeurs). »24
Mettre en question sa propre subjectivité
Se distancer par rapport à son propre système de valeur
Reconnaître l’autre comme différent ayant sa propre identité culturelle
Reconnaître l’autre comme semblable – avec sa dimension sociétale
6
L’ouverture culturelle par la sensibilisation transculturelle : l’abandon du
concept des minorités au profit de sociétés fondées sur la diversité
Connaissance &
information sur l'autre
Communication entre
eux
S'habituer à l'autre
Je suis come je suis &
je peux être comme je
suis
Pas de peur de ce qui
est étranger
Tolérance
Confidence
Notre condition
humaine nous réunit
L'autre / l'étranger et
moi = diversité
Source : schéma conçu par l’autrice
En suivant la notion de transculturalité de Welsch, nous devons nous demander quelles
sont les compétences nécessaires qui nous permettent de penser « transculturellement
sensible ». Nous acquérons cette sensibilité transculturelle lorsque, par exemple, nous
passons un séjour prolongé dans un pays étranger. Dans le pays d’accueil nous sommes
obligés de recourir à « des performances d’adaptation à un environnement de vie et de
travail étranger et, par conséquent, de subir les contraintes de l’acculturation ».25
Deux cultures différentes s’affrontent dans un choc culturel : notre propre culture et la
24
25
Voir: Thomas 1993, 383
Voir: Thomas 2003, 442 unter http://www.transkulturelles-portal.com/index.php/6
11
culture du pays d’accueil. Un processus d’adaptation et d’accommodation se met en place
et produit des changements inévitables : nous réagissons aux nouveaux stimuli. Nous ne
pouvons pas ne pas réagir. Nous ne pouvons pas non plus nous comporter comme avant
la perception de l’autre culture.
Des réactions typiques sont également observables dans un pays qui accueille un grand
nombre d’étrangers.
Si, dans un premier temps, on observe des deux côtés, chez le moi et chez le
culturellement autre, une certaine curiosité et une certaine ouverture, ces dernières sont
ensuite remplacées par une attitude ethnocentrique, autrement dit, nous jugeons l’aspect
étranger dans la culture de l’autre à l’aune des normes de notre propre culture. Avec
comme résultat que l’autre une fois comparé à notre culture apparaît le plus souvent
déficitaire.
Indépendamment de la culture d’origine dans laquelle les hommes et femmes ont fait leur
socialisation, nombreux d’entre eux sont convaincus que leur propre comportement et leur
propre vision des choses sont les seuls valables. La réaction opposée est appelée
xénophilie, « lorsque l’on croit que la culture de l’autre est meilleure en tout ».26
Dès que des hommes et des femmes de cultures d’origine différente se rencontrent, leur
coexistence réussie exige – outre les codes de comportement suffisamment connus qui
existent dans une culture – une sensibilité transculturelle très élevée.
« L’apprentissage et l’action interculturels vise à réduire les déficits en information
interculturelle, les intentions de domination et de supériorité, les peurs d’être menacé, les
préjugés et les stéréotypes nationaux et culturels destructifs, la xénophobie et la peur face
à des cultures différentes. »27
Quelle est la différence entre la sensibilité transculturelle et la sensibilité interculturelle ? Si
nous voulons nous comporter transculturellement sensibles, nous devons réfléchir
consciemment sur notre manière de penser et d’agir déterminée par notre culture
d’origine. Nous avons tous comme bagage notre socialisation culturelle individuelle. Nos
attitudes, nos perceptions sont soumises – outre les autres catégories qui nous ont formés
et nous conditionnent ou s’influencent mutuellement telles que l’ethnicité, le sexe, l’âge,
l’orientation sexuelle, la conviction religieuse, l’origine sociale et la constitution physique –
à l’empreinte culturelle personnelle. Une sensibilité transculturelle élevée vit et pense la
26
Voir: Hofstede 2006, 448 unter http://www.transkulturelles-portal.com/index.php/6
27
Voir: Thomas 2003, 434 unter http://www.transkulturelles-portal.com/index.php/6
12
diversité inter- et intra-culturelle et s’efforce activement à « comprendre son système
d’orientation spécifique de perception, de pensée, d’évaluation et d’action, à l’intégrer
dans son propre système d’orientation culturelle et à l’appliquer à sa pensée et son action
dans le champ d’action de la culture de l’autre ».28
La sensibilité transculturelle n’est donc ni assimilation ni xénophilie, mais une approche
consciente et réfléchie à ce qui nous est propre et ce qui nous est étranger, elle-même
soumise à un changement dynamique permanent29 qui a, par conséquent, besoin d’une
vérification continue.
Pour conclure, force est de constater que la notion de la transculturalité ne peut être
appliquée à la seule ethnicité. L’homme est un mélange complexe composé de toute sorte
de variables de la diversité. De la même manière et dans ses relations avec l’autre et de
ce qui le lie à l’autre ou l’en distingue, l’homme se trouve – par rapport au sexe, à l’âge,
l’orientation sexuelle, la conviction religieuse, l’origine sociale et la constitution physique –
sur une large échelle qui varie entre « plutôt familier » et « complètement étranger ». Dans
un processus dynamique de rapprochement et de réduction de peur, il nous faut agir et
réfléchir sur ce qui nous est propre et ce qui nous est étranger de manière
intraculturellement consciente. Pour ce faire, la vie quotidienne nous offre un champ
d’activité quasi infini. Au risque de paraître sarcastique, on pourrait dire que ce que nous
venons de dire sont des choses plus ou moins connues.
Déjà Johan Galtung, chercheur de paix et de violence, disait dans les années 1970 :
« Plus l’écart entre soi-même et l’autre est profond, plus la situation de départ est
mauvaise, plus l’écart est petit, plus la situation de départ est bonne » pour permettre une
coexistence paisible.30
Finalement, cela veut dire qu’il nous faut nous confronter en permanence avec cet écart. Il
appartient à notre décision comment nous concevons la « situation de départ ». D’une
certaine manière, nous le savons tous, sans avoir à y réfléchir. Toutefois, la signification
profonde de quelque chose ne devient consciente que lorsque la situation de départ reste
mauvaise.
Jusqu’ici nous avons parlé d’un individu et de ses efforts d’entrer en contact avec d’autres
individus. C’est alors qu’un passage du « Petit Prince » de Saint-Exupéry nous vient à
l’esprit : Le petit prince fait la connaissance d’un renard et voudrait entrer en contact avec
28
Voir: Thomas 2003, 438 unter http://www.transkulturelles-portal.com/index.php/6
29
Voir: Bennett 1993, 46 unter http://www.transkulturelles-portal.com/index.php/6
30
Voir: Galtung 1995
13
lui. Le renard décrit comment tous les deux arrivent à combler, en passant par plusieurs
étapes, l’écart de l’étrangéité en « s’apprivoisant ».
Si nous savons ce qu’il faut faire, si nous ne voulons pas rester seuls, si nous connaissons
les efforts que nous devons entreprendre pour entrer en contact avec l’autre, les fossés
que nous devons combler toujours à nouveau – les fossés creusés par l’étrangéité qui se
manifestent par des particularités, par un comportement différent, par une manière de
penser différente – nous commençons à identifier les marqueurs intra- et interculturels
particuliers liés à ces fossés. Car une chose doit être claire : l’effort que nous devons
fournir est un effort permanent et énorme. L’objectif également : l’abandon du concept des
minorités au profit de sociétés fondées sur la diversité.
Pour conclure, j’aimerais revenir sur le projet Eurolog : dans la discussion qui a suivi mon
exposé et lors d’autres discussions tout au long du symposium, les participants ont réfléchi
sur leur propre ouverture transculturelle « privée » et il s’est avéré que outre la
« compétence interculturelle professionnelle » qui reste incontestée, l’état d’âme
dépendant de la culture n’est pas toujours pris en considération. Et même si toutes les
notions relatives au sujet de la « compétence interculturelle » ont été des lieux communs,
la sensibilisation a été ressentie comme une catharsis tout à fait bénéfique pour les
travaux d’avenir.
Les hommes et les femmes qui consacrent leur travail à une meilleure cohabitation
interculturelle doivent parfois s’arrêter, ajuster le tir et vérifier leurs propres perceptions et
émotions face aux défis interculturels. C’est cela, l’ouverture transculturelle ! En
remerciant tous ceux qui ont participé au projet Eurolog de leur ouverture et de leur
engagement, je terminerais avec une citation d’Erich Fromm :
« Ni le bon ni le mauvais résultat vient automatiquement ou d’une manière prédéterminée.
La décision revient à l’homme. Elle dépend de sa capacité de se prendre, de prendre sa
vie et son bonheur au sérieux, elle dépend de sa volonté de se confronter à son propre
problème éthique et à celui de sa société. Elle dépend de son courage, d’être lui-même et
d’être pour lui-même. »31
31
Fromm 1980, S. 157
14
Bibliographie :
Doser, S.: 30 Minuten für interkulturelle Kompetenz. 2. Aufl., Offenburg 2007.
Erll, A.; Gymnich, M.: Interkulturelle Kompetenzen – Erfolgreich kommunizieren zwischen
den Kulturen. 4. Aufl., Stuttgart 2010.
Fromm, E.: Analytische Charaktertheorie. Stuttgart 1980.
Galtung, J.: Die Prinzipien des gewaltlosen Protests. Thesen über die „Große Kette der
Gewaltlosigkeit“. Vortrag vom 30.05.1988 in Bückeburg. In: Galtung, J.: Kein Zweifel.
Gewaltlosigkeit funktioniert! Wirkungsweise und Aktualität gewaltlosen Widerstandes.
Heidelberg u. Freiburg i. Br. 1995.
Heringer, H. J.: Interkulturelle Kommunikation. Grundlagen und Konzepte. 3., durchges.
Aufl., Tübingen u. Basel 2010.
Podsiadlowski, A.: Interkulturelle Kommunikation und Zusammenarbeit, München 2004.
Stellamanns, S.: Evaluation interkultureller Trainings, Saarbrücken 2007.
Thomas A. / Hagemann K.: Training interkultureller Kompetenz , in: Bergemann, N.;
Sourisseaux, A. (Hrsg.): Interkulturelles Management, Berlin u.a. 1996.
Thomas, A.: „Interkulturelle Kompetenz – Grundlagen, Probleme und Konzepte.“ In:
Erwägen, Wissen, Ethik 14.1 (2003), 137-221.
Thomas, A. : „Die Bedeutung von Vorurteil und Stereotyp im interkulturellen Handeln“. In:
intercutural journal. Online-Zeitschrift für interkulturelle Studien, 5.2 (2006), 3-20.
Welsch, W.: Immer nur der Mensch? Entwürfe zu einer anderen Anthropologie. Berlin
2011, 294-322.
"Dokumentation mit Theoriebeiträgen und methodischen Übungen zu Kultur und
interkulturelles Lernen des Europarates und der Europäischen Kommission", 2000. Hrsg.
d. Deutschspr. Vers.: JUGEND für Europa – Deutsche Agentur für das EU-Aktionsprogramm JUGEND; Europarat GDIV Direktorat für Jugend und Sport unter:
http://www.transkulturelles-portal.com/images/Links/interkulturelles%20lernen%20t-kit%20nr.%204.pdf
„Interkulturelle Kompetenz“ unter http://www.ikud-seminare.de/interkulturelle-kompetenz.html
„Stereotypen und Vorurteile“ unter: http://www.transkulturelles-portal.com/index.php/6/61
„Transkulturelle Sensibilisierung“ unter http://www.transkulturelles-portal.com/index.php/6